Envisager le tournant durable du périurbain
Chapitre 1 : Enjeux contextuels et définitionnels du périurbain durable
1. De la gouvernance aux modalités de participation
1.1. La gouvernance : définitions
Aux Etats-‐Unis, R. Mayntz — qui se penche sur les échecs des politiques publiques, qu’elle associe à un excès d’institutionnalisation — participe au développement de la notion de gouvernance. L’auteure constate que si les sous-‐systèmes sociétaux se multiplient, ils se renforcent et s’autonomisent, ce qui conduit à une capacité de résistance aux injonctions des gouvernements (Mayntz, 1993). Dans cette perspective, la notion de gouvernance se distingue de celle de gouvernement pour désigner les mécanismes et les systèmes impliqués dans l’élaboration d’une politique publique qu’il s’agit désormais de construire et de négocier avec des acteurs toujours plus nombreux (Kooiman, 1993).
En France, Patrick Le Galès théorise la notion de gouvernance en s’inspirant des travaux nord-‐ américains. En se focalisant d’abord sur les politiques locales de développement économique, il met en évidence un « effet de localité » défini par le rôle et les interactions de réseaux locaux, permettant de dépasser le concept de gouvernement local et soulignant une complexification des sociétés urbaines. Selon l’auteur, la notion permet de rendre compte d’un phénomène de pluralisation des systèmes d’acteurs urbains :
« Le gouvernement des villes implique de plus en plus différents types d’organisations : autorités locales mais aussi grandes entreprises privées, représentants de groupes privés, agences publiques et semi-‐publiques, représentants de différents segments de l’État, consultants, organismes d’études, associations. Cette pluralité d’intervenants, d’acteurs, d’organisations révèle que la politique locale […] dépend de plus en plus d’acteurs non gouvernementaux. […] La gouvernance constitue un mode de gestion renvoyant aux
fonctions et actions de gouvernement mais sans l’idée d’uniformisation, de rationalité, de standardisation. Le terme de gouvernance urbaine suppose une plus grande diversité dans la manière d’organiser les services, une plus grande flexibilité, une variété des acteurs, voire une transformation des formes que peut prendre la démocratie locale, la prise en compte du citoyen et du consommateur, la complexité des nouvelles formes de citoyenneté » (Le Galès, 1995, p. 60).
1.2. Les contextes nationaux de la démocratie participative
Dans la plupart des cas, les effets de la gouvernance se traduisent en termes opérationnels par le développement d’outils favorisants l’implication, à différents niveaux, du plus grand nombre. Sans revenir sur les nuances politiques liées aux différentes formes de démocratie participative (Bouvier, 2007), nous cherchons, une fois de plus, à prendre conscience des différences culturelles qui distinguent les deux pays étudiés afin d’écarter certaines considérations culturalistes — liées à notre origine culturelle française — dans le but d’adopter une posture objective vis-‐à-‐vis des dispositifs que nous examinerons au cœur de ce travail.
Concernant l'origine de la démocratie participative, la littérature s'accorde sur l'émergence d'une réflexion aux Etats-‐Unis dans les années 1950 et 1960 (Lagroye, François, Sawicki, 2002) sur la base d'une plus grande implication des minorités. Les années 1970 ont quant à elles vu émerger la conflictualité environnementale qui s’étend à l’ensemble des pays développés (Mermet, 1998). Elle conduit notamment au développement de la notion de médiation, définie par G. Comik comme un moyen facilitant le processus de négociation et généralement opérée par un tiers supposé neutre et indépendant (Comick, 1982).
L. Susskind et J. Cruishank soulignent que la montée en puissance de l'implication de la société civile dans les processus de décision résulte d'une combinaison de facteurs sociopolitiques37.
Dans ce contexte, S. Arnstein (1969) est amenée à élaborer une échelle de la participation (Fig. 2.1). Ses travaux se focalisent sur la redistribution du pouvoir. Elle considère alors qu'un dispositif qui n'ouvre pas le processus décisionnel est non seulement vide et frustrant mais surtout, il maintient un statu quo. Ainsi, pour S. Arnstein, la « vraie » participation démarre là où un partenariat permet la négociation et le partage de la responsabilité au niveau de la prise de décision.
37 Leur analyse de l'origine des Alternative Dispute Resolution (ADR) montre que ces arènes participatives sont liées à l'émergence d'un mouvement de défense des droits des citoyens dans les années 1960, à la volonté des administrations de contrôler les affaires publiques et à la complexification plus générale des problèmes sociétaux mis en évidence par des défauts d'expertise récurrents aux niveaux des règlements judiciaires et des processus décisionnels (Susskind, Cruikshank, 1987).
Figure 2. 1 : L'échelle de la participation selon Sherry Arnstein (1969).
À partir des années 1970, le principe de démocratie participative se retrouve dans de nombreux textes de lois français et américains. Les travaux fondateurs de S. Arnstein sont notamment repris dans le rapport Brundtland qui pose les bases du développement durable.
Aux Etats-‐Unis, la tendance culturelle à la litigomanie (Mermet, 1998 ; Tricot, 1994) instaure le conflit et la négociation au premier rang des modes de participation. La tendance litigomaniaque de la société américaine repose en grande partie sur un processus politique où chacun est à la source de ses actions, assurant sa propre préservation, et où la confrontation permet de disposer d'un pouvoir. La vertu de la décision réside dans la diversité des points de vue et la capacité des individus à les défendre en présence d'intérêts divergents.
