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Des sources d’information multiples à la réalisation d’entretiens

La vitesse de diffusion d'un mouvement scientifique

Tab 1.2 Colloques européens de géographie théorique et quantitative

3. Des sources d’information multiples à la réalisation d’entretiens

Cette thèse s’appuie sur deux types de sources : des archives imprimées ou non et des entretiens. Nous présenterons très rapidement ici les différentes archives mobilisées, car elles seront décrites tour à tour avec leur méthodologie d’exploitation chaque fois qu’elles seront

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utilisées. Nous détaillerons cependant plus amplement la démarche retenue pour constituer le corpus d’entretiens qui est spécifique à cette recherche et qui servira dans l’ensemble des chapitres suivants.

3.1. Des sources multiples déjà existantes indispensables pour une

étude pertinente

Les archives mobilisées sont de nature très diverse et sont formées de documents préexistants à notre thèse, ce qui les différencie fondamentalement de notre corpus d’entretiens qui a été spécifiquement constitué pour ce projet.

Nous avons évoqué plus haut comment nous souhaitions effectuer cette analyse sociale, spatiale et temporelle d’un mouvement scientifique. Pour y parvenir, nous avons proposé quatre entrées qui correspondent aux chapitres 2 à 5 et qui font appel à des sources différentes. Si le chapitre 2 repose essentiellement sur les entretiens, les trois suivants mobilisent principalement les informations issues de documents déjà existants.

Premièrement, la collection des Intergeo Bulletin est la source que nous avons retenue le plus souvent après les entretiens, notamment dans le chapitre 5, sur les formations au mouvement théorique et quantitatif. Éditée par le Laboratoire d’information et de documentation en géographie Intergéo (devenu Prodig), dont Jean Dresch54 a été le premier directeur, cette

source contient de nombreuses informations et montre l’évolution de la géographie française du point de vue de ses contenus ainsi que de ses lieux de formation, d’expression ou encore de diffusion :

« Cet inventaire minutieux des lieux et des pratiques en tous genres de la géographie française, en dépit de son caractère généralement neutre et de ses lacunes inévitables, fournit des informations précieuses sur une large gamme de sujets, notamment via ses comptes rendus des réunions des divers comités patronnant la géographie française ou la reproduction d’enquêtes et de rapports. » (Orain, 2014)

Cette documentation a été collectée et mise en forme par un laboratoire propre du CNRS, lié à la recherche et également très lié à la vie de l’université, ce qui est une caractéristique de la géographie par rapport à d’autres sciences sociales. Intergeo Bulletin contient des rubriques régulières qui recensent les enseignements de géographie dans les différentes facultés françaises, avec leur intitulé, volume horaire, enseignants responsables de la première à la cinquième année, ce qui nous permet par exemple de remarquer l’introduction et le développement d’enseignements de géographie théorique et quantitative dans certains lieux. Un recensement des maîtrises et des thèses a également été effectué pendant longtemps, montrant également l’apparition éventuelle de sujets de géographie théorique et quantitative avec le nom et la localisation des auteurs.

54 Comme le rappelle O. Orain (2014), il était « dans les années 1960 l’un des principaux patrons de la géographie

française, directeur de l’Institut de géographie de Paris et du Centre de documentation cartographique et géographique (CRDCG), président du Comité national français de géographie, président de la section de géographie du CNRS entre 1965 et 1969 [ou encore] co-directeur des Annales de géographie.

