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B/ La différenciation de l’inspection par l’analyse des processus de contrôle

La doctrine et la jurisprudence sont venues caractériser les contours processuels de l’inspection avec l’application d’un critère organique relatif aux personnels d’inspection (1), et l’application de critères temporels et géographiques permettant de différencier l’inspection d’autres types de contrôles (2).

1/ L’application du critère organique : les inspecteurs (rationae personae).

143. L’inspection est un contrôle particulier diligenté par des fonctionnaires de l’État énumérés aux articles L. 1421-1 CSP et L. 313-13 CASF, par des agents des collectivités territoriales de l’article L. 133-2 CASF ou par des agents expressément habilités dans le cadre de l’article L. 1435-7 CSP565.

Mais à lui seul, le critère organique ne permet pas de connaitre le but poursuivi par un contrôle. En effet, ces mêmes catégories d’agents peuvent également procéder à d’autres types de contrôles, comme une visite de conformité dans le champ des établissements de santé ou dans celui des établissements sociaux et médicaux-sociaux, ou un contrôle de la facturation des établissements de santé pour les praticiens conseils de l’assurance maladie. L’exercice de ces divers contrôles peut se faire avec des prérogatives plus limitées que l’inspection566, ou parfois

565 Dont peuvent faire partie des agents de l’assurance-maladie, notamment des praticiens-conseils, affectés dans une ARS.

566 V. les visites de conformité en établissement de santé (D. 6122-38 CSP) ou en établissement social et médico-social (D. 313-13 CASF).

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proches de celles-ci567, ce qui est source de confusion pour les agents quant à la finalité poursuivie.

Par ailleurs, comme l’écrit Maxence CORMIER, « il ne saurait y avoir d’inspection sans texte »568, et nous pourrions rajouter, sans texte spécial. Il n’est donc pas suffisant de procéder à une référence aux articles génériques de l’inspection sus-cités pour être assuré de dérouler la procédure adéquate. La légalité d’une décision administrative ne saurait être retenue que si l’autorité administrative compétente en matière d’inspection fait application du bon texte relatif au domaine inspecté, par renvoi aux articles relatifs aux agents compétents. Il en va ainsi par exemple pour le contrôle de « l’exécution des lois et règlements qui se rapportent à la santé publique » à l’intérieur des établissements, sanitaires, sociaux et médico-sociaux569, du contrôle de la bonne exécution des analyses de biologie médicale570, du contrôle des « conditions d’installation, d’organisation ou de fonctionnement », ainsi que des « risques susceptibles d’affecter la prise en charge » des personnes pour les ESSMS571.

144. Si le critère organique est un critère nécessaire mais insuffisant pour distinguer l’inspection d’autres types de contrôles, comme le contrôle de tutelle, la visite de conformité, le contrôle d’ordre public et ses mesures administratives coercitives, ou le contrôle judiciaire qui exigent également des inspecteurs qu’ils soient habilités par des textes, il ressort aussi que l’inspection doit être entendue comme un « contrôle externe ». L’inspection diffère ainsi des contrôles internes que les établissements peuvent mettre en place avec leurs propres agents sous la forme des contrôles de gestion ou des audits internes. Le critère organique est principalement associé à la notion de prérogative de puissance publique attachée, comme nous le verrons, à la notion de police administrative, et à l’indépendance des inspecteurs, nécessaire à l’exercice de leurs missions d’inspection. Les textes qui encadrent les pouvoirs d’inspection des inspecteurs sont nombreux et garantissent cette indépendance, gage d’objectivité et d’impartialité.

Pourtant, les inspecteurs peuvent être amenés à devoir réaliser une inspection dans les établissements publics sur lesquels leur autorité administrative est partie prenante dans le pilotage, ce qui pose la question de l’indépendance. C’est le cas pour les établissements sociaux rattachés à une collectivité territoriale relevant de la compétence de contrôle du département.

567 V. le contrôle de la facturation des établissements de santé par les praticiens conseils de l’assurance-maladie qui peut aboutir à une sanction financière adressée par le DGARS à l’établissement de santé (R. 35 à R. 162-35-6 CSS).

568 CORMIER M., « Le statut de l’inspecteur » Revue fondamentale des questions hospitalières, n° 9, 2004 p. 68.

569 Art. L. 6116-1 et L. 6116-2 CSP.

570 Art. L. 6231-1 et R. 6231-1 CSP.

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Ainsi, dans un établissement public départemental tel un EHPAD public départemental, le conseil d’administration est présidé par le PCD ou son représentant, et le PCD nomme le directeur de l’EHPAD départemental. La pression politique est alors très forte pour ne pas diligenter une inspection qui aboutirait à des suspensions d’activités dans un contexte économique local difficile. C’est la raison pour laquelle le président d’un CD préfère souvent laisser les représentants de l’État, préfet ou directeur général d’ARS, faire leur office d’inspection dans ce type d’établissement.

