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les débats constitutionnels genevois de la première moitié du XVIIIe siècle

Alfred DUFOUR

«Le Lieutenant ayant cité quelques autorités de Puffendorff au ch[apitre] du Gouvernement inférieur des Etats pour justifier que les attroupements du Peu-ple, ses associations par serment ( ... ) sont des voyes illégitimes, le Sr. Fatio est sorti et est allé quérir chez lui Puffendorff et il a prétendu que ces mesmes autori-tés dont il a fait la lecture faisaient plustost contre les sentiments de Mr. le Lieutenant, mais la vérité est que ces passages de cet Auteur ne contenaient que des gé-néralités dont l'application ne peut estre faite dans la conjoncture présente.»

(A. TRONCHIN, in: Archives Tronchin, vol. 281, p. 36).

«Rousseau a été l'Aristote du gouvernement politique inventé par ses concitoyens.»

(P. Rossi, Cours d'histoire de la Suisse, Genève 1831-1832, BPU, Ms. cours univ. 412, Cahier n° 18, p. 659).

INTRODUCTION

Présentée par d'Alembert dans 1 'Encyclopédie comme une République-mo-dèle- «le gouvernement de Genève a tous les avantages et aucun des incon-vénients de la démocratie»'-, il s'en faut de beaucoup que la Cité-Etat réfor-mée par Calvin au

XVIe

siècle offre au

XVIIIe

siècle le tableau d'une vie politique harmonieuse et sereine. Tout au contraire, la plupart des historiens s'accordent

à

reconnaître dans le

XVIIIe

siècle genevois «le Siècle de la Dis-corde»,jalonné qu'il est de troubles, d'émeutes et de prises d'armes autant que de polémiques et de controverses. Portant sur les droits respectifs du

1 Cf. Encyclopédie, t. VII (1755) Art. Genève, col. 578b.

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peuple, rassemblé en Conseil Général, et du gouvernement, monopolisé par un nombre limité de familles se cooptant au sein des Conseils restreints de la République, ces polémiques et ces controverses vont avoir essentiellement pour enjeu l'exercice du pouvoir d'Etat, le peuple cherchant à obtenir le réta-blissement de la pleine souveraineté du Conseil Général, assemblée de l'en-semble des Citoyens et Bourgeois, par la restitution de nombre de ses compé-tences perdues au

xvre

siècle comme le droit de lever de nouveaux impôts, les gouvernants exerçant le pouvoir au sein des Conseils restreints opposant aux revendications populaires, présentées sous forme de «représentations», la fin de non-recevoir de leur «droit négatif» leur permettant d'ignorer les requêtes du «parti populaire».

Pareils affrontements, loin de se réduire, comme le voulait Voltaire, à «la lutte des perruques et des tignasses», prendront l'allure de véritables débats constitutionnels, dans lesquels Pufendorf et ses thèses contractualistes, sa doctrine du «double contrat» autant que sa conception du contrat de sujétion, tiendront régulièrement lieu d'autorité et d'argument à l'appui des revendica-tions populaires autant qu'à celui des tenants de l'ordre établi2, montrant bien à travers ses incidences pratiques la fondamentale ambivalence politi-que de la théorie pufendoiiienne du «contrat social». C'est à l'exposé de quoi nous voudrions nous attacher dans la présente étude en hommage à tout ce que le professeur Bruno Schmidlin a apporté à la vie académique de sa Cité d'adoption.

LE RECOURS À LA FIGURE DU «CONTRAT SOCIAL»

CHEZ LES TENANTS DU <<PARTI POPULAIRE»

Figure de prédilection du «parti populaire» à Genève, que Jean-Jacques Rous-seau (1712-1778) avec son livre fameux finira par immortaliser en 1762 dans une perspective radicalement démocratique, le «contrat social» formera éga-lement un des arguments récurrents du «parti négatif» au pouvoir en faveur de la perpétuation du partage des droits de souveraineté établi au

xvre

siècle

au bénéfice des Conseils restreints3•

2 Cf. A. TRONCHIN, in: Archives Tronchin, BPU, Genève, vol. 281, p. 36.

3 Cf. J. SAUTIER, La Médiation de 1737-1738- Contribution à l'étude des institutions politiques de Genève, thèse droit Paris, dactyl. 1979, p. 196-252, ainsi que, plus som-maire, P. BARBEY, Etat et Gouvernement- Les sources et les thèmes du discours poli-tique du patriciat genevois entre 1700 et 1770, thèse droit, Genève 1990, p. 233-249.

