• Aucun résultat trouvé

CREOLE : FIDELE MIROIR DES AMES NOIRES D'ÉLODIE JOURDAIN

SOCIOLINGUISTIQUE CREOLE

3.4. Avis de « célébrités » (linguistiques sur les langues créoles)

3.4.2. CREOLE : FIDELE MIROIR DES AMES NOIRES D'ÉLODIE JOURDAIN

« Fidèle miroir des âmes qu’il exprime, le créole a les qualités et les défauts de ces populations de couleur qui se sont développées aux colonies sous l’égide de la France ; populations affinées au contact des Blancs, mais gardant encore des naïvetés et des grossièretés dues surtout à leur ancienne condition sociale. Bonté native, goût forcené de la vie, des plaisirs naturels et instinctifs qu’elle accorde, gaieté, aptitude à saisir les rapports harmonieux des choses entre elles et inversement la rupture de ces rapports, d’où naît le ridicule et, partant, le rire, don des images, voilà peut-être les fondements qui donnent à leur langage ses caractéristiques. Avant tout, le Noir sait voir, et pour exprimer ce qu’il voit il n’a point besoin d’abstraction, les comparaisons lui suffisent, il les choisit avec une justesse, un sens du pittoresque remarquable ; on pourrait citer des centaines d’expressions qui dénotent ce don de rendre par l’image l’impression qu’il éprouve, il suffirait d’aligner par exemple à la file des proverbes ou dictons. Mais, s’il a l’œil vif et juste, il a le sang chaud, et ce n’est pas dans les salons qu’il aurait pu apprendre à dissimuler ses sentiments ou à en manier l’expression ; il dit tout de go ce qu’il pense, ce qu’il sent, avec la langue qu’on lui a apprise ou qu’il s’est forgé lui-même » [Élodie Jourdain, Du français aux parlers créoles, citée in Bebel-Gisler, 1976, p.111, 112]. Quel commentaire peut-on faire à ces propos ? Ils parlent d’eux-mêmes. Ils traduisent un certain état d’esprit difficilement séparable du jugement que l’auteur de ces lignes a appris à porter sur l’Afrique, l’homme africain, véhiculé dans certaines sociétés antillaises. Par ailleurs c’est l’expression d’un certain conformisme à l’air du temps, et peut-être l’incapacité d’aller à contre-courant des idées de son époque.

3.4.3. CREOLE : LANGUE SANS AVENIR SELON A.-M. D’ANS

« Nous choquerons peut-être certains Haïtiens en affirmant que, pour notre part, nous ne croyons pas à l’avenir du créole en tant que langue de culture. Il existe certes de la littérature en langue créole, et sa qualité ne peut être mise en doute ; elle n’en est pas moins limitée dans ses thèmes et modes d’expression de la même façon que toutes les littératures écrites en langues, dialectes ou patois occupant la place la plus modeste dans ces situations de bilinguisme particulier que l’on nomme diglossie, où l’un des deux idiomes en présence voit son usage confiné à certaines situations de la vie sociale ou familiale...

« La vraie importance du créole n’est pas là. Elle réside dans le fait que quatre millions et demi d’Haïtiens parlent cette langue, qu’un large pourcentage parmi eux ne parle que cette langue et pratiquement tous ceux qui se trouvent dans cette dernière situation sont également illettrés. C’est donc d’abord dans cette langue qu’ils vont devoir être alphabétisés, quitte à passer ensuite à l’acquisition du français, seule langue qui puisse leur donner accès, non seulement aux fonctions publiques, mais encore à la culture moderne dans tous ses aspects. Le grand nombre de ces locuteurs unilingues justifierait déjà amplement l’intérêt porté au créole et la recherche d’une formulation grammaticale toujours plus adéquate : le travail du linguiste est ici préparatoire de la tâche du pédagogue et, à travers celui-ci, veut correspondre à l’aspiration au développement de tout un peuple ». [d’Ans, 1968, p. 29, 30]

La position d’André-Marcel d’Ans a bien changé en 26 ans. Progression ou régression ? Depuis ce constat de l’incapacité du créole à évoluer vers une « langue de culture » et le souhait plein d’humanité, à peine voilé, exprimant le devoir

« quitte à passer ensuite à l’acquisition du français, seule langue qui puisse donner accès... à la culture dans tous ses aspects », après avoir compris que « le grand nombre de ces locuteurs unilingues justifierait... l’intérêt porté au créole et la recherche d’une formulation grammaticale toujours plus adéquate... », donc après avoir appelé de tous ses vœux à un prompt aménagement linguistique, il se ravise.

André-Marcel d’Ans [1994, p. 84] s’insurge contre l’idée d’aménagement linguistique :

... Les difficultés économiques, sociales, psychosociales et politiques -ou même tout simplement alimentaires et sanitaires du plus grand nombre des créolophones étant chose avérée, la question devrait plutôt se trouver abordée de la façon suivante : en quoi l’officialisation et l’instrumentalisation de leur parler créole apporteraient-elles des améliorations réapporteraient-elles à ces êtres humains en situation précaire ?

L’adoption du créole dans l’éducation n’entraînera pas la scolarisation d’un seul enfant de plus, dans des pays où, comme en Haïti par exemple, ni locaux ni équipements ni maîtres n’existent de façon suffisante, en quantité comme en qualité, pour assurer le travail éducatif... [ibid.].

