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Catholicisme, pentecôtisme et syncrétisme charismatique au Québec (1960-1980)

CHAPITRE I : Les stratégies d’adaptation et d’intégration aux origines et la consolidation

2. Catholicisme, pentecôtisme et syncrétisme charismatique au Québec (1960-1980)

Tel que Reny et Rouleau (1978) le décrivent, au cours de la Révolution tranquille à partir des années 1960, la société québécoise a expérimenté rapidement un vaste « rattrapage culturel par rapport à la structure technique et industrielle dont l’avaient doté les étrangers », surtout les Américains depuis la fin du XIXe siècle. Entre 1960 et 1970, on a transféré d’importantes responsabilités sociales et politiques de l’Église catholique à la société civile et à des organismes publics. Le clerc diocésain et les communautés religieuses durent se départir de la majorité des institutions d’enseignement, des hôpitaux, des centres de bien-être social et des loisirs qu’ils avaient construits. Ainsi, l’Église a renoncé à plusieurs de ses attributs de « monopole » dans un certain nombre de secteurs clés de la vie des citoyens. Au cours de la même période, la disparition presque complète du mouvement Action catholique ont provoqué un retrait important de l’Église de la vie quotidienne des gens. L’institution catholique a donc perdu son hégémonie. Les pratiques religieuses des Franco-Québécois ainsi que le nombre de religieux et de clercs étaient en déclin. Tandis que l’anticléricalisme augmentait, les ressources religieuses disponibles se sont multipliées pour répondre également à l’immigration de plus en plus diversifiée (Lemieux 1992 : 11-86). On met aussi en évidence l’influence sur la société hôte des religions apportées par les immigrants et le succès du pentecôtisme, son influence et son impact dans le catholicisme.

Selon Reny et Rouleau, de larges fractions de la population, surtout les catholiques québécois, exprimaient des « besoins » spirituels importants en ce qui concerne le religieux vécu. Ils cherchaient un autre type de relation plus « simple, directe… et sentie immédiatement avec Dieu,

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relation qui apporterait paix, réconfort, communion avec autrui et même solutions dans les difficultés de l’existence au sein d’une société perçue comme dure, sans âme et… sans finalité ». Dans le cadre des espoirs suscités par le Concile Vatican II, pour l’adaptation de l’Église aux changements socioculturels, on a révisé la structure de l’Église, « son idéologie, sa symbolique », etc., grâce à des réflexions et des « expérimentations en pastorale, en liturgie, en théologie et dans les enseignements ». Les autorités ecclésiastiques étaient préoccupées de « l’insertion de l’Évangile dans la vie » et de nombreux spécialistes, notamment dans les domaines de la théologie et des sciences humaines, ont examiné « le message évangélique, ses canaux de transmission…, son langage » et son rapport avec « la réalité sociale ». Le but était de donner à ce message « tout son sens et toute sa portée actuelle », afin d’établir de « nouveaux points avec l’existentiel, l’expérientiel et le vécu de tous les jours ». Néanmoins, l’Église catholique, en tant qu’institution religieuse « a maintenu l’essentiel de ses positions » et dans ces déclarations en faveur des pauvres, des petits et des exploités, elle n’exprime pas d’engagements sur les plans économique et politique, car elle veut « protéger… ce qu’il lui reste de statut privilégié » dans la société québécoise. Les chercheurs ont fait le bilan suivant sur le plan religieux des premières années de 1970 :

« Fidélité d’un important noyau de pratiquants classiques, conservation des réseaux des paroisses, autrefois cellules de base aussi bien politiques que religieuses, stabilité relative de l’organisation des communautés religieuses, sauvegarde d’une confessionnalité au moins juridique des écoles, maintien d’un petit nombre de collèges privés aux mains des clercs et des religieux (ses), planification de l’action pastorale et développement des structures diocésaines, transformation des instruments, des méthodes et des systèmes de communication du message par l’intégration prudente d’éléments d’autres disciplines et praxis » (Reny et Rouleau 1978). Ces « interpénétrations syncrétiques » (Droogers 1989) entre le catholicisme et quelques sciences ont favorisé le succès du renouveau charismatique catholique pendant les années 1970. Les premiers groupes de prière francophones de charismatiques catholiques sont apparus en 1971, comme une adaptation de ce qui se passe aux États-Unis et elle a été stimulée par quelques leaders locaux initiés à l’étranger. Les promoteurs du RCC ont commencé à organiser des congrès de plus en plus fréquentés et télévisés sur la chaîne de Radio-Canada. À l’époque, le RCC était perçu comme « un courant spirituel » faisant l’appel au présent, à l’importance de l’expérience religieuse, au sentiment, à l’affectivité et à l’expression corporelle dans la relation du croyant avec Dieu. Ces perceptions et aspirations illustrent l’enracinement du projet charismatique dans les processus de changement de la société et de l’Église catholique (Reny et Rouleau 1978).

