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A/ Une définition de l’inspection centrée sur le mode opératoire dans la pratique et les textes généraux des codes

Dans un premier, nous avons comparé la définition que donnent les praticiens à la démarche d’inspection (1), avec celle que les textes du CSP et du CASF peuvent livrer par le biais d’une recherche par requêtes (2).

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1/ Une approche fonctionnelle évolutive de « l’inspection » dans la pratique professionnelle, privilégiant le critère opératoire ou le critère finaliste.

131. Face à l’absence de définition juridique de l’inspection et du contrôle, les guides successifs de bonne pratiques d’inspection successifs du champ sanitaire et social ont tenté de donner une définition de l’inspection afin d’en uniformiser et sécuriser la pratique opérationnelle. Cette définition a évolué dans le temps, reflétant les incertitudes qu’éprouvent les agents de l’inspection et de contrôle à fixer un périmètre à cette fonction, eu égard notamment aux autres types de contrôles qu’ils sont amenés à effectuer. Ainsi, en 2001, l’IGAS dans son Guide des bonnes pratiques d’inspection-contrôle, déterminait l’inspection comme un contrôle particulier au regard des trois critères. L’organe compétent pour l’exercer était l’État, la méthode utilisée se traduisait par des « investigations approfondies sur place », la finalité était alternative et donc très large, puisque l’inspection visait « le respect des textes ou le devoir général de protection des personnes »519. Nous noterons au passage que l’IGAS faisait déjà se recouvrir le contrôle et l’inspection en précisant que le « contrôle » pouvait viser la régularité (règles) ou l’efficacité (prestations), et s’exercer sur pièces ou sur place, renvoyant dans ce cas à la notion d’inspection.

En mai 2012, l’IGAS a procédé à une refonte de son Guide national des bonnes pratiques d’inspection, pour délivrer une nouvelle définition de l’inspection et du contrôle520. Le rattachement de l’inspection à l’État avait disparu de la définition, laissant présumer que l’inspection pouvait aussi être réalisée par des collectivités territoriales, même si elle continuait encore à être rattachée à un pouvoir « régalien » dans ce guide et les guides ultérieurs521. La méthode utilisée exigeait toujours un déplacement sur site, mais l’inspection était ici présentée comme un « contrôle spécifique » recentré sur les établissements et services connaissant une

519 IGAS, Guide des bonnes pratiques d’inspection et de contrôle pour les services déconcentrés des DDASS et DRASS, 2001 (non publié) : « Il s’agit d’investigations approfondies mettant en œuvre l’autorité de l’État, en vertu des textes ou du devoir général de protection des personnes. Elle est effectuée à partir de démarches sur place (entretiens, observations, examens de dossiers et de documents, vérifications de toute nature). Elle porte, le plus souvent, sur un organisme ou un établissement qui est l’objet même de l’inspection ou au sein duquel sont conduites les investigations ».

520 Le contrôle « vise à s’assurer qu’un service, un établissement ou un organisme se trouve dans une situation conforme à l’ensemble des normes qui constituent le référentiel d’organisation et de fonctionnement qui correspond à son statut…. il peut être sur pièces ou sur place ».

L’inspection est un « contrôle spécifique, diligenté lorsqu’il existe des signes ou indications qu’un programme ou une activité est mal géré ou que les ressources ne sont pas utilisées de façon rationnelle. A la différence du simple contrôle, elle suppose des présomptions de dysfonctionnement et ses recommandations sont essentiellement de nature corrective. L’inspection est toujours réalisée sur site ».

521 La plupart des conseils généraux commencent à mettre en place dans les années 2000 des cellules d’inspection spécialisées dans le champ de l’enfance et des personnes âgées.

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« mauvaise gestion » ou des « dysfonctionnements »522. En revanche, la finalité juridique de l’inspection ne concernait plus le respect des textes ou le devoir général de protection des personnes. Elle avait été remplacée par un objectif davantage opérationnel d’émission de « mesures correctives » (pour ne pas dire coercitives), qui laissait entrevoir une finalité de police administrative. Cette nouvelle définition, qui retenait encore deux des trois critères initiaux, a été rendue publique dans le Guide de l’IGAS sur les établissements de santé en 2013 et celui sur les établissements et services sociaux et médico-sociaux en 2014.

