• Aucun résultat trouvé

Approche socio historique de l’usage des pesticides et émergence du plan

2. L’approche socio-historique de la question de l’usage des pesticides dans l’agriculture

2.2. De la naissance de l’agriculture à 1945

2.2.1. De la naissance de l’agriculture au XVIIIème siècle

Durant cette période, la protection des cultures est un souci ordinaire parmi d’autres de la pratique de l’agriculture tant l’occurrence des bioagresseurs dans les systèmes cultivés est très liée à la pratique de l’agriculture et apparait inévitable.

La pratique de l’agriculture favorise des cortèges de bioagresseurs

La pratique de l’agriculture a favorisé l’émergence de concurrents et/ou de déprédateurs des plantes cultivées : « La protection des cultures plonge ses racines très loin dans le temps,

sans doute aussi loin que l’agriculture elle-même » (Bernard, 2008)52. Des travaux en archéobotanique au nord de la Syrie, zone où la pratique de l’agriculture précédant la domestication des céréales qui est apparue tôt (Néolithique – 10000 à –9000 BP) ont permis de distinguer des zones dédiées aux cultures et de celles réservées à la cueillette ou non exploitées à partir de l’étude de la nature et de l’abondance de graines présentant un intérêt agricole et de graines sans intérêt agricole supposé (Willcox, Fornite, et Herveux, 2008). Les espaces cultivés présentaient une abondance de graines d’espèces à intérêt agricole (alimentaire, textile, tinctoriale ou combustible) et en même temps une densité plus élevée de graines sans intérêt agricole que dans le milieu environnant. Ces dernières ont été considérées comme des adventices « arable weeds » (Willcox et al., 2008 ; Willcox, 2012). Les traces de ces cortèges particuliers « espèces à intérêts agricoles et sans intérêt apparent » attestent que l’avènement de l’agriculture peut être associé à l’émergence de cortèges de bioagresseurs. Ce sont des “mauvaises herbes” que ces sites anciens révèlent : « Arable weeds are probably the

best indicator of predomestic cultivation when the crops were morphologically indistinguishable from their wild ancestors » (Willocox, 2012, p. 163). « (…) these taxa can also occur in low frequencies in wild cereal stands, they proliferate under cultivation »

(Willcox, 2008, p. 322)53.

Ainsi, au fil des campagnes de cultures, les paysans et les agriculteurs ont aussi favorisé l’émergence d’un cortège de bioagresseurs. Fatalistes, les hommes ont toléré les pertes et la concurrence faute de moyens efficaces de s’en prémunir jusqu’au milieu du XIXème siècle. Les sociétés humaines ont payé un lourd tribu à cette concurrence. Les bioagresseurs peuvent affecter la qualité des récoltes et être à l’origine de problèmes de santé humaine sévères. L’histoire des Hommes est jalonnée de faits l’illustrant54. Les adventices sont moins citées car

52 Bernard, J.L., (2008). Protection chimique des plantes cultivées et durabilité. Compte-rendu de l’Académie d’Agriculture Française, 94, n°1. Séance du 13 février 2008.

53

Willcox (2008) cite Sue Colledge (1998) qui vérifie ce lien entre zone cultivée et l’augmentation de l’abondance relative des espèces considérées comme des adventices dans les milieux attribués à la culture de ceux qui ne le sont pas. Il précise toutefois que van Zeist et Bakker-Heeres (1984) ne le vérifient pas.

54

Les effets de l’ergot du seigle, Claviceps purpurea, responsable du « mal ardent » sont connus depuis longtemps. Le Moyen-âge est une période particulièrement citée pour l’ergot du seigle. Ce ne sont pas les pertes de rendement qui sont redoutées (moins de 2.5% de pertes), mais les effets des constituants de ce champignon microscopique qui contamine les grains de seigle et ceux d’autres céréales. Seul, le maïs est épargné par cette maladie. En 1951 à Pont Saint-Esprit (Gard), une dizaine de morts et des centaines de malades seraient dues à la

elles ont occupé hommes, femmes et enfants aux champs dans les travaux de désherbages depuis la naissance de l’agriculture. Concurrents de facto implicites des cultures, la fertilité des milieux était en partie liée à la maîtrise du salissement des parcelles (Mazoyer et Roudart, 1997). Selon les époques et les zones géographiques, les ennemis des cultures ont réduit voire ont anéanti la production55 provoquant des disettes et des famines. Face à l’ampleur des fléaux et devant l’inefficacité des moyens humains pour s’en prémunir, certaines catastrophes ont été imputées à des punitions divines56.

