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La construction du terrain ne suit pas un processus linéaire, mais constitue un cheminement complexe, inachevé qu’il faut travailler pour la rendre intelligible (Steck 2012). Je tâche de restituer le terrain tel que je l’ai délimité dans ce travail — que ce soit pour des raisons pratiques ou scientifiques — puisque celui-ci est « vecteur de la transmission de notre expérience, de nos analyses, de notre recherche » (Ibid. : 3).

Le travail d’observation s’est effectué dans les jardins à différents moments de la semaine, lors de journées « ordinaires » ou encore lors d’événements ou d’ateliers organisés. Les observations ont également eu lieu lors des moments de réunions, assemblées au sein des jardins, dans les réunions avec les municipalités, lors des réunions des différents réseaux constitués.

Initialement, j’ai identifié quatre terrains : Rome, Strasbourg, Paris et Bologne pour observer des expériences qui s’insèrent dans des pays différents, mais aussi dans des villes de taille différentes avec des historiques différenciés. J’ai effectivement réalisé un terrain exploratoire à Bologne où j’ai réalisé des entretiens et des visites de sites qui m’a notamment permis de resserrer mon objet puisque les jardins urbains découverts ne correspondaient pas à la démarche recherchée (impulsée par des habitants). En outre, la richesse et la particularité de chaque ville aurait nécessité un temps plus long pour réaliser une riche ethnographie. Pour ces raisons, j’ai décidé de focaliser mon attention sur deux

villes : Rome, terrain sur lequel j’avais déjà des données et Strasbourg, où la question des jardins partagés a été étudiée récemment par Muramatsu (2018), mais qui ne possédait au moment de la rédaction du projet de thèse de vaste littérature sur le sujet. Les deux autres cas ont été finalement délaissés : Paris parce que de nombreux chercheurs travaillent déjà sur cette zone géographique (Uttaro 2012, Demailly 2014b, Baudelet-Stelmacher 2015, Pourias et al. 2016,) et Bologne où la forme des jardins urbains rencontrés ne correspondait pas à cette dimension initiée par « le bas », mais plus à une politique de la ville.

Pour donner un cadre un peu plus précis, je détaille ici les différents types d’acteurs interrogés et les moments observés à Rome puis à Strasbourg.

À Rome, de janvier à août 2017 et en mars 2018, j’ai réalisé au total 38 observations29. J’ai notamment suivi les activités du jardin (11 observations au quotidien), participé à tous les événements publics organisés par l’association (3 événements), participé aux travaux communs (1 journée) et assisté aux réunions des différents groupes (2 réunions du potager didactique, 1 réunion du groupe « événements »). Ces observations ont parfois lieu en semaine et parfois le week-end et également lors des assemblées générales de l’association et lors de réunions du comité directif. J’ai également assisté à l’Assemblea capitolina30 sur les potagers urbains, consultation organisée par la ville pour parler de la situation et notamment de la Delibera 3831. J’ai également suivi quatre réunions du réseau

Ortincomune. Ce réseau rassemble diverses expériences et initiatives liées au « vert urbain » dont la majeure partie est composée de jardins partagés. En mars 2018, un séjour d’un mois32 m’a permis de réaliser un travail complémentaire à Rome pour pouvoir observer l’évolution huit mois après avoir terminé mon terrain précédent. En effet, j’ai revu certains membres du jardin, j’ai suivi l’ensemble des réunions du comité directif de l’association ainsi que les activités que l’association organise pour l’ensemble des membres. J’ai observé que celle-ci était toujours active au sein du réseau de jardins partagés « Ortincomune », et qu’à cela s’est ajouté un engagement supplémentaire de l’association au sein de la Coalition pour les biens communs. Cette activité a commencé en janvier 2018 et quatre membres du comité directif de l’association étaient très engagés dans la récolte des signatures pour la pétition intitulée « délibération d’initiative populaire pour l’approbation d’un “règlement pour la

29 Les observations sont détaillées (date, lieu, durée, description brève) en annexe dématérialisée (annexe I).

30 Un enregistrement de « l'Assemblée Capitoline », moment de « confrontation » entre les associations et l'institution a été effectué.

31 Ce document est le fruit d'un long processus de négociation entre les associations de jardins partagés et la responsable du bureau « potager urbain » de la ville de Rome. Il définit les potagers urbains, offre un cadre juridique municipal, fixe des règles.

