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B/ Les autorités et agents de contrôle des agences nationales de sécurité sanitaire

96. Avec la création de l’AFSSAPS, la loi du 1er juillet 1998 a opéré à l’article L. 5322-2 CSP un transfert de compétence du ministre chargé de la santé au profit du directeur général de cette agence, établissement public de l’État, de toutes les décisions relatives aux produits entrant dans sa compétence (notamment génétiques)380. Il s’agit de pouvoirs de police sur tous les produits de santé destinés à l’homme, ayant une finalité sanitaire ou cosmétique (médicaments, produits sanguins labiles, produits de thérapie génique et cellulaire, dispositifs médicaux…). Il en va de même pour l’ABM, établissement public administratif de l’État créée par la loi n° 2004-800 du 6 aout 2004 relative à la bioéthique, et placée sous la tutelle du ministre chargé de la santé. Celle-ci est compétente dans les domaines de la greffe, de la reproduction, de l’embryologie et de la génétique humaine. Elle est chargée de délivrer aux établissements et services les autorisations relatives à l’assistance médicale à la procréation381 et les agréments

378 BOISSIER P., « L’évolution des compétences et des métiers des corps d’inspection : l’exemple de l’inspection générale des affaires sociales », RFDA n° 155, 2015, prec.

379 CAILLOSSE J., « L’évolution des fonctions d’inspection : une mise en perspective », RFDA n° 155, 2015, p. 735-743. in RFDA 2015, n° 155 « Du contrôle à l’évaluation », l’évolution des fonctions d’inspection ».

380 Loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.

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aux praticiens exerçant cette activité382, avec pour corollaire un pouvoir de contrôle en la matière en application de l’article L. 1418-1 4° CSP383.

97. Ces deux agences détiennent des pouvoirs de police sanitaire très étendus que nous pourrions qualifier de deux manières. D’abord des pouvoirs de police directe, qu’elles exercent elles-mêmes sur les opérateurs de terrain, ensuite des pouvoirs de police indirecte, qu’elles commandent aux ARS.

En matière de pouvoir de police directe, la loi de 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a tiré les conclusions des défaillances d’organisation de l’AFSSAPS révélées par l’affaire du Médiator en 2010, en instaurant l’ANSM384. Cette agence exerce d’abord un pouvoir de police directe sur la délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM). Elle détient aussi des pouvoirs d’interdiction ou de suspension de toute activité relative à un produit de santé non soumis à une procédure d’autorisation, et l’interdiction d’une activité illégale, lorsqu’un produit est mis sur le marché sans autorisation. Elle dispose pour ce faire d’une « inspection » en vertu de l’article L. 5313-1 CSP, composée de médecins inspecteurs et pharmaciens inspecteurs, statutaires ou contractuels, qui exercent leurs prérogatives de contrôle dans les conditions prévues à l’article L. 1421 CSP385. De la même manière, en application de l’article L. 1418-1 4° du CSP, l’ABM est chargée de contrôler les activités médicales et biologiques, et notamment celles liées aux nanobiotechnologies, relevant de sa compétence et de veiller à la transparence de ces activités. Elle dispose de ses propres agents inspecteurs « chargés des contrôles et investigations » qui peuvent être assistés d’experts386.

Pour caractériser la « délégation de police sanitaire » évoquée par Didier TABUTEAU dans son ouvrage sur la sécurité sanitaire, il est peut-être encore plus instructif de se pencher sur le pouvoir de police indirecte dont sont dotées ces agences nationales. L’ANSM exerce un pouvoir de police indirecte en faisant procéder à toute expertise et à tout contrôle technique des produits

382 Art. L. 1131-3 CSP.

383 L’article L. 1418-1 4° CSP dispose que l’ABM est chargée de « suivre, d’évaluer et, le cas échéant, de contrôler les activités médicales et biologiques ». V. LEDOUX A., TEISSEDRE S., « L’agence de biomédecine : veille et police sanitaire », LPA 30 juill. 2008, n° 152, p. 15. ; NICOLAS G., « L’agence de biomédecine : un nouveau modèle de sécurité sanitaire ? », LPA 18 févr. 2005, n° 35, p. 15.

384 Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, JO du 30 déc. 2011.

385 Selon D. TABUTEAU dans « La sécurité sanitaire » 2002 page 187, l’AFSSAPS « comptait en 2001 près de 800 agents dont 2/3 de médecins, pharmaciens, scientifiques et techniciens et 1/3 d’agents administratifs ».

