• Aucun résultat trouvé

Cadre théorique

2.2 La conception et les usages de ressources au cœur de l’activité des enseignants de mathématiques de mathématiques

2.2.3 Système de ressources des enseignants de mathématiques : identification et caractérisation caractérisation

Dans cette section, nous allons aborder plus précisément le concept de ressource et de système de ressources. D’abord, nous proposons une réflexion sur l’évolution et l’ouverture de la notion de ressource dans le domaine des sciences de l’éducation. Nous abordons ensuite la notion de système de ressources. Nous poursuivons en présentant quelques éléments pour analyser les ressources utilisées par les enseignants et des facteurs qui influencent leur travail documentaire. Pour finir, nous discutons la place des ressources numériques, une place critique pour comprendre le travail documentaire aujourd’hui.

Ruthven (à paraître) aborde les évolutions de ces concepts de ressource et système dans le champ de l’éducation. Il présente des aspects historiques de l’usage du terme ressource en disant que

In established everyday usage, a resource is an asset — typically monetary, material or human — capable of providing some form of support. In the field of education (as the Oxford English Dictionary records) a specialized usage of “resource” developed during the 1960s, referring specifically to curriculum-related materials intended to support learning or teaching activity.

Il souligne que, à l’origine, les ressources étaient comprises comme un support de l’activité, notion élargie par Adler (2000). Cette définition très large reconnaît l’hétérogénéité de cet ensemble, comportant des ressources de divers types : supports matériels (crayon, papier, tableau, ordinateur, etc.), textuels ou sémiotiques (manuel scolaires, site, images, etc.), socioculturels (une idée d’un collègue ou un échange avec un collègue, des espaces de communication) et échanges virtuels (forum, chat, dossier de sauvegarde en nuages, etc.) entre autres. D’un côté cette ouverture nous permet d’identifier un grand nombre de ressources utilisées par les enseignants. D’un autre côté, elle rend complexe l’analyse de ce système, du fait de son périmètre très large. De plus, l’analyse fine de l’ensemble des éléments présents dans le système de ressources d’un enseignant n’est pas la garantie d’une meilleure compréhension de sa structure.

Par ailleurs, la définition de système de ressources que nous adoptons va au-delà d’une liste de ressources utilisées et reconnues par les enseignants. Nous considérons aussi qu’un système de ressources est une organisation globale (Ruthven, à paraître), il a une structure reposant sur des liens entre les ressources. Ces liens peuvent être implicites ou explicites. Ce système est vivant et dynamique, c’est-à-dire qu’il est en permanence en évolution. Nous ne

54

pouvons pas représenter le système de ressources des enseignants, mais seulement accéder à des éléments de ce système. Ruthven (à paraître) propose la notion de système de ressources en

classe, pour caractériser l’ensemble des ressources identifiables dans la mise en œuvre d’une

leçon dans une classe donnée. Nous rajoutons à cette proposition les ressources liées à plusieurs autres classes de situations : préparer une leçon, ranger les ressources, partager d’autres ressources. Nous modélisons ces ressources comme composants d’un unique système, le système de ressources des enseignants. La complexité de l’analyse de ce système est liée, en particulier, à l’articulation entre ce qui est visible et invisible.

Gueudet et Trouche (2008) mettent en évidence que les ressources des enseignants ne sont pas isolées et composent un système structuré. L’analyse de ce système est aussi très riche pour comprendre la pratique des enseignants, puisqu’il intègre un grand ensemble de ressources hétérogènes. Dans le système de ressources d’un enseignant, par exemple, des ressources différentes peuvent être utilisées pour une même classe de situations, et en même temps, une même ressource peut être utilisée pour plusieurs classes de situations. Les questions sont alors, quels sont les aspects du système de ressources des enseignants qui nous permettent de comprendre leur travail documentaire ? Quels sont les caractères structurants de ce système ?

Dans le cadre de l’ADD, un effort de caractérisation des ressources est en cours. Dans cette thèse nous mobilisons deux concepts : le concept de métaressource et celui de ressource mère. Le concept de métaressource a été proposé par Prieur (2016, p. 75) pour désigner un ensemble de principes qui guide la conception d’autres ressources en suscitant « une posture réflexive sur le travail documentaire à conduire ou sur ses effets. Une métaressource possède un niveau constitutif spécifique : le niveau de l’explication ». Le concept de ressource mère proposé par Hammoud (2012) désigne « l’ensemble des ressources de départ que l’enseignant mobilise pour préparer

un enseignement donné » (p. 46). Ces deux concepts nous semblent pertinents pour analyser les

relations entre les interactions des enseignants avec les ressources et leur développement professionnel.

