• Aucun résultat trouvé

Les dimensions de la centralité

$ Le centre et le milieu

3.1. Grilles de lectures de la centralité : l’irruption de l’immatériel

3.1.1 Les dimensions de la centralité

3.1.1.1

Contenu et mobilité : deux éléments associés

Nous venons de voir que distinguer les centralités dans la ville s’avérait être une réalité moins palpable, que d’y déceler des centres, au sens de concentration, sans prise en compte de leur portée. Parce que la matérialité d’un centre n’est que partielle dans la représentativité de son poten- tiel de centralité, certes, mais tout simplement aussi, parce que la centralité véhicule plus de concepts qu’un contenant matérialisé.

Puisque nous affirmions précédemment que l’étude fonctionnelle ne saurait nous être pleinement utile en demeurant simple appréhension d’une infrastructure, encore faut-il, dès à pré- sent, envisager ces éléments moins matérialisés mais tout aussi prégnants qui façonnent l’impact fonctionnel. Mais, bien entendu, il ne faudrait pas non plus oublier que la fonction participe elle- même à l’émergence de tous ces éléments immatériels. En aucun cas, il ne faut oublier cette relation bilatérale qui lie éléments matériels et immatériels ; en aucun cas la peur de la dérive fonctionnaliste ne doit se transformer en diktat de l’immatériel.

Le fait que la centralité soit une réalité qui consiste à attribuer un potentiel à un lieu est désormais, pour nous, chose établie. Nous avons par ailleurs souligné que le potentiel de ce lieu ne pouvait se résumer à une stricte suite fonctionnelle, mais devait intégrer nombre d’autres éléments qui permettent sa lisibilité et son appropriation par une population.

Ce constat d’une insuffisance du critère fonctionnel est quelque chose qui semble d’ailleurs de plus en plus acquis par les géographes. A la simple approche des fonctions du lieu, s’ajoute ainsi la question de l’accessibilité du lieu, résumée pour la plupart du temps à des critères matériels de distance et de coût. Parfois même, ce critère accessibilité semble devenir prépondérant comme si la fonction n’en était qu’un corollaire… Sans tomber dans un primat de l’accessibilité, qui présenterait les mêmes limites qu’une approche outrancièrement fonctionnaliste, cet élément est à prendre en compte. Ce binôme fonction-accessibilité est d’ailleurs complémentaire : à une quête

de l’accessibilité, la fonction ajoute une quête de l’attractivité. Mais, l’attractivité n’est pour sa part pas uniquement produite par la seule fonction…

On essaie donc de dire qu’il ne suffit pas d’être accessible et attractif, mais encore faut-il savoir si l’attractivité est suffisante pour convertir un potentiel d’accès en mobilité. Cette différence entre mobilité et accessibilité est rappelée par Bernadette Mérenne-Schoumaker :

« Alors que l’accessibilité mesure les facilités d’accès aux lieux, la mobilité mesure la capacité à se déplacer vers ces lieux. Comme l’accessibilité, elle dépend de l’offre en moyens de transport et du coût à supporter soit en argent, soit en temps. Comme d’autres comportements humains, la mobilité est en grande partie mue par le principe du moindre effort, c’est-à-dire le choix de la solution qui permet de minimiser l’effort (en termes de coût, de temps ou de fatigue) tout en maximisant l’utilité (perspective utilitariste) ou le plaisir (perspective hédoniste)102. (…) Toutefois, ce qui différencie l’accessibilité de la mobilité, c’est que la première est une caracté- ristique de l’offre (…) tandis que la seconde caractérise la demande ou au moins la demande qui se réalise. »103

On remarque donc que l’accessibilité, tout comme la fonctionnalité participent à la dimen- sion infrastructurelle du lieu considéré, alors que la mobilité est pour sa part sujette à l’appréciation des individus et de ce fait participe déjà à la centralité efficace.