Le sujet a été repris de façon plus approfondie par G. SILVESTRINI, Alle radici del

PACTE, CONVENTION, CONTRAT

A cet égard, que l'idée de «contrat social» constitue un thème de réfé-rence privilégié chez les tenants du «parti populaire» du début du siècle, comme l'avocat Marc Revilliod (1654-1714) en 1704 ou son confrère Pierre Patio (1662-1707) en 17074, n'a rien pour surprendre, puisqu'elle sous-tend, fût-ce sous une forme négative, la thèse de la souveraineté du peuple assemblé en Conseil Général. Ce qu'implique en toute rigueur, en effet, aussi bien un Marc Revilliod dans son Mémoire au sujet du droit de chasse des citoyens et bourgeois de Genève du 2 février 1704, niant la compétence du Conseil des Deux Cents d'accorder un droit de chasse aux Sieurs TurrettiniS, qu'un Pierre Patio le 5 mai 1707 dans sa réplique au Discours du Syndic Jean-Robert Chouet (1642-1731) sur la nature du gouvernement genevois, contestant la délégation aux Conseils restreints de la quasi-totalité des droits de souverai-neté6, ce n'est pas seulement l'affirmation de la souveraineté du peuple, c'est-à-dire de la pleine et actuelle souveraineté du Conseil Général; c'est ni plus, ni moins que le défaut de tout contrat de sujétion, par lequel le peuple gene-vois aurait consenti à l'aliénation d'une part ou de la plupart de ses droits de souveraineté.

C'est ainsi qu'il faut entendre la contestation en 1704 par Marc Revilliod de la compétence du Conseil des Deux Cents d'octroyer un droit de chasse aux Sieurs Turrettini pour leur Seigneurie du Château des Bois comme la dénonciation d'une usurpation des droits du peuple souverain dans les termes mêmes des auteurs de 1 'Ecole du droit naturel moderne:

«La liberté étant du droit naturel, un Peuple ne peut être censé s'en être dépouillé qu'il n'y ait été contraint par une force majeure ou par un consentement exprès. Par la Grâce de Dieu on ne peut pas dire que le Peuple de Genève ait été privé de la liberté par la première de ces causes et il n'est jamais intervenu aucun acte ni traité par lequel le Peuple ait transféré ses droits de souveraineté au M(agnifique) C(onsei)l des 200.»7 C'est dans le même sens qu'il convient de comprendre la réplique que don-nera Pierre Patio le 5 mai 1707 au discours historique du Syndic Jean-Robert Chouet distinguant artificieusement la souveraineté de principe du Conseil

pensiero di Rousseau Istituzioni e dibatto politico a Ginevra nell a prima meta del Settecento, Milan 1993, notamment p. 81-106 et p. 125-164.

4 Cf. G. SILVESTRINI, op. cit. (n. 3), p. 81-106.

5 Cf. copie BPU, Genève, Ms. suppl. 1, p. 73-104.

6 Cf. AEG, RC 1707,207, 5 mai 1707, p. 357-365.

7 Cf. BPU, Genève Ms. suppl. 1, p. 74-75.

ALFRED DUFOUR

Général et son exercice effectif par les Conseils restreints de la République8.

En des termes qui préfigurent Jean-Jacques Rousseau, Pierre Fatio montre que la souveraineté du Conseil Général, telle que la conçoit et l'explique le Syndic Chouet, est une souveraineté chimérique, un Souverain qui ne fait jamais acte de souveraineté étant un être imaginaire, et que jamais le Conseil Général n'a donné son consentement à pareille aliénation. Ainsi que le relate le Registre du Conseil à la date du 5 mai 1707 en rapportant son Discours au style indirect9:

«Il ne suffisoit pas de convenir que le Conseil Général pou voit délibérer de tout ce qu'il voudroit ( ... ), il falloit qu'il en délibérât actuellement, ( ... )s'il ne le faisait pas, son droit, sa liberté et sa souveraineté seroient chimériques ( ... ). Convenir du principe et soutenir qu'il ne lui convient pas d'exercer son droit, que l'exercice de la souveraineté par le Conseil Général n'est pas possible sur tout ce qui se peut traiter dans un Etat, c'était( ... ) aliéner, transmuer la Souveraineté. Ne lui bailler que la création des magistrats, c'est lui ravir, c'est lui usurper tout le reste. Cette conséquence renverse donc le principe que l'on reconnoit sinon dans l'intention, du moins par le fait( ... ). Si le Conseil Général a souffert au Conseil des Deux Cents de faire des lois, c'était un abus, c'était un démembrement de la souveraineté, auquel il n'a pas donné son consentement.» 10