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et objets relevant de sa compétence et l’exécution des contrôles de qualité et d’analyses de biologie médicale et des analyses permettant des identifications387. Il en va de même pour l’ABM qui « peut demander aux autorités administratives compétentes de l’Etat ou aux établissements publics concernés de faire intervenir leurs agents habilités à contrôler l’application des dispositions législatives et règlementaires visant à préserver la santé humaine »388. Le même article prévoit que cette agence nationale est destinataire des rapports de contrôle et d’inspection concernant les activités relevant de sa compétence et qu’elle peut en tenir compte pour décider du retrait du marché des produits défectueux et des dispositifs médicaux. En jouant pleinement ce rôle de police sanitaire indirecte, ces agences nationales de sécurité sanitaire sont donc reconnues comme des donneurs d’ordre à l’égard des services territoriaux qui deviennent de la sorte « prestataires de services » en inspection-contrôle. Cela ne va pas sans heurts entre ces différentes autorités, car la décentralisation fonctionnelle qui a permis la création des agences nationales ne se substituent pas au pouvoir hiérarchique que les services territoriaux (ARH devenues ARS aujourd’hui) exercent sur leurs agents. Les commandes en inspection proviennent ainsi de plusieurs niveaux. Afin d’éviter que des ordres de contrôle ne soient passés directement par les agences nationales aux services territoriaux, le ministère a mis en place une procédure de validation des commandes au travers d’une programmation nationale annuelle des inspections-contrôles en santé qui font l’objet d’instructions transmises aux services sous forme de « Directives nationales d’orientation » (DNO), nommées désormais ONIC389.

387 L’article L. 5311-2 CSP dispose à cet effet que l’agence « procède ou fait procéder à toute expertise et à tout contrôle technique relatifs aux produits et objets mentionnés à l'article L. 5311-1 ».

388 Art. L. 1418-2 alinéa 1. CSP.

389 Les ONIC pour les ARS sont validées par le Conseil national de pilotage des ARS et diffusées à celles-ci sous timbre IGAS avec un numéro de visa, sans faire l’objet d’une circulaire publiée. Les ONIC pour les services déconcentrés de cohésion sociale sont validées en COMEX par les représentants des directions centrales et régionales du réseau jeunesse, sport et cohésion sociale, puis sont diffusées par instruction du secrétariat général du ministère des solidarités et de la santé aux directeurs régionaux et départementaux de ce réseau (exemple instruction N° SG/POLE JSCS/2018/15 du 18 janvier 2018 relative au programme national d’inspection et de contrôle 2018 pour le réseau jeunesse sport et cohésion sociale).

Ces orientations dénommées « instructions » conformément à la circulaire premier ministre du 25 février 2011, ne sont donc pas des circulaires publiées au sens de l’article R. 312-8 CRPA sur le site

http://circulaires.legifrance.gouv.fr/, car elles n’entrent pas dans le champ de l’article L. 312-2 CRPA, dans sa

rédaction issue de l’article 20 de la loi n° 2018-727 du 10 aout 2018, qui prévoit que « font l’objet d’une publication les instructions, les circulaires ainsi que des notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives ». Ces instructions ne font que rappeler les textes de contrôle, donner des quotas de contrôles et apporter des conseils sur la composition de l’équipe et le temps dévolu à chaque type de contrôle (des fiches d’organisation du contrôle sont annexées à chaque orientation nationale). Leur diffusion interne par messagerie et sur le site intranet du ministère n’en font pas des circulaires au sens de l’article précité. Par conséquent, les administrés ne peuvent s'en prévaloir contre l’administration, et les administrations ne peuvent s'en prévaloir contre les administrés. Le fondement juridique d’un contrôle ne se trouve

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A titre d’illustration, pour l’ANSM, la thématique d’inspection adressée aux services territoriaux rendue publique annuellement est celle de l’inspection des établissements pharmaceutiques de distribution en gros des médicaments à usage humain (grossistes répartiteurs et distributeurs en gros de gaz à usage médical dans la DNO 2007). Pour autant, certaines commandes ne passent pas par le filtre de la Commission nationale de programmation mise en place par le ministère de la santé. C’est le cas des inspections concernant les dépôts de sang dans les établissements de santé. De son côté, l’ABM a également établi un programme annuel d’inspection pour les services territoriaux relatif aux activités d’assistance médicale à la procréation (AMP) en 2012 et 2013, aux inspections des laboratoires autorisés pour les examens de biochimie portant sur les marqueurs sériques maternels en 2015, et aux inspections des activités d’assistance médicale à la procréation en 2018.

