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Dans ce chapitre nous nous sommes concentrée sur l’étude du jardin en tant qu’association en l’inscrivant dans les réflexions sur le monde associatif et les formes de l’engagement. Ainsi, les jardins partagés comme d’autres espaces sont traversés par les questionnements qui traversent les pratiques, les organisations et les identités militantes. Les jardins partagés sont pour certains un premier pas dans le monde associatif et de l’engagement pour d’autres une manière « d’inventer de nouvelles formes d’action et de nouvelles utopies comme en atteste le succès de la thématique altermondialiste » (Sawicki et Siméant 2009 : 18). Les jardins partagés sont également lieu de l’affirmation d’un engagement par le « faire » en opposition à la politique représentative (Ibid. : 23). Cette dimension s’exprime au sein des jardins partagés en lien avec les questions écologiques et environnementales, où une mobilisation du registre de l’action contre le registre de l’idéologie se déploie pour implémenter des modèles de société. En effet, de nombreux auteurs ont identifié le passage de simples consommateurs à producteurs que produisent les jardins partagés en donnant la possibilité aux jardiniers de cultiver leur propre nourriture (Barron 2016).

Chapitre 3 - De l’environnementalisme ordinaire à la remise

en question du modèle de production agricole

Dans le présent chapitre, à partir des entretiens, des observations et des questionnaires, nous mettons en lumière les formes d’engagement particulières que nous pouvons observer au sein des jardins partagés. Les pratiques et les représentations des jardiniers offrent une vision complexe des dynamiques à l’œuvre alliant les questions de participation citoyenne et les enjeux environnementaux. Notre travail interroge l’engagement et la politisation au sein d’initiatives citoyennes. Après avoir analysé ces éléments par l’entrée « associative » nous nous focalisons sur l’entrée « environnementale » pour éclairer les formes particulières de l’engagement que nous observons au sein de ces jardins.

Précédemment, nous avons établi que les jardins partagés sont le lieu d’une politisation ordinaire à travers l’engagement associatif. « Parler d’ordinaire permet ainsi de mettre en lumière les compétences que tout un chacun tire de ses expériences quotidiennes » (Carrel 2017a : 25).

Au sein de ces jardins, nous observons des habitants urbains qui expriment un « besoin d’établir de nouveaux rapports avec la nature dans les espaces publics, une véritable demande de savoirs sur la nature et un désir de pratiques concrètes » (Auricoste 2003 : 30). Les pratiques et les représentations sont ici analysées à l’aune de l’environnementalisme ordinaire défini ainsi par Blanc et Paddeu : « il se déploie au sein de groupes d’individus qui se sentent concernés par des questions environnementales qui touchent à leur territoire, incluant le vivant humain et non humain, et qui s’investissent de manière collective (au travers de formes variées), significative (en termes de temps et de prise de responsabilités) et régulière (structuration de leur quotidien autour de cet engagement). Définir les contours de cet environnementalisme ordinaire nous permet de rendre compte, d’une part, des reconfigurations des formes d’engagement environnemental collectif et, d’autre part, des transformations à bas bruit qu’elles engendrent dans les espaces publics des métropoles occidentales » (Blanc et Paddeu 2018). À travers l’étude des pratiques et représentations des jardiniers, nous interrogeons le rapport à la nature en ville ainsi que le rapport à la question environnementale, comme prise de conscience des enjeux écologiques. En effet, l’action quotidienne, « concrète » entraîne une montée en généralité rendant plus sensibles les membres des jardins partagés à la question politique de l’environnement.

Nous situons notre réflexion entre le quiet activism (Pottinger 2016) ou encore la « politisation du moindre geste » (Pruvost 2015) et les questionnements sur la « citoyenneté ordinaire » (Carrel et Neveu 2015) qui se penchent sur l’engagement et la participation ordinaires dans des domaines variés

et la littérature qui l’associe aux enjeux écologiques comme l’environnementalisme ordinaire (Blanc et Paddeu 2018).

Ce chapitre est composé de trois sections, dans la première nous exposons les cultures politiques (Lichterman et Cefaï 2006) et les imaginaires sociaux dans lesquels s’inscrivent ces pratiques quotidiennes. Dans une deuxième section, nous explorons le lien entre la culture de la terre et la culture de soi (Zask 2016) que nous observons ici à travers les motivations, les pratiques mises en œuvre et la réciprocité nourrie avec les imaginaires décrits dans la première section de ce chapitre. Cette section est également l’occasion d’illustrer la multifonctionnalité des jardins partagés et comment autour de la fonction alimentaire, des rapports sociaux se structurent qui déploient des valeurs de partage, d’échange, et sensibilise les membres à la production agricole. Enfin, la dernière section est plus particulièrement consacrée aux rapports entre production et consommation qui émergent au sein de ces jardins. Nous observons comment l’engagement dans un environnement proche permet de s’intéresser aux questions de l’environnement global. Ce rapprochement entre enjeux liés à la production et enjeux liés à la consommation apparaît comme une critique du modèle de production alimentaire à l’œuvre, et fait donc émerger une question politique, puisqu’elle questionne l’organisation des modes de production.

1. Des pratiques reliées à des cultures politiques ?

Dans les jardins étudiés que ce soit à Rome ou à Strasbourg, la pratique du jardinage s’inscrit dans des imaginaires sociaux et politiques. Que cela soit revendiqué ou non, la sensibilité aux questions environnementales émerge du discours des acteurs. Les cultures politiques observées dans les associations étudiées sont en lien avec les pratiques ordinaires. Le terme « culture politique » est entendu ici comme « l’ensemble de symboles, significations ou styles d’action qui organisent la construction de causes politiques et la formation des opinions, des individus et des collectivités. (…) La culture est donc ce qui permet et contraint ce que les gens peuvent dire et faire » (Lichterman et Cefaï 2006 : 392). Nous faisons dialoguer ces cultures politiques avec les pratiques observées et les expériences relatées pour comprendre comment celles-ci s’influencent réciproquement.

Afin d’introduire cette notion, nous nous appuyons sur le cas concret de l’approche permaculturelle proposée dans le jardin strasbourgeois. Les membres du jardin se l’approprient de manière diversifiée, mais se positionnent tous par rapport à cette dimension. À Rome, la culture politique est moins uniforme, notamment parce que les membres de l’association sont plus nombreux et les imaginaires sociaux ne sont pas les mêmes pour l’ensemble des jardiniers. Comme nous l’avons exposé dans le chapitre 2, les leaders collaboratifs sont porteurs d’un certain type de culture politique ; ancrée dans la gauche extra parlementaire notamment. Ils sont minoritaires en nombre à posséder une telle expérience bien qu’ils impulsent et donnent une orientation particulière à l’association. Il existe ainsi une tension entre deux visions principales qui opposent volonté d’ouverture sur le territoire et « simple » envie de jardiner. Le « respect » de l’environnement cependant, unifie les pratiques des jardiniers au quotidien.