2.2 aux réalités locales
1. Le New Urbanism : principes et outils au service du renouvellement périurbain américain
1.1. b Le fondement d’une nouvelle théorie en débat
Les Ahwahnee Principles instituent les prémices61 du New Urbanism qui se constitue en réseau à
partir du congrès fondateur de 199362 où il est considéré que :
« La dégradation des centres-‐villes, l’expansion anarchique et incessante des zones construites, la ségrégation croissante par origines et revenus, la détérioration de l’environnement, la disparition des zones cultivées et des espaces naturels, ainsi que l’oubli de notre héritage culturel, comme étant un seul et unique challenge pour l’avenir de notre société et de son habitat » (CNU, 1996, p. 1).
Comme l’explique C. Ghorra-‐Gobin (2006) — auteure française et spécialiste de la périurbanisation nord-‐américaine, revenant notamment sur les perspectives et les enjeux du New Urbanism — le mouvement rassemble dès son origine des professionnels se reconnaissant dans les pratiques du couple Duany Plater-‐Zyberk (DPZ) et de Peter Calthorpe. Ces leaders forment deux « écoles » à l’origine des concepts fondateurs du New Urbanism :
§ DPZ défend les principes d’un urbanisme néo-‐traditionnel (traditional neighborhood development) dont l’objectif est de revenir aux « villes américaines d’avant-‐guerre63 » en
s’inspirant des travaux de Raymond Unwin, Elbert Peets et John Nolen (Duany, Plater-‐ Zyberk, 1992). Cette école de la « côte est » représenterait, selon W. Fulton, un mouvement formaliste mettant l’accent sur l’esthétisme du design urbain (Fulton, 1996).
§ Peter Calthorpe développe un modèle régional, basé sur la création de quartiers compacts organisés autour de transports en commun (transit oriented development), visant à soutenir une « écologie civique64 » en encourageant la marche, les systèmes de
déplacements régionaux et le dynamisme de centralité de proximité (Calthorpe, 1993). Cette seconde école, « de l’ouest », tiendrait alors plus d’une approche régionaliste et
61 « Existing patterns of urban and suburban development seriously impair our quality of life. […] By drawing upon the best from the past and the present, we can, first, infill existing communities and, second, plan new communities that will more successfully serve the needs of those who live and work within them » (Calthorpe, Corbett, Duany, et al., 1991).
62 Un flou persiste quant à la date exacte du congrès « fondateur » puisque la date avancée par le site du CNU est contradictoire avec celle avancée (1994) dans l’ouvrage de Duany et Plater-‐Zyberk (2000). 63 « The town is a model of development well-‐suited to times of economic adversity, and it dominated American thinking until World War II » (Duany, Plater-‐Zyberk, 1992, p. 3).
64 « This is about the ecology of communities […] about how the ecological principles of diversity, interdependence, scale, and decentralization can play a role in our concept of suburb, city and region » (Calthorpe, 1993, p. 9).
environnementaliste, soulignant pour cette raison des divergences d’origines à l’intérieur du mouvement65 (Fulton, 1996).
Le congrès fondateur associe à cette approche urbanistique une vision sociale et environnementale. La première vise à réintroduire une nouvelle esthétique d'art civique dans les paysages périurbains afin de recouvrer des espaces de qualité et entraîner un changement culturel. En cela, le New Urbanism poursuit une « utopie sociale66 » basée sur la critique de
l'urban sprawl. Selon Emily Talen, cette conception traditionnelle de la vie de quartier repose sur la croyance en la faculté de l’environnement construit à créer un sense of place définissant la doctrine sociale du New Urbanism (Talen, 2005). Définissant ce « sense of place67 », les New
Urbanists insistent effectivement sur la capacité d’un environnement bâti à favoriser les interactions sociales, la convivialité et un sentiment d’appartenance, bien qu’ils reconnaissent qu’il soit complètement imprévisible. La vision environnementale est formulée dans la charte de 1996 et se formalise dans la lutte contre l’urban sprawl et sa faible qualité architecturale et urbanistique qui, selon R. Ewing — chercheur associé au mouvement nord-‐américain de développement urbain durable — conduit non seulement à une fragmentation de l’habitat humain mais aussi à une fragmentation des écosystèmes naturels (Ewing, 1997). Dans un article à charge contre le New Urbanism, J. Zimmerman montre comment la prise en compte de l’environnement est assez étroite, s’appuyant finalement sur la « nature » comme moyen pour défendre le style de vie de la classe moyenne (Zimmerman, 2001). C’est également le point de vue de K. Till, qui précise que les approches anthropocentriques de la nature faites dans le New Urbanism reflètent et entrent en résonance avec les idées environnementales dominantes de la culture des classes moyennes américaines (Till, 2001).
