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La dernière grande catégorie de jardiniers est celle des « dilettantes » qui consacrent moins de temps au jardinage ou à la participation à la vie associative que les autres types et ne fournissent pas d’investissement régulier et constant. Nous distinguons, comme pour la catégorie précédente, des variations parmi ces profils : certains conçoivent leur participation au jardin comme une activité occasionnelle de loisirs, alors que d’autres limitent leur engagement associatif à certains moments de leurs carrières de jardiniers à cause de ruptures biographiques sur le plan personnel (mariage, enfants) ou professionnel (changement d’activité, retraite, chômage).

Parmi les personnes qui participent plus ponctuellement, nous nous focaliserons sur le profil de Mélanie à Strasbourg et celui de Gabriele à Rome. Mélanie fait partie du groupe de jardiniers avec lequel j’ai participé plus régulièrement. Je l’ai rencontrée au jardin certains week-ends et parfois en semaine. Elle est étudiante en médecine et n’a donc pas beaucoup de temps à consacrer au jardin. Travaillant souvent les week-ends, elle ne peut pas participer à l’essentiel des travaux communs du jardin, mais prend ponctuellement part à l’activité d’un sous-groupe dans lequel elle s’est insérée. Elle

est aussi présente lors de certains moments conviviaux en dehors du jardin. Elle expose ainsi ses motivations :

« Moi ça me relaxe de venir ici, d’un côté j’aime bien venir quand il y a personne, mais bon je sais que c’est pas le but d’une association, mais… après mes horaires font que voilà souvent je peux venir en semaine et pas le week-end et du coup ça me relaxe vachement. Et après j’ai quand même rencontré des personnes sympas. Et puis sinon bah ça montre aussi que tu peux faire une agriculture durable. Alors certes tu peux pas tout avoir je pense que tu peux avoir toutes les variétés que tu veux sur le marché ailleurs, mais je trouve d’autres choses et ouais t’arrives à avoir des choses sans arroser en mettant zero pesticide et tout, ça j’y croyais à fond… » (Mélanie, 12 juin 2018, Strasbourg)

La dimension de loisirs est la première mise en avant, c’est le plaisir d’aller au jardin, la déconnexion et le contraste avec son activité professionnelle qui la motive à venir. Elle a rencontré des personnes avec qui elle développe une relation cordiale, mais cette dimension ne semble pas primordiale dans son discours. L’évocation du type d’agriculture révèle l’intérêt qu’elle porte au jardinage et sa dimension écologique. Mais comme elle l’explique à d’autres moments d’échanges informels, ce n’est pas le besoin d’être productif, mais le plaisir de venir au jardin qui est sa première motivation. Bien que sa fréquentation du jardin soit occasionnelle, elle a intégré des représentations partagées qui émergent dans son discours mettant en avant une certaine conception de ce qu’est être « un bon citoyen » (Lichterman et Cefaï 2006 : 399) dans notre cas un « bon jardinier ».

À Rome, Gabriele est informaticien et a deux enfants, il vient plutôt le week-end pour leur faire découvrir le potager :

« Je fais le potager avec un ami qui a découvert cet endroit il y a quelques années (…) il m’a montré le potager, il me l’a fait connaître. Ça m’a beaucoup plu, en particulier pour les enfants… parce qu’il y a beaucoup d’activités organisées…

J’ai deux enfants, et j’aime bien les amener pour les activités extra-jardin qu’ils font ici et pour la partie didactique qu’ils ont ici… et le potager je leur montre, on regarde ensemble. Moi non plus je ne l’avais jamais fait… » (Gabriele, 12 juillet 2017, Rome)

La façon dont il évoque l’association révèle qu’il ne se considère pas comme un membre actif, mais plutôt comme un usager, considérant le jardin comme un espace de sociabilité et d’activité familiale pour lui et ses enfants. En effet, il parle de l’association à la troisième personne du pluriel, faisant référence au comité directif et aux personnes qui impulsent les décisions au sein de l’association. Dans l’extrait ci-dessus il se réfère aux activités proposées par l’association « Io sono »128, association très active au sein du jardin.