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Deuxièmement, le Répertoire des géographes français, également édité par le laboratoire Intergeo est un lieu d’affichage systématique des acteurs du champ de la géographie. Il nous permettra d’étudier l’affiliation des géographes au mouvement théorique et quantitatif européen francophone (chapitre 3). Cette source, que nous présenterons plus amplement au début du chapitre 3, a été éditée de 1969 à 2007 tous les quatre ans en moyenne. Elle dispose d’un index des thèmes de recherche et des lieux d’exercice des géographes français recensés. Par exemple, l’index des lieux permet de déterminer quels géographes travaillent au même endroit, ou dans la même structure, ce qui révèle un potentiel d’interaction élevé. Nous verrons en détail les avantages et les limites de cette source qui nous permettra d’analyser notamment la structuration sociale, spatiale et sémantique du mouvement théorique et quantitatif. Le Répertoire nous sert également à repérer les différents acteurs du mouvement théorique et quantitatif. Il s’agit en effet de la source la plus systématique que nous ayons à disposition pour reconnaître les acteurs de la géographie théorique et quantitative européenne francophone. Le Répertoire comporte néanmoins un certain nombre de limites, dont celle de ne pas permettre d'identifier l'ensemble de notre population d'étude, puisque les géographes belges, luxembourgeois et suisses n’y sont pas recensés ou très peu.

Troisièmement, les lieux d’expression des chercheurs (ceux où ils publient leurs travaux, ceux où ils en discutent) ont été étudiés à l'aide d'une revue, l’Espace géographique (fondée en 1972) et d'une série de colloques, les Colloques européens de géographie théorique et quantitative (débutée en 1978), qui ont été retenus pour cette analyse. Nous avons dépouillé l’ensemble des numéros de la revue et l’ensemble des listes de communication des colloques européens pour relever des relations de travail effectives. Concernant la revue, nous en avons extrait les articles traitant spécifiquement de la géographie théorique ou quantitative, en nous intéressant tout particulièrement aux noms des auteurs et à leur lieu d’affectation. Ces différents articles publiés dans une revue favorable au mouvement théorique et quantitatif et ces communications présentées dans un colloque étiqueté géographie théorique et quantitative attestent de l'existence du mouvement comme mouvement de production scientifique, et en outre montrent concrètement, par les co-signatures, la répartition spatiale et la structuration du mouvement au- delà du cadre strictement français (ce que ne permettaient pas d’observer Intergeo Bulletin ni le Répertoire des géographes français). En plus de ces deux analyses, deux autres revues ont été parcourues : les Cahiers de géographie de Besançon (créés en 1958) qui contiennent les actes des colloques de Besançon consacrés depuis 1972 à la géographie théorique et quantitative, assortis parfois de la liste des participants, et aussi les Brouillons Dupont (créés en 1977) qui comportent de nombreuses informations ou articles relatifs au mouvement. Enfin, parmi les lieux d’expression proches du mouvement, les colloques Géopoint, créés en 1976, sont également étudiés, à travers notamment leurs actes. Par ailleurs, la consultation de ces différentes sources nous permet de repérer les géographes français et non français qui ont participé et participent toujours au mouvement de la géographie théorique et quantitative. En effet, par exemple, le rayonnement des colloques Géopoint a été d’emblée national voire international francophone.

Quatrièmement, les dictionnaires (par exemple : Les Mots de la géographie, 1992, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, 2003) et les encyclopédies (par exemple : Encyclopédie de géographie, 1995 (2ème édition), Hypergéo, en ligne) représentent de bons marqueurs de l'évolution du

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champ disciplinaire et seront analysés dans le chapitre 3. Les dictionnaires contiennent des définitions plus ou moins approfondies de termes liés au mouvement tels que « géographie quantitative » ou encore « analyse spatiale », déjà discutés en introduction grâce aux dires d’acteurs. L'apparition de ces termes et les associations qui peuvent en résulter ainsi que les auteurs de leur définition sont de bons indices de l'institutionnalisation du mouvement, de son évolution mais également de son programme. Les encyclopédies montrent quant à elles ce que sont les grandes préoccupations du champ disciplinaire à un moment précis. La présence de problématiques développées par le mouvement dans des encyclopédies renseigne sur le statut du mouvement dans le champ disciplinaire.

