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Chapitre 2 : Le point de vue des élèves

3. De la conscience disciplinaire

Le troisième ensemble de recherche est centré sur la « conscience disciplinaire. _ Clarté cognitive et attentes disciplinaires

Fijalkow (1993), à partir des travaux de Downing (1990), a proposé le concept de « clarté cognitive », lié aux activités d’écriture. Il soutient l’idée que l’entrée dans l’écrit doit se faire par l’interaction entre lecture et écriture en raison du problème « métalinguistique » qu’a à résoudre l’enfant. Il mentionne que pour l’enfant « confronté à un objet, la langue écrite, dont il ne

comprend ni les fonctions ni les structures, le problème métalinguistique majeur qu’il a à résoudre pour s’approprier l’objet est d’en comprendre les caractéristiques » (Fijalkow,

2003 : 3). Il propose d’introduire d’emblée des activités d’écriture afin de faciliter la compréhension de ce qu’est l’écrit. Ainsi l’enfant, produisant lui-même des écrits, a la possibilité, sur un plan général, de prendre « conscience » de la nature langagière de l’écrit : il s’aperçoit qu’écrire consiste d’abord à coder d’une autre façon ce que l’on dit et que, par conséquent, l’écrit est d’abord le produit d’une telle action. Cette méthode permettra aux apprenants, selon cet auteur, de réfléchir sur l’écrit, saisir ses buts et ses fonctions.

Brossard (1998), en collaboration avec Fijalkow, et en continuité de ces travaux, c’est-à-dire dans une perspective métacognitive, a développé le concept de clarté cognitive en didactique du Français, en le mettant en relation avec les attentes disciplinaires. Il considère que seuls les élèves qui ont une « clarté cognitive » quant aux attentes disciplinaires, réussissent. Les résultats de son enquête au cours préparatoire sur l’entrée dans l’écrit lui ont en effet permis de constater que seuls quelques élèves repèrent l’objectif d’apprentissage, que la majorité en reste à la « surface » et que plusieurs ne perçoivent aucun des enjeux cognitifs de la tâche. Il soutient que la discipline ne peut être appréhendée que si elle est considérée, au-delà de son aspect formel, comme un groupement de pratiques langagière et scripturale, d’outils, de supports, de savoirs et savoir-faire dans un milieu scolaire qui constituent la structure même de la discipline et participent de la clarté cognitive.

_ Conscience disciplinaire facteur de réussite scolaire

Reuter (2003), entreprend un travail de recherche en partant de l’hypothèse de Brossard : c’est-à-dire que les élèves ayant une conception claire de la discipline réussissent mieux que ceux qui ont en une conception « floue ». Il formalise alors la notion de « conscience disciplinaire ». Une

enquête est menée à l’école primaire, en saisissant « l’univers de l’écrit » : c’est-à-dire l’ensemble des écrits mis à disposition des élèves et des activités écrites pratiquées en classe, pour rendre compte des obstacles et des difficultés des élèves devant les apprentissages langagiers et particulièrement l’écrit (Giguère & Reuter, 2003). Elle conforte l’idée que les élèves qui ont conscience des enjeux et des spécificités de la discipline réussissent mieux que les autres. Les difficultés ou les facilités des élèves dans les apprentissages dépendraient de leur capacité à « indexer » les activités, à saisir leurs finalités et donc les attentes disciplinaires. Il formalise ainsi l’idée de « conscience disciplinaire » (Reuter, 2003).

Dans ce travail, Reuter s’interroge sur la définition même de « discipline scolaire ». Sa conception s’appuie sur celle proposée par Chervel (1988 : 40) pour rappel : les disciplines sont constituées « par un assortiment à proportions variables suivant les cas d’un enseignement

d’exposition, des exercices, des pratiques d’incitation et de motivation et un appareil docimologique ». Mais Reuter nuance cette approche par la prise en compte de ce qu’il appelle

les « effets » de la discipline, tels que l’évaluation des performances disciplinaires, l’image de la discipline par les apprenants, l’orientation…

Ces recherches, dont les enjeux initiaux s’inscrivent dans une préoccupation de réussite scolaire, sont proches des problématiques des années quatre-vingt en Amérique du nord autour du thème « l’écrire pour apprendre » (« writing across the curriculum »). En effet, plusieurs chercheurs se sont intéressés à ce qu’ils appellent le « genre » d’écriture disciplinaire afin de comprendre les difficultés des étudiants à satisfaire les attentes des enseignants dans leurs disciplines respectives (Miller, 1994 ; Klein, 1990 ; Bazerman, 1986 ; Mac Donald, 1994 ; McCarthy, 1987 ; Walvoor et Mccarthy, 1990 ) ; Russell et Donahue (2004) proposent une synthèse de ces travaux.