En outre, un tempérament important avait été apporté dans ces deux derniers guides accessibles aux établissements sur le site internet de l’IGAS et précisant que « pour les réseaux territoriaux, il convient d’insister sur le fait que dans la terminologie actuelle, le terme inspection est utilisé dans des situations pour lesquelles il n’y a pas nécessairement présomption de dysfonctionnements (il peut ainsi s’agir d’activités nouvelles voire d’inspection « à visée préventive » selon la formule de certaines administrations centrales) »523. Si l’on peut comprendre sur le plan juridique qu’une inspection soit « préventive » au regard notamment du but assigné dans le cadre d’une police administrative, il nous semble qu’il y a, sur le plan de l’opérationnalité, une contradiction entre un principe qui veut que seul le dysfonctionnement ou la mauvaise gestion soit l’élément déclencheur d’une inspection, et une exception générale qui admet qu’une inspection puisse être qualifiée de « préventive » en dehors de tout dysfonctionnement524. Ce tempérament a brouillé un peu plus le message délivré aux services territoriaux sur la nature même de l’inspection.

132. En 2019, l’IGAS a de nouveau modifié la définition de l’inspection qui demeure un « contrôle spécifique », mais elle ne se caractérise plus que par le seul critère de la méthode utilisée : un contrôle « sur site », et par un sous-objectif : le traitement des signaux de « dysfonctionnements », sans viser explicitement le respect des textes ou la protection des personnes525. Les critères organique et finaliste ont a priori disparu de cette définition

522 Les administrations centrales et l’IGAS évoquent la nécessité de procéder au « ciblage par l’analyse de risques », conscients que des inspections systématiques sont difficiles au regard de la baisse des effectifs.

523 Guide de contrôle des établissements de santé (public) page 8 ; Guide d’aide à la préparation d’un contrôle en établissement et service social et médico-social, p. 13 (publié).

524 Cette position s’explique par l’histoire des programmes d’inspection de prévention de la maltraitance à personnes vulnérables déclenchés à partir de 2001 dans les établissements médico-sociaux accueillant des enfants handicapés puis ceux hébergeant des personnes âgées.

525 IGAS, GBPIC 2019 : « L’inspection est un contrôle spécifique toujours réalisé à partir de démarches sur place (ou sur site), qui associe notamment entretiens, observations, examens et recueils de copies de dossiers et de documents, vérifications de toute nature. Elle peut notamment être diligentée à partir d’un signalement formulé par un professionnel ou par un organisme, ou d’une réclamation transmise par un particulier, mais également lorsqu’il existe des présomptions de dysfonctionnements, suite à une analyse de risques. Une inspection peut être programmée ou déclenchée en urgence, elle peut être inopinée ou annoncée ». (non publié).

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fonctionnelle, ce qui semble confirmer un effacement de la notion d’inspection derrière celle plus générique de « contrôle ». La définition que retient l’IGAS de l’inspection est devenue essentiellement processuelle : un signal déclenche un déplacement sur site. En pratique, les conséquences de ces ajustements sémantiques sont importantes. L’inspection réduite à la notion de contrôle sur site, se traduit par des « entretiens, observations, examens et recueils de copie de dossiers et de documents, vérifications de toute nature », qui caractérisent des modalités particulières d’un contrôle.

Pour autant, certains textes d’organisation de la fonction inspection-contrôle n’ont pas abandonné les critères organique et finaliste, pour spécifier que « le contrôle, tout comme l’inspection, consiste en investigations approfondies mettant en œuvre l’autorité publique en vertu de textes (notamment Code de la santé publique et Code de l’action sociale et des familles) et des pouvoirs particuliers du préfet en matière de protection et de sécurité des populations526 ».

Aussi, face à cette indifférenciation des termes dans la pratique professionnelle qui tend plutôt à réduire l’inspection à un simple mode opératoire du contrôle, il nous faut chercher dans les textes, la doctrine et la jurisprudence, ce qui peut caractériser l’inspection au regard des autres contrôles sur le champ qui nous intéresse.

2/ Une approche textuelle de « l’inspection » dans le CSP et CASF centrée sur le critère opératoire.

133. Pour étudier la place de l’inspection dans le champ étudié, il nous a paru judicieux de faire une analyse statistique par occurrences des termes utilisés par le législateur et le pouvoir réglementaire dans les codes concernés, sans se limiter dans un premier temps aux seuls textes du champ étudié. Pour cela, nous avons utilisé la base Légifrance en juillet 2017 en ne ciblant que les textes « en vigueur », pour nous concentrer dans un premier temps sur quatre termes : inspection, contrôle, inspecteurs, contrôleurs.

526 Décret n° 2010-146 du 16 février 2010 modifiant le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’État dans les régions et départements.

