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Cadre théorique

2.3 La dimension collective du travail des enseignants de mathématiques

2.3.2 Collectifs de pensée et style de pensée

Dans cette partie, nous abordons quelques concepts proposés par Fleck (1934) pour analyser l’influence des aspects collectifs sur le développement du sujet au fil du temps. Nous présentons ici les concepts de collectif de pensée et de style de pensée. Nous traitons dans ce qui suit : l’acte cognitif comme construction sociale ; les définitions de style de pensée et de collectif de pensée ; les apports de ce cadre pour l’analyse du travail des enseignants ; l’étude de Hammoud qui a mobilisé ce cadre pour analyser le travail documentaire des enseignants ; pour finir, nous présentons nos choix théoriques qui combinent ce cadre avec quelques concepts proposés par Wenger (1998).

Fleck (1934) considère que « l’acte cognitif n’est en aucun cas le processus individuel d’une conscience théorique “existant de toute façon” ; il est le résultat d’une activité sociale, puisque l’état des connaissances du moment dépasse les limites imposées par un individu » (p. 73). Selon Fleck, une connaissance est cohérente avec ce qui est accepté par un collectif comme vrai « “quelqu’un reconnaît quelque chose” […] “en tant que partie prenante d’un milieu culturel déterminé” » (1934, p. 74).

Et c’est dans cette perspective que Fleck (1934) définit un collectif de pensée comme étant « la communauté des personnes qui échangent des idées ou qui interagissent intellectuellement, alors nous tenons en lui un vecteur du développement historique d’un domaine de pensée, d’un état du savoir déterminé et d’un état de la culture, c’est-à-dire d’un style de pensée particulier » (Fleck, 1934, p. 73). Pour une question d’économie, nous adopterons le terme

collectif dans les moments où nous parlons des collectifs dans le sens général, et nous

utiliserons le terme collectif de pensée quand nous nous referons à un collectif spécifique ou quand nous voulons souligner un lien avec le cadre théorique adopté. Notons qu’un collectif de pensée est associé à un style de pensée, car les deux concepts sont indissociables : pour Fleck, dès que deux ou plusieurs personnes échangent des idées, existent un collectif de pensée et un style de pensée associé.

Fleck (1934, p. 173) précise que le style de pensée « est caractérisé par les points communs des problèmes qui intéressent un collectif de pensée, par les jugements que ce dernier considère comme

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allant de soi, par les méthodes qu’il applique pour élaborer des connaissances ». Ce style de pensée est conditionné par le développement historique de l’époque et par le contexte culturel. C’est un style de pensée qui va déterminer ce qui est vrai pour un collectif, mais qui n’est pas nécessairement vrai pour un autre. Fleck (1934) argue que l’individu n’a pas conscience du style de pensée d’un collectif de pensée, puisque ce style a un aspect fonctionnel qui fonde le collectif. Plus le style de pensée se stabilise pour un sujet, plus il devient inconscient en devenant une vérité absolue. C’est pour cela qu’on ne peut pas identifier les collectifs des pensées à l’origine à chaque style de pensée.

Considérons maintenant le travail d’un enseignant, celui-ci est inséré dans un établissement scolaire, et inscrit dans plusieurs collectifs de pensée : collectifs des enseignants d’une discipline donnée et d’autres disciplines, collectifs avec certains collègues privilégiés, collectifs d’échanges momentanés, ou encore collectifs des professeurs enseignant dans une classe donnée. Au sein de ces collectifs, les enseignants vont construire et nourrir leur travail documentaire, un travail combiné avec d’autres situations vécues dans les collectifs hors établissements. Nous faisons l’hypothèse que ces situations peuvent influencer tous les niveaux de son activité (Margolinas, 2004), et que la compréhension de l’activité d’un individu ne peut qu’être réalisée en analysant son activité sociale.

La définition de collectif de pensée donne un sens très large au concept de collectif, ce qui nous permet de prendre en compte la diversité des collectifs dans lesquels les enseignants peuvent être inscrits. Fleck (1934) souligne l’existence des collectifs momentanés et stables, à prendre en compte aussi bien que les collectifs de pensée momentanés. Dans cette perspective, les caractéristiques des collectifs vont jouer un rôle important dans l’analyse des styles de pensée.

La notion de style de pensée a été mobilisée dans le travail de Hammoud (2012). Elle a investigué l’impact du travail collectif sur la documentation des enseignants qui participent à plusieurs communautés. Elle définit un style de pensée comme un ensemble « de métarègles : ce sont les règles qui permettent de définir les règles spécifiques de la communauté, la façon dont le travail est divisé ainsi que les outils essentiels à mobiliser » (Hammoud, 2012, p. 49). Le concept de règle mobilisé par Hammoud (2012) contient règlements, normes et habitudes (explicites/implicites) de la communauté.