On ne s'étonnera pas non plus de retrouver la figure du «contrat social», entendue dans le même sens, mais cette fois-ci sous une forme positive, chez un des émules des chefs du «parti populaire» du début du siècle: l'ingénieur militaire et physicien réputé, d'origine patricienne, Jacques-Barthélemy Miche li du Crest(1690-1766)11 , tenant, en fonction de sa carrière tourmentée comme de ses démêlés avec les autorités genevoises, du caractère foncièrement dé-mocratique du régime politique de la République de Genève12. C'est que

8 Cf. J. SAUTIER, op. cit., t. 1, p. 201-207. Pour le texte même du discours de J.R. Chouet, voir sa publication in: W. A. LIEBESKIND, Institutions politiques et traditions nationa-les, Mém. Fac. Droit Genève, n° 38, éd. A. Dufour, Genève 1973, p. 188-196.

9 Cf. AEG, RC, 207, p. 357-365.

10 Cf. op. cit. (n. 9), loc. cit., p. 357-359.

Il Sur J.B. Micheli du Crest, voir outre J.H. GRAF, Das Leben und Wirken des Physikers und Geodiiten J.B. Micheli du Crest, Berne 1890, et C.J. BURCKHARDT, «J.B. Micheli du Crest» in:Gestalten und Miichte, Zurich 1941, p. 99-131, D. MICHEL!, La pensée politique de J.B. Micheli du Crest d'après les «Maximes d'un Républicain», BHG VIII, 1945, p. 165-176, ainsi que les Actes du Colloque tenu à Genève en 1995, Jacques Barthélemy Micheli du Crest 1690-1766, Homme des Lumières, Genève 1995.

12 Voir l'affirmation très nette de l'accoutumance du peuple à Genève «depuis un temps immémorial à la Démocratie» in: J. B. MICHELI DU CREST, Discours en forme de lettres

PACTE, CONVENTION, CONTRAT

pour le patricien déchu, rallié aux thèses du «parti populaire», l'ordre consti-tutionnel genevois- l'Edit- mis en place au XVIe siècle est de nature contractuelle, procédant soit d'un contrat entre «trois parties contractantes, savoir le Petit Conseil, le Grand Conseil et le Peuple»13, soit d'une «Conven-tion entre tous les Membres de la République»14 et qu'il établit la souverai-neté effective du Conseil Général:

«Si l'on considère la loy telle quelle est effectivement parmi nous une Convention entre tous les membres de la République, laquelle y sert de règle à leur société( ... ) la promesse que font les Sindics de la maintenir, sa garde et sa Deffense déposée par Serment entre mains d'un Chacun du Peuple, on découvrira par plusieurs Endroits que chaque bourgeois ayant part à un tel contract a cette promesse et a cette garde et le plus grand nombre a fortiori a par conséquent droit de la faire observer et pour cet effet dans les cas de contravention d'en admettre l'appel au Conseil Général.

Car 1 o toute convention donne droit à chacun des contractants de faire exécuter ce dont on est convenu; 11° toute promesse fournit une action pour contraindre le promettant d'observer ce qu'il a promis: et enfin un serment par lequel on s'engage de garder des Loix et de ne point souffrir aucune entreprise ny machination contre ces mêmes loix attribue un titre aux Gardiateurs et Les contraints même de corriger les contraventions de ces mêmes loix.»15

La souveraineté effective du Conseil Général que Micheli du Crest tient pour constitutive de la démocratie genevoise, il importe à son sens, comme pour les chefs du «parti populaire» de 1707, pour la sauvegarder contre toute entreprise de l'aristocratie comme pour la fortifier, de l'entretenir par la réu-nion d'Assemblées périodiques:

«Ainsi cette Entreprise se trouvant sujette à de très grandes difficultés et étant exposée par la Suite à des catastrophes, d'ailleurs n'étant nullement convenable à la situation de cette République, toutes sortes de raison doivent engager tous ses Citoiens et Bourgeois sans aucune exception de maintenir l'observation de leurs Loix fondamentales en entretenant le frein de ceux qui gouvernent et pour cet effet dès aujourd'hui tenir des conseils généraux ( ... )

( ... )il est d'une nécessité absolue pour le bien de la République d'entretenir

sur le Gouvernement de Genève, Paris 1735, Troisième Lettre, BPU Genève, Ms. fr. 849, p. 91-92.