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Nous avons constaté qu’en données brutes, le terme « inspection » est beaucoup moins présent que le terme « contrôle » dans le CSP et dans le CASF527. En revanche, le terme « inspecteur » est davantage présent que le terme « contrôleur » dans ces deux codes528.

Afin d’affiner cette recherche, nous avons croisé ces termes. Nous avons regardé si nous pouvions rattacher le terme « inspection » à un organe particulier (inspecteurs et/ou contrôleurs), à un processus (un déplacement sur site, l’utilisation d’une méthode particulière de prélèvement, de mesure, etc), ou à une finalité (la norme prise au sens générique de loi ou règlement, ou à un concept qui peut être plus ou moins normé, comme la qualité ou la sécurité).

Il ressort de cette recherche un certain nombre de constats.

134. Si l’on considère l’éventuel rattachement du terme « inspection » à un organe particulier, « inspecteur ou contrôleur », nous observons que ce rattachement n’est pas établi de manière certaine. Dans le CSP, l’occurrence « inspection » se rattache moins à l’organe529 qu’à l’activité matérielle, aux missions et aux pouvoirs accordés aux inspecteurs530. Ceci s’explique par le fait que dans ce code, le terme « inspection » constitue parfois à lui seul l’intitulé de sections, de chapitres, voire de titres531. Ce constat s’inverse dans le CASF où le terme « inspection » est lié à l’organe « inspecteurs » dans huit articles sur les dix référencés532, et dans deux cas seulement, il se rattache à une activité matérielle. Notons que contrairement au CSP, le CASF ne fait figurer dans aucun de ses titres, chapitres ou sections, le terme « inspection ».

527 221 occurrences « inspection » pour 898 occurrences « contrôle » dans le CSP ; 10 occurrences « inspection » pour 244 occurrences « contrôle » dans le CASF.

528 130 occurrences « inspecteur » pour 28 occurrences « contrôleur » dans le CSP ; 20 occurrences « inspecteur » pour 3 occurrences « contrôleur » dans le CASF.

529 82 occurrences « inspection » concernent l’organe détenteur du pouvoir d’inspection, dont certaines plusieurs fois citées dans le même article, notamment inspection générale des affaires sociales, inspection de la pharmacie et inspecteurs du travail.

530 222 occurrences « inspection » concernent une activité matérielle dont certaines plusieurs fois citées dans un même article.

531 Chapitre relatifs aux services centraux et inspection (L. 1421-1 à L. 1421-7 et D. 1421-1 et R. 1426-2) ; Section relative à l’inspection des agences régionales de santé (L. 1435-7 à L. 1435-7-2 et R. 1435-10 à R. 1435-15); Chapitre relatif à l’inspection de la pharma dans le cadre du médicament à usage humain (L. 5127-1 à -6 et R. 5127-1 à -7); Chapitre relatif à l’inspection dans le cadre du médicament vétérinaire (L. 5146-1 à -5 et R. 5146-1 à -4) ; Chapitre relatif à l’inspection pour l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (L. 5313-1 à -4 et R. 5313-1 à -8) ; Chapitre inspection de la pharmacie (médoc à usage humain) : L. 5425-1 ; Titre relatif aux inspections des laboratoires de biologie médicale (L. 6231-1 à -2 et R. 6231-1).

532 Inspection générale des affaires sociales, inspection du travail, ou un des corps d’inspection figurant à l’article L. 1421-1 CSP.

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Aussi, nous ne sommes pas en mesure de rattacher la fonction « inspection » à un organe particulier qui en aurait l’exclusivité. Le terme « contrôle » est celui qui est le plus souvent accolé au terme « inspecteur » (le terme « contrôleur » étant rare). Les inspecteurs peuvent réaliser des « contrôles », ou « vérifier » ou « s’assurer de la conformité » (souvent) et/ou des « inspections » (plus rarement). A titre d’illustration, les six corps d’inspecteurs statutaires de la fonction publique de l’État « contrôlent dans le cadre de leurs compétences respectives l’application des dispositions du présent code et, sauf dispositions spéciales contraires, des autres dispositions législatives et réglementaires relatives à la santé publique »533. Les PHISP, dans leur décret statutaire, sont « chargés de l’exécution et du contrôle de cette politique »534, comme les MISP535. Les agents sont « désignés » inspecteurs et contrôleurs en ARS (ICARS) « pour remplir au même titre que les agents mentionnés à l’article L. 1421-1 les missions (de contrôle) prévues à cet article »536, et les modalités de cette « désignation » figurent dans une section du CSP relative aux « inspections et contrôles »537. Cette différenciation textuelle entre inspection et contrôle au sein d’un même intitulé est néanmoins rare. Nous la retrouvons par exemple à propos des « contrôles et inspections prévus dans le cadre de leurs missions mentionnées à l’article L. 1435-7 CSP » au sein des hôpitaux des armées538.

