Analyse typomorphologique et enquêtes de terrain
Chapitre 5 : Vers une généalogie du périurbain
7. Vers une généalogie du périurbain
7.2. Densité, formes urbaines et enjeux fonciers
La densité est un des critères les plus sollicités pour questionner la durabilité des formes urbaines. Un environnement urbain compact, donc dense, serait plus vertueux qu’un tissu lâche à faible densité dans la mesure où face aux enjeux de la durabilité, la prédominance de la mobilité automobile dans l’urbain diffus exclut une part des modes de transports pour des raisons de distances (modes doux) ou de coûts (transports en commun). Ces propos sont aujourd’hui à nuancer au regard de la mobilité de fin de semaine des urbains, mise en exergue dans une étude réalisée par J-‐P. Orfeuil (2002). Par ailleurs, en s’attardant sur certaines références historiques, comme les lotissements défectueux, nous constatons qu’aujourd’hui ils ont été rattrapés par l’urbain, non seulement parce que la ville centre s’est intensifiée mais aussi parce que le périurbain s’est développé au-‐delà de la limite qu’ils formaient il y a quatre-‐vingt ans. Ces quartiers pavillonnaires sont aujourd’hui l’apanage de classes moyennes supérieures prêtes à dépenser plus que la valeur du bien bâti pour accéder à une place centrale au sein
Constructions en dent creuse Imbrication des formes Densification progressive
Détermination des espaces (espaces construits intensifiés, espaces naturels conservés et préservés) Centralités distinctes
Transitions public/privé simplifiées (dispositifs d'entrée plus clairs) Requalification (plantation, traitement des clôtures moins hétéroclites) Création de front de rue par alignement du bâti ou des enceintes Perspectives paysagères (dégagement de points de vue) Traitement des sols (minéralisation, déminéralisation) Hiérarchisation de la voirie (gabarits, usages) Intégration de formes plus complexes au tissu existant
Adaptation des formes et des parcelles aux usages (résidentiels, commerciaux, tertiaires, industriels, récréatifs…) Délimitation de l'aire urbaine par traitement des entrées de ville et préservation de ceintures vertes
Densité progressive selon un continuum rural - urbain
Polycentralisation par réseau de transport multimodal (TC, autoroute, coulée verte)
Désignation de la centralité par hauteur progressive et/ou compacité accrue (parcelles plus petites) Dégagement d'espaces publics clairement délimités
Position périphérique des activités économiques (regroupées) Position centrale des institutions (publiques, religieuses) Diminution de la taille
Porosité piétonne (venelles, sentes) Végétalisation des cœurs d'îlots Suppression des seconds rangs
Réduction de la taille et changement de forme de la parcelle (plus étroite et profonde) Mutualisation des espaces extérieurs associés à plusieurs édifices (jardin sur cour) Alignement du bâti sur voirie
Traitement des transitions Hiérarchisation Abandon de l'impasse
Retour du trottoir (confort et sécurité du piéton)
Réduction de l'espace automobile (stationnement et circulation) Remaillage des cœurs d'îlots
Réduction de la taille en opération individuelle Remembrement pour opération collective Division contrôlée (découpage à l'unité)
Conservation des bandes végétalisées en front de rue Réalignement sur voie en façade ou pignon Disparition (ou minimalisation) du garage
Typologies plus urbaines (maisons de ville, en bandes, accolées), diverses et plus intimes Dispositifs d'entrée réévalués (porche, escaliers, portail)
Transparence des clôtures
Principales composantes typomorphologiques associées au projet périurbain durable
Quartier Îlot Gestion économe de l'espace Amélioration des espaces publics Diversification des formes et usages Échelles spatiales Viaire Parcellaire Bâti
Strates de la structure urbaine
Enjeux du périurbain durable
Région urbaine
d’une métropole, d’autant plus que les investissements progressifs des collectivités ont permis de mieux connecter ces quartiers au reste de la ville. Pourquoi ces anciens lotissements ne sont-‐ ils pas plus denses ?
Introduisant des éléments de réponses, Eric Charmes parle du syndrome « du dernier arrivé » et de « malthusianisme foncier » (Charmes, 2007). Si effectivement les lois successives ont concouru à restreindre la disponibilité de nouvelles terres dévolues à l’urbanisation, une certaine pénurie foncière se fait ressentir. Cependant, à l’instar de Levittown, dont le coefficient d’occupation du sol (COS) est relativement élevé, y aurait-‐il un intérêt à concevoir des quartiers d’habitat individuel plus denses s’ils ne sont pas associés à un environnement urbain lui donnant de la valeur ? À Levittown, la juxtaposition de maisons individuelles isolées sur plusieurs centaines d’hectares les a éloignés de toute activité autre que résidentielle. Effectivement, les parcelles font parties des plus petites que nous ayons observées (120m2), il n’en demeure pas
moins que le bâti installé au centre de la parcelle laisse de maigres interstices auxquels il est difficile de donner du sens. Certains règlements d’urbanisme au service de la ségrégation urbaine ont concouru à figer ces quartiers dans le but de préserver un cadre de vie. Le slow growth ou no growth*, dénoncé par M. Davis (2000), ayant cours dans certaines communautés américaines, existe aussi en France, selon J-‐P. Demouveaux (2004). Ce syndrome illustre un entre soi propre au périurbain et questionne l’évolution des règlements d’urbanisme, particulièrement dans le contexte d’une pression foncière accrue.