3.1.1.2

La centralité : plus que le contenu et la mobilité

Mais là encore ce binôme accessibilité-fonction ne saurait suffire. C’est pourquoi on éprouve le besoin d’introduire en sus tout un corpus plus ou moins informel qui recouvre des prati- ques sociales, des habitudes, des comportements… Ainsi Jérôme Rollinat et Serge Thibault retiennent quatre éléments pour cerner la centralité :

« Qu’un lieu soit centre unique ou l’un des polycentres d’une agglomération, son inten- sité de centralité104 peut être définie à partie de quatre dimensions distinctes:

Accessibilité. Les lieux d’un espace urbain peuvent être hiérarchisés à partir des pro-

priétés structurelles du réseau qui les relie. (…)

Fonctionnalité. La seconde dimension de la centralité d’un lieu prend en compte la di-

versité et la densité des fonctions urbaines qui y sont présentes. Et l’on peut raisonnablement faire l’hypothèse que l’intensité de centralité d’un lieu est d’autant plus forte que nombreuses sont les fonctions urbaines qui s’y trouvent.

Sociabilité. La troisième dimension de la centralité se rapporte à des pratiques citadi-

nes. Certes reliées aux deux dimensions précédentes, nous ferons l’hypothèse qu’elles ne sont pas pour autant suffisantes : l’intensité de la centralité dépend également de la diversité et de la den-

102

Notons au passage que le moindre effort peut être aussi celui de ne pas réfléchir consciencieusement au trajet optimal, et d’utiliser toujours le même, fût-il médiocre, par habitude. Le trajet habituel est le plus facile à trouver à défaut d’être le plus commode à l’usage…

103

" MÉRENNE-SCHOUMAKER Bernadette. « Evolution des accessibilités et des mobilités et dynamiques des localisa- tions commerciales » in Travaux de l'Institut de Géographie de Reims, Reims, Presses Universitaires de Reims, n° 107-108, Commerce et accessibilité, sous la direction de Marcel BAZIN et Nicolas LEBRUN, 2001, p. 9

sité des pratiques sociales réalisées en un lieu, de la simple mise en présence, à la rencontre, voire la dispute.

Image et représentation. Enfin la quatrième dimension de la centralité est relative aux

représentations et aux images construites. A ce titre, les centralités urbaines qualifiées de se- condaires et qui se développent en des lieux situés sur les marges des agglomérations et polarisées par quelques centres commerciaux, peuvent être intenses si l’on prend en compte les trois premières dimensions, mais faibles au titre des représentations que s’en font les citadins et autres acteurs, tant est forte l’image du centre-ville. »105

Bien sûr cette introduction d’éléments extérieurs à l’accessibilité et à la fonctionnalité, aussi bienvenue soit-elle, est délicate à manier. Est-il ainsi prudent de vouloir additionner des élé- ments susceptibles de participer à la centralité d’un lieu, alors qu’ils sont de nature totalement différente ?

Ainsi, la centralité est une question d’offre du lieu : l’offre fonctionnelle et l’accessibilité, à ce titre, ont pleinement leur place dans la quête de la centralité. Mais ce que J. Rollinat et S. Thibault recouvrent sous le vocable de sociabilité, est-ce encore une offre, ou déjà un usage du lieu ? De même, l’image et la représentation du lieu ne sont-elles pas des interprétations du lieu plus que de réelles prises en considération de l’offre ? Ne risque-t-on pas là encore de mêler offre, de- mande et usage de l’offre ? En effet, le risque est bel et bien de confondre centralité apparente (l’image), centralité efficace (l’usage), centralité (l’offre) et centralité absolue (la demande).

Pourtant, comme nous l’avons déjà souligné, il est évident que des éléments divers parti- cipent à l’offre. Ils nous faut désormais voir quels symboles communs doivent véhiculer les vecteurs de l’offre fonctionnelle. Cela devrait nous permettre d’envisager de façon plus sûre quels sont les éléments susceptibles de porter cette centralité, tant dans l’approche des fonctions et de l’accès qu’en dehors. L’explication par le résultat semble en effet aussi inutile que tautologique.