La protection des cultures repose sur l’empirisme

La gestion des bioagresseurs s’appuie sur les expériences mobilisant une multitude de procédés artisanaux plus ou moins efficaces. Si au cours de l’histoire, un certain nombre de traces écrites57 ont traité de la pratique de l’agriculture, la protection des cultures n’a pas été l’objet d'une abondante littérature. En effet, les préoccupations liées à l’amélioration des sols par la fertilisation ou par les amendements, aux opérations de travaux des sols et à la sélection des cultivars l’ont supplantée et finalement les ouvrages sont rarement dédiés à la seule protection des cultures. Même Duby (1974) dans la France rurale accorde peu de place à la protection des cultures dans la pratique de l’agriculture (Fourche, 2004). L’histoire de la protection des cultures apparait paradoxalement lacunaire (Fourche, 2004). Les textes décrivant la vie des champs ne font pas toujours mention d’actions saisonnières pour se prémunir des pertes occasionnées par les ennemis des cultures. Pourtant la protection des cultures se révèle être une préoccupation quotidienne, engageant souvent la vie des communautés : une lutte permanente58. Il semble que peu de choses ait évolué pour la grande majorité des paysans français avant le XVIIIème siècle voire jusqu’au sortir de la deuxième guerre mondiale (Bernard, 2008 ; Fourche, 2004). Entre superstitions et croyances, des principes pour gérer les bioagresseurs ont traversé les âges. Ceci ne signifie pas que la protection des cultures n’ait pas connu des avancées et que les conceptions pour gérer les bioagresseurs n’aient pas évolué elles aussi : «bien que connues des lettrés, ces recettes ne

consommation de pain façonné avec une farine ergotée (Gorini, 2006). L’ergot du seigle fait partie des maladies cryptogamiques surveillées en France (Arvalis Institut du végétal) à cause des alcaloïdes qu’il contient. Ceux-ci , à l’origine d’une maladie, l’ergotisme, s’avèrent dangereux pour la santé humaine et animale entrainant une maladie. L’ergotisme provoque des nécroses des tissus pouvant alors se gangréner, des convulsions et des effets particuliers sur le système nerveux entrainant des hallucinations (ergotamine dont dérive la drogue LSD). Des spécialités pharmaceutiques contenant des dérivés de l’ergotine ont été retirées récemment du marché (Le Vidal, 2013) en raison d’un rapport bénéfice/risque défavorable. On note une recrudescence de l’ergot du seigle depuis les années 2000 (Jacquin, 2010). En 2012, 7.4% des échantillons de blé tendre contiennent le parasite contre 2% en 2011 (France AgriMer, 2011). Des graminées adventices, comme le vulpin, constituent des hôtes relais amplificateurs et des réservoirs et favoriseraient l’expansion de l’ergot. Cette maladie est observée aussi en système conventionnel qu’en système « bio ».

55Les exemples de désordres causés par des bioagresseurs ( famines, disettes, modifications du système agraire) sont nombreux. Les récits sur les criquets migrateurs dévastant tout sur leur passage ont marqué les civilisations judéochrétiennes, considérés comme des épreuves divines tant leur ampleur dépassait les moyens humains pour les prévenir et les contenir. Aujourd’hui encore, la région sahélienne connait des vols de criquets migrateurs qui conjugués à la sécheresse sont des sources de famine. Plus récemment, au XIX ème siècle, les pucerons du Phylloxéra, Phylloxera vastatrix et le mildiou de la pomme de terre Phytophtora infestans ont respectivement sinistré les filières vitivinicoles françaises et causé des famines en Irlande.

56

Pour se prémunir de ces maux « venus du ciel », nombre de superstitions ont marqué profondément les mœurs des communautés rurales, le recours à la religion a donné lieu à de nombreux rituels comme les processions visant à protéger les récoltes, encore au début du XX ème siècle pour la vigne et les moissons de blé.

