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Centre et périphérie : deux approches du commerce ?

Chapitre Premier Lieux marchands et centralités urbaines : de trop faciles lectures C

1.1.2 Centre et périphérie : deux approches du commerce ?

Pour l’instant nous n’avons parlé que de formes et concepts de vente pris par des indivi- dualités commerciales. Mais, nous devons à présent constater des assimilations connexes caractérisant plus des espaces marchands et donc révélateurs de types de concentrations de com- merces.

Ainsi le centre-ville est communément considéré comme le fief du petit commerce, en dépit du fait que les grands magasins soient aussi une invention du centre-ville296 : si nous estimons ainsi la surface moyenne des commerces de l’agglomération de Reims à quelque 273 m²,

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A Sainte-Geneviève des Bois dans le département de l’Essonne.

296

Qui n’en détient d’ailleurs plus l’exclusivité depuis les années 1970. Pour l’essentiel, ce sont quelques grands centres commerciaux régionaux intégrés, situés notamment en grande banlieue francilienne (Parly 2, Vélizy 2…), qui comp- tent aussi un ou plusieurs grands magasins. Les cas de grands magasins isolés en périphérie ne demeure quant à eux que rares : le magasin Galeries Lafayette de Lyon est ainsi situé près d’un échangeur de rocade urbaine dans le quar- tier très excentré de Parilly.

celle des commerces du centre-ville avoisine les 150 m², en dépit de la présence de plusieurs grands magasins et magasins populaires (Galeries Lafayette, Printemps, Monoprix)297. Est-ce pour autant que nous devons assimiler, comme cela est trop souvent le cas, petit commerce et centre-ville ?

De même, on tend à considérer à l’inverse la grande surface comme l’apanage de la péri- phérie des villes.

A partir de là, on échafaude des qualités propres aux achats de centre-ville et d’autres qua- lités propres aux achats de périphérie. Cette division duale, bien pratique lors d’enquêtes sur les comportements d’achats298, met forcément en exergue des oppositions puisqu’elle part d’une pré- sentation bicéphale du commerce urbain. Est-on sûr que le sondé a la même définition du centre et de la périphérie que nous, là est un autre problème… Nous renvoyons par exemple aux oppositions dénoncées par Pierre-Yves Léo et Jean Philippe299, ou à celles que nous tentions de voir dans un précédent travail300 sur les centres commerciaux périphériques301.

La première opposition récurrente dans les images du commerce dans la ville est donc celle du centre face à la périphérie. On les oppose en tous points :

1. Nous l’avons vu, il existerait des formes commerciales de centre-ville et des formes com- merciales de périphérie. Voire même une forme caractéristique de chacun : la grande surface c’est la périphérie, le petit commerce c’est le centre…

2. Il existerait par ailleurs une offre de centre-ville et une offre de périphérie. Le banal en pé- riphérie, l’anomal au centre… le bas de gamme bon marché en périphérie, le haut de gamme coûteux en centre-ville

3. Il existerait une clientèle de centre-ville et une clientèle de périphérie. C’est bien entendu directement lié à l’offre : le centre serait plus élitiste…

4. Il existerait enfin un état d’esprit différent pour chacun de ces deux espaces : aller au centre pour flâner, aller en périphérie pour la corvée des courses.

Mais, force est de reconnaître que ce discours n’a pas toujours prévalu. Il fut un temps, pas si éloigné, où les centres commerciaux périphériques n’existaient pas et où par conséquent on n’arborait pas cette menace périphérique. L’opposé du centre-ville avant l’émergence de périphéries marchandes résidait dans les quartiers ou les faubourgs, caractérisés par ce qu’on qualifie désormais de commerces de proximité. La ville avait un centre entouré d’une couronne de quartiers. Lors- qu’on quittait son quartier pour aller au centre on allait « en ville ». A noter que cettevision bicéphale trahit en outre une évolution des discours et du vocabulaire urbain. Au- jourd’hui parler de périphéries marchandes renvoie sans ambiguïté aux zones commerciales

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Hors services marchands. Source Base NL – 2002.

298

« Allez-vous plutôt en centre-ville plutôt en périphérie pour tel ou tel achat ? »

299

" LEO Pierre-Yves et PHILIPPE Jean. « Les consommateurs dans l'espace métropolitain. une analyse des comporte- ments entre centre et périphérie » in Structure des villes, entreprises et marchés urbains, Paris, L'Harmattan, 2000, pp. 171-208

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# LEBRUN Nicolas. Les commerces de l’agglomération de Reims. Les centres commerciaux périphériques, Reims, mémoire de maîtrise de géographie, Institut de Géographie, juin 1997, 235 pages.

d’entrées de villes. Avant, tout ce qui n’était pas en centre-ville était considéré comme faisant partie d’un même ensemble, d’une périphérie unique. Désormais, il existe un hors-centre qui n’est pas qualifié de périphérique, un entre-deux désolidarisé de l’échelle urbaine. On parle pudiquement de commerce de quartiers, comme si le centre-ville n’avait vocation qu’à embrasser la ville dans son entier, alors que les autres espaces constitueraient autant d’espaces autocentrés ou autonomes. Ce simple changement de référentiels souligne assez mal un étiolement des commerces de quartiers, et donc des changements physiques réels dans les appareils commerciaux urbains.

Ainsi, l’émergence d’une seconde couronne marchande a complètement remis en cause ce schéma classique. Les formes prises par cette redistribution sont de prime abord doubles :

- Tout d’abord, aspect éminemment exploité, on constate l’apparition de périphéries au poids tel qu’elles sont susceptibles de remettre en cause la suprématie du centre-ville. Pour la première fois dans l’histoire urbaine, le « collier périphérique » voire la « ville- lisière »302, remettent en cause la suprématie du centre-ville.

- Par ailleurs, aspect totalement effacé, cette apparition des périphéries marchandes a for- tement accentué la disparition des commerces de quartiers, qui ne restent présents que sur les grands axes de pénétrantes et en petits noyaux épars.

Cette vision manichéenne centre-périphérie du commerce de détail dans la ville a donc eu pour fâcheuse conséquence de nous faire oublier cet entre-deux constitué par les quartiers. Ce combat annoncé entre centralités a eu pour effet d’occulter le sort des « vraies » périphéries.

Mais il y a aussi un second discours, plus tenu par les professionnels et plus respectueux des évolutions récentes, qui lui aussi repose sur une opposition centre-périphérie, même s’il ne se présente pas comme tel. Pour celui-ci :

- centre-ville et périphérie ne diffèrent plus vraiment ni par leur nature ni par leur clientèle.

- ces deux mondes doivent être gérés de la même façon, comme deux centres commerciaux concurrents.

- il n’y a plus de chasse gardée du centre ou de spécificité de la périphérie.

302

Pour reprendre l’expression de Joel Garreau et notre propre formule que nous évoquions tantôt.

# LEBRUN Nicolas. Les commerces de l’agglomération de Reims. Les centres commerciaux périphériques, Reims, mémoire de maîtrise de géographie, Institut de Géographie, juin 1997, 235 pages.

Parfois cette affirmation n’est qu’un vœu des commerçants du centre-ville, conscients de leurs différences avec les entrées de ville, et qui cherchent à tout prix et disent à qui veut l’entendre303 qu’un centre-ville doit être géré comme une zone marchande304, c’est-à-dire comme un ensemble. L’opposition centre-périphérie devient alors une simple confrontation de deux ensembles d’acteurs. Nous devons être conscients que de ces oppositions systématiques du centre et de la périphérie naissent d’attitudes nécessairement manichéennes.