Le mouvement américain lié à la participation prend une nouvelle dimension à partir des années 1980. Il se trouve largement institutionnalisé par des programmes financés par des fondations privées, relayés par des universités et certains États fédérés. Le Congrès adopte en 1990 le Negociated Rulemaking Act qui instaure le principe de négociation dans les agences fédérales par la création du statut dispute resolution coordinator38. Profitant de cet élan, un marché de la
médiation de l'environnement et de l'aménagement du territoire émerge.
En France, suite aux conflits liés aux grands aménagements des années 1960, le principe de participation est inscrit dans le cadre légal39 afin de sortir de situations où le blocage ne permet
38 L. Susskind et S. McKearman mettent en évidence la création de nouveaux rôles dans le jeu d'acteurs de la négociation. Les dispute resolvers font alors appel aux outils et techniques de la négociation pour coordonner les procédures administratives négociées (Susskind, McKearnan, 1995).
39 La Commission Nationale du Débat Public est inscrite dans le cadre de la loi Barnier sur la protection de l'environnement en 1995, puis devient une autorité administrative indépendante avec la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité.
pas de trouver d'issue constructive (Dziedzicki, 2003). P. Duran et J-‐C. Thoenig soulignent la remise en cause persistante des représentants politiques et des méthodes de régulation des conflits dans le domaine des politiques territoriales (Duran, Thoenig, 1996). L'érosion du dialogue bilatéral entre la société civile et le gouvernement est mise en évidence par J-‐P. Gaudin qui montre que l'entrée en jeu de nouveaux tiers permettrait de redéfinir les conditions d'une négociation (Gaudin, 1999). Celle-‐ci est alors définie de multiples façons et, à l’instar de la définition de Dupont, on ne retrouve pas toujours la notion de conflit :
« La négociation est une activité qui met en face à face deux ou plusieurs acteurs qui, confrontés à la fois à des divergences et des interdépendances, choisissent (ou trouvent opportun) de rechercher volontairement une solution mutuellement acceptable qui leur permette de créer, maintenir ou développer une relation » (Dupont, 1994).
Cette tendance française diffère du contexte américain, éloignant le conflit au profit d’un consensus qui souligne la primeur de l’intérêt général.
1.3. La nature multidimensionnelle de la participation
Au-‐delà des différences culturelles, dans chacun des deux contextes, les modes de participation sont souvent accusés d’être « factices », les participants « instrumentalisés », etc. Ce qui remet en cause le principe initial de la démocratie participative qui visait à donner du pouvoir à ceux qui en était privés. L. Blondiaux (2008) met par exemple en évidence comment les évolutions du modèle démocratique illustrent l’évolution de la forme des pouvoirs et la difficulté de s’en saisir. Afin de nuancer les positions les plus radicales concernant l’efficacité de la participation, il apparaît possible, à l’instar de certains auteurs comme S. Arnstein, de préciser des modalités de participation en fonction de l'action du participant et de l'acte de décision. Cela pose toutefois la nécessité d’entendre la participation comme un concept général, désignant un ensemble de pratiques où des participants concourent à un projet collectif.
M. Blanc distingue par exemple la participation gestionnaire de la participation civique40 (Blanc,
1999), tandis que G. Baron distingue des participants « passifs » recevant par exemple une information lors de débats organisés ou répondant à des enquêtes par questionnaires et, d’autre part, des participants « actifs », formant un ensemble de sujets agissant du processus mis en
40 La participation gestionnaire désigne un outil de gestion du gouvernement tandis que la participation civique revendique un enjeu démocratique (Blanc, 1999).
œuvre (Baron, 2001). En cherchant à réhabiliter différents formats de participation, G. Jeannot et P. Veltz soulignent la différence entre l'action et la revendication41 (Jeannot, Veltz, 2001).
En précisant la différence entre le débat public et la négociation42, C. Dupont rend compte de l'importance d'une organisation appropriée des étapes d'un processus en fonction du public ciblé (Dupont, 1994). On retrouve cette distinction dans les travaux de J. Ruegg et al. qui cherchent à élaborer un modèle permettant de qualifier un style de gouvernance au regard d'une implication différenciée discernant un degré de pouvoir du public. L'approche qu'ils proposent (Fig. 2.2) — et à laquelle nous souscrivons — n'oppose pas la médiation au débat public mais s'appuie plutôt sur une capacité des organisateurs de la participation à choisir le bon public en fonction d'une étape de processus (Ruegg, Mettan, Vodoz, 1992).
Figure 2. 2 : Modèle représentant une corrélation « idéale » entre des modes de gouvernance et des degrés d’influence du public (Ruegg, Mettan, Vodoz, 1992, p. 79).
Ce modèle permet de faire le lien entre une volonté affichée d’impliquer la société civile dans des projets d’aménagement et la réalité concrète des outils mis en place par les équipes en charge de la participation.
L’apparition de la gouvernance dans le paysage politique de la seconde moitié du XXe siècle se
décline à l’échelle globale mais aussi et surtout à l’échelle locale. Les principes du développement durable insistent particulièrement sur le rôle du local pour retrouver la cohérence nécessaire à un « bon » développement. Le périurbain — entité spatiale constituante à part entière de la ville contemporaine — n’échappe pas aux modifications que la gouvernance
41 Ils distinguent la « démocratie de production » de la « démocratie d’opinion » en considérant l'action publique comme travail « pour faire avec ce qui résiste » et non pas comme mise en œuvre d'une décision publique (Jeannot, Veltz, 2001, p. 93).
42 Le débat est fondé sur l'échange d'arguments dans le but de convaincre, tandis que la négociation ne statue pas qui a raison mais s'oriente vers la prise de décision (Dupont, 1994).
entraîne. Un examen de ses déclinaisons au niveau du périurbain laisse entrevoir la nécessité de la renouveler.