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Ce qui caractérise les pratiquants du commerce informel

Commerce informel en

5.4 Ce qui caractérise les pratiquants du commerce informel

On estime qu’environ 60 à 70% des familles africaines vivent du commerce infor-mel, soit directement en tant qu’opérateurs, soit indirectement en tant que bénéfi-ciaires des services qu’il fournit. Une méthode de classification de ceux qui se livrent au commerce informel est tout d’abord de faire une distinction fonctionnelle entre les acteurs concernés; et ensuite de définir les caractéristiques intrinsèques, d’une part, et de prendre en compte le capital social requis pour le commerce informel de produits bruts en tant que facteur permettant de réduire les coûts de transaction (Tassou, 2004; Yérima, 1995), d’autre part. Cette méthode va jusqu’à classifier les réseaux de commercialisation impliqués ou mis en place par ces acteurs (Yérima, 2008).

Quatre types d’individus sont généralement impliqués dans le commerce des pro-duits bruts: grossistes, y compris les transporteurs/commerçants et les producteurs/

commerçants; demi-grossistes; ramasseurs; détaillants. D’autres y participent aux côtés de ceux-là: transporteurs, boutiquiers, fournisseurs d’enclos pour le bétail et autres facilitateurs qui servent souvent de courtiers ou d’apprentis.

Le succès pour l’un quelconque de ces types dépend du savoir-faire pratique accu-mulé, du capital économique ou, à tout le moins, du capital fondé sur la confiance et les relations sociales (Labazée et Grégoire, 1997). Les pratiquants du commerce informel s’organisent de plusieurs manières: groupes d’auto-assistance, tontines, asso-ciations de commercialisation et assoasso-ciations fondées sur les groupements ethniques,

entre autres. Certains groupes sont bien structurés et fonctionnent efficacement pour le bien commun, la défense collective des intérêts des membres et la reconnaissance officielle par les autorités publiques. Ils ont tendance à rassembler les membres du même groupe ethnique qui travaillent en dehors de leur pays d’origine. D’autres groupes exerceront un contrôle sur le marché, en plaçant des barrières à l’entrée. Le Bénin compte de tels groupes, au sein des associations de commerçants de produits vivriers. Quelle que soit leur forme, une analyse de leurs effets à long terme sur l’ef-ficacité du marché indique des conséquences variables.

Le commerce transfrontière basé sur les relations et les réseaux sociaux ou ethniques qui sont des sources pour les marchés et fixent les niveaux des prix et les ressources (sous forme de crédit et de dépôts en numéraire et ainsi de suite) afin de vendre et d’acheter des marchandises aux pays voisins pour la revente à l’intérieur, a également été stimulé par les niveaux en hausse du chômage, ce qui a emmené nombre de per-sonnes à embrasser le commerce informel pour gagner leur vie. En Afrique de l’Est par exemple, au sein des mêmes groupes ethniques vivant aux frontières tels que les Afars, les Somalis et les Borana Oromos, la confiance dans les relations commerciales entre mêmes ethnies et de solides coalitions commerciales à assise ethnique facilitent l’ouverture de marchés sans contrat officiel ni accord écrit.

Des relations peuvent exister entre les diverses organisations mais contribuer peu à rendre le commerce transfrontière efficace. Elles offrent une approche institution-nelle privée du règlement des conflits entre membres. Les relations interindividuelles dominent dans les transactions à l’intérieur de ces microréseaux, qui constituent le capital social nécessaire pour abaisser les coûts de transaction. Les commerçants met-tent rarement à contribution les avantages attachés au groupe et ne les connaissent peut-être pas. Toutefois, des relations opportunistes sont créées entre les transpor-teurs et les associations de marchands de denrées alimentaires. Ces relations sont souvent créées par le biais de contrats pour de grandes commandes de produits agri-coles passés par les institutions qui appuient la sécurité alimentaire à l’intérieur du pays et le long de la côte. Dans de tels cas, les grossistes tirent parti de la capacité des transporteurs de respecter les dates limites de livraison stipulées dans leurs contrats.