57

La lutte contre les bioagresseurs sont aussi objet de transmissions orales de génération en générations pour les sociétés agricoles n’utilisant pas l’écrit.

58 La rhétorique de la protection des cultures est marquée par un registre guerrier : fléau, protéger, lutter, lutte, attaquer, attaque, stratégie, éradication, agresseurs, combattre, agresser, agression, pertes, dégâts, bioagresseurs. Les époques ont marqué les termes.

changent pas grand-chose dans le travail des paysans pour qui la bonne levée des semis et la conduite du désherbage restent des préoccupations majeures. » (Bernard, 2010, p. 2 ).

Au cours de cette longue période, en se fondant sur des approches empiriques, les hommes ont développé des trésors d’ingéniosité au prix de durs labeurs afin de limiter ou d’éradiquer ces populations de bioagresseurs tant la cohabitation était insupportable. La gestion des populations de bioagresseurs a mobilisé des procédés artisanaux qui ont fait l’objet d’ajustements locaux permanents : des produits et des techniques prophylactiques59 et/ou curatives60 dont l’efficacité était parfois aléatoire. Ces « savoir-faire » ont été transmis de générations en générations. Des substances toxiques employées parfois en grande quantité pour les bioagresseurs, souvent a fortiori nocives pour les Hommes, côtoyaient des substances peu toxiques. De nombreux empoisonnements et décès ont été relatés suite aux traitements sanitaires. Des papyrus égyptiens évoquent la lutte contre les criquets à partir de dérivés arsenicaux, toxiques aussi pour les humains. Des textes de l’antiquité grecque et romaine soulignent l’utilisation d’une palette de produits comme le soufre pour les maladies de la vigne (Homère –1000 av JC), de l’huile, des cendres et des produits biocides extraits des plantes pour gérer des déprédateurs. Des traités anciens d’agriculture relatent des techniques et des grands principes pour protéger les cultures d’agresseurs multiples et variés. Le texte babylonien « Le livre du labourage de la terre, ses soins à apporter aux graines, aux plantes

et aux récoltes à leur prophylaxie » (Qûtâmâ, III-IVème siècle) fait un état de l’art sur la

pratique de l’agriculture, s’inspirant en partie de l’auteur carthaginois (Magon, IIIème siècle avant JC) et des auteurs latins (Columelle, Varron ; I er siècle avant JC). Le manuscrit est un dense ouvrage agronomique61. Il aborde la conduite de cultures et la protection de celles-ci : des remèdes pour arbres fruitiers ont une place privilégiée, il parle de « l’extirpation des

mauvaises herbes »,(…) de « la culture et la prophylaxie de céréales » (Albertini, 2013, p.

37).

Ce sont ainsi d’abord diverses mesures préventives et prophylactiques qui étaient déployées car peu de moyens curatifs étaient disponibles et efficaces. Parmi les mesures prophylactiques, la littérature cite les travaux de sol pour nettoyer les terres avant une culture et la préparation des semences pour le re semis. Au Moyen-âge, le temps de la jachère permettait de nettoyer les parcelles qui allaient ensuite être emblavées : vaine pâture sur des repousses, défonçage des terres à main d’hommes pour ameublir le profil et pour désherber la parcelle. La préparation des semences était une autre opération importante. L’évangile de Saint-Mathieu ne recommande t-elle pas de séparer l’ivraie du bon grain ? Ainsi, le nettoyage des semences exigeait des soins particuliers pour en garantir une quantité suffisante et saine de graines pour les semis62. La gestion des oiseaux granivores avec des pièges, des appâts empoisonnés et la destruction des nids ou la chasse étaient un ensemble de mesures curatives et préventives particulièrement suivies. Le désherbage manuel était monnaie courante. Le ramassage des larves et des adultes d’insectes et leur destruction permettaient de diminuer la pression de ces types de bioagresseurs. Dans tous les cas, ces opérations diverses mobilisaient du temps et l’abondante main-d’œuvre rurale.

59

Les mesures prophylactiques visent à prévenir en amont les attaques.

60

Les mesures curatives visent à détruire le bioagresseurs dans la parcelle ou dans les denrées stockées.

61 Traduit en arabe au Xème siècle devenant le livre de l’agriculture nabatéenne il sera le média de l’essor de l’agriculture arabo-andalouse au Moyen-âge.