Ces positionnements urbain, social et environnemental du New Urbanism poussent à la controverse et questionnent son inscription au registre des théories de l’urbanisme. En effet, le débat est posé dans la littérature américaine, notamment dans un célèbre article de Cliff Ellis (2002) qui met en lumière la controverse entraînée par le « succès » du New Urbanism.
65 « Even within the movement, some New Urbanists fear that the focus on reinventing suburban neighborhoods won’t solve broad metropolitan problems but will simply replace “suburban sprawl” with “New Urban sprawl” » (Fulton, 1996, p. 3).
66 « In its rhetoric, the New Urbanism strives for a kind of utopian social ideal, although most New Urbanists focus on a community’s physical infrastructure in the belief that community design can create or influence particular social patterns » (Fulton, 1996, p. 5).
67 « A highly desirable but elusive attribute of urbanism. Its existence is notoriously unpredictable in conventional suburban design but common in traditional urban fabric. An effective sense of place is created by the judicious assemblage of a set of interdependent elements. These include building type and function, private frontages, and public streetscapes. The codes of Traditional Neighborhood Development are conceived towards the creation of a sense of place » (Davis, Duany, Plater-‐Zyberk, 2000, p. 45).
La critique du sprawl, qui tient une bonne place au sein des débats rapportés par Ellis, cristallise des désaccords opposant les partisans d’une Amérique décentralisée dont le développement est basé sur le libre marché et ceux (beaucoup plus nombreux en nombre de références) d’une Amérique plus « compacte » promouvant un développement durable. Toutefois, l’article de M. Hebbert clôt le débat sur l’inscription de la démarche urbanistique et architecturale au rang des théories de l’urbanisme (Hebbert, 2003).
« L’article de Michael Hebbert est rassurant dans la mesure où il met en évidence la richesse et la diversité des principes d’urbanisme sur lesquels se fonde le New Urbanism » (Ghorra-‐Gobin, 2006, p. 42).
Inversement, l’approche sociale du New Urbanism, mise en exergue par un article d’Emily Talen (1999), tient, quant à elle, plus de la doctrine que de la théorie, cela reposant notamment sur l’affirmation qu’un « bon dessin » peut encourager et soutenir l’interaction sociale68. L’auteur
souligne toutefois que si le mouvement n’influence pas directement la création d’un sense of community, il augmente les interactions entre les résidents. Cette conclusion est également reprise en 2006 par Jennifer Dill qui évalue le « capital social » des quartiers New Urbanists et précise que les caractéristiques typomorphologiques des projets réalisés ne sont pas les seules responsables d’une amélioration69. Pour McMillan et Chavis — auteurs d’une recherche plus
ancienne sur la psychologie du sense of community — celui-‐ci pourrait cependant bénéficier d’une assistance technique améliorant l’organisation sociale70 (McMillan, Chavis, 1986). C’est ce
que met en avant le New Urbanism à travers les design charrettes* qui forment le dispositif de projet au travers duquel ils élaborent, conjointement avec les habitants du quartier, un projet de développement renouvelant la forme et la qualité de l’espace.
De la même manière que l’approche sociale, l’approche environnementale du New Urbanism tiendrait plus de la doctrine dans la mesure où les considérations environnementales seraient instrumentalisée au profit d’une dimension économique révélant son incapacité à répondre aux
68 Affirmation reprise par C. Ellis (2002, p.278) « Clearly, good design can support and encourage social interaction. The porches and alleys advocated by New Urbanists appear to do just that. One does not need to be an environmental determinism to acknowledge that design has important influences on behavior. »
69 « The New Urbanist neighborhood examined is fulfilling the intended objectives of New Urbanism. Overall, the results show that this New Urbanist development is fulfilling many of the neighborhood objectives expressed in the Charter (CNU 2000). However, the features of New Urbanism may not always be the direct cause of meeting the objective » (Dill, 2006, p. 74).
