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les systèmes de production grandes cultures»

2. Le concept d’agro-écologie et notion de transition

2.1. Agro-écologie, une forme de déclinaison du développement durable

Evoquer l’agro-écologie est équivoque car le terme désigne tout autant une discipline scientifique, un mouvement de transformation des sociétés et un ensemble de pratiques agricoles (Wezel, Bellon, Doré, Francis, Vallod et David, 2009 ; Stassart et al., 2012) (cf. figure n°16). Dans un premier point, nous présentons brièvement les trois acceptions de l’agro-écologie et en quoi l’agro-écologie est une déclinaison du développement durable qui met au cœur des enjeux la question des ressources. Nous cernons le concept d’agroécoystème dans un deuxième point. Des principes de l’agro-écologie proposés par Altieri (1995) sont présentés dans un troisième point et enfin nous discutons les formes d’agro-écologie scientifique dans un quatrième point. Nous terminons par un rapide état des lieux de l’agro-écologie en France.

2.1.1. Un concept polysémique

Dans le monde, paradoxalement, l’agro-écologie est « Tantôt présentée comme remède à tous

les problèmes, tantôt accusée de mystification ou d’archaïsme (…) » (Burger, Berton, Billaz

et Lebreton, 2013, p. 7). Les trois formes de l’agro-écologie sont apparues au fil de l’histoire et ces déclinaisons varient selon les régions du globe concernées en raison des approches culturelles différentes et des traductions successives. Cette construction site,

264 Nous l’avons évoqué cette perspective dans le chapitre 1. Le lecteur peut cependant se référer au site du ministère en charge de l’agriculture http://agriculture.gouv.fr/definition-agroecologie consulté le 05 mars 2015.

culturelle et multi-focale explique le flou dans la notion, tout comme les différences paradigmatiques (Wezel et al., 2009 ; Holt-Giménez et Altieri, 2013) : il n’existe pas une seule manière de définir la notion. Néanmoins, l’agro-écologie permet de définir un horizon, mais les voies pour y parvenir sont multiformes. Tracer l’évolution de la notion au fil du temps exige de préciser les contextes de son émergence et la construction de son sens tant l’agro-écologie s’avère liée à des contextes sociogéographiques datés. Son histoire récente en fait selon nous un très bon exemple pour illustrer les interactions réciproques entre les sciences, les agricultures et les sociétés. La pertinence de l’agro-écologie réside dans le fait qu’elle offre un « espace conceptuel » qui permet de penser la durabilité des modes de production dans des contextes très différents.

Quelle que soit l’acception, l’agro-écologie a une fonction critique265 en proposant un cadre pour (re)penser les systèmes agricoles et la pratique de l’agriculture. L’agro-écologie prend d’abord la forme d’une discipline scientifique émergente à la fin des années 20 aux Etats-Unis. Elle murit pendant près de 80 années dans le monde. Ses acceptions se sont élargies au fil du temps, en s’essaimant dans des pays caractérisés par des entrées culturelles et des contextes politiques différents amenant plusieurs perspectives de l’agro-écologie (Wezel et

al., 2009). L’agro-écologie représentant un ensemble de pratiques agricoles et la forme

incarnant un mouvement social contestataire émerge à partir des années 60 aux Etats-Unis et un peu plus tard, dans des pays du sud, l’agro-écologie en tant que mouvement social. L’Amérique latine a été pionnière dans ce domaine et aujourd’hui de nombreuses expériences à travers le monde révèlent le potentiel et l’efficacité de ces formes d’agricultures agro-écologiques (de Schutter, 2011). Ces mouvements sociaux prennent la forme de programmes visant la souveraineté alimentaire fondée sur le développement d’une agriculture familiale diversifiée et autonome. La constitution de réseaux d’échange de pratiques locales acquises par les agriculteurs de génération en génération ayant fait leur preuve est un point essentiel du développement et du maintien de ces formes d’agriculture agro-écologiques. Dans le même temps, ces mouvements sociaux militent en faveur des politiques publiques qui lui sont favorables.

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Les formes d’agricultures, dites modernes largement promues par les états, comme la révolution verte dans les pays du sud et l’agriculture intensive agro-industrielle au nord ne ménagent pas les ressources et ne tiennent pas les promesses de l’éradication de la faim dans le monde.

