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Création d’organisations de producteurs autonomes, à vocation technique et économique

MARGINALISATION SÉCULAIRE MAIS DES PAYSANS QUI LUTTENT POUR LEUR RECONNAISSANCE

S YNTHÈSE ET CONCLUSION

3 Création d’organisations de producteurs autonomes, à vocation technique et économique

4 Création d’organisations paysannes à vocation à la fois technique, économique, sociale, identitaire, territoriale 5 Regroupement d’organisations paysannes locales en réseaux régionaux, nationaux, voire internationaux 6 Créations d’alliances avec d’autres groupes sociaux et mobilisation en faveur de projets de transformation sociale D’après [Haubert, 1991] Le premier type est celui des stratégies de type « défensif ». Tant à l’échelle des unités domestiques que des communautés paysannes, il s’agit de stratégies, séculaires et sans cesse renouvelées, de résistance et d’autonomisation plus ou moins active vis-à-vis des structures de domination. À l’échelle du système d’activité, ces stratégies consistent en des productions très diversifiées – résultats de savoirs et savoir-faire agroécologiques et d’adaptations et de valorisation spécifiques des milieux – pour l’alimentation de la famille et pour le marché, et en différentes formes de migration qui permettent un complément de revenu tout en maintenant l’activité agricole. À l’échelle des communautés paysannes, ces stratégies consistent en des faisceaux complexes de relations de solidarité et de réciprocité. Ces stratégies d’adaptation, auxquelles il faut rajouter la capacité d’adaptation à la pauvreté [Gasselin, 2012], une des caractéristiques fondamentales des paysans qui acceptent de ne pas se rémunérer ou de se rémunérer moins selon la situation économique à laquelle ils sont confrontés, contribuent fortement à expliquer l’immense capacité de résilience des paysanneries.

Le deuxième type de dynamisme paysan est celui des innovations dans le domaine productif, associées souvent des modifications sensibles dans les relations avec les marchés : important développement de la production marchande pour un ou (ou plus rarement plusieurs) produit(s) tout en conservant un système de production diversifié ; accès à des marchés spécifiques à haute valeur ajoutée tels que l’exportation (classique ou via le commerce équitable) et/ou les productions de qualité etc. C’est le cas de l’exemple (§ 4.2.3 et Photo 10) des paysans de la communauté de Gatazo Zambrano dans la province de Chimborazo en Équateur, qui ont

développé la production de brocolis pour l’exportation. Dans cette même province, comme ailleurs dans les Andes, nous avons observé de nombreux exemples d’innovations dans le domaine productif et en matière de valorisation et de commercialisation, parmi lesquelles la production biologique et/ou équitable de quinua ou d’herbes aromatiques et médicinales, la transformation de produits de qualité et la création de marques locales (produits laitiers, cochons d’Inde), la spécialisation dans la production de tomates sous serres pour le marché conventionnel (Encadré 44) etc. Ces innovations productives et dans l’accès au marché se réalisent souvent avec l’appui (technique et/ou organisationnel et/ou financier), voire l’impulsion « d’alliés », acteurs externes aux paysans que sont l’Église, et les ONG locales, nationales et internationales, mais aussi les collectivités locales.

Le troisième et le quatrième type de dynamismes paysans identifiés par Haubert sont très étroitement liés au précédent. Les innovations dans le domaine productif et en matière d’accès au marché s’accompagnent souvent de la création d’organisations de producteurs, plus ou moins formelles et de plus ou moins grande échelle. Dans la province de Chimborazo, cela va de la petite association familiale informelle (Encadré 44),en passant par les organisations paysannes locales comme celle des quinueros de la COPROBICH (§ 4.2.3 et Photo 11), jusqu’aux « consortiums de commercialisation paysanne ». Ces derniers sont des organisations de producteurs dont la création et/ou la consolidation ont été financées par la Coopération suisse et qui ont été accompagnées par plusieurs ONG locales ainsi que plus ponctuellement par les collectivités locales et plus récemment par l’État. Ces consortiums sont structurés à l’échelle locale, provinciale, et jusqu’à l’échelle de la sierra centrale160 pour des produits comme les