Cette préoccupation de réussite scolaire est également celle de Bautier (2003), travaillant sur le rapport au savoir et le rapport au langage, parlé et écrit. Elle souligne que les élèves qui sont en difficulté scolaire, particulièrement en écriture, ne perçoivent pas les « attentes » disciplinaires. Ces attentes n’étant pas prises en compte par les enseignants, comme objet d’une action éducative, les élèves adoptent plutôt une posture identitaire qui est un obstacle à « l a

construction d’un point de vue « exotopique »10, point de vue distancé, « extérieur », que doit adopter l’élève quand il écrit, quand il s’agit d’analyser, de commenter un texte, d’en construire une lecture scolaire… » (Bautier, 2003, ¶ 14).

_ Genèse du terme « conscience disciplinaire »

Le concept de conscience disciplinaire est composé de deux termes : « conscience 11 » et « discipline ». Il traduit un état métacognitif de l’élève, dans sa perception de la discipline et surtout de ce que l’on attend de lui. En effet, le champ sémantique du terme de conscience est particulièrement dense en français. Il est défini dans le grand dictionnaire de la langue française comme « la faculté qu’a l’homme de connaître sa propre réalité et de la juger », ce qui signifie deux dimensions : l’activité métacognitive et le jugement éventuellement d’ordre moral. Cette signification semble proche de celle voulue par l’auteur, c’est-à-dire une organisation du psychisme du sujet qui lui permet d’avoir connaissance de ses états, de ses actes et de leur valeur morale. Mais il convient de préciser que dans le champ du français, ce terme « conscience » renvoie aussi à son usage dans la littérature pédagogico-didactique, notamment le syntaxe « Conscience phonologique », défini par Gombert (1992) comme la capacité à identifier les composants phonologiques des unités linguistiques et de les manipuler de façon opérationnelle. La conscience disciplinaire peut être également la marque de conflits ; c’est-à-dire des échecs vécus par les élèves qui provoquent, s’ils sont perçus positivement, des efforts d’indexation des contenus et d’adaptation selon des attentes disciplinaire. Cette conscience est distincte des accumulations d’expériences puisque ce sont des défauts qui permettent de nouvelles orientations des élèves.

_ Extension du concept « conscience disciplinaire » hors des didactiques du français Les orientations de Reuter sont très voisines de celles de Lebeaume et al. (2000b) qui s’intéressent au repérage par les élèves des enseignements à l’école primaire et plus particulièrement inscrites dans l’éducation scientifique et technologique. Cet enseignement peut se décrire comme un ensemble hétérogène de moments scolaires proposés aux élèves : tâches prescrites, organisées et éventuellement « étiquetées ». Ces moments scolaires peuvent être repérés par les élèves selon des critères qui assurent leur identification, leur caractérisation et leur catégorisation en matières scolaires.

Certains critères dépendent uniquement des élèves en tant que sujets, ce sont des critères subjectifs. D’autres constituent des indices que chaque élève repère pour construire sa

11 Dans un tout autre champs, celui des sciences cognitives11, le concept de « conscience » du sujet est actuellement un thème d’étude privilégié. Plusieurs chercheurs, de disciplines différentes ayant trait à la cognition, examinent ce concept, notamment les neurosciences, la psychologie et la philosophie de l’esprit (Pachoud & Zalla ; Vermersch, 2002). Intellectica, 2000/2, 31

représentation de la matière scolaire et pour la distinguer d’autres matières. Ce sont des critères objectifs. Ces indexations jouent un rôle dans l’investissement des élèves dans les apprentissages. En effet, certains élèves ont du mal à se situer en tant que sujet des tâches prescrites, tâches qui sont alors essentiellement des moments scolaires sans grand investissement cognitif. Pour d’autres, ce sont simplement des temps différenciés par le décor, par le maître, par les objets-accessoires, par les actions effectuées, mais là encore sans identification véritable des enjeux d’apprentissage. Pour quelques-uns en revanche, ce sont des moments au cours desquels ils construisent des connaissances, en particulier grâce à leur activité métacognitive, ce qui les place dans une posture propice à leur réussite. Pour Lebeaume, les moments scolaires sont en ce sens des temps d’élaboration progressive de la matrice épistémique des disciplines scolaires. Ils en identifient ainsi les visées et caractérisent la nature des tâches et leurs relations aux ressources des autres disciplines. À quelques exceptions près, ces élèves sont présentés par les maîtres comme des élèves d’un bon niveau scolaire. Ainsi certains élèves « indexent » les moments scolaires selon les enseignements visés alors que d’autres ne perçoivent pas les enjeux de l’apprentissage inclus dans les activités.