70 « A clear and empirically validated understanding of sense of community can provide the foundation for lawmakers and planners to develop programs that meet their stated goals by strengthening and preserving community. […] A sense of community could develop, especially if appropriate technical assistance were provided to assist in organizing » (McMillan, Chavis, 1986, p. 19‑20).
exigences du développement durable (Till, 2001 ; Zimmerman, 2001). Cynthia Ghorra-‐Gobin résume bien le débat en écrivant :
« Il est difficile d’associer le New Urbanism à un mouvement de défense de la nature ou encore un mouvement en faveur du développement durable puisqu’il n’induit pas de changements dans les modes de consommation » (Ghorra-‐Gobin, 2006, p. 40).
Toutefois, en relativisant l’auteure indique que « ce regard […] n’est pas dominant ». En effet, plusieurs études soulignent la capacité des modèles du New Urbanism à remettre en question les formes spatiales de développement périurbain. C’est notamment le cas de l’étude de P. Berke — spécialiste de la planification environnementale — qui met en évidence la capacité du New Urbanism à offrir une alternative plus « verte » et plus compacte à l’urban sprawl. Ces conditions conduisent à la protection et la restauration de zones sensibles, la réduction de la couverture imperméable et au développement de meilleures pratiques de gestion (Berke, MacDonald, White, et al., 2003).
Plus récemment, avec la publication du Smart Growth Manual (Duany, Speck, Lydon, 2010), le New Urbanism réaffirme à la fois sa stratégie urbaine locale71, confortant le modèle initial de
DPZ, et régionale72 en mettant notamment en exergue l’outil Transect Planning (cf. infra).
Toutefois, E. Goffman — environnementaliste indépendant — souligne l’incapacité du New Urbanism à sortir du carcan de l’échelle du quartier pour prendre en compte l’échelle régionale de manière compréhensive73. Pourtant, l’échelle régionale est celle à laquelle le smart growth74
tend à être développée :
« Le smart growth revêt un caractère beaucoup plus global que le nouvel urbanisme. […] Une distinction peut être encore plus claire concerne les échelles d’intervention et les acteurs directement concernés. Le smart growth englobe généralement plusieurs échelles géographiques (locales, régionales et nationales) et comprend habituellement un ensemble de mesures variées, allant de la gestion du développement urbain et territorial à
71 « New places should be designed in the manner of existing places that work » (Duany, Speck, Lydon, 2010, p. 10).
72 « Think globally, act locally, but plan regionally. […] However, effective regional planning is rare, because few municipalities are organized to coordinate administratively at a scale encompassing the entire metropolitan area » (Duany, Speck, Lydon, 2010, p. 18).
73 « Unfortunately, the core of The Smart Growth Manual, with its emphasis on specific neighborhoods, is unable to follow through on the idea of the regional with any kind of comprehensive discussion. […] The main text amounts to “preaching to the converted”, showing planners and architects who already agree with the premises of smart growth how they can go about changing things » (Goffman, 2011, p. 1‑2). 74 « Le smart growth est avant tout un concept dont la définition courante est si proche du concept de développement urbain durable qu’il s’agit ni plus ni moins d’une appellation ou d’une version nord-‐ américaine de ce dernier » (Ouellet, 2006, p. 176).
l’élaboration de lois. […] Il concerne donc essentiellement et en premier lieu les politiques, les investissements ainsi que les programmes des acteurs publics de tous les niveaux. En revanche, l’échelle d’intervention du nouvel urbanisme est davantage locale, voire infra-‐ locale, en se concentrant sur des projets et des opérations de développement et de design urbains. Les acteurs concernés sont donc davantage ceux du secteur privé, soit les designers urbains, les architectes et les promoteurs » (Ouellet, 2006, p. 179).
Pour J. Grant — partisane du New Urbanism et spécialiste du périurbain — les principes du smart growth répètent ceux du New Urbanism amoindris du volet stratégique du design75
(Grant, 2006). Reportant le débat au développement durable, un article de Dan Trudeau (2013) questionne directement le lien entre le mouvement et le développement durable et explique comment certaines formes du New Urbanism vont à l’encontre des objectifs du développement durable tandis que d’autres échouent à atteindre les objectifs sociaux (Trudeau, 2013).
L’actualité autour des positions environnementales et sociales du New Urbanism montre que le débat est encore ouvert et nous enjoint à voir comment la stratégie urbaine et architecturale du mouvement est déployée pour répondre aux enjeux du durable. Nous cherchons donc désormais à comprendre par quelle stratégie le New Urbanism offre une alternative durable.