produits laitiers, les cochons d’Inde, les pommes de terre. Toutes ces organisations de producteurs de dimensions très diverses, dont l’objectif est d’organiser collectivement la production, l’éventuelle transformation et la commercialisation, correspondent au troisième type de dynamisme paysan. Ces organisations peuvent rester cantonnées au domaine technique et économique, mais elles peuvent également avoir pour objectif la modification de la situation des paysans non seulement dans le domaine productif, mais aussi en ayant une approche territoriale des problématiques rencontrées par les populations rurales (amélioration des équipements et des services collectifs ; résolution des problèmes spécifiques aux femmes, aux jeunes, aux personnes âgées ; préservation de l’environnement, préservation et valorisation de la culture locale etc.). Dans cas on glisse vers le quatrième type de dynamisme paysan identifié par Haubert, incarné notamment par les « communautés » paysannes et indigènes.

Lorsque ces collectifs constituent des réseaux à l’échelle régionale, nationale, voire internationale, les dynamismes paysans commencent à prendre un caractère plus prononcé de mouvement social caractérisant une prise de conscience que, au-delà de leurs spécificités locales, les paysanneries se trouvent dans des situations similaires et doivent faire face aux mêmes défis et aux mêmes adversaires. Ces réseaux, qui bénéficient aussi très souvent de l’appui des alliés traditionnels des paysanneries que sont les ONG et l’Église, peuvent avoir une vocation à dominante technique et économique, comme c’est le cas du CIOEC en Bolivie (§ 4.1.3.1), ou une vocation à dominante sociopolitique, comme c’est le cas des mouvements indigènes dont les

luttes s’organisent essentiellement autour de l’accès aux ressources et la reconnaissance identitaire.

Malgré la diversité et l’intensité de ces dynamismes paysans, à l’échelle locale, les luttes pour l’accès aux ressources et les stratégies de valorisation de type « filière » sur les marchés régionaux, nationaux et internationaux sont loin d’avoir bénéficié à tous les paysans. Même s’ils sont des laboratoires de propositions et d’expérimentation d’alternatives et des témoins qu’une voie paysanne du développement est possible, les organisations paysannes et indigènes et les territoires qui ont réussi du point de vue de l’accès aux ressources et aux marchés, souvent avec l’appui de projets de développement dans un contexte de désengagement de l’État, forment de rares « îlots de durabilité » ou de « modernité » au milieu d’un océan de pauvreté (§ 4.2.4.2). En outre, ces dynamiques demeurent de nature paysanne et rurale dans le sens où il n’y a pas ou peu d’alliances et avec la ville proche161, ses habitants et ses acteurs. Quant à l’échelle plus

globale, les réseaux et mouvements paysans portent, jusqu’à la fin du XXe siècle, essentiellement

des revendications portant sur l’amélioration de leur situation.

Toutefois, les mobilisations des paysanneries andines vont progressivement glisser vers le sixième et dernier type de dynamisme paysan identifié par Haubert, c’est-à-dire lorsque les paysans n’ont plus comme unique objectif l’amélioration de leur situation, mais portent également un projet de transformation sociale et, à cet effet, concluent des alliances avec d’autres groupes sociaux. Ainsi, à l’aube du XXIe siècle, les paysanneries andines, en alliance avec

d’autres acteurs de la société civile, vont construire et porter au débat public un projet de souveraineté alimentaire. Par la suite, les nouveaux contextes sociopolitiques que connaîtront les pays andins à partir du début des années 2000 devront beaucoup à ces mobilisations paysannes et citoyennes. Au niveau local, et dans ce contexte de revendication de la souveraineté alimentaire et de profonds changements sociopolitiques, on voit émerger dans les Andes des formes nouvelles et multi-acteurs de circuits alimentaires de proximité, qui interrogent sur un processus de reconnaissance des paysanneries qui serait en marche. C’est cette interrogation que nous proposons de développer dans le prochain chapitre.

161 Même si, bien entendu et rappelons-le, les paysans interagissent fortement avec la ville proche pour y travailler et

vendre individuellement leurs produits, que ce soit aux intermédiaires des marchés des grands centres urbains dans les conditions que nous avons décrites plus haut, ou bien sur les marchés paysans/indigènes des petits centres urbains, ou encore via le commerce informel.

CHAPITRE 2

NOUVEAUX CONTEXTES

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