Cinquièmement, les archives personnelles de participants à des stages de formation, écoles d’été ou encore colloques caractéristiques du mouvement théorique et quantitatif sont consultées pour compléter des informations et pour analyser les échanges qui interviennent dans les différents lieux de rencontre des chercheurs, et ainsi montrer la constitution éventuelle d’un collectif. Ainsi, C. Cauvin nous a communiqué les listes de participants de certains des stages de formation aux méthodes quantitatives qui ont eu lieu dans les années 1970 et 1980. Également, si les listes de communication des colloques européens les plus récents sont téléchargeables sur les sites internet des différents colloques, D. Pumain nous a transmis les plus anciennes, à l’exception de celles de Cambridge (1980), de Rostock (1997), et de Strasbourg (1978) pour lesquelles elle n’avait que la liste des participants et quelques communications.

Ces sources "archives" sont essentielles pour notre recherche, mais elles n'ont pas été produites dans le but que nous poursuivons et des informations importantes sont ainsi absentes. Aussi, nous avons constitué un corpus propre d’entretiens qui forme une approche originale, ancrée dans l’étude d’un mouvement scientifique du « temps présent ».

3.2. Une source originale : les entretiens

Dans son ouvrage intitulé L'Historien, l'archiviste et le magnétophone, Florence Descamps (2011) a montré les limites de la source écrite en histoire et tout ce que peut apporter une information orale directe. Comme cela a été dit précédemment (1.4. « Les défis d’une histoire du temps présent »), l'ancrage de notre travail dans une histoire du temps présent nous a incité à construire un vaste corpus d'entretiens réalisés auprès des acteurs du mouvement scientifique étudié, susceptible de pallier certaines limites des sources écrites. En effet, l'un des objectifs que permet de poursuivre l’utilisation des sources orales est la compréhension du rôle des individus, acteurs du mouvement scientifique étudié. Nous pensons que pour comprendre l'histoire d'un mouvement scientifique, cerner et aborder ces éléments est essentiel. Cela met en effet en lumière des éléments a priori non écrits, mais qui peuvent révéler des facteurs subjectifs d’adhésion, expliquer par exemple l'engagement de certains participants dans des réseaux particuliers ou au contraire leur isolement. Ce corpus d’entretiens vise donc notamment à constituer une mémoire du mouvement théorique et quantitatif européen francophone.

De nombreux guides sont à la disposition des chercheurs pour la conduite et l’exploitation d’entretiens et sont principalement le fait de sociologues, chez lesquels cette

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pratique est bien maîtrisée (Becker, 2002 ; Gubrium, Holstein, 2002 ; Beaud, Weber, 2003 ; Bongrand, Laborier, 2005 ; Blanchet, Gotman, 2010 ; Descamps 2011 ; Kaufmann 2011). C’est notamment grâce à la mobilisation de ces différents écrits que nous avons pu mener une enquête de terrain la plus robuste possible.

Les entretiens doivent nous conduire à : 1) compléter l'information factuelle sur l'histoire du mouvement et son institutionnalisation recueillie grâce aux archives écrites, les entretiens enrichissent en effet cette information en donnant du sens à des transitions ou encore à des créations institutionnelles ; 2) révéler la diversité des pratiques et des analyses du mouvement, en ayant la possibilité de les rapporter aux caractéristiques des acteurs mobilisés.

Ceci justifie notre volonté de laisser beaucoup de liberté aux témoins avec des questions assez ouvertes pour qu'ils puissent parler le plus librement possible, avec les mots qu'ils souhaitent et dans l'ordre qui leur convient. Les enquêtés sont très peu recadrés, même lorsque des erreurs factuelles manifestes sont constatées. Au contraire, nous supposons que certaines digressions peuvent ouvrir de nouveaux questionnements et enrichir nos hypothèses. Les entretiens sont donc semi-directifs, plus proches de l’entretien non directif que du questionnaire fermé, pour donner une forte dimension exploratoire tout en permettant d’aborder un certain nombre de sujets ou de thèmes. Le contenu abordé est variable selon l'interlocuteur, notamment en fonction de la tournure prise par l'entretien, tout en restant dans la grille générale fixée au préalable (encadré 1.3) qui propose de retracer l'itinéraire de vie des acteurs du mouvement théorique et quantitatif, en les interrogeant aussi sur des événements scientifiques précis ou encore sur leur vision de l'histoire du mouvement scientifique, vue de l'intérieur.

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