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Description et analyse des données de l’enquête sur les méthodes d’enseignement et d’apprentissage

7.1. De l’usage des méthodes à partir des entretiens avec les enseignants

7.1.2. Vers une contextualisation du communicatif et de l’actionnel ?

Comme le rappelle Puren (2001 : 32), l’approche communicative a constitué « un facteur décisif d’entrée dans l’ère éclectique actuelle » en raison de la forte diversification de ses théories de référence. Selon l’auteur, l’éclectisme se généralise en didactique des

langues étrangères car il constitue la réponse à la complexité des paramètres des situations d’enseignement et d’apprentissage. Cet éclectisme méthodologique est-il visible dans les entretiens, est-il employé en guise de réponse aux problèmes que pose l’approche

communicative ?

L’extrait suivant, confirme tout ce qui a été dit jusqu’à présent, à propos de l’approche

communicative dans les entretiens, mais P4 donne également son opinion sur les diverses méthodes qu’elle emploie (E4, P4, L. 110-114) :

« 110 P4 :L’approche communicative ne fonctionne pas car les effectifs des classes 111 sont trop élevés, et puis quand je suis allée à l’étranger j’ai constaté que les 112 asiatiques sont, par nature, silencieux et ne vont pas interrompre le professeur. 112 Autrement, je pense que toutes les méthodologies fonctionnent, je pense qu’il 113 faut varier son cours et prendre un peu dans la méthode directe, un peu dans 114 la grammaire-traduction, un peu dans l’approche communicative, etc.. »

Ce professeur semble donc puiser dans les différentes méthodes, et ne rejette aucune d’entre-elles. La même position semble se dégager dans l’entretien de P1 (E1, P1, L.

61-69) :

« 61 P1 : Je pense qu’il faut mélanger un peu toutes les méthodes, il faut insister sur la 62 négociation du sens quand on communique, il ne faut pas rejeter la

63 méthodologie structurale, ni l’apprentissage systématique de la grammaire et 64 du vocabulaire… La méthode « grammaire-traduction » est la plus utilisée ; en 65 plus, les étudiants en ont l’habitude. Au primaire, on met beaucoup l’accent 66 sur la lecture et l’écrit pour l’enseignement du chinois et de l’anglais. D’ailleurs, 67 l’enseignement de l’anglais est toujours orienté en fonction des examens qui 68 permettent d’entrer dans tel collège, puis dans tel lycée et enfin dans telle 69 université, ce n’est pas perçu comme un outil de communication. »

P1 dit que la méthode traditionnelle de « grammaire-traduction » est la plus utilisée par elle et ses collègues, et ajoute que les apprenants y sont habitués. Elle suggère ainsi que cette méthode est largement employée ce qui donne une nouvelle information à propos des raisons pour lesquelles l’approche communicative ne convient pas vraiment au public

taiwanais.

En guise de conclusion sur les méthodes, le passage suivant est à noter (E11, P11, L.102-104) :

« 102 P11 : Je pense que nous sommes arrivés à une étape où l’on pratique 103 l’éclectisme dans le sens de l’usage de toutes les méthodologies selon

104 le contexte, la situation d’enseignement. »

P11 déclare qu’à l’heure actuelle, l’éclectisme est employé à Taiwan. Avec le recueil actuel des données, il n’est pas possible d’affirmer si l’éclectisme est aussi répandu dans les pratiques de classe que l’affirme P11. Pour certains chercheurs, travaillant en Chine

l’enseignement/apprentissage du FLE149, et pour d’autres la question qui se pose n’est plus

de démontrer s’il existe un éclectisme en Chine, « mais quel éclectisme nous voulons et

devons gérer »150.

7.1.3. La mémorisation

L’apprenant doit passer par une phase de mise en mémoire, appelée mémorisation,

pour assimiler et produire les éléments de la langue étrangère. Les apprenants taiwanais ayant été habitués à apprendre par cœur, les enseignants eux-mêmes ayant également appris le chinois avec cette technique, transfèrent-ils cette habitus d’apprentissage ? Quelle

place le par cœur occupe-t-il ? L’entretien 9 révèle que P9 est favorable au par cœur (E9, P9, L. 450-457) :

« 450 E : est-ce que toi tu penses qu’il faut leur faire apprendre par cœur les textes et les 451 dialogues du livre et des choses comme ça ?

