Envisager le tournant durable du périurbain
Chapitre 1 : Enjeux contextuels et définitionnels du périurbain durable
2. Définitions du phénomène de périurbanisation
Bien qu’il soit nécessaire de comprendre de quoi il est question lorsqu’on parle de « périurbain », l’objectif n’est pas ici de rentrer dans une comparaison de définitions pointues du phénomène de périurbanisation. D’autant plus que de nombreux travaux expliquent qu’il n’y a pas — en France comme aux Etats-‐Unis — d’accord ferme sur ce qu’est réellement le périurbain :
« Il n’existe pas de définition unique ni de méthode reconnue et acceptée par l’ensemble de la communauté scientifique pour appréhender et quantifier le processus » (Nédélec, 2016).
Que l’approche soit quantitative ou qualitative, le périurbain n’englobe par les mêmes formes, les mêmes fonctions et les mêmes distances par rapport à la ville centre. Les analyses diffèrent donc en fonction de la définition qu’on lui accorde. Pour cela, après un retour sur l’origine, la signification et l’évolution des termes, nous préciserons l’intérêt de se concentrer sur l’habitat individuel dans le cadre de cette recherche.
2.1. Origines et définitions des termes liés au périurbain
En France, le terme « péri-‐urbain » apparaît pour la première fois dans le rapport Mayoux en 1979. Il désigne à ce moment « un entre-‐deux sous influence urbaine » (Paul-‐Dubois-‐Taine, Burdeau, Mayoux, et al., 1979) rejetant par là même les considérations plus ruralistes d'Étienne Juillard ou rurbaines de Gérard Bauer et Jean-‐Michel Roux18.
Aux Etats-‐Unis, bien que les suburbs désignent littéralement des quartiers résidentiels et la suburbanization le processus d'installation progressive de ces quartiers vers les périphéries (Stilgoe, 1988), c'est leur multiplication à partir des années 1920 qui a entraîné l'apparition du terme de suburbanization, rapidement supplanté par le terme d'urban sprawl*, dont la connotation plus péjorative caractérise un manque de structuration (Fishman, 1987). L’urban sprawl révèle ainsi une « condition d'usage exclusive des sols » (Galster, Hanson, Ratcliffe, et al., 2001), engendrée par un processus répliqué et étendu dans l'ensemble des métropoles américaines (Hopkins, Williamson, 2010).
18 Étienne Juillard questionne l’éventualité d’une renaissance rurale au regard d’une urbanisation des campagnes (Juillard, 1961) tandis que G. Bauer et J-‐M. Roux soulignent l'imbrication d'espaces urbains dans des territoires ruraux (Bauer et Roux, 1976).
Le pendant français — l’étalement urbain* — fait référence à l'éclatement de la ville dense (Berger, 2004), sous forme dispersée (Barattucci, 2006). L'évolution des modes de transport (Wiel, 1999), la banalisation de l'automobile et à sa capacité à offrir une « quasi-‐ubiquité » (Merlin, 2009) forment un des principal levier de l’étalement urbain.
Cette terminologie croisée — périurbain/suburb et étalement urbain/urban sprawl — caractérise pour de nombreux observateurs un nouveau mode de croissance urbaine dont les figures, maintes fois décrites (Dubois-‐Taine, Chalas, 1997 ; Mangin, 2004), sont légion. Dans les deux pays, les cycles de ce mode de croissance traduisent un déversement successif d’abord des populations, puis des activités dans des espaces ruraux ou naturels se trouvant intégrés à un système urbain, bien qu'ils en soient morphologiquement déconnectés. Il est donc possible de constater une évolution de la sémantique du périurbain au gré de transformations morphologiques et fonctionnelles.
2.2. Évolutions sémantiques, morphologiques et fonctionnelles
D’abord, le déversement des populations entraîne la construction de nouvelles entités résidentielles. Celles-‐ci sont disséminées à la campagne, construites comme des îlots urbains, en opposition à la continuité du bâti de la ville historique. Les infrastructures ferroviaires sont dans un premier temps le levier principal de cette dissémination. Morphologiquement, ces développements reposent sur l'instauration de la maison individuelle* (freestanding unit*) entourée d'un jardin comme cadre de vie idéal pour la famille où le végétal prend le dessus sur le minéral (Harris, Larkham, 1999).