62

En effet pour le blé ou les autres céréales, afin d’éliminer les premières impuretés (grains cassés, fragment d’épis ou d’enveloppes et surtout les semences d’adventices), les grains étaient passés dans un tarare. Le lot poursuivait son épuration par passages successifs dans des cribles ou des trieurs alvéolaires. Enfin, l’agréage pouvait encore nécessiter un tri manuel (Bain et al., 2010). Enfin, les semences pouvaient être traitées avec des poudres pour éliminer certains parasites.

Quelques signes d’avancées pour protéger les cultures

Des signes d’importantes avancées pour la protection des cultures coïncident souvent avec la nécessité de pallier des catastrophes à l’origine de famines ou de sévères pénuries. C’est ce qu’illustre Bernard (2008) en soulignant comment la conjonction d’aléas climatiques et « parasitaires » amènent à envisager de nouvelles techniques agricoles au XVIIème et au début du XVIIIème siècle. Les maladies posent problème et la protection contre les bioagresseurs apparait nécessaire du semis à la denrée stockée. Les adventices sont gênantes en culture par la concurrence qu’elles génèrent avec le peuplement cultivé. Enfin, se profile une technique pour améliorer la gestion des adventices : renoncer au semis à la volée et adopter une technique de semis en ligne permettrait de réaliser des désherbages avec des outils adaptés ou faciliterait le désherbage manuel.

Encore au XVIIIème siècle, pour une grande majorité de la population y compris les personnes instruites, les épidémies observées sur les végétaux auraient des origines célestes63 ou seraient le fait d’une « mauvaise qualité de l’air » et parfois le résultat de phénomènes surnaturels soulignant le lien étroit entre survenue des épidémies et superstitions. Toutefois, le contexte intellectuel s’est révélé favorable à la science et à la pratique de l’agriculture64. Les érudits adoptent une conception renouvelée du statut de l’agriculture. Elle devait pour cela sortir de son archaïsme apparent et s’inspirer des méthodes qui ont fait la force de «l’industrie» à l’époque. Ainsi, avec le mouvement des physiocrates, l’agriculture a été considérée comme une source d’accroissement des richesses. Les érudits, des aristocrates éclairés et des bourgeois propriétaires, parmi lesquels des chimistes et des « praticiens

engagés » (Jas, 2005) entre autres ont construit une nouvelle discipline « l’agronomie ». Ils

ont tenté d’abonder d’une forme de scientificité la pratique agricole ordinaire chacun avec leurs méthodes. D’ailleurs le terme agronomie puise ses racines étymologiques de l’association d’agros « les champs » et de nomos « les lois, les règles ». L’agriculture devient une entreprise digne d’intérêts pour les élites instruites et la protection des cultures en bénéficie. Les avancées ont été permises entre autres par des paysans particuliers, dynamiques, véritables agriculteurs expérimentateurs. En observant les phénomènes, en conduisant des expérimentations en conditions réelles, ils ont permis des avancées dans le domaine de la conduite des cultures. En mobilisant la démarche expérimentale, ils ont cherché à isoler les facteurs dont ils souhaitaient caractériser les effets pour les théoriser. En prenant appui sur des cas concrets, ils ont tenté de construire des conceptualisations des phénomènes et ils ont proposé des grands principes qu’ils ont cherché à vérifier ou à invalider par la mise en pratique. En répétant les mises en situation, ces agronomes-praticiens ont associé pratiques et théories. L’agronomie s’est imposée comme science de l’action pour l’agriculture. Déjà Olivier de Serres un siècle plus tôt, puis Duhamel de Monceau, Mathieu Dombasle, le comte de Gasparin ont marqué la fin du XVIIIème et le XIXème siècle. Toutefois, les agronomes et des chimistes se sont surtout concentrés sur les problèmes posés par le renouvellement de la fertilité du sol pour accroitre la production : diverses techniques de travaux de sol, des études expérimentales sur les effets de toutes sortes de fertilisants et d’amendements sur la croissance et la qualité des cultures (Boulaine, 1992 ; Robin, Aeschlimann et Feller, 2007 ;

63 La théorie de Théophrastre repose sur le lien entre la position des astres et le climat et la survenue de maladies chez les végétaux. Cette théorie a perduré jusqu’au XVIII ème siècle et qui est encore utilisée par des agriculteurs en biodynamie.