452 P9 : moi je suis pour le par cœur bon d’abord pour le vocabulaire par exemple 453 E : oui ………oui 454 P9 : pour le dialogue aussi parce que ce sont des tournures des structures et puis je suis 455 aussi pour la comment dire la création personnelle c’est-à-dire ils ont toujours des 456 E : d’accord

457 P9 : dialogues à faire par eux-mêmes X des phrases ou etc »

Cet extrait suggère donc que P9 incite les apprenants à apprendre par cœur les

textes, les dialogues et le vocabulaire, afin de leur donner les bases leur permettant ensuite de créer eux-mêmes des dialogues. L’entretien de P4 abonde également dans ce sens (E4,

P4, L.152-160) :

« 152 P4 : Oui, c’est important ! Sinon il n’y a rien du tout dans la tête. Apprendre par 153 cœur sert à les familiariser avec la langue, les sons et donc, après, on peut 154 leur demander de recomposer les dialogues, d’inventer la suite du dialogue. 155 En plus, cela les aide à fixer la grammaire car les élèves n’ont plus de 156 conceptions grammaticales. Ils n’ont plus le recul sur la grammaire, par 157 exemple ils font des phrases sans verbe, etc… Je pense aussi qu’ils font trop 158 d’activités à l’ordinateur, ils ont trop de loisirs avec les jeux en réseau, les 159 blogs, etc, plutôt que de l’utiliser comme un outil de travail. Et je pense que 160 cela se répercute sur la mémoire et leur apprentissage. »

149

Cf. E. Martin, 2007, « L’éclectisme méthodologique dans l’enseignement/apprentissage du français en Chine : échanges conceptuels, représentations et pratiques de classe », pp. 35-59, in Fu Rong, Li Keyong, Pu Zhihong, Jean Jacques Richer et Claire Saillard (Cord.), Synergies Chine : Eclectisme en

Chine sa perception et ses pratiques, n°2, Cracovie.

150

Fu Rong, 2007, « L’éclectisme en milieu institutionnel chinois de français : une option spontanée et naturelle, obligée et obligatoire, mais risquée à certains égards », pp. 75-83, ibidem.

La position de P4 est très forte, elle pense que le par coeur assure de grands atouts à l’acquisition du français, servant à l’apprentissage du lexique, de la phonétique ou de la

grammaire. Cependant, contrairement à P1 qui pense que les outils informatiques et Internet peuvent être positifs dans l’apprentissage du français en tant qu’outils pédagogiques par exemple, P4 ne les considère pas sous cet angle et les juge plutôt comme des distractions perturbant leur apprentissage. Dans la section précédente, j’avais mis en exergue les propos

de P4 qui ne cachait pas que son expérience de professeur de chinois avant de devenir professeur de français avait encore des répercussions sur sa façon d’évaluer les

enregistrements des activités audio du manuel. P4 semble avoir une attitude réfractaire face aux outils ludiques que proposent les nouvelles technologies.

L’entretien 2 mérite une attention particulière car il fournit de précieuses informations.

A bon escient, il faut rappeler que P2 a enseigné en français majeur mais est actuellement professeur de français mineur. A propos de la mémorisation, j’ai demandé si selon elle, le

par cœur pouvait aider les apprenants à l’oral (E2, P2, L. 380-393) :

« 380 P2 : alors si euh__ je pense qu’il ne faut surtout pas utiliser les questions à trous parce

381 que je sais pas euh__ je sais pas si c’est une bonne méthode ou non euh___

382 mais le français euh__ le- les professeurs de français n’ont pas besoin

383 d’imiter les manières d’enseignement du chinois.

384 E : mm d’accord !.. donc toi qu’est-ce que tu utilises comme exercices ? tu leur fais faire 385 P2 : il faudrait trouver une autre

386 E : quoi comme exercices ? la composition ? c’est ça ?

387 P2 : si j’ai le temps je leur demande d’écrire euh___ peut-être au début euh__ je leur

388 demande d’écrire des phrases pour voir euh d’où- où est le problème..

389 E : mm ! mm !

390 P2 : mais euh sinon pour les euh pour les classes de débutants euh__ normalement ils

391 com- comme c’est seulement un cours optionnel je ne leur demande pas de mémoriser

392 beaucoup de choses euh__ je n- je leur demande seulement de pouvoir reconnaître le

393 sens des phrases.. »

D’après l’extrait suivant, ses exigences en matière de mémorisation paraissent

désormais moins importantes car elle souligne que ses étudiants étant des débutants le français est uniquement un cours optionnel pour eux. Elle ne demande donc pas à ces derniers de fournir un gros travail de mémorisation. Par contre, peu après elle déclare (E2, P2, L.428-448) :

429 si c’est euh.. le plus important c’est de d- d’apprendre la structure des phrases 430 E : m ?m ! donc apprendre par cœur est un moyen ?

