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Derrière la diversification des trajectoires, des différences sociales

Une sociologie de la dimension relationnelle des parcours individuels

1.5 Derrière la diversification des trajectoires, des différences sociales

Les événements traditionnellement retenus pour évoquer la fin de la jeunesse (les seuils d’accès à l’âge adulte que nous avons évoqué) ne sont donc plus concentrés précocement sur une courte période de la vie mais sont au contraire de plus en plus repoussés et désynchronisés dans le cours de l’existence. Comme le récapitule Olivier Galland48, ces seuils

sont aujourd’hui franchis plus tard, sur un temps plus long, de manière plus incertaine. La jeunesse telle que nous la pensons, c’est-à-dire comme un processus d’évolution vers l’autonomie de l’âge adulte, semble ainsi désormais marquée par une diversification des trajectoires. Les transitions entre les positions se faisant de manière plus progressive, sur des rythmes différents selon les individus, les situations vécues étant incertaines, instables et précaires, les parcours apparaissent en effet plus hétérogènes. Cependant, cet éclatement entre les itinéraires empruntés par les uns et les autres ne doit pas nous interdire de chercher à dégager différents modèles du passage à l’âge adulte. L’inégale répartition des ressources dans la société semble en effet tracer des lignes de démarcation significatives entre les expériences vécues par les différents jeunes d’une même génération.

Comme nous l’avons vu, les mutations de la jeunesse, conséquentes des évolutions récentes de la scolarité et du monde professionnel, sont toujours nuancées par des contrastes entre les milieux sociaux. La démocratisation scolaire apparait en fait ségrégative, les difficultés rencontrées sur le marché de l’emploi touchent inégalement les catégories socioprofessionnelles et l’aide à l’installation fournie par la famille d’origine s’avère elle aussi

47 T. Blöss, Les liens de famille. Sociologie des rapports entre générations, op. cit. 48 O. Galland, Sociologie de la jeunesse, 5ème édition, Paris, Armand Colin, 2011.

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inégale selon les classes sociales. Si l’entrée dans la vie adulte semble moins codifiée, si les parcours apparaissent moins linéaires, une certaine reproduction des inégalités sociales est ainsi toujours à l’œuvre.

Les travaux de Louis Chauvel49 cherchant à mesurer les déplacements sociaux entre parents

et enfants ont établi l’existence d’une tendance à l’hérédité de catégorie socioprofessionnelle. Pendant une courte période après la seconde guerre mondiale, la mobilité sociale intergénérationnelle ascendante a certes constitué en France une régularité statistique. Certains auteurs comme Henri Mendras50 ou Robert Nisbet51 aux Etats-Unis ont alors annoncé

la disparition des classes sociales et de leurs antagonismes, au profit d’une « moyennisation » de la société. Pourtant, selon Camille Peugny52, cette hausse objective de la mobilité sociale

n’a pas été le fait d’une société plus juste ou plus méritocratique, mais plutôt la conséquence d’un mouvement d’ensemble vers le haut de toute la structure sociale sur cette période. Les générations d’après 1950 ont bénéficié des phénomènes singuliers de la massification scolaire (que nous avons déjà évoquée) et de la tertiarisation de l’économie. Robert Castel53 relève

que, depuis les années 1970, un phénomène de déclassement est apparu en conséquence des transformations du capitalisme industriel et de la détérioration du compromis salarial. Toujours selon Camille Peugny54, la tendance actuelle est désormais à une stabilisation, voire

à une intensification de la reproduction sociale. En outre, il faut souligner que les épisodes effectifs de mobilité sociale actuels se font surtout entre catégories proches. Le poids de l’origine sociale continue ainsi d’être déterminant dans le devenir des individus.

Pour observer le processus d’accès à l’âge adulte dans les biographies, il nous semble alors judicieux de mobiliser une approche par les classes sociales. Sous ce flou apparent qui semble caractériser la jeunesse contemporaine, penser les différences de milieu social nous permet d’apprécier comment se distinguent les trajectoires et comment se distribuent en conséquence les positions associées à l’âge adulte dans la société. Dans ces conditions,

49 L. Chauvel, Le destin des générations. Structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, Paris, Presses

universitaires de France, 1998.

50 H. Mendras, La seconde Révolution française, Paris, Gallimard, 1988.

51 R. Nisbet, « The Decline and Fall of Social Class », The Pacific Sociological Review, vol. 2, n°1, 1959, p. 11–17. 52 C. Peugny, Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, Paris, Seuil, col. La République des idées,

2013.

53 R. Castel, La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l'individu, Paris, Seuil, col. La couleur des

idées, 2009.

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observer le processus de la jeunesse dans les biographies de chacun, c’est alors aussi observer comment les inégalités sociales se reproduisent d’une génération à l’autre.

Cela est d’autant plus vrai qu’en France, selon Cécile Van de Velde55 qui compare la situation

nationale à celle d’autres pays d’Europe, le modèle de trajectoire qui prévaut chez les jeunes est encore très imprégné de la logique d’intégration sociale. La jeunesse est spécifiquement perçue comme une période d’investissement en vue d’accéder aux positions sociales de l’âge adulte. Le diplôme notamment y est tout particulièrement valorisé comme la porte d’accès assurant l’installation dans un métier lui correspondant. Au cours de ce processus, le milieu social va donc jouer de tout son poids, tant dans les carrières scolaires empruntées que dans les différents apports que pourront fournir les relations proches de chacun (à commencer par les parents). A la sortie de la jeunesse, ce sont des positions sociales distinctes qui seront occupées par les uns et les autres. Les expériences vécues pendant cette période de transition auront contribué à légitimer la position de chacun. Car ce qui se joue dans cette période, c’est aussi l’acceptation d’un ordre social, au travers de la construction d’une identité individuelle qui fait porter sur chacun la responsabilité personnelle de sa situation.

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