5.4.1 Rôle des femmes dans le commerce informel Les femmes jouent un rôle décisif dans le commerce informel et dans les activités commerciales informelles en particulier. Les quelques chiffres qui suivent en témoi-gnent: quatre à cinq millions de femmes en Afrique de l’Ouest sont impliquées dans le ramassage, la transformation et la commercialisation des noix et du beurre de karité, justifiant ainsi de 80% environ de leur revenu (Plunked et Stryker, 2002).

Au Bénin, les femmes représentent 80% des pratiquants du commerce informel et

Ces chiffres peuvent s’expliquer par la proportion que les femmes constituent dans le commerce informel en général. En Afrique subsaharienne où trois personnes sur quatre sont employées dans le circuit informel, le secteur informel non agricole crée des emplois pour 91,5% de femmes, contre 70,7% pour les hommes (FAO, 2008).

Soixante pour cent des personnes qui travaillent dans le secteur informel sont des femmes. À Freetown, capitale de la Sierra Leone, 70% de la population active est employée dans le secteur informel, la majorité étant des femmes. À Lagos au Nigéria, le chiffre est de 80% (FAO, 2008). Ces données confirment la vieille domination traditionnelle du secteur non agricole de l’Afrique de l’Ouest par les femmes.

D’ailleurs, «Tinubu Square» de Lagos porte le nom d’une commerçante devenue célèbre dans les villes yorubas durant la seconde moitié du XIXe siècle. Mme Tinubu incarnait le dynamisme des civilisations yorubas précoloniales et la résistance à l’in-gérence extérieure. Elle aurait dû sa réussite économique au commerce d’armes entre la côte et l’intérieur. Dans les années 1850, elle a joué un rôle politique déterminant à Lagos, mais sa présence irritait tant les Britanniques qu’elle serait retournée à Abeo-kuta, sa ville natale, dans le sud-ouest du Nigéria, afin de financer les guerres contre le royaume d’Abomey du Bénin (Humarau, 1999).

Mme Tinubu a sans doute été dépassée en célébrité par les riches commerçantes de l’actuel Togo, connues sous le nom de « Nana-Benz ». Tout en ayant emprunté des itinéraires différents vers le succès, ces femmes ont en commun plusieurs caracté-ristiques. Actuellement, tout comme c’était le cas dans le passé, elles mènent leurs affaires sur la scène régionale, voire internationale, fortes d’une longue tradition d’exercice du commerce en tant qu’acteurs informels. Plutôt que d’être à l’origine de leur réussite économique, ce facteur en est la conséquence. Le volume des affaires qu’elles brassent leur permet d’augmenter régulièrement leur capital économique et social (Humarau, 1999), même si le fait qu’elles ne sont pas représentées dans les institutions de décision politique officielles ou qu’elles le sont très peu tend à réduire au minimum le rôle crucial qu’elles pourraient jouer dans le développement du com-merce intra-africain. Les facteurs qui les rapprochent les distinguent également de la plupart des petits commerçants ouest-africains qui opèrent au jour le jour et arrivent à peine à rentabiliser leurs investissements. Tous ces groupes constituent les princi-paux agents commerciaux tant du secteur structuré que du secteur informel.

Sans conteste, les femmes contrôlent les pans les plus efficaces et les plus importants de l’économie – le secteur informel – et, en dernière analyse, elles sont mieux armées pour faire face aux crises économiques et apporter des contributions qui dépassent de loin leur proportion dans la population de l’Afrique subsaharienne (FAO, 2008).

Lorsqu’il s’agit de stratégies tendant à mettre en route, à contrôler ou à renforcer leurs activités commerciales (Humarau, 1999), toutes les femmes du secteur informel en Afrique vont au-delà des exigences purement économiques de leur commerce, parce

qu’elles assurent aussi la sécurité alimentaire du ménage et atténuent les effets éco-nomiques et sociaux néfastes.