32Réalisé dans le cadre d’une bourse de l’École Française de Rome que je remercie pour le soutien matériel apporté.

collaboration entre citoyens et administration pour le soin, la régénération et la gestion partagée des biens communs” ».

À la fin de la période d’observation (juin et juillet 2017), j’ai réalisé 13 entretiens sur les 15 effectués avec les membres du jardin romain. Le fait de connaître les membres, d’avoir partagé d’autres moments avec eux m’a permis d’obtenir des entretiens facilement et de pouvoir échanger dans un cadre « complice ».

Ci-dessous, une synthèse du nombre d’entretiens réalisés par terrain (Figure 1) pour donner une vue d’ensemble (pour la liste exhaustive, voir annexe dématérialisée II).

Entretiens Observations

Rome Entretiens avec des membres du jardin : 16 (dont 11 hommes et 4 femmes)

Autre :

1 Enregistrement de l’AG de l’association 1 enregistrement d’un échange lors d’une rencontre avec des membres d’un autre jardin 1 enregistrement de la Commission Capitoline sur les jardins partagés

Au jardin : quotidien, dîner collectif, événements (Fête de la libération, travaux communs. Réseau Ortincomune :

Strasbourg Entretiens avec des membres du jardin : 13 (dont 5 femmes et 7 hommes).

Autre :

1 Entretien avec une élue

1 Entretien avec le responsable agriculture urbaine d’ECO-Conseil.

1 Entretien avec un membre du service Espace vert de l’Eurométropole.

Travaux communs, journée du Parc Naturel Urbain, dîners, pique-nique collectif.

Bologne 1 entretien avec le responsable espace vert de la Ville de Bologne

1 entretien avec la responsable en charge des potagers urbains à la Fondation Villa Ghigi 1 entretien avec un membre de jardin partagé autogéré dans un centre social autogéré

Paris 1 entretien avec une élue d’arrondissement en charge des jardins partagés

1 enregistrement de rencontre avec un membre de l’observatoire sur l’agriculture urbaine en Île-de-France

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Figure 1. Synthèse des entretiens et observations réalisés. Source : Victoria Sachsé

Concernant les données relatives au jardin stricto sensu, en plus des observations, j’ai enregistré l’assemblée générale de l’association ce qui m’a permis d’avoir un contenu plus précis sur les échanges et les dynamiques à l’œuvre dans ce moment de partage d’informations et de prise de décision. J’ai réalisé dix-neuf entretiens avec les membres du jardin et avec les associations partenaires du potager observé (un avec les responsables de chaque groupe : potager didactique, serre, événement, manutention) ; un entretien avec la responsable de l’association « Io sono », association d’éducation et de formation la plus active et présente au sein du potager ; et trois entretiens avec les membres du comité directif. Avec les acteurs institutionnels, j’ai réalisé trois entretiens avec la responsable du bureau orti urbani [potagers urbains] de la ville de Rome ; j’ai réalisé un enregistrement de « l’Assemblée Capitoline » autour de la question des jardins partagés qui constituait un moment de « confrontation » entre les associations et l’institution locale.

À Strasbourg, une première période étalée de septembre à décembre 2016 m’a permis d’explorer le terrain local. J’ai pu rencontrer les « responsables » de quatre jardins. J’ai également participé à des activités menées dans d’autres jardins notamment à Hautepierre, l’un des Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville (QPV)33, terrain que j’ai écarté étant donné les types de politique particuliers qu’engendre la Politique de la Ville. Un autre élément qui écarte ces jardins de l’objet circonscrit est leur accompagnement par des structures tierces, en effet, ils sont suivis et accompagnés dans leur mise en place et leur gestion par des associations (comme Horizome34) ou des bureaux d’études (comme ECO-Conseil). Le cas des jardins partagés à Hautepierre offre une autre perspective avec la présence d’acteurs intermédiaires entre les habitants et la ville. Ainsi, lors de mon deuxième terrain, à partir de septembre 2017, J’ai choisi ce jardin en particulier parce qu’il a des caractéristiques qui s’insèrent dans la problématique de cette recherche. Je l’ai suivi de manière continue selon une approche ethnographique. J’ai donc sélectionné le jardin permaculture partagée de St-Gall, pour étudier son histoire, son organisation et son évolution. J’ai réalisé des entretiens informels avec certains membres,