2/ L’application des critères temporels et géographiques.

La distinction entre l’inspection et d’autres types de contrôles nous parait devoir être facilitée par le biais de l’utilisation d’un critère temporel (a) et d’un critère géographique (b).

a) L’application d’un critère temporel : L’inspection, un contrôle a posteriori : exclusion des visites de conformité (rationae temporis)

145. La distinction entre l’inspection et la visite de conformité n’est pas évidente, car ces deux contrôles concernent un acte de police administrative qui est l’acte d’autorisation, de déclaration ou d’agrément.

Certains auteurs rangent sous le terme « inspection » un ensemble de contrôles tendant à vérifier la conformité aux lois et règlements. Selon Marie-Laure MOQUET-ANGER, « plusieurs types d’inspection peuvent être réalisées (lors de l’instruction d’un dossier d’autorisation, la visite de conformité, les inspections en urgence sur risque avéré) »572. La finalité de police administrative de l’inspection transparait derrière les exemples cités et cette position présente un avantage matériel d’unifier sous le terme « inspection » l’ensemble des contrôles qui exigent un déplacement sur site, y compris les visites de conformité, ce qui facilite au passage, la comptabilisation du temps passé à cette activité par les inspecteurs. Cette position va aussi dans le sens du cas cité précédemment des visites de conformités en matière d’installations de chirurgie esthétique qui utilise le terme « inspection »573.

D’autres auteurs font de l’inspection un contrôle « a posteriori » diligenté une fois l’acte d’autorisation délivré, alors que la visite de conformité constitue un contrôle « a priori » qui vise à la délivrance de cette autorisation ou à son renouvellement au regard des normes

572 MOQUET-ANGER M-.L., Droit hospitalier, LGDJ, 5e éd., 2018, p. 200.

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techniques, et ceci dans un cadre contraint d’organisation de l’offre en schémas et programmes qui fait de ce contrôle de conformité un contrôle lié à la planification574. Selon Michèle BRUAIRE, « l’inspection n’est pas une visite de conformité, qui, comme son nom l’indique, a pour principal objet de vérifier la conformité entre l’autorisation accordée sur dossier et sa réalisation (ou le renouvellement d’une autorisation et la poursuite de l’activité) et relève d’une autre logique, puisqu’elle vaut de plein droit non seulement autorisation de fonctionner, mais aussi autorisation à rembourser des soins aux assurés sociaux ou habilitation à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale ou, si l’autorisation est accordée par le représentant de l’État ou conjointement avec le président du conseil général, à dispenser des prestations prises en charge par l’État ou les organismes de Sécurité sociale, ces organismes ayant leurs propres corps techniques de contrôle »575.

Cette application d’un critère temporel qui fixe l’inspection en aval du contrôle de l’autorisation nous parait justifiée tant au niveau juridique que pratique. Si la visite de conformité et l’inspection, s’exercent toutes les deux sur le terrain de la police administrative au sens large, comme nous l’avons abordé dans le titre 1, la police administrative ne s’y exprime pas dans les mêmes conditions. La visite de conformité joue avant tout la carte de la police de planification quand l’inspection joue « a minima » celle de la police de protection. Cette différence a des conséquences sur l’instrumentum du contrôle. La visite de conformité est demandée par l’établissement en vue de l’autorisation ou de son renouvellement quand l’inspection est imposée par l’autorité administrative suite à des dysfonctionnements qui peuvent dépasser le cadre de la simple autorisation. La visite de conformité fait l’objet d’un procès-verbal quand l’inspection donne lieu à un rapport qui accompagne des mesures coercitives.

146. Mais au-delà de ces différences d’instrumentum, la visite de conformité et l’inspection se rejoignent sur leur résultat, car elles peuvent aboutir toutes deux à un refus d’autorisation au titre de la police administrative576. Dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif opèrera un contrôle identique lorsque le constat d’insécurité est observé à l’occasion d’une visite de conformité ou d’une inspection dans un établissement de santé par exemple. La visite de conformité a la nature d’une mesure de police administrative, car elle

574 ESPER C., DUPONT M., Droit hospitalier, Dalloz 10e éd. 2017, p. 361

575 BRUAIRE M., « Les suites administratives d’inspection », Revue fondamentale des questions hospitalières, n°9 2004 p. 101.

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porte notamment sur la vérification des conditions techniques de fonctionnements imposées par la règlementation577. Sous cet aspect, la visite de conformité est une visite de sécurité578. Au-delà de cette finalité identique concernant la sécurité des deux types de contrôles, l’IGAS, chargée d’élaborer les bilans annuels d’activité inspection des services territoriaux, exclut de sa comptabilité annuelle les visites de conformité pour ne retenir que les inspections réalisées une fois l’autorisation délivrée. En procédant ainsi, elle concentre son étude sur les inspections réalisées a posteriori, soit au titre de programmes nationaux, soit hors programme, quand elles sont commandées par l’urgence de certaines situations. Ce choix est naturellement critiqué par certains professionnels qui y voient une négation du temps passé à réaliser les visites de conformité rendues obligatoires par la loi, même si le législateur, nous l’avons vu et nous y reviendrons, a considérablement allégé la portée de ces dernières.

