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L’ENTREPRISE COLONIALE

1.4. Traite – Esclavage

1.4.2. L’ESCLAVAGE – TENTATIVE DE DEFINITION

1.4.2.1. CONDITION SERVILE

Tant qu’il est sur le navire qui le transporte d’Afrique dans les plantations d’Amérique, le déporté, le raflé ou le vendu n’est pas considéré comme un esclave.

Il le devient dès l’instant qu’il a été acquis par un propriétaire qui a besoin de sa force. Son sort est réglé presque de manière définitive et arbitraire par le Code noir.

Dès son article 2, ce code stipule :

« Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d'en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneurs et intendant desdites îles, à peine d'amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable. »

Cet être qui est baptisé et instruit dans la religion catholique, apostolique et romaine, jouissant de ce fait de prérogatives réservées aux humains socialisés, libres, n’est, en effet, nullement traité en cette qualité par le législateur. C’est, au contraire, avant tout un travailleur privé des « mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres » et des « mêmes effets que le bonheur de la liberté

naturelle cause à nos autres sujets », selon que le prévoit l’article 59 du Code noir au profit des citoyens affranchis. Par ailleurs, il est taillable et corvéable à merci parce qu’il est juridiquement la propriété d'une autre personne, un maître aux ordres duquel il est tenu d’obéir depuis sa naissance ou son achat à son arrivée dans les colonies. Au meilleur des cas, il est élevé au rang de bête faisant partie du cheptel du maître. Cependant, la différence n’est pas toujours tranchée entre lui et les biens inanimés. Il faut qu’il soit considéré comme dénué de toute sensibilité pour que « le premier acte de possession » soit « un nouvel étampage de l’esclave, il reçoit au fer chaud, rappelle Gaston Martin (Gaston Martin 1948, p. 117) généralement sur le sein, la marque de l’habitation, à l’ordinaire le nom et l’adresse en toutes lettres, comme pour marquer le caractère définitif de cette mainmise. » Nous rappelons que Gaston Martin parle de nouvel étampage car au moment de l’acquisition en Afrique, le « candidat » à la déportation est étampé une première fois. On peut supposer que les mauvaises conditions du transport ne favorisent pas une cicatrisation rapide. Et, il est soumis dès son acquisition à une nouvelle torture. D’ailleurs, cette pratique sera courante, selon qu’il change de maître ou qu’il manifeste des velléités d’émancipation, en tentant de s’enfuir. En tant que propriété, l'esclave peut faire l'objet des transferts inhérents à la notion de propriété : on peut donc l'acheter, le vendre, on peut le céder à ses héritiers, on peut le perdre en faisant faillite, on peut même le louer.

Il faut attendre le 44e article des 60 dont est composé le Code noir pour que la condition juridique de l’esclave soit explicitée. Ce ramassis de contradictions s’applique, avant tout, dans ses premiers articles, à définir une sorte de pacte de confiance entre le royaume et les maîtres sur la base de leur profession de foi commune dont la religion catholique, apostolique et romaine est le fondement. Dans

Couronne de France et de Navarre au Vatican qui s’applique à écarter de tout profit provenant du commerce servile les protestants et les Juifs. Bien entendu, ceux-ci ne sont pas exclus du commerce triangulaire. Leurs capitaux sont fructifiés par des investissements dans tous les circuits de ce commerce. En effet, l’article 44 de ce code stipule :

« Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, n'avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d'aînesse, n'être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire. »

Une lecture attentive, sans qu’il soit besoin d’une analyse approfondie du Code noir, permet d’y voir plus qu’une tentative, une décision de désocialisation et de déshumanisation de l’esclave. Il lui est dénié toutes les prérogatives ainsi que tous les attributs humains fondamentaux, à l’exception de ceux qui sont indispensables à son exploitation et à sa soumission.

L’esclave fait partie des biens meubles du maître. Et, il n’existe que pour le seul profit de celui-ci. Aussi, était-il naturel de lire pêle-mêle dans les gazettes de l’époque coloniale comme le journal des petites annonces de la colonie « les affiches américaines », et cela, sans éprouver quelque choc ou quelque émotion :

« -A vendre une mulâtre domestique, un mulet

À vendre, pour cause de départ, un lot de meubles, des chaises et lits, trois nègres domestiques et autres objets. »

Toutefois, cette constatation conduira Tocqueville, pourtant un anti-esclavagiste très discret, à s’interroger sur l’énormité d’un tel déni d’humanité : Ne dirait-on pas à voir ce qui se passe dans le monde, que l’Européen est aux hommes des autres races ce que l’homme lui-même est aux animaux ? Il les fait à son usage, et quand il ne peut les plier, il les détruit. (Cf., Gérard Barthélémy, Créoles et Bossales, en Haïti) 1.4.2.2. LE CODE NOIR ET L’ESCLAVE

À bien considérer, le Code noir est le code des droits et des intérêts du maître dans son entreprise d’enrichissement dont les retombées économiques et financières sont immenses dans le commerce florissant dont sont animés les ports de Nantes, de Bordeaux, de Dieppe, de Saint-Malo, de Dunkerque, de Lorient ou de La Rochelle.

En effet, l’esclave n’a aucun droit. Ce qui semble lui être offert lui est sitôt refusé et ce qui lui est donné sitôt retiré. Les obligations faites au maître ont pour dessein de maintenir l’esclave en condition pour être mieux exploité. Car, que peut-on tirer de valable d’un outil de travail mal entretenu ? Dans le cas de l’esclave, quel rendement en attendre s’il est en mauvaise condition physique ? Plus que l’esclave, c’est le rendement et le profit que le Code noir promeut et garantit avant tout, en tentant de circonscrire les élans sadiques de certains maîtres, élans sadiques auxquels ils laissent libre cour sans qu’aucune instance les sanctionne. En outre, la permission arrachée au roi de pratiquer l’esclavage sur une terre réputée française, alors que cet usage est proscrit depuis le XIVe siècle dans le royaume, sous le prétexte d’évangéliser les esclaves, ne doit pas ressembler à une permission de pratiquer la barbarie.

De prime abord, le Code noir semble déterminer le monde de l’esclave et permettre d’avoir une vision plus ou moins juste de sa réalité quotidienne. Pourtant, les divers

récits concernant les abus perpétrés dans les colonies sur la personne de l’esclave indiquent que l’on aurait tort de faire l’économie de leur analyse.