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La promotion du baptême du Saint-Esprit entraîne une ouverture de l’institution catholique face à la croyance et à la prise de conscience de la présence et de l’action de Dieu dans chaque individu. Cette ouverture canalise les libertés individuelles et leurs potentialités dans le cadre des mécanismes de régulation. Comme Zylberberg et Côté (1990) l’ont remarqué, « le charisme… individualisé séduit » les personnes « désireuses d’échapper à la contrainte unilatéral » et au « conservatisme religieux ». Le charismatique pouvait fréquenter son « groupe de prière » même si sa famille et « son milieu paroissial » n’étaient pas d’accord. « L’expérimentation des libertés individuelles de conscience, de réunion, d’association, de circulation, de parole et d’expression », les phénomènes de glossolalie, parmi d’autres dons, sont exercés par les fidèles dans « l’autogestion » des activités religieuses, mais il faut ressortir aussi « la valorisation d’une socialité par affinité élective et l’agrégation volontaire sur l’intégration nécessaire ». C’est à partir d’une « coalition (francophone) de religieux et de laïques, à majorité féminine », que les charismatiques ont commencé à organiser des activités rassemblant plusieurs milliers de fidèles par l’intermédiaire de grands événements, retraites et d’autres activités. « Un même profil se dégage à partir de différentes enquêtes » sur le RCC du Québec : « une population largement féminine, d’âge mûr, célibataire ou privée de conjoint ». De nombreuses religieuses ont adhéré au charismatisme, de même que plusieurs laïcs mariés et catholiques pratiquants des communautés religieuses. La plupart des adeptes faisaient partie des classes moyennes. En 1978, le mouvement attirait une clientèle totale d’au moins 60 000 croyants dans la province (Reny et Rouleau 1978). Dès le début du RCC au Québec, chaque diocèse a assigné un prêtre dont la fonction est d’être « répondant » du RCC auprès des autorités ecclésiastiques; ce, afin d’apporter l’assistance et de prévenir les écarts et les déviations possibles. D’après Reny et Rouleau (1978), les charismatiques, loin de résister à l’intervention de la hiérarchie catholique, la réclament. Presque tous les groupes de prière comptent sur un prêtre qui joue le rôle de conseiller et d’officiant pendant presque toutes les rencontres charismatiques, car celles-ci sont souvent l’occasion de célébrations eucharistiques.

Tel que Côté (1993 : 20, 101-112) l’a affirmé, au Québec dans les années 70 et 80 « l’innovation sacrale… passe par le jeu de la négociation, du marchandage et de la transaction à la marge des dominations religieuses, politiques et économiques ». Les chances de réussite reposent « sur le filtrage, la neutralisation, voire la maîtrise de l’environnement sociopolitique pertinent ». Le RCC actualise les dons, en valorisant « les aspects émotifs, mystiques et surnaturels de la foi », tandis

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que la référence au Saint-Esprit « en constante circulation » opère comme une « transcendance symbolique des frontières nationales ou ethniques ». En ce qui concerne les « transactions politiques », la contestation des charismatiques à l’égard de l’appareil institutionnel vise davantage les autorités ecclésiales traditionnelles et s’exprime rarement sous la forme de critique sociale. La plupart des charismatiques ont été satisfaits du « rituel démocratique du vote », car ils préfèrent s’engager fortement au sein du RCC. La chercheuse réussit à démontrer la corrélation entre les transformations des « transactions politiques » des charismatiques et l’évolution de leur « socialisation sacrale ». Initialement a prédominé une socialisation informelle dans le cadre des retraites et activités des groupes de prière. Dans la phase ascendante du mouvement, les charismatiques s’agrègent spontanément autour d’une « petite élite prophétique » ; le RCC est ensuite récupéré par « la hiérarchie catholique qui en assure le contrôle et la routinisation » (Côté 1993 : 103-174).

« L’entrepreneuriat individuel et l’effervescence sacrale caractéristiques des premières années (1970-1974) sont suivis d’une période de concurrence pour la structuration du mouvement (1974-1978), finalement dominé exclusivement par des acteurs organisationnels (1978-1982). Les transactions politiques de la première période comportent des éléments de protestation et de critique sociale ; au cours de la seconde, le principal leader élitiste produit quelques fragments de discours sur l’état du monde et de la société et tente une socialisation active auprès de dirigeants politiques ; la dernière phase est marquée par un appel à l’engagement social subordonné aux directives de l’organisation » (Duhaime 1995 : 156).

Au terme des réflexions qui précèdent sur le pentecôtisme, le néopentecôtisme, le catholicisme et le charismatisme catholique, nous déduisons que chaque mouvement intègre et adapte à sa manière des éléments du changement socioculturel vécu depuis la fin des années 60. Dans ces dynamiques, le syncrétisme et l’hybridité religieuse se manifestent de façon générale, mais nous décrirons désormais les communautés d’étude, afin de comparer leurs modes de fonctionnement et d’analyser des éléments en commun qui révèlent l’hybridité syncrétique des congrégations.

3. De la fondation de l’Église pentecôtiste Amour et Grâce à la consolidation de l’Église

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