Figure n°16 : Les trois acceptions de l’agro-écologie dans le monde aujourd’hui( Wezel et al., 2009)

Wezel et al. (2009) distinguent deux périodes : « old age’ of agroecology » ou la naissance de l’agroécologie, des années 30 aux années 60 et « Expansion of agroecology » ou l’expansion de l’agro-écologie des années 70 à nos jours. Aujourd’hui en France, coexistent à la fois un ensemble de courants scientifiques, de mouvements sociaux et des cas d’exploitations agricoles où des pratiques agro-écologiques sont mises en œuvre.

2.1.2. Agro-écologie et développement durable

Les trois acceptions partagent cependant des préoccupations liées au concept de durabilité : (i)l’agro-écologie est un levier pour prémunir les sociétés de la non durabilité sur les plans environnemental (et économique) des systèmes de production agricole et (ii)de la non équité des systèmes agri-alimentaires. La première pointe la nécessité de retenir des modèles agricoles sur la base de leur capacité à préserver et à gérer à long termes les ressources naturelles (Holt-Giménez et Altieri, 2013). La seconde met en exergue la nécessité de considérer dans les systèmes agricoles leur aptitude à maintenir une production dans le temps dans des contextes changeants en interactions avec les sociétés (incertitudes, contraintes et pressions socio économiques).

A la suite du rapport Brundtland (1987) préparatoire au Sommet de Rio en 1992, le développement durable s’est progressivement imposé comme objectif politique national et international. Même si les contours de la notion ne sont pas nets et si les multiples définitions sous tendent des différences paradigmatiques et sont objets de controverses, un consensus demeure sur un ensemble de principes communs : le développement durable repose sur une approche globale qui postule qu'un développement à long terme n'est viable qu'en conciliant le respect de l'environnement, l'équité sociale et la rentabilité économique. La définition la

plus communément admise est donnée dans le rapport Brundtland (1987) (« un

développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs »). L’agro-écologie représente une forme de mise en

œuvre méthodologique et pratique pour l’agriculture durable dans une perspective de développement rural durable (Sarandon et Flores, 2012). L’agriculture durable se définit comme écologiquement saine, économiquement viable, et socialement juste et humaine (Francis et Youngberg, 1990 in Bonny, 1994) : elle est « capable d’évoluer indéfiniment vers

une plus grande utilité pour l’homme, vers une meilleure efficacité de l’emploi des ressources et vers un équilibre avec le milieu qui soit bénéfique à la fois pour l’homme et pour la plupart des autres espèces» (Harwood (1990) in Bonny, 1994 ). A l’échelle de l’exploitation,

l’agriculture durable doit satisfaire des critères de viabilité, de vivabilité, de transmissibilité et de reproductibilité (Landais, 1998). L’agro-écologie peut être considérée « comme un

paradigme (…) comme un objectif théorique et méthodologique qui vise, en mobilisant plusieurs disciplines scientifiques, à étudier l’activité agricole dans une perspective intégrant des dimensions écologiques, économiques et sociales » (Sarandon et Flores, 2012, p. 91) : la

contribution à l’inscription des activités agricoles dans le développement durable est soulignée. Mais l’agro-écologie insiste sur la dimension collective et invite à considérer une pluralité d’acteurs concernés par l’agriculture. Ces collectifs sont au cœur des actions sociales (des agriculteurs en premier lieu, mais aussi, des acteurs du développement rural comme des scientifiques, des politiques, des agents du développement, des collectivités territoriales, des organisations non gouvernementales, etc.). Ils visent à faire émerger et à développer des formes d’agriculture « socialement plus juste, économiquement plus viable et écologiquement

plus appropriée » (Sarandon et Flores, ibid., p. 92), qui remplacent le modèle agro-industriel.

Nous développons dans la suite de notre propos l’acception scientifique de l’agro-écologie. Les savoirs émergents produits offrent une approche conceptuelle pour concevoir et piloter des systèmes agricoles plus résilients et durables qui peuvent s’avérer très intéressants pour les praticiens et les enseignants des établissements agricoles en charge des formations des futurs agriculteurs et conseillers agricoles.