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Comparaisons des élaborations

Chapitre 3 : Élaborations progressives des ÉlÈves

1. Comparaisons des élaborations

Rappelons-le, notre projet s’inscrit dans une perspective d’analyse curriculaire. De ce fait, il examine l’opérationnalité de certains éléments du curriculum prescrit et cherche à rendre compte de l’impact des choix et des décisions pris à la fois au cours de son élaboration et dans sa mise en œuvre.

C’est en terme de rapport au curriculum prescrit et plus exactement aux enjeux éducatifs au quels il répond, que nous devons situer ces élaborations d’élèves. Autrement dit, est-ce le curriculum vécu, et qui dépend du curriculum mis en œuvre, a permis des élaborations contenant des éléments en correspondance avec les enjeux éducatifs ? ou au contraire la diversité des tâches et les contrastes dans les visées tout au long du parcours ont-ils été un obstacle, un masque à l’élaboration d’éléments de correspondance avec le prescrit ?

Nous avons saisi les concepts de « traits de structure » et de « traits de surface », afin de catégoriser les d’élaborations d’élèves. Or, l’usage de ces concepts constitue ici une extension qui nécessite discussion.

1.1. Traits de structure/de surface dans les élaborations

Les notions de « trait de structure « et « trait de surface « sont empruntés à des recherches en psychologie cognitive (Kotovsky, Haye & Simon, 1985 ; Costermans, 1998). Des chercheurs, dans ce champ, mais dont les problématiques portent sur les apprentissages, ont mis en évidence les notions de traits de surface et traits de structure pour rendre compte, dans des situation-problèmes, de la difficulté des élèves à réaliser le transfert de connaissances d’une situation à l’autre (Mendelsohn, 1990 ; Rey, 1996). Ces recherches ont permis de constater que, lors des résolutions de problème, les élèves convoquent soit des connaissances en mémoire, soit des processus de résolution, en appariant la situation à traiter avec une situation précédemment rencontrée et qui leur semble similaire.

En didactique des sciences, Astolfi (1997) souligne que pour comprendre les difficultés d’apprentissage, il faut en effet distinguer entre les traits de structure, qui correspondent aux opérations logiques requises par le problème, et ses traits de surface, ceux qu’on appelle volontiers son « habillage «. Or, la saillance des traits de surface divergents masque souvent aux élèves la structure commune.

Dans une autre perspective (celle d’examen des raisons de l’échec scolaire), Bautier et Rochex (2004), indiquent que la diversité des tâches proposées par l’enseignant, par l’introduction de thématiques nouvelles ou attractives dans le but de susciter l’intérêt des élèves, pourrait devenir un obstacle et mettre les élèves en difficulté. En effet, les élèves se trouvant devant des tâches nouvelles et attractives perdent de vue la finalité et les enjeux de la tâche et se fixent sur les traits de surface. La difficulté pour les élèves est, donc, « de pouvoir identifier et traiter les traits de

structure des tâches au delà de leurs traits de surface les plus apparents, les plus nouveaux ou les plus attractifs « (Bautier & Rochex, 2004, p.199).

Dans une recherche, plus proche de notre préoccupation, Magneron et Lebeaume (2002) ont utilisé ces concepts pour distinguer les postures d’élèves, à partir des propos évoqués, des thèmes abordés en IDD, ou/et des connaissances incluses. En fonction des réponses, ils distinguent des structurations de niveaux différents, les unes de surface, les autres, plus profondes, marquées par des liens, des articulations, établis entre les « connaissances « travaillées dans le cadre de l’IDD et/ou travaillées dans le cadre disciplinaire.

Dans la plupart des problématiques citées supra, il s’agit de catégorisation par rapport à des attentes explicites, telles que des solutions à des problèmes circonscrits ou des performances, constatées par des écarts explicités pour l’élève ou l’apprenant.

Les contextes de ces études se situent à l’échelle d’une tâche ou un d’ensemble réduit d’activités ou de tâches : de résolutions d’un problème, transfert de connaissances dans une situation d’apprentissage… Nous remarquons également que dans la plupart des cas ce sont des connaissances ou des savoirs identifiés qui sont en jeu.

Dans notre cas, il s’agit d’une analyse qui se situe à l’échelle d’une discipline. Les attentes ne sont pas de l’ordre de savoirs explicites pour l’élève mais ce sont des cohérences d’ensembles, qui dépassent la somme d’activités réalisées ou vécues, avec leurs variétés de tâches et leurs performances associées. Ces attentes sont pensées par le concepteur, et ne sont pas explicités à l’élève ni en amont ni en aval de son parcours scolaire.

La question ne se pose pas en terme de réussite ou d’échec ou de difficultés pour les élèves ; c’est en terme de correspondance ou différences avec le prescrit que nous situons les élaborations des élèves. Ce sont, en fait, des indicateurs des effets du curriculum prescrit à travers sa mise en œuvre et sa réalité vécue par les élèves. La question est davantage centrée sur l’opérationnalité du curriculum, c’est-à-dire, est-ce que le curriculum élaboré dans le prescrit, dans certaines conditions49 de réalisations, peut être opérationnel ? Autrement dit, est-ce que dans ces conditions les élèves repèrent des enjeux du curriculum prescrit ?

Nous allons donc étendre et utiliser les notions de traits de structure et de traits de surface dans notre étude pour caractériser ces correspondances et ces différences. Les références aux activités vécues et leurs significations données par les élèves sont des entrées pour cette catégorisation :

_ les références peuvent être en lien avec des pratiques d’entreprises, ou avec des

pratiques domestiques, ou bien elles sont, à l’instar d’autres disciplines, des activités seulement scolaires ;

_ les significations données aux activités qu’ils mènent peuvent être en correspondance

avec les enjeux éducatifs du curriculum de Technologie ou avec des enjeux instructifs plus ponctuels (acquisition de savoir-faire ou de connaissance) ou orientées vers des aspects exclusivement affectifs.