Après avoir dénoncé le caractère chimérique de tout projet d’aménagement linguistique dans lequel il ne voit que « satisfaction symbolique bruyamment réclamée par certains clercs » [ibid.], après avoir prédit « des déboires à attendre de mesures linguistiques prises à la hâte et sur l’absurde pari... de l’officialisation de la

« langue du peuple » [ibid.], André-Marcel d’Ans [1994 p. 85] reconnaît une qualité au créole. C’est, selon lui "par définition - et même... par excellence - un merveilleux instrument d’oralité... ».

Face à l’entêtement de certains aménageurs à normaliser le créole et à transformer son oralité, « pourquoi... s’interroge-t-il, en créole, ne pas se satisfaire des ressources du créole en tant que langue orale, et vouloir à tout prix faire passer celle-ci à l’écrit... ? » [ibid.].

Il [d’Ans 1994, p. 86] parle des « pataquès de l’aménagement linguistique en créole ».

« ... le délire atteint, selon lui [1994, p.88] à son comble quand l’inventivité académique prétend voler au secours de la langue populaire, pour lui prêter les mots et les tournures qui sont censés lui faire défaut ! ». Il trouve quelque indulgence dans le jugement de Valdman à ce propos et semble se réjouir de « l’article décapant » de Lambert-Félix Prudent qu’il trouve « beaucoup plus féroce quand il s’amuse à épingler les cocasseries auxquelles parviennent ceux qui... au nom d’une rhétorique identitaire (...) s’efforcent de populariser un « lexique déviant »... » [d’Ans 1994, p. 88-89].

Il ne s’agit pas d’un compte rendu de lecture. Nous avons relevé quelques-unes des énormités d’un article dans lequel André-Marcel d’Ans semble régler des comptes imaginaires avec tous ceux qui plaident pour l’amélioration du quotidien des créolophones unilingues par la normalisation du créole. Au fait, ces propos ne sont pas accidentels. L’auteur est perpétuellement en campagne contre la créolophonie et veut la réduire à un rôle de second plan quelque grand que puisse être le déficit humain que cela entraîne. Nous comprenons que Marcel d’Ans ait pu changer d’avis quant à la sensibilité qu’il avait au moment où dans sa thèse il a plaidé pour la prise en compte de la spécificité de la société créolophone haïtienne. Cependant son revirement qui est tout à fait respectable n’a rien changé ni à la réalité de ce pays ni a

planification intégrale de chaque société créolophone s’intéressant à toutes les couches sociales reste posée en matière d’éducation et des choix linguistiques qui respectent la spécificité de la totalité des acteurs sociaux constituent encore une exigence à satisfaire.

Face à la prolifération de telles déclarations les unes plus fantaisistes que les autres, lesquelles ont laissé très peu de place à l’objectivité, on comprend les prises de position de certains natifs créolophones [Bebel-Gisler, 1976 ; Gauvin, 1977 ; Prudent, 1980] pour défendre l’intégrité des langues créoles.

3.5 Conclusion :

La dépréciation dont ont été l’objet pendant longtemps les langues créoles, à la faveur des nombreuses recherches qui leur sont consacrées, connaît aujourd’hui un net ralentissement. Mais certains créolophones tant unilingues que bilingues sont profondément marqués par le regard que les autres ont porté sur leur langue, regard que certains intellectuels n’hésitent d’ailleurs pas à faire leur, et qu’ils essayent d’imposer à la conscience du peuple, sous prétexte de s’intéresser à leur bien-être et à l’avenir de leurs enfants. Ainsi donc, qu’elles viennent de l’intérieur ou de l’extérieur, les menaces qui pèsent sur l’avenir des sociétés créolophones ne peuvent pas être écartées sans une détermination qui résiste à toute épreuve. Les organes de décision doivent s’atteler à agir sur la conscience des masses, par les moyens dont ils disposent (radio, télévision...) afin de les aider à avoir une meilleure vision de leur langue. Lorsque cela est possible, la sociolinguistique native ne doit pas refuser sa participation à l’élaboration des plans. Lorsqu’elle est écartée des prises de décision, elle doit s’inscrire dans ce que nous appelons une sociolinguistique processive. Par sociolinguistique processive, nous entendons une sociolinguistique agissante, qui juge la politique linguistique surtout lorsqu’elle se manifeste sous la forme de la non

planification linguistique. Lieu idéal de la revendication linguistique, expression des besoins des masses générés par la non-planification linguistique (dans le cas des départements d’outre-mer), de la diglossie (Haïti avant la réforme de l’enseignement en 1979) et de la situation de conflit [Lluis v. Aracil, 1965 - cité in Daoust et Maurais, 1987 - p. 17] (Haïti à partir du milieu des années 1980), cette sociolinguistique processive doit analyser, proposer et agir dans les limites de ses moyens et se prononcer sur la qualité de l’aménagement linguistique adéquat. C’est d’ailleurs le sens des propositions émanant des ateliers « États généraux du multilinguisme dans les Outre-mer » organisés du 14 au 18 décembre 2011 à Cayenne, connues sous le nom de Déclaration de Cayenne, en réponse aux événements qui ont été à l’origine de la grève générale de 2009 qui a paralysé la Guadeloupe entre le 20 janvier et le 4 mars. Nous ferons postérieurement des liens entre ce conséquent état des lieux. Nous avons noté l’accueil favorable des autorités politiques à ces propositions. Toutefois, une vigilance de tous les instants semble s’imposer afin que les propositions ne se figent en catalogue et l’accueil en simple déclaration d’intention, en raison de l’importance de l’enjeu.

CHAPITRE 4