13 Cf. op. cit. (n. 12), Deuxième Lettre, p. 34.

14 Cf. op. cit. (n. 12), Deuxième Lettre, p. 29.

15 Cf. op. cit. (n. 12), Deuxième Lettre, p. 29-30.

ALFRED DUFOUR

tous les citoiens dans l'usage de leurs fonctions, afin que les plus agez n'en oublient pas les idées et que les jeunes gens les apprennent.»16

L'INTERPRÉTATION DE LA FIGURE DU «CONTRAT SOCIAL» ET SON APPLICATION À L'IDSTOIRE CONSTITUTIONNELLE GENEVOISE

PAR LES PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT

S'il n'est pas étonnant de constater ainsi la récurrence de la figure du «contrat social» dans le discours politique des tenants du «parti populaire» de la pre-mière moitié du

XVIIIe

siècle17 genevois, il est en revanche pour le moins assez surprenant, mais à la réflexion extrêmement significatif, de voir les porte-parole et les interprètes officiels du gouvernement recourir pendant la même période à la même figure dans un sens diamétralement opposé. De Jacob de Chapeaurouge (1669-1744), membre du Deux Cents dès 1698 et Syndic à trois reprises (1724, 1728 et 1732), l'auteur de la Réponse18 aux Lettres anonymes de 171819,

à

la très officielle Commission des Conseils restreints chargée de répondre aux représentations des Citoyens et Bourgeois de mars 173420, dans laquelle siégeront, outre Chapeaurouge et son gendre, Jean-Jacques Burlamaqui, David Sartoris (1659-1735), secrétaire d'Etat, puis Syndic à cinq reprises (de 1717 à 1733), et surtout Pierre Mussard (1690-1767), prédécesseur de Burlamaqui dans l'enseignement du droit naturel à l'Auditoire de Droit dès 1719, puis Conseiller et Syndic à trois reprises (1750, 1754 et 1758), enfin grand diplomate et négociateur du Traité de Turin avec la Sardaigne en 1754, ces deux derniers également auteurs avec Chapeaurouge de Mémoires en 1734 portant soit sur «le gouvernement de la Ville de Ge-nève» (Chapeaurouge)21, soit sur «l'Etat et le Gouvernement genevois»

16 Cf. op. cit. (n. 12), Troisième Lettre, p. 125.

17 Sur «la constance des principes de la bourgeoisie dans cette première moitié du siècle»

et sur ses conquêtes successives sur Je plan institutionnel, voir les excellents dévelop-pements de J. SAUTIER, op. cit. (n. 3), p. 196-197 d'une part et p. 185-189 d'autre part.

18 Cf. BPU Genève, Ms. Cramer 47, p. 43-106.

19 Cf. BPU Genève, Ms. fr. 839, édité par A. GûR, «Les Lettres 'séditieuses' anonymes-Etude et texte», BSHAG 1981, t. XVII/2, Genève 1982, Etude p. 129-176 et Texte, p. 177-205.

20 Rapport des Commissaires nommés par les Conseils de Genève pour examiner les Re-présentations et donner leur avis sur ce dont il y est question, Genève 1735.

21 Genève 1734. Nous ne nous arrêterons pas à ce Mémoire de J. de Chapeaurouge, puis-qu'il constitue avant tout «une reprise de sa réponse aux Lettres anonymes de 1718»

(P. BARBEY, op. cit. (n. 3), p. 122).

PACTE, CONVENTION, CONTRAT

(D. Sartoris)22, soit sur «la question des impôts» (P. Mussard)23- tous re-prennent, en effet, del 'Ecole du droit naturel moderne, et singulièrement de Pufendorf24 comme de Barbeyrac25 et de Burlamaqui26, la doctrine du «dou-ble contrat» pour l'appliquer à la réalité constitutionnelle genevoise et en inférer la nécessité et le caractère irrévocable du partage des droits de sou-veraineté convenu au XVIe siècle entre le Peuple et les Conseils restreints.

«Véritable héraut du patriciat» (J. SAUTIER)27, Jacob de Chapeaurouge apparaît dans cette perspective à notre sens comme l'un des premiers à re-prendre de Pufendorf la doctrine du «double contrat» et à l'appliquer au ré-gime politique genevois pour établir à la fois la nécessité et l'irrévocabilité de l'ordre établi. Dans sa Réponse à la Lettre Anonyme concernant les im-pôts de 171828 en forme de réplique aux Lettres séditieuses anonymes parues

la même année29, il commence ainsi par rendre raison en ces termes de la fondation comme de la nécessité de toute société politique en évoquant suc-cessivement le contrat d'association au fondement de l'état de société et le décret arrêtant la forme de gouvernement:

«Ün ne saurait s'empêcher de reconnaître que l'Etat de pure nature est un Etat déplorable, il a fallu donc que la crainte des hommes intervint,

