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Chapitre I. L’influence des législations antérieures sur la puissance paternelle dans le Code civil

Section 2. La détermination de solutions transactionnelles opérée par le Code civil

A. Des débats contradictoires

Avant de savoir exactement quels sont les droits de puissance paternelle, les rédacteurs du Code civil recherchent quels sont les termes précis qui doivent être employés, car en dépit de son nom, la puissance paternelle appartient au père et à la mère.

Ce pouvoir incontestable des mots et des maximes consolide les fondements d’une évolution juridique à travers l’introduction d’une terminologie nouvelle. Un débat va alors s’élever au Conseil d’État sur le point de savoir quelle qualification donner à l’ensemble de ces droits.

Dès les premières discussions relatives à la puissance paternelle « un sentiment de malaise s’empare des différents protagonistes. Personne, si ce n’est

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Irène Fenoglio et Clément Rosset, « Le choix des mots » in Langage et société, op.cit., pp. 107-111 : « Il faut s’interroger sur ce que devient le problème fondamental, qui est de savoir si à côté de la puissance paternelle il y aura une puissance maternelle ».

158 Pierre-Antoine Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, op. cit., p. 484. 159

Maleville, farouche partisan du retour à une puissance paternelle forte calquée sur celle que connaissaient les pays de droit écrit sous l’Ancien Régime ne semble être en mesure de définir précisément ce qu’il faut entendre par puissance paternelle » 160.

En effet, les propos du tribun Vesin, présentant devant le Tribunat le projet de loi relatif à la puissance paternelle sont particulièrement révélateurs de la pensée de la grande majorité des hommes à l’égard de l’autorité dans la famille161:

« Tribuns, chargé de vous faire un rapport sur le projet de loi, (…) en vous parlant de la puissance paternelle, je ne chercherai pas à la définir, à vous en montrer l’origine. Que le pouvoir des pères sur leurs enfants dérive du droit naturel ou du droit civil, ou plutôt qu’il participe en même temps de l’un et de l’autre, il nous suffit qu’il soit reconnu par tous les peuples policés, qu’il soit l’un des plus fermes liens de la société, pour qu’il ne s’élève pas le moindre doute sur la nécessité d’accorder aux pères et mères une autorité, une puissance sur leurs enfants.162 ».

Il s’agit alors de se demander s’il faut-il voir dans le pouvoir des père et mère une puissance ou une autorité, un droit ou encore un devoir ? Le tribun Vesin emploie les deux expressions de manière différente. Il faut également savoir que la question revêt une grande importance et sera source de nombreux débats. En effet, la dispute éclate alors immanquablement dès les toutes premières discussions dont les extraits des discussions présentés ci-dessous révèlent la complexité manifeste du choix des mots dans le Code civil163.

160 Jerôme Ferrand, De la magistrature paternelle à la magistrature judiciaire. Le crépuscule d’une institution la puissance paternelle, thèse de doctorat, Université de Grenoble, 2000, p. 300. 161

Ibid., p. 300.

162 1er germinal an XI, 22 mars 1803, dans Fenet, op.cit., t. 10, p. 524.

163 Jerôme Ferrand, De la magistrature paternelle à la magistrature judiciaire. Le crépuscule d’une institution la puissance paternelle, op .cit., p. 300.

En effet, lorsque la discussion débute au Conseil d’État, Tronchet évoque le problème majeur : « La question est donc de savoir si on établira la puissance paternelle telle qu’elle existe dans les pays de droit écrit, ou si sera telle que la présente la définition suivante qui est celle du projet de Code civil : la puissance paternelle est un droit fondé sur la nature et confirmé par la loi, qui donne au père et à la mère la surveillance de la personne et l’administration des biens de leurs enfants mineurs et non émancipés par le mariage »164. Il précise également

qu’il faudrait au moins se servir de l’expression « autorité paternelle », pour ne pas trop affaiblir l’idée.

Berlier pense que « rien ne ressemble ni ne doit ressembler moins à l’ancienne puissance paternelle, que l’autorité des pères et mères que l’on veut retracer en ce titre. En effet, dans l’ancienne Rome, cette puissance allait jusqu’au droit de vie et de mort : il en était de même chez les Gaulois, au temps de César, selon qu’il l’atteste au sixième livre de ses Commentaires ; et même sous les deux premières races des rois de France, les pères avaient encore le droit de vendre leurs enfants, ainsi que l’apprennent les capitulaires de Charles- le-Chauve ; mais ces temps sont loin de nous et de nos mœurs actuelles »165.

A cet égard, Berlier affirme une nouvelle fois que, dans les pays coutumiers, où les droits des pères étaient beaucoup moins étendus, on ne les désignait pas par le mot puissance paternelle et c’est en ce sens qu’il remarque que « Beaucoup d’auteurs ont refusé à la puissance paternelle l’honneur de figurer parmi les institutions françaises : de ce nombre sont Accurse, Loisel et Mornac». Ce dernier cite même un arrêt de 1599 conforme à son opinion166 ;

« Ce qu’il y a de certain, continue Berlier, c’est que plusieurs coutumes, celle de Senlis entre autres rejetait textuellement la puissance paternelle ; et que

164

Pierre-Antoine Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil op. cit., pp. 482 et 486.

165 Pierre-Antoine Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil op. cit., pp. 486- 487.

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beaucoup d’autres coutumes, comme celle de Paris, étaient muettes sur ce point. Ce qu’il y a de certain encore, c’est que, dans les pays l’effet principal était que l’enfant, même marié ou majeur, ne pût rien acquérir, sauf le pécule, que pour son père, s’il n’était d’ailleurs formellement émancipé ; disposition modifiée en quelques pays, en Bourgogne par exemple, par des statuts locaux, qui donnaient au mariage la force et l’effet d’une émancipation formelle »167. 

Après cet exposé, Berlier fait observer que « Le mot puissance paternelle n’offre qu’une idée peu en harmonie avec le nouveau système, qui beaucoup plus libéral que le droit écrit, veut que tout individu marié ou majeur devienne

sui juris ; de sorte que l’autorité dont il s’agit à peu de chose près, restreinte à la

majorité de l’enfant, et à cette époque de la vie qui appelle une protection plus spéciale, devient aussi plus susceptible, d’être à défaut du père, conférée à la mère, qui cependant ne participait point autrefois à la puissance paternelle.168»

D’après ces réflexions, il conclut à la nécessité de la mise en valeur du rôle de la mère et affirme qu’il faudrait de nouveaux mots pour exprimer des « idées nouvelles »169. Pour se faire, Berlier propose une rubrique intitulée « De

l’autorité des père et mère », qui s’avère être plus propre à désigner le pouvoir de protection que doit avoir en vue la loi nouvelle, et qui ne doit s’étendre que sur l’enfant encore mineur170.

À cet égard, Boulay se montre tout aussi réticent à l’expression même de puissance paternelle qui selon lui est trop fastueuse et hors de proposition avec l’idée qui doit être exprimée171. À cette expression puissance paternelle, il

préfère que le titre soit placé sous la rubrique « Des droits et des devoirs des

167

Berlier, Procès-verbal du 26 frimaire an 10. 168 Berlier, Procès-verbal du 26 frimaire an 10.

169 Jean Guillaume Locré, Esprit du Code Napoléon, tiré de la discussion ou conférence historique, analytique et raisonnée du projet de Code civil, des observations des tribunaux, des procès-verbaux du Conseil d’Etat, des observations du Tribunat, des exposés de motifs, des rapports et discours, Paris, Imprimerie impériale, 1806, VII, pp. 22-23.

170 Ibid., p. 315. 171

pères »172. Toutefois, il est certain que cette dénomination pouvait trop affaiblir

l’idée et de ce fait, on a fait observer qu’il faudrait se servir de l’expression autorité paternelle suggérée par l’esprit plus modéré de Tronchet, ou encore autorité des pères et mères173.

En revanche, l’expression puissance paternelle pour Maleville, épris du droit romain, présente l’avantage de préciser que la loi admet une autorité paternelle qui est forte puisque d’après lui :

« L’expression puissance paternelle est le mot reçu ; que si la loi ne l’employait pas, on croirait qu’elle n’a pas admis la chose ; non qu’il pense qu’il faille établir cette puissance telle qu’on la représente ordinairement pour la rendre odieuse, et telle qu’elle était nécessaire peut-être dans une peuplade originairement composée de brigands et d’esclaves fugitifs, où il fallait que des exemples de sévérité domestique suppléassent sans cesse au défaut de l’autorité publique ; aussi ces droits barbares ne sont-ils rappelés dans les livres de Justinien que pour dire qu’ils sont depuis longtemps abolis »174.

Cette dernière opinion a finalement prévalu alors que le premier consul renvoie à la section le projet et les observations qui ont été faites. Bigot de Préameneu présente alors la deuxième rédaction du titre De la puissance paternelle.

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