431 P2 : oui !. oui mais ça dépend. par contre apprendre la conjugaison par cœur ça c’est

432 nécessaire !(rire)

433 E : d’accord… d’accord//

434 P2 : ça je n’ai pas fait attention !. selon ma propre expérience// 435 E : oui ?

436 P2 : j- je n’ai pas mémorisé des textes 437 E : d’accord

438 P2 : mais en chinois ! c’est///

439 E : donc quand toi tu étais étudiante ? tes professeurs ne te l’ont pas demandé ? 440 P2 : non non !

441 E : d’accord

442 P2 : on nous a fait des dictées 443 E : dictées ?

444 P2 : mais c’est pas la m- mémorisation ! on- on a- on nous a fait des dictées qu’on a déjà 445 appris..on a- on sait à peu près ce qui se passe ! on n’a pas besoin de tout mémoriser. 446 parce que des fois euh je euh__ je n’arrive pas à se rappeler euh__ la succession 447 des phrases mais ça. c’est pas important ! mais j’ai mémorisé la structure

448 des phrases surtout ! »

Le passage ci-dessus est remarquable car P2 tempère ces premières déclarations et indique qu’il est nécessaire d’apprendre par cœur la conjugaison, suggérant qu’elle l’impose aux étudiants en français mineur, mais que c’est inutile pour les textes. A partir de cette déclaration, elle fait un parallèle avec sa propre expérience d’apprentissage et se rappelle par ailleurs que ses professeurs de français à Wenzao n’exigeaient pas qu’elle apprenne des textes par cœur. Cependant, sachant sur quels textes les dictées allaient porter, P2 les révisait particulièrement au point de mémoriser la structure des phrases. Il est possible d’en

déduire que ce type d’apprentissage l’a fortement aidée, et cela rejoint l’opinion de P4 concernant l’utilité du par cœur pour fixer les structures syntaxiques. L’entretien 2 montre que la culture éducative a une influence chez l’apprenant mais aussi chez l’enseignant. Cet

extrait indique en effet, que P2 prend comme modèle la façon dont ses enseignants lui ont appris le français, suggèrant qu’elle est susceptible de reproduire certains schémas

didactiques.

Ensuite, en parlant de l’oral et notamment de la création de leurs dialogues qu’ils mémorisent, P2 prend également l’exemple du théâtre, très apprécié à Taiwan, qui fait partie

des activités parfois obligatoires, et où le par cœur joue le premier rôle (E2, P2, L.468-483) : « 468 P2 : il faut que les professeurs euh__ mettent du temps pour corriger ! mais les étudiants 469 mémorisent mais après ils oublient ! parce que pour eux. euh__ ce qui- ce qui est plus

471 E : d’accord//

472 P2 : c’est pour euh comme les pièces de théâtre !.. les étudiants peuvent mémoriser des

473 de longs morceaux. euh de monologues..

474 E : m ?m !

475 P2 : comme euh__. qui. dabizi qingxu 大 鼻 子 情 緒 euh__.. c’est une pièce qui décrit

476 quelqu’un qui a// ……… Cyrano ! oui !

477 E : Cyrano de Bergerac ?

478 P2 : tu sais que les monologues sont sont très longs ! les- les étudiants arrivent à 479 E : oui oui !

480 P2 : mémoriser ! mais ils lisent sans vraiment connaître le sens. 481 E : d’accord

482 P2 : ils n’apprennent rien av- avec ces mémorisations

483 E : disons qu’ils apprennent par cœur pour la forme mais pas pour le contenu ! »

Ainsi, la mémorisation de textes d’après P2 ne serait pas du tout un avantage pour une

acquisition profonde de certains éléments de la langue. Elle pense que les apprenants préparent les dialogues, les jeux de rôle ou les pièces de théâtre en vue du seul succès pratique de l’évaluation orale. Ces propos m’interpellent, me donnant l’impression que dans cette situation les apprenants n’ont pas compris les objectifs visés avec de telles activités. Je pense qu’il faudrait que les enseignants en les proposant, explicitent aux apprenants les objectifs et ce qu’ils pourront en bénéficier.

L’entretien 12 rejoint le précédent puisqu’il précise la nature de ce que les apprenants sont invités à apprendre par cœur (E12, P12, L.128-132) :

« 128 P12 : Je pense que les élèves doivent connaître et pratiquer les dialogues mais pas les 129 apprendre par cœur. C’est la même chose pour les poésies et les textes du 130 manuel. Quand ils sont en première et deuxième années, je leur demande 131 d’apprendre par cœur les mots, le vocabulaire, la conjugaison et aussi des

132 phrases de la vie quotidienne. »

Les textes, poésies ou dialogues doivent être étudiés, compris, maîtrisés mais pas appris par cœur. En revanche, d’après P12, le lexique, la conjugaison ainsi que des phrases types, estimées comme usuelles, sont à apprendre par cœur.

Bien entendu, d’autres enseignants n’ont pas la même opinion, ainsi P11 répond

négativement à ma question (E11, P11, L.141-145) :

« 141 E : A propos de la mémorisation, pensez-vous qu’il est important de faire 142 apprendre par cœur les dialogues, les poésies ou les textes du

143 manuel ?

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