Comme Hammoud (2012), nous considérons que le style de pensée contient des métarègles qui vont orienter le travail dans le collectif, plus précisément les collectifs de pensée de production

de ressources. Cependant, nous gardons les termes proposés par Fleck (1934) : un style de

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les membres de ce collectif de pensée pour résoudre un problème qui intéresse le collectif. Nous désignons par méthodes d’un collectif de pensée ses actions et son organisation pour produire ses ressources (« ce qu’on fait », « comment on le fait ») ; et jugement commun tout ce qui est considéré comme important et comme partagé – identifié par un ou plusieurs membres du collectif - sur le travail documentaire et l’enseignement des mathématiques. Ce choix est justifié, parce que la notion de règle peut porter confusion par rapport aux règles d’actions (Vergnaud, 2011). D’ailleurs, le problème qui intéresse le collectif, sont les classes de situations auxquelles les individus font face ensemble : préparer une progression commune, préparer une évaluation commune… Cependant, nous parlerons de problème qui intéresse une partie du collectif à un moment

donné pour bien distinguer le travail documentaire individuel du travail documentaire collectif.

Nous proposons d’identifier le style de pensée de collectifs de pensée de production de ressources par trois dimensions : méthodes, jugements et ressources produites. Le style de pensée vit en chaque membre du collectif, cependant chaque membre peut expliciter une part de ce style qu’il reconnait comme commun. Les membres des collectifs s’approprient l’expérience construite dans le collectif et le collectif s’approprie une partie de l’expérience de chacune de ses composantes. Il en est de même pour les interactions entre le système de ressources d’un individu et celui du collectif. Nous considérons le système de ressources d’un collectif, comme toutes les ressources résultantes d’une réification (terme importé du cadre de Wenger, 1998) qui sont identifiées par un ou plusieurs membres du collectif de pensée comme liées au travail documentaire de ce collectif.

Nous considérons aussi que chaque individu participe simultanément à plusieurs collectifs de pensée, c’est le concept de multiappartenance présenté dans la section précédente (Wenger, 1998). Nous sommes amenée à réfléchir aux raisons qui font que des éléments d’un style de pensée migrent d’un collectif à l’autre. Hammoud (2012) parle d’interférence entre deux communautés. Nous parlons de circulation d’un style de pensée comme a proposé Fleck (1934, p. 191) dans laquelle le sujet « appartient à plusieurs communautés de pensée et qui agit comme un véhicule dans la circulation ». Par ailleurs, un style de pensée n’est pas déplaçable dans sa totalité d’un collectif à l’autre, puisque la circulation d’un style de pensée engendre un changement de valeur par les nouveaux membres. Nous avons comme hypothèse que les ressources créées par un collectif peuvent aussi être véhicules d’une partie du style de pensée d’un collectif tout comme l’individu.

Dans ce sens, nous empruntons les notions d’objets frontière et de passeurs (Wenger, 1998), présentées dans la section précédente. Pour être en cohérence avec notre cadre théorique, nous parlerons de ressource frontière qui représentent ce qui peut être repérable d’un système

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de ressources d’un collectif pour circuler au système de ressources d’un autre collectif. Ainsi, une ressource garde des traces du collectif de pensée, par exemple, une ressource pour l’enseignement de mathématiques créée par un groupe de chercheurs circule une vision de la manière avec laquelle le contenu X peut être enseigné ou appris.

Le concept de passeur est important, puisque la méthode de travail d’un collectif de pensée et ses jugements ne circulent qu’à travers des connaissances acquises par les membres ou les ressources. Le passeur est l’intermédiaire entre ce qui arrive dans le collectif A et le collectif B. Par exemple, il peut s’agir d’un enseignant qui participe à une formation à laquelle ses collègues n’ont pas participé et propose des idées issues de cette formation à ses collègues. Tout au long de la carrière de l’enseignant, ce mouvement de transformation à travers l’interaction avec les ressources est en contact avec autrui. Ainsi, chaque individu est un potentiel passeur du style de pensée du collectif et les ressources une trace observable du travail documentaire du collectif. Aussi, nous cherchons à identifier quelles ressources ont été mobilisées et créées dans ces collectifs.

2.3.3 Synthèse

Nous avons présenté dans la section 2.3 la dimension collective du travail documentaire des enseignants.

Le cadre des communautés de pratique (§ 2.3.1) nous permet de comprendre comment l’engagement d’un enseignant dans une communauté peut contribuer à son développement professionnel. Nous avons emprunté de ce cadre théorique les notions de « frontières » entre différentes communautés.

Les concepts de collectif de pensée et de style de pensée (§ 2.3.2) nous semblent adapté à notre analyse du travail documentaire des enseignants en constante interaction avec différents collectifs (dans et hors établissements) tout au long de leurs carrières. Par conséquent, nous cherchons à identifier des éléments des styles de pensée qui influence le travail documentaire des enseignants au long du temps.

2.4 Le processus longitudinal d’apprentissage des enseignants de mathématiques :

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