A côté du critère temporel, un critère géographique permet de distinguer l’inspection d’autres types de contrôles.

b) L’application d’un critère géographique : l’inspection, un contrôle sur place (rationae loci)

147. Un autre critère dégagé par la doctrine pour qualifier l’inspection par rapport à d’autres contrôles est le critère géographique qui suppose un déplacement sur site. Etymologiquement, l’inspection suppose de « regarder dedans »579. Le critère formel de contrôle sur place associé au critère organique d’inspecteurs habilités permet de distinguer, selon Maxence CORMIER, l’inspection d’autres types de contrôle580, ce que confirment notamment des auteurs comme Claudine ESPER et Marc DUPONT pour lesquels « le contrôle peut prendre la forme d’une inspection. Celle-ci est une procédure administrative qui consiste à effectuer des investigations approfondies sur l’établissement (ou tel aspect de son activité) et prend nécessairement la forme d’un contrôle réalisé sur place »581. Les auteurs citent à ce propos le Guide IGAS de bonnes pratiques d’inspection et contrôle de 2001 qui évoquent des « investigations approfondies », et celui de 2012, confirmé en 2019, qui précise que « L’inspection est toujours

577 Par exemple en application de l’article D. 6122-38 CSP pour la visite de conformité dans un établissement de santé.

578 V. CAA Lyon, 8 avr. 2010, Association des usagers des services de santé du Haut-Nivernais, n° 08LY00155, concernant le refus de renouvellement d’autorisation d’une maternité par manque de personnel soignant.

579 Loc. lat : « In specto ».

580 CORMIER M., « Le statut de l’inspecteur », RFQH N°9 2004 p. 67, prec.

581 ESPER C., DUPOND M., Droit hospitalier, Dalloz 10e éd. 2017, p. 415 ; NAITALI P., « Les pouvoirs du directeur général de l’ARS en matière médico-sociale », RDSS, mai-juin 2016, p. 415 ; LAMI A., VIOUJAS V., Droit hospitalier, Ed. Bruylant, 2018, page 140.

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réalisée sur site ». Le critère géographique et le critère temporel procèdent de la même intention, celle de permettre une activité de contrôle en adéquation avec la situation. Plus le danger est grand, plus les moyens d’y remédier doivent être importants. Le critère organique des inspecteurs habilités et le critère matériel qui fait de l’activité des établissements et services l’objet même de l’inspection, concourent à dessiner les spécificités de l’inspection en tant que contrôle particulier.

Nous avons ainsi examiné quatre types de critères dégagés par la doctrine et la jurisprudence qui permettent de mieux distinguer l’inspection d’autres types de contrôles dans le champ étudier. Le critère « rationae personae » qui définit l’inspecteur compétent, le critère « rationae materiae » qui détermine l’activité des établissements et services comme objet de l’inspection plutôt que les actes, le critère « rationae temporis » qui désigne l’inspection comme un contrôle a posteriori, et enfin le critère « ratioane loci » qui exige un déplacement sur site.

Ces quatre critères doivent être complétés par un cinquième critère à rattacher au critère organique. Il s’agit de l’attribution de pouvoirs particuliers aux agents assurant les missions d’inspection.

Sect. 2 - La caractérisation de l’inspection par l’attribution de pouvoirs

particuliers attribués aux agents qui en ont la charge.

Si dans les textes, l’inspection n’est pas seulement liée à une finalité sécuritaire, comme nous l’avons signalé dans la section 1, mais englobe d’autres contrôles au sens large, nous allons voir que les pouvoirs attribués aux inspecteurs traduisent une volonté du législateur de leur permettre de s’assurer avant tout de la qualité des prestations et de la sécurité des usagers. Cela passe par des pouvoirs très larges liés à la police administrative (§1), mais aussi à la police judiciaire (§2).

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§1 L’attribution de pouvoirs en vue d’une décision administrative à titre principal

Dans le cadre de leurs missions de contrôles, qu’ils soient budgétaires, techniques ou de police administrative, les inspecteurs ont été dotés de pouvoirs très larges justifiés par la finalité ultime de puissance publique que peuvent revêtir leurs missions (A). La contrepartie de ces pouvoirs tient dans les obligations qui s’imposent à eux et qui visent non seulement à protéger les personnes physiques et morales soumises à ces contrôles, mais également à garantir le principe de loyauté à l’égard de leur autorité administrative (B).

A/ Des pouvoirs étendus en inspection justifiés pas une finalité ultime de police

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