5.4.2 Raisons de participer à des réseaux de commerce informel transfrontière et de commerce informel

Bien qu’il date de plusieurs siècles avant la délimitation des frontières des États, le commerce informel transfrontière était pratiqué pendant la période coloniale et le long des frontières postcoloniales (Little, 2007). Les collectivités et les individus de diverses régions entretenaient des rapports et pratiquaient le commerce sans avoir à empiéter sur les pratiques traditionnelles ou sans avoir besoin de faire enregistrer officiellement ces activités commerciales. Une fois que les frontières ont été délimi-tées, le commerce informel transfrontière est devenu illégal. Des barrières tarifaires et non tarifaires, sources de perturbation des activités économiques, ont été imposées, Ce commerce a cependant refait surface et a continué de rayonner après l’indépen-dance.

Bien que cette forme de commerce soit vieille comme le monde (Meillassoux, 1971;

Polanyi, 1972), on connaît très peu des marchés locaux et régionaux de l’Afrique subsaharienne, pour ce qui est tant de leur structure que de l’ampleur des flux com-merciaux. En fait, le commerce informel dans cette région semble mal structuré, étant donné l’existence de multiples formes de coordination de réseaux sociaux stricts (Agier, 1983; Grégoire, 1986). Le trait dominant est la souplesse, chaque acteur accomplissant ce que les ressources permettent, en fonction de la perception par l’individu des risques du marché en termes de concurrence et des contraintes qui pèsent sur l’offre et la demande. Les autorités responsables du marché exercent sans nul doute un effet sur le marché, mais, quel que soit le secteur concerné, dans la plu-part des cas, elles n’imposent pas de mode d’organisation au marché. Le commerce informel passe par conséquent pour être une forme d’échange sans règles observa-bles. Cependant, il se peut qu’il y ait des réglementations spécifiques de groupes pour le règlement des conflits, abaissant les barrières à l’entrée sur les marchés dans certains cas, ou des accords tacites de fixation de prix.

Le commerce informel transfrontière a été pratiqué au sein de groupes ethniques et de collectivités homogènes qui non seulement vivent le long des zones frontalières mais encore occupent une zone s’étalant sur de grandes distances. C’est ainsi que la zone occupée par les Borana Oromos s’étale sur 500 kilomètres, de la zone frontière Moyale d’Éthiopie et du Kenya à Isiolo, à quelque 200 kilomètres de Nairobi. Les groupes ethniques somalis vivent de quatre côtés aux frontières du Kenya, de l’Éthio-pie, de Djibouti et de la Somalie; les Afars le long des trois frontières de Djibouti, de l’Erythrée et de l’Éthiopie, et les Tigrays et les Kunamas de deux côtés le long des frontières de l’Érythrée et de l’Éthiopie. Ces cas montrent comment, en dépit des

longues distances à parcourir jusqu’aux marchés centraux nationaux, le commerce informel promeut et renforce la disponibilité des biens essentiels aux frontières au profit de collectivités vivant dans des zones reculées loin des marchés centraux natio-naux. À titre d’exemple, Moyale est à 773 kilomètres d’Addis-Abeba et à environ 700 kilomètres de Nairobi; Dowelle est à 720 kilomètres d’Addis-Abeba, mais à 105 kilo-mètres seulement de Djibouti; Togo Wuchale est à environ 700 kilokilo-mètres d’Addis-Abeba, mais à environ 250 kilomètres seulement de la ville portuaire de Berbera.

Les circuits de commercialisation des biens manufacturés sont organisés selon les zones de commerce de ces biens. Le LARES décrit les biens les plus difficiles à cerner par les institutions publiques d’enregistrement comme étant au sein du « système de quitus », (pas de TVA ni de droits de douane exigés). Une foule de participants prati-quent le commerce informel entre le Nigéria et ses voisins (surtout le Bénin, le Togo, le Ghana, le Burkina Faso et le Niger). Ces petits acteurs sont obligés de réduire le coût des formalités de dédouanement lorsqu’ils franchissent les frontières. Ils ont recours à des services de transit informels qui remplissent les camions de produits de toutes les sources, marqués comme produits conditionnés et les transportent jusqu’à leur lieu de destination après avoir