Nous avons comme hypothèse – inspirée des niveaux de codétermination de Chevallard (§ 2.1.4) – que l’interaction des enseignants avec les ressources est influencée par divers aspects, nous en privilégions ici trois, le contexte social, le contexte curriculaire et la composante disciplinaire :

• Le contexte social lié aux niveaux société et école. Par exemple, en France, les manuels scolaires sont renouvelés tous les 10 ans et ils ne sont pas évalués par le ministère tandis

55

qu’au Brésil il existe un programme national pour les évaluer et pour les acheter. Alors, le contexte social va fortement influencer les ressources utilisées par les enseignants ; • Le contexte curriculaire lié au niveau pédagogique. Nous pouvons citer comme exemple, les

changements curriculaires comme les évolutions du curriculum français depuis 1802 (Gueudet et al. 2017) ; ou encore l’évolution des artefacts comme l’intégration du tableau noir, de l’ordinateur et d’Internet dans l’enseignement (Lagrange, 2005) ;

• La composante disciplinaire liée aux niveaux discipline, domaine, secteur et thème. Trouche et al. (2018) mettent en évidence, dans le rapport du projet ReVEA (§ 3.3.1), que cette composante influence fortement les choix des ressources des enseignants. Par exemple, les manuels scolaires ont une place centrale dans le travail documentaire des enseignants des mathématiques, mais pas pour les enseignants d’anglais. Cet aspect motive notre intérêt pour comprendre les ressources utilisées ou créées en nous centrant sur une discipline, les mathématiques.

L’identification des ressources utilisées par les enseignants est aussi fortement influencée par le développement du numérique. Ce phénomène présent, dès l’origine de l’ADD, est un point central pour penser le développement professionnel des enseignants (§ 1.2). Pepin et al. (2017, p. 647) font une revue des recherches sur les ressources numériques. Ils mettent en évidence le potentiel des ressources numériques pour l’enseignement des mathématiques, fortement présentes dans la préparation d’une leçon et dans la présentation de nouveaux concepts par les enseignants. Ils discutent aussi la diversité des ressources numériques en différenciant deux types : « digital curriculum ressources (DCR) » et « digital technologies » :

It [DCR] is the attention to sequencing—of grade-, or age-level learning topics, or of content associated with a particular course of study (e.g., algebra)—so as to cover (all or part of) a curriculum specification, which differentiates DCR from other types of digital instructional tools or educational software programmes. Thus, research on the design and use of DCR is distinct from the broader literature on instructional technology, though clearly there is some overlap. Of course, DCR make use of these other types of tool and software: indeed, what differentiates them from pre-digital curriculum programmes is that they are made accessible on electronic devices and that they often incorporate the dynamic features of digital technologies.

Alors, l’intérêt des DCR est que l’usage du numérique par les enseignants se développe dans leur travail en amont de la classe comme dans leur travail avec leurs élèves. Dans notre recherche, quand nous parlons des ressources numériques, nous nous intéressons aux DCR aussi bien qu’aux technologies digitales. Nous sommes intéressée par les usages des technologies parce que, même s’ils ne nous donnent pas une vision centrée sur le contenu enseigné, ils nous donnent des indices du travail documentaire des enseignants. Nous

56

pouvons donner l’exemple des outils de partage de données, qui vont pouvoir nous montrer des caractéristiques de la pratique de l’enseignant comme la création collective des ressources. Donc, notre identification de ressources numériques sera la plus large possible. Nous sommes consciente de la quantité des ressources qui peuvent être utilisées pour l’enseignement de mathématiques (sites web, logiciels, plateformes, réseaux sociaux, matériels, vidéo, etc...), alors nous ne cherchons pas à identifier toutes les ressources utilisées par un enseignant, mais nous cherchons des ressources qui se démarquent à partir de ce qui est présenté par les enseignants eux-mêmes. D’ailleurs, devant cette diversité nous ne proposons pas des catégories a priori pour l’analyse de nos données, mais une catégorisation basée sur nos données qui sera présentée dans notre cadre méthodologique.

De façon générale, les ressources numériques ont ouvert de nouvelles possibilités pour le travail documentaire des enseignants. Elles ont ouvert aussi de nouvelles possibilités d’interaction avec les autres acteurs de l’enseignement. Ainsi, la dimension collective de ce travail documentaire est au cœur du développement professionnel des enseignants que nous traitons dans la section suivante.

2.2.4 Synthèse

Nous avons présenté dans ce chapitre des considérations théoriques qui sont au cœur de la conceptualisation de la trajectoire documentaire et de l’expérience documentaire (§ 2.5.3). D’abord, nous avons présenté le cadre de la théorie de l’instrumentation proposé par Rabardel (§ 2.2.1) qui nous permet de comprendre que les artefacts ne sont pas neutres dans l’activité du sujet. Le sujet transforme l’artefact en instrument pour son activité, mais aussi l’artefact transforme l’activité du sujet. Cette relation est le point de départ de la conceptualisation que nous proposons ici. Ensuite, Gueudet et Trouche (§ 2.2.2) ont mis en lumière le travail documentaire des enseignants dans le cœur de leur activité. Parmi les concepts mobilisés dans l’approche documentaire de la didactique, nous empruntons les concepts de travail documentaire, ressources, schème, système de ressources, instrumentation, instrumentalisation et genèse documentaire. Nous avons clôturé cette section (§ 2.2.3) par un focus sur le concept de système de ressources, puisque nous cherchons à analyser les transformations dans le travail documentaire des enseignants au fil du temps par les transformations de son système de ressources.

Outline

Documents relatifs