135. Si nous considérons les textes généraux du CSP en matière d’inspection et de contrôle, la nature processuelle de l’inspection se confirme. En effet, pour réaliser les contrôles de conformité aux textes, les inspecteurs et contrôleurs vont procéder à des opérations matérielles qui se traduisent souvent par l’emploi du terme « inspection ». l’ABM diligente des inspections donnant lieu à un « rapport d’inspection » sur des personnes titulaires d’une autorisation en vue d’une mise en conformité aux dispositions législatives et réglementaires et possibilité d’une suspension immédiate. Dans le cadre de leurs pouvoirs d’inspection, les pharmaciens inspecteurs possèdent des pouvoirs de consignations, et mènent des « enquêtes », ils procèdent à « l’inspection » des officines et pharmacies.

De même, si les pharmaciens inspecteurs de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) « contrôlent l’application des textes », ils « procèdent à des inspections dans les 533 Art. L. 1421-1 CSP. 534 Art. R. 1421-13 CSP. 535 Art. R. 1421-14 CSP. 536 Art. L. 1435-7 CSP. 537 Art. R. 1435-10 à R. 1435-15 CSP. 538 Art. L. 1435-7-3 CSP.

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locaux, lieux, installations et véhicules » aux moyens de la « lettre de mission » et du « rapport d’inspection ». Il en va de même des inspecteurs de l’ANSM qui « contrôlent l’application des lois et règlements » relatifs aux médicaments et produits de santé en réalisant des inspections « conformément aux bonnes pratiques définies par le directeur général de l’agence », « dans les locaux lieux, installations et véhicules », et utilisent les procédés de la « lettre de mission » et du « rapport d’inspection ».

136. Il ressort ainsi de l’analyse des textes codifiés, non limités aux seuls établissements et services du champ étudié, que la différenciation terminologique de l’inspection par rapport au contrôle semble trouver son origine dans le critère matériel, celui d’un processus particulier, d’une méthode particulière, ce qui confirme à ce niveau la définition actuelle de l’IGAS. Le terme « contrôle » est utilisé dans le sens de la mesure d’un écart à une norme, d’une vérification de conformité aux textes législatifs et règlementaires assurée par les inspecteurs. Le terme « contrôle » n’indique donc pas par lui-même un processus particulier pour assurer cette vérification, contrairement au terme « inspection » qui est lié à l’objet contrôlé (lieu, installation…), ou à une procédure utilisée (enquête, lettre de mission, consignation, rapport).

Nous verrons qu’en droit administratif, la doctrine évoque peu « l’inspection » qui se rattache selon elle plus à un corps de professionnels dans un champ donné539 qu’à un acte ou à un processus. En revanche, elle distingue, au sein de la police administrative, les actes juridiques et les actes non juridiques qui revêtent différentes terminologies. Les Pr FRIER et PETIT540 et Charles-Edouard MINET541 évoquent une « opération matérielle » liée à des « procédés de police », ces opérations matérielles pouvant être, selon Didier TRUCHET, « parfois minutieusement réglementées, parfois non »542.

Nous pouvons à ce stade de la réflexion avancer une hypothèse. Si le contrôle consiste en une vérification fondée sur des textes législatifs ou règlementaires, réalisée par des agents juridiquement compétents et poursuivant des finalités qui varient selon la volonté du législateur ou de l’autorité administrative, l’inspection en serait l’un des modes opératoires dont les conditions sont fixées par des textes spéciaux. Pour confirmer cette hypothèse, il nous faut dès

539 Les corps d’inspections générales ont généralement la primeur sur tous les autres corps d’inspection dans les ouvrages et chroniques de droit administratif.

540 FRIER P.-L., PETIT J., Droit administratif, LGDJ 14e éd. 2020, p. 346.

541 MINET C.-E., Droit de la police administrative, Vuibert, 2007.

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lors regarder plus précisément les textes relatifs du CSP et du CASF à l’inspection et au contrôle dans le champ des établissements et services que nous étudions.

B/ Une recherche de critères de définition de l’inspection dans les textes spécifiques

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