A partir de ces critères nous distinguons trois catégories qui sont explicitées ci dessous.

1.1.1. Trait de structure

Nous dirons qu’il s’agit de « traits de structure » quand l’élève, au fil des moments de Technologie, construit des éléments épistémiques traduisant des liens entre les tâches qu’il effectue, ou qu’il voit s’effectuer, et des pratiques d’entreprises industrielles ou de services. Les significations éducatives qu’il construit, dans ce cas, sont en correspondance avec les enjeux éducatifs du curriculum. Ces deux conditions sont nécessaires pour affirmer la présence de trait de structure dans les élaborations d’élèves.

En effet, les activités proposées aux élèves sont structurées par des démarches de réalisation de projets techniques. Ces projets comportent un ensemble d’actions à mener collectivement, dans un souci d’efficacité dans leur réalisation. Ces actions ont des références à des pratiques d’entreprise. Comme nous l’avons souligné, cette rationalité est caractéristique de la technicité (Combarnous, 1984).

Ainsi les constructions d’élèves comportent des traits de structure, lorsque l’élève repère et saisit les enjeux éducatifs du curriculum : les significations données à la tâche dépassent son cadre d’exécution comme finalité en soi pour s’orienter vers une compréhension de la complexité pratique du monde du travail. Cette signification est en correspondance avec des missions fondatrices de curriculum (Martinand, 2003), particulièrement la compréhension du monde technicisé et la mission d’appui à l’orientation par la référence au monde du travail tel qu’il est aujourd’hui. Les propos suivants, extraits de l’entretien de l’élève RSTET du groupe témoin réalisé à la fin du premier trimestre de 3e, illustrent ce processus :

RSTET-12 : Bah… je ne sais pas, c’est comme si c’était dans une entreprise, on est dans une entreprise, là on travaille pour monter les objets. On essaie de reproduire ça avec ceux qui

travaillent : les ouvriers, les magasiniers qui commandaient et regardaient les stocks ; pour moi, ça c’est ce qu’on fait à peu près dans une entreprise où on monte les objets ; et donc j’ai dit mini entreprise parce qu’on est plus petit on a essayé de reproduire ce schéma là donc c’est pour ça que je parle de mini entreprise…

Un deuxième extrait d’un entretien d’élève du groupe principal, réalisé en 4e, illustre bien ce lien avec l’orientation scolaire

RCEL2-76 : Non ! si quelqu’un veut faire quelque chose dans la vente et tout ça… En techno… On est bien… On apprend pleins de choses là-dessus… Si quelqu’un veut faire quelque chose, veut faire un métier, on est renseigné…

D’autres dimensions, présentes également dans ce type de constructions, renvoient à la nécessité de l’organisation sociale et technique du travail et à la planification des actions pour répondre aux besoins de l’homme. En effet, certains élèves, au terme de leur parcours, se rendent compte qu’un objet technique usuel est le produit de toute une organisation sociale et technique. L’extrait suivant, de l’entretien de l’élève RPERT du groupe témoin, vient illustrer ce propos :

RPERT-26 : Bah, il y avait le magasinier, il y avait les personnes qui assemblent donc les éléments ensemble. Il y avait les personnes. On avait vraiment joué le rôle de l'entreprise où chacun avait un rôle comme il y a des rôles de patron, des rôles de secrétaire, des trucs comme ça. On avait un rôle qui nous permettait de construire la lampe.

Chercheur : Mais pourquoi ?

RPERT-27 : Bah je pense pour nous rendre compte dans la vie comment ça se passe aussi Chercheur : que veux tu dire par la vie ?

RPERT-28 : Quand on travaille dans une usine, pas forcément dans une usine, mais pour ce rendre compte que le rôle du métier, par rapport même quand on va acheter une télé par exemple dans supermarché. Derrière il y a des gens qui ont travaillé dessus. Tels gens ont tels rôles, euh, par rapport à l'objet.

1.1.2. Trait de surface

À l’inverse, nous dirons que l’élève construit des traits de surface lorsqu’il ne restitue que ce qui correspond à la forme d’apprentissage habituelle ou coutumière. Pour un tel élève, les tâches proposées dans le cadre de la Technologie, renvoient uniquement à des savoirs et des savoir-faire, telles que des opérations techniques à maîtriser, ou à des savoirs notionnels ou instrumentaux leur permettant de réaliser les objets techniques, ou encore au service d’autres disciplines. L’aspect « bricolage », mais également la « liberté » laissée aux élèves, masquent également l’intention éducative qui sous-tend l’ensemble des activités proposées et les organisations induites. C’est uniquement l’épanouissement personnel et affectif de l’élève qui justifie pour lui l’ensemble des activités.

Les liens avec des références industrielles ou de service sont absents ; parfois apparaissent des liens avec des activités domestiques.

1.1.3. Trait de composition

Nous avons, en fait, distingué une catégorie intermédiaire entre trait de structure et trait de surface. Le mot « composition » est pris ici dans le sens « construction » : il s’agit d’une construction de bric et de broc, ou construction partielle.

L’élève ainsi catégorisé décrit l’ensemble des activités vécues sans identifier de références à des pratiques d’entreprise. Toutefois, des éléments de rationalité pragmatique peuvent être repérés dans ces propos et d’autres références telles que les références domestiques ou familiales sont énoncées.

Les significations éducatives envisagées renvoient au monde du travail dans un sens large, celui des adultes. Il s’agit d’une préparation à la vie active dans un avenir « lointain ».