98. Soulignons qu’en créant ainsi des agences sanitaires nationales, le législateur a mis en place des autorités spécialisées, composées d’experts, dotées d’une fonction de contrôle dissociée de la fonction de gestion des établissements et services, ce qui en fait des agences de missions et non de gestion. Leurs pouvoirs de police au titre de la sécurité sanitaire, principalement en établissements de santé, sont extrêmement forts puisqu’ils sont à la fois directs et indirects.

Parallèlement à ces agences de sécurité et de vigilance disposant de pouvoirs de police sanitaire, le législateur a instauré d’autres agences dont l’objet porte davantage sur la qualité des soins et l’évaluation des pratiques. Il s’agit notamment de la HAS créée en 2004 et qui a intégré en mai 2018 l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) préalablement créée en 2007. Il s’agit aussi de l’ANAP créée par la loi HPST de 2009. Contrairement à l’ANSM et à l’ABM, la HAS et l’ANAP n’utilisent pas de pouvoirs de police sanitaire, mais des recommandations de bonnes pratiques, des guides et des visites de certification ou d’évaluation, des tableaux de bords et des indicateurs.

pas dans la circulaire relative aux orientations de contrôle, mais dans les dispositions légales et réglementaires de ces contrôles.

Aussi, même lorsque ces ONIC sont utilisées comme vecteurs de communication et diffusées dans leur synthèse à destination des professionnels du secteur sanitaire et social (voir les dépêches hospimédia en début d’années qui diffusent les ONIC relatives aux ARS), elles demeurent simplement incitatives ou indicatives, et non décisoires. L’opposabilité de ces instructions envers les agents de contrôle des services de l’État demeure relative, car elle fait plus appel à la responsabilité des chefs de services et de leurs agents qu’à une injonction de faire du ministère. Toutefois, ces agents peuvent rendre des comptes sur leur mise en œuvre dans le cadre des indicateurs LOLF, objectifs primables, notamment la prime CIA, notation par les directeurs généraux d’ARS ou préfets. Les directeurs des services territoriaux pourraient également se justifier devant la justice sur la base des priorités qui y sont définies.

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L’articulation avec les pouvoirs de contrôles des autorités administratives que nous avons citées sera également étudiée.

En conclusion de ce chapitre 1 du titre 1, nous relevons une multiplicité des autorités et des agents de contrôle intervenants dans le champ de notre étude, aussi bien au niveau local que national. Cette diversité des acteurs est principalement due à la décentralisation territoriale des années 1980 en faveur des Conseils généraux et à la décentralisation fonctionnelle, d’abord au niveau régional avec les ARH devenues ARS, ensuite avec la création au niveau national d’agences de sécurité sanitaires dotées de pouvoirs de police spéciale. Parallèlement à cette multiplication des acteurs, est apparue une transformation des contrôles au niveau des services territoriaux qui tendent de manière affirmée vers un objectif de pilotage des établissements et services, comme nous allons le constater, à travers la typologie des contrôles qui sera dressée dans le chapitre suivant.

Cette typologie des contrôles dans le cadre de notre recherche, nous doit nous permettre de faire ressortir les spécificités de chaque contrôle et les éventuels points de jonctions entre eux, qui nous permettront ensuite de mieux définir l’inspection.

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Chap. 2 - Essai de typologie des contrôles actuels dans le champ des

établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

99. Face à la grande hétérogénéité des établissements et services du champ étudié et des contrôles qui peuvent leur être appliqués, il nous semble nécessaire de nous poser la question de la nature des différents contrôles existants. Pour cela, il nous faut proposer une typologie des contrôles au regard des différents objectifs qu’ils poursuivent. Nous distinguerons pour chaque type de contrôle, les établissements et services de santé relevant du code de santé publique, et les établissements et services sociaux et médico-sociaux relevant du code de l’action sociale et des familles et nous nous attacherons à rappeler quelles sont les autorités compétentes pour les diligenter.

Classiquement, nous distinguerons deux grandes familles de contrôles : les contrôles de police administrative (Sect. 1) et les contrôles budgétaire, financier et de tarification (Sect. 2). Cette première typologie doit pouvoir nous amener, dans un second temps de notre thèse, à étudier la qualification juridique que le juge administratif retient sur ces contrôles et le régime juridique qu’il leur applique, afin de dégager les spécificités des contrôles relatifs à la qualité et à la sécurité et de montrer en quoi ceux-ci relèvent d’un cadre particulier que l’on pourrait nommer « inspection ».

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