128C’est une association de promotion sociale et de développement éducatif, à destination de l’individu et de la communauté, active sur tout le territoire national. Le but est de soutenir l’individu à travers la connaissance de

Ensuite, nous avons évoqué le fait qu’une partie des jardiniers occasionnels ne modèrent pas leur investissement par choix, mais parce que leur emploi du temps ne le leur permet pas. Certains cas mettent en lumière la tension entre travail salarié et participation au jardin. En miroir, cette tendance est confirmée par la fréquentation plus active du jardin par les retraités à Rome et par des personnes en situation de chômage à Strasbourg.

« L’année dernière j’ai eu ma période de 30 mois de chômage où là j’y étais 15 h par semaine. Et puis maintenant c’est plutôt 6 entre 3 et 6 (heures) grand max. Mais bon c’est pas évident et depuis que j’ai commencé mon nouveau boulot à l’Eurométropole aussi il y a pas mal de soirs où je suis complètement à plat et j’ai plus d’énergie. Je suis venu plusieurs fois, mais je déambule un petit peu comme ça dans les allées et du coup j’arrive même pas à être efficace. » (Benoit, 6 juin 2018, Strasbourg)

Les degrés d’implication des jardiniers sont variés et variables, comme l’illustre le témoignage de Nicolas qui déclare parfois être motivé et d’autres fois se rendre au jardin par obligation. Cet élément met en évidence le fait que la fréquentation du jardin représente pour certains jardiniers une activité qui s’apparente parfois à du travail et ne peut être considérée comme un simple loisir.

« Parce que ça a des contraintes, les contraintes après on peut dire c’est des contraintes, c’est quelque chose de enfin ça dépend quel point de vue on a, ça peut être 5 h par semaine, 5 h par semaine si on travaille beaucoup, si en plus c’est pas forcément près du lieu d’habitation. Ça demande un quart d’heure/20 minutes pour y aller donc 40 minutes A/R, le temps de reprendre ses esprits parce qu’il fait chaud l’été (rires). Donc après arrivé dans une serre où il fait 50 degrés. Donc ouais des fois, j’ai pas trop envie d’y aller maintenant, après c’est des, ça peut être des contraintes, et des fois j’y vais parce que j’ai envie d’y aller et des fois j’y vais parce qu’il faut y aller sinon c’est beaucoup de travail, c’est beaucoup d’initiatives perdues, si j’y retourne pas régulièrement voilà. » (Nicolas, 8 août 2018, Strasbourg)

En effet, la particularité du jardinage est l’investissement constant exigé par l’entretien des plantes. Si la pratique est trop irrégulière, le jardin devient « autonome » et le jardinier perd alors le contrôle de sa « production ». Ainsi, le jardin demande une présence régulière, requise par le cycle de vie des plantes.

Cet élément s’ajoute au contrôle par les pairs de la présence et de l’activité au jardin que nous développons dans la section suivante. D’après le témoignage d’Ivana, les personnes qui ne participent pas régulièrement, ont conscience de la disqualification de leur conduite et du risque de mise à l’écart par les membres plus actifs du groupe :

soi, l’éducation dans la nature, l’exploration des émotions, le partage, l’analyse des dynamiques relationnelles (familiales et sociales), pour créer une communauté éducative ouverte, autonome, attentive aux besoins de la personne, privée de préjugés et de jugements, active et éthique. Extrait du site : http://www.associazioneiosono.it/chi-siamo/

« Maintenant je suis plus en fuite dans les travaux communs parce que je suis temporairement loin, dans l’attente de retourner je dois aider mes collègues du potager sinon ils me chassent… j’optimise les déplacements avec la voiture, quand je viens j’essaie de rester au potager (sa parcelle) et je ne vais pas au jardin pédagogique… j’ai dû faire des choix, ça ne va pas pour l’association, mais bon… ils m’ont vu un peu disparaître du jardin pédagogique… » (Ivana, 5 juillet 2017, Rome)

De cet extrait émerge la même observation que chez Mélanie qui évoque la représentation de ce qu’est être un « bon membre de l’association ». La participation aux travaux communs est un élément qui semble acquis pour l’ensemble des membres.