33 Pour plus de détails, voir : Morovich, B. (2011). Mobilités. Strasbourg : Editions Horizome.

34 « Horizome est un collectif ouvert, présent depuis 2009 maille Jacqueline à Hautepierre, Strasbourg, initié à l’occasion des 40 ans du quartier et de son important projet de renouvellement urbain ». https://www.horizome.org

dont le président de l’association. Enfin, j’ai adopté le statut de membre « visiteur », qui permet d’aider tout membre du jardin, d’y venir régulièrement, mais sans l’obligation d’être rattachée à un « sous-jardin » spécifique au statut de membre « jardinier » (il existe six sous-groupes au sein du jardin). Ce statut de membre visiteur m’a permis de voir le fonctionnement de chaque sous-groupe, de suivre les assemblées et d’assister aux activités organisées au sein du potager afin d’analyser les rapports qui se créent entre les membres de l’association. Progressivement, je me suis intégrée dans l’association et j’ai décidé d’adhérer au jardin pour en être une membre à part entière. En raison d’affinités plus prononcées avec les membres du groupe des solanacées35, j’ai décidé de m’inscrire comme membre et de suivre leurs activités. Je continuais à participer aux travaux communs de l’ensemble du jardin tout en suivant dans le détail le fonctionnement d’un sous-groupe dont j’ai pu suivre les modalités d’organisation, la structuration et les évolutions.

Pour les entretiens réalisés avec les membres du jardin, pour maintenir le même dispositif que celui élaboré à Rome, je les ai sollicités à la fin de la période d’observation.

Concernant les entretiens, j’ai réalisé des entretiens auprès des acteurs institutionnels. J’ai réalisé un entretien avec un membre de l’Eurométropole, un avec un acteur intermédiaire entre la ville et les associations (ECO-Conseil), un avec l’adjointe au maire de la ville de Strasbourg en charge de « ville en nature et ville nourricière », un avec le responsable « jardins familiaux » de la ville de Strasbourg, enfin un avec la responsable Parc Naturel Urbain de la ville.

Avec les membres du jardin, j’ai réalisé quatre entretiens avec des anciens membres du jardin, et onze entretiens avec des membres qui faisaient encore partie du jardin au moment du terrain. Le choix de mener des entretiens avec des anciens membres s’est réalisé parce que l’opportunité s’est présentée dans un contexte informel. J’ai rencontré un ancien membre qui a commencé à me raconter l’histoire du jardin et ses débuts. Je lui ai proposé de faire un entretien et il m’a donné deux autres contacts avec qui j’ai pu réaliser des entretiens. J’ai donc choisi d’intégrer ces témoignages pour nourrir la perspective « historique » du jardin, et comprendre également pourquoi les membres choisissent de rester ou de quitter le jardin.

En général, et pour les deux terrains, j’ai effectué une « filature ethnographique » (Berger 2009) pour suivre la dynamique de ces groupes, les suivre dans leurs réunions et mises en réseau, insérer « chaque réunion comme une phase dans une intrigue » (Cefaï et al. 2012 : 27). En outre, au cours de ces observations, j’ai adopté une « planty method » (Pitt 2015) : parler en marchant, travaillant, montrant les plantes et l’organisation du jardin, en mangeant et en jardinant avec les participants. Ma recherche

35 Le jardin en permaculture partagée St-Gall est divisée en 6 sous-groupes nommés ainsi : racines, sauvages et fleurs comestibles, solanacées, pépère, médicinales et senteurs.

n’était pas vouée à décentrer les humains de la réflexion et de l’analyse, mais le fait de rester attentive, en particulier, « aux matérialités et capacités agentives des plantes et des non-humains a permis de fournir une image plus riche de l’expérience et de la compréhension des jardiniers » (Pottinger 2016 : 220). En parallèle des terrains ethnographiques, j’ai effectué un inventaire et un suivi continu des différents supports utilisés par les associations notamment, mais également des documents produits par les acteurs institutionnels (Figure 2).

Rome - Documents du jardin étudié Tre Fontane

(site web, page facebook, mailing list…) - Réseau informel « ortincomune »

(plateforme d’échange, brochures,…) - Ville de Rome — Comune di Roma (Site

web)

Strasbourg - Documentation de l’Eurométropole

- « Strasbourg ça pousse » (site web,…) - ECO-conseil (site web, newsletter, …) - Jardin permaculture partagée Saint Gall

(mailing list, page Facebook, …)

Figure 2. Récapitulatif des sources écrites produites par les acteurs étudiés. Source : Victoria Sachsé