64 Voltaire raillait certains salons où l’on discourait de la pratique de l’agriculture « vers l’an 1750, la nation, rassasiée de vers, de tragédies, de comédies, d’opéras, de romans, d’histoires romanesques… de disputes théologiques sur la grâce et sur les convulsions, se mit enfin à raisonner sur les blés ».

Regnault-Roger, 2014). Paradoxalement, les travaux qui traitent de la protection des cultures sont plus rares.

Les prémisses d’une évolution dans la conception de la protection des cultures

Nous avons retenu trois exemples qui illustrent un changement dans la manière d’aborder les problèmes de gestion des bioagresseurs. Le cas de la rouille noire, celui de l’ergot du seigle et celui du dépérissement du safran ont marqué un changement dans les conceptions en protection des cultures. Chacune des illustrations apporte un nouvel éclairage.

• Le cas de la rouille noire

A partir d’observations rigoureuses, des paysans normands ont fait le lien entre la présence de l’épine-vinette et l’ampleur des épidémies de rouille noire65. Sous la pression, en 1660, Mazarin a commandé la destruction systématique de l’arbrisseau dans les campagnes. La pression de la maladie a alors diminué. Cet épisode a permis de souligner l’importance des relations causales dans la survenue de la maladie, que celle-ci n’était pas le fait de phénomènes inexplicables, que les moyens de gestion pouvaient être envisagés à partir d’une stratégie de lutte préventive organisée à grande échelle.

• Le cas de l’ergot du seigle

En 1670, Thuillier, médecin, établit la relation causale entre l’ergot du seigle, la farine contaminée par ces ergots (farine ergotée) et les désordres sur la santé humaine qui caractérisent le « mal ardent ». Limiter les ergots dans les céréales préviendrait les problèmes de santé. La relation est établie entre protection des cultures et préservation de la qualité des récoltes

• Le cas du dépérissement du safran

Duhamel de Monceau (1700-1782), chimiste agronome, a démontré que la maladie du safran avait une origine parasitaire. Il a conduit des observations rigoureuses, réalisé des tests méthodiques pour le vérifier. L’agent responsable se situait dans le bulbe sous la forme de « corps rouge avec des filaments violets ». Les bulbes sains en contact avec des bulbes malades développaient la maladie. Extraire la partie malade sauvait le plant. La mise en évidence de l’agent responsable du dépérissement du safran et son mode de contamination et l’isolement de l’agent pathogène illustrent un raisonnement logico-déductif, relevant d’une démarche cartésienne, chère aux scientifiques de l’époque. L’ensemble de ces travaux sur les problèmes parasitaires des peuplements végétaux ont posé de solides jalons de ce qui sera la phytopathologie et l’épidémiologie (Pedro, 2007).

En s’appuyant sur des exemples similaires, progressivement les pertes que les bioagresseurs occasionnaient régulièrement n’ont plus été considérées comme des fatalités sans recours possible : les causes pouvaient être expliquées, les mécanismes explicités et, des moyens de contrôle et des mesures (efficaces) de lutte pouvaient être mis en place. La conception de la protection des cultures a lentement glissé de l’empirisme vers le rationalisme (Bernard, 2008). Regnault-Roger (2014) distingue trois époques pour la protection des cultures qu’elle caractérise par trois adjectifs : manuel, chimique et biotechnologique en considérant en arrière plan des révolutions agricoles qui toutes visaient à améliorer la productivité par des pratiques plus adaptées. Comme le concède l’auteure, cette approche, « certes réductrice », permet de mettre en exergue les « outils qui ont ménagé des grandes transformations dans le

développement de l’agriculture » (Regnault-Roger, 2014, p. 7). Le passage d’une époque à

une autre ne correspond pas à des ruptures dans les processus, mais apparait comme une

65

longue transition. Pour la partie qui nous venons de traiter, c’est-à-dire de la naissance de l’agriculture au XVIIIème siècle, les interventions manuelles dominent. A partir du XVIIIème siècle et ce jusqu’en 1990, le chimique ou plutôt la chimie agricole occupe une place centrale dans le développement de l’agriculture et dans la protection des cultures. Au-delà, il s’agira de l’avènement de la biotechnologie.