En corrélation à ces craintes naturelles du propriétaire, reprises par Y. Nussaume, comment conserver un cadre de vie qui concilie originellement ville et campagne sans tomber dans la dérive du tout pavillonnaire, acéphale et homogène ? D’autant plus, qu’il est, selon Nussaume, « de commune mesure » de considérer la circulation automobile nuisible à la qualité d’un quartier résidentiel, ce qui paraît d’autant plus paradoxal que ces mêmes quartiers en sont largement dépendants (Nussaume, Perysinaki, Sery, et al., 2012).
Ce cinquième chapitre illustre bien que la densité, si tant est qu’elle forme un critère recevable pour évaluer l’urbanisation d’un espace, elle ne l’est plus autant lorsqu’il s’agit d’urbanité. Les typologies associées aux COS (Fig. 5.20) éclairent ce paradoxe. On retrouve par exemple une densité semblable à Levittown, Hercules et Contra Costa Centre. Cependant, les formes respectives — maison individuelle, maison de ville et petit collectif — n’offrent pas le même cadre urbain (quantité et qualité d’espaces publics, maillage, etc.). Levittown ne propose rien d’autre qu’une vaste banlieue résidentielle dévolue à l’automobile. À Hercules, bien qu’une partie des résidents soient dépendants de l’automobile, une centralité villageoise animée par
des commerces de proximité a vu le jour autour des espaces publics de Bay Wood et Bay Side. Ce phénomène semble encouragé par l’absence de jardin privé et la réintroduction de flux circulatoires variés, générateurs d’activités commerçantes. À Contra Costa Centre, le centre multimodal a agrégé plusieurs dizaines de commerces autour d’un espace public central, créant un nœud d’urbanisation compacte dans un environnement périurbain dominé par un mode d’occupation du territoire diffus. Recentrer l’urbanisation, dans un rayon de quelques centaines de mètres autour de gares constitue un levier désormais répandu aux Etats-‐Unis. Ces exemples révèlent des potentiels qui insistent sur l’importance de la densification comme levier pour la mutation des quartiers pavillonnaires, cependant, elle s’adjoint à une stratégie qu’il s’agit d’approfondir.
Figure 5. 20 : Densité et typologies dominantes comparées des références historiques.
Dans le cadre de la construction de la ville durable, le concours des habitants est inéluctable, selon C. Emelianoff. Les trois références analysées pour le modèle du périurbain durable sont caractérisées par une implication des acteurs du territoire dans les processus de production. Les formes finales observées par le biais de l’analyse typomorphologique montrent une évolution des tissus qui se distingue par des formes plus urbaines (maisons de ville et petits collectifs) s’inscrivant dans des logiques de diversification des formes et des fonctions et d’amélioration de la qualité des espaces publics. À quel point les processus mis en place par le New Urbanism et Bimby sont-‐ils responsables de ces mutations ? Quel est le poids réel des habitants dans ces processus, dans la mesure où la figure de l’habitant périurbain est marquée par un individualisme latent, réticent au changement et à l’urbain généralisé ?
Conclusion
La rétrospective typomorphologique, entamée dans ce cinquième chapitre, permet de conclure à une mutation des formes du périurbain, depuis leur apparition au milieu du XIXe siècle. Cette
évolution est entraînée par les postures des concepteurs par rapport à des contextes économiques, politiques et sociaux spécifiques. Ainsi, bien que les logiques économiques et politiques puissent dans certains cas fortement sous-‐tendre l’orientation du projet, il n’en demeure pas moins que ce sont les concepteurs qui déterminent la forme finale des projets. En d’autres termes, ils sont les chefs d’orchestre d’une forme urbaine qui s’est diffusée d’une classe sociale à une autre, touchant progressivement l’ensemble des classes sociales françaises et américaines.
Par ailleurs, cette évolution des formes repose sur une circulation des idées et des modèles entre la France et les Etats-‐Unis. Si Frederick L. Olmsted voyage en France pour partager l’expérience de ses contemporains, cent ans plus tard, c’est au tour du modèle du lotissement d’après-‐guerre américain d’être transposé à la France. Plus récemment, la circulation des idées porte sur la recherche d’un développement urbain durable. Amorcée dès le début des années 1970, avec le Rapport Meadows, il faut attendre le Sommet de Rio en 1992 puis la fin des années 1990 et le début des années 2000 pour voir une nouvelle réflexion faire évoluer les formes de manière concrète. Depuis, les contextes français et américains montrent l’inadaptation croissante du modèle de l’habitat individuel périurbain face aux transformations démographiques et sociologiques des sociétés occidentales contemporaines. Prenant la mesure des défis à venir, certains professionnels tentent de renouveler l’approche d’un mode d’occupation du territoire qui continue de séduire une grande partie de la population. Leur postulat s’appuie sur cet engouement périurbain, qui n’a de cesse d’attirer de nouveaux ménages, et cherche à les impliquer au sein du processus de production, afin de « réparer » et repenser les défauts d’un mode d’urbanisation dispendieux en espace et en énergie. Pour ces professionnels, la durabilité ne serait pas uniquement le résultat de critères techniques et de formes construites mais aussi d’une vision partagée et d’une appropriation collective des enjeux d’un territoire, pointant en conséquence les enjeux sociaux du développement durable.
L’analyse typomorphologique montre de manière rationnelle une mutation des formes. Elle ne révèle cependant pas les processus de production de Bimby et du New Urbanism qui, comme nous l’avons vu, s’inscrivent en défaut d’un système de production classique (cf. chapitres 2 et 3). Dans cette perspective les deux chapitres suivants reviennent sur les modes d’action de Bimby et du New Urbanism.