À partir des années 1970, le périurbain devient plus qu'un simple déversoir résidentiel. Il voit naître de nouvelles polarités. En France, le transfert des fonctions de gestion puis d'unités de fabrication concourt au desserrement industriel le long des axes autoroutiers (Laborie, Langumier, 1982 ; Jaillet, Jalabert, 1993). Aux Etats-‐Unis, la tertiairisation du périurbain est décrite par J. Garreau19. La répartition spatiale des fonctions suit une logique où se succèdent différentes vagues résidentielles, commerciales puis tertiaires. Cette spécialisation du territoire périurbain pousse A. Duany et E. Plater-‐Zyberk à identifier cinq entités morphologiques20
pouvant se retrouver contigües mais « ségréguées » dans la plupart des cas. Cette
19 À travers le terme edge city, J. Garreau qualifie le déménagement des emplois précédemment situés dans les centres ville vers le périurbain (Garreau, 1991).
20 Lotissements résidentiels, centres commerciaux, zones tertiaires, institutions civiques et réseaux de communications terrestres (Duany, Plater-‐Zyberk, Speck, 2000).
correspondance morphologique et fonctionnelle entraîne une large redéfinition terminologique cherchant à décrire la pluralité d’un phénomène divers21.
La pluralité de ces termes et de ces formes attestent certainement d’un phénomène complexe et divers, en cours et évolutif. Cependant, en France comme aux Etats-‐Unis, la périurbanisation continue de croître22 grâce à la longévité sociale de l’idéal de la maison individuelle qui reste
plébiscitée dans tous les pans des sociétés française et américaine. Par ailleurs, comme nous le verrons dans le cinquième chapitre, les différents modèles d’habitat individuel périurbain qui jalonnent son évolution depuis 1850 montrent bien comment cet objet architectural et urbain peut servir de témoin pour comprendre le sens et l’orientation philosophique donnés à la ville à une époque choisie. Pour ces raisons, il apparaît donc possible de se concentrer sur la maison individuelle pour saisir le phénomène de périurbanisation.
2.3. La maison individuelle : archétype de l’habitat périurbain
La périurbanisation est donc portée par un modèle principalement pavillonnaire. La référence à la maison individuelle est incontournable et est considérée comme un processus correspondant à une phase spécifique de la croissance urbaine associée au déménagement progressif d’une majorité de la population dans des espaces sous influence urbaine (Jaillet, 2004 ; Kayser, Schektman-‐Labry, 1982).
En France, pour M. Vanier et E. Roux, la maison individuelle consiste en une « appropriation résidente du territoire » (Vanier, Roux, 2008). À tel point que le périurbain est associé à la maison individuelle (Cailly, in Lévy, Lussault, 2003), elle-‐même attribuée aux Français en tant que caractère national (Haumont, 2001) largement plébiscitée par la population (Djefal, Eugène, 2004).
Aux Etats-‐Unis, la maison individuelle et le phénomène de suburbanization se renforcent mutuellement (Miller, 1995). Dans un premier temps, les évolutions socio-‐idéologiques — où l'inclinaison puritaine du modèle initial (rejetant l'espace public et les « tentations urbaines ») a laissé la place à des valeurs familiales basées sur un épanouissement par le divertissement et le
21 Technoburbs (Fishman, 1987), edge city (Garreau, 1991), exopolis (Soja, 1992), gated community (Blakely, Snyder, 1997), rurbain (Roux et Bauer, 1976), contre-‐urbain (Kayser, 1990), ville diffuse (Indovina, 1990), ville étalée (Dezert, 1991), exurbain (Brunet, 1993), ville émergente (Chalas, 1997), ville des longues distances (Wiel, 1999)…
22 Malgré un léger tassement de la construction de lotissement dans les années 1990 (krach immobilier 1991), la production a redémarré avec les années 2000 (selon les données Sitadel 2 du ministère de l’Ecologie et du Logement). Pour les Etats-‐Unis, l’urban sprawl connaît un tournant au milieu des années 1990, cependant, la construction des lotissements continue de croître (Barrington-‐Leigh Millard-‐Ball, 2015).
consumérisme (Spigel, 1992) — n'entament pas la dispersion spatiale du périurbain soutenue par un mode de vie résolument opposé à la vie urbaine (Marsh, 1990). Plus récemment, nous avons vu que si l’étalement ralenti, cela n’affecte pas pour autant la préférence des Américains pour la maison individuelle (Barrington-‐Leigh Millard-‐Ball, 2015).
Dans cette perspective, la maison individuelle constitue dans les deux contextes d’étude l’archétype de l’habitat périurbain. Celui-‐ci connaît pourtant des mutations typomorphologiques (chapitre 5) qui consacrent progressivement des critiques remettant en question le degré d'urbanité de cet urbanisme pavillonnaire (Duany, Plater-‐Zyberk, Alminana, 2003 ; Conrad, 2006 ; Billard, Brennetot, 2009). Le débat d’idées qui se forme autour de cette question rejoint le débat de la ville durable qui rejette l’étalement urbain et les artefacts sociotechniques y participant.