& que pour que chacun jouit en sûreté de ce qu'il lui appartient, les hommes épars et nullement liés les uns avec les autres par des conventions qui tendissent à leur avantage commun, fissent de tel traités. En un mot, il a été nécessaire, qu'il se formât entr'eux des Sociétés, à l'abri desquelles

22 Cf. D. SARTORIS, Mémoire en forme de lettre, AEG, RC 1734, encarté fol. 167-168, 2e pièce.

23 Cf. P. MUSSARD, Mémoire sur la question des impôts, BPU Genève, Ms. Cramer 59, 4e pièce.

24 Cf. PUFENDORF, De Jure Naturae et Gentium (Lund 1672), 1688, éd. reprod. photogr., Oxford-Londres 1934, VII/II/§§ 7-8 et De Officia Hominis et Civis, (Lund 1673), éd. I. Weber, Francfort/Main, 1706, IINI/§.7. Pour un aperçu de la pensée politique pufendorfienne, voir nos contributions à la Cambridge His tory of Modern Political Thought, éd. J.H. Burns, Cambridge 1994, p. 561-598, ainsi qu'aux Cahiers de philosophie politi-que et juridipoliti-que de l'Université de Caen, n° 11, 1987, Des théories du droit naturel,

«Jusnaturalisme et conscience historique -la pensée politique de Pufendorf», p. 101-125.

Voir également les pages que nous avons consacrées à cette pensée dans notre volume Droits de l'Homme, Droit naturel et Histoire, Paris 1991, p. 69-89.

25 Cf. les notes des traductions de J. Barbeyrac aux passages cités de PUFENDORF, Droit de la Nature et des Gens, Ad VII/II/§.8, éd. 17061 et 17506.

26 Cf.J.J. BURLAMAQUI, Principes du Droit politique (Amsterdam 1751), éd. reprod. photogr.

Caen 1984, 1/lV/§§ IV-VII et XV.

27 Cf. op. cit. (n. 3), p. 200.

28 Cf. BPU Genève, Ms. Cramer 47.

29 Cf. op. cit. (n. 19).

ALFRED DUFOUR

chacun pût vivre tranquillement, surement; en un mot d'une manière plus heureuse que dans l'Etat de pure nature.

Quoi que toutes les sociétés soient censées tendre au plus grand bien de tous les membres qui les composent, et que le bonheur commun soit le grand but qu'elles ont en vue, cependant leur forme peut être différente;

delà vient qu'il y a aujourd'huy dans le Monde diverses sortes de Gouvernements, le Monarchique, l'Aristocratique, le Démocratique, et ceux qui peuvent dans des proportions diverses participer des uns et des autres; mais quelle que soit la nature des différents Gouvernemens, ils ont cela de commun, que dans les uns et dans les autres, il a fallu fixer les différentes fonctions des divers Membres qui composent l'Etat, afm que chacun sçût sur quel pied, sous quelles Loix il vivoit, au lieu que dans l'Etat de pure nature il n'y avait d'autre Loy que le caprice, la passion, la bizarrerie de chaque particulier; dans l'Etat de pure nature il n'y a voit rien d'assuré, rien de déterminé, rien sur quoy l'on pût compter, la Liberté ou plutôt la Licence s'étendoit à l'infmi. Tout cela a été réprimé, tout cela a dû être renfermé dans de certaines bornes dans l'Etat de société. »30

Passant ensuite à l'évocation du contrat de sujétion, il en rend compte de la manière suivante:

«Cette Liberté est donc une Liberté limitée; mais quelles seront ces bornes?

Je réponds que le bien de l'Etat ou le Bien Commun les réglera, que chaque Membre de la Société, soit qu'il en soit un Membre plus ou moins important, plus ou moins considérable, aura le degré de Liberté qui convient au bien de l'Etat, au bien commun qu'il est.

Ce bien de l'Etat, ce bien commun, sera la règle sous laquelle tous les Membres de l'Etat devront vivre, et le détail de cette Règle ne sera autre chose que les Loix de ce même Etat, ou que les différents articles dont cette Règle est composée.

Cela posé, il est clair que quelque nom qu'on donne aux différents Membres de l'Etat, que l'un soit appellé Souverain, les autres sujets, les uns Magistrats, les autres Peuples, il n'est pas possible qu'aucun d'eux possède cette Liberté infinie dont on a parlé d'abord. Chacun ne peut jouir que d'une Liberté temperée et dont le degré a été fixé par les Loix ou par les conventions que les différents Membres de la Société ont fait entr'eux.»31

Faisant alors l'application de la théorie

à

l'évolution de la pratique

Faisant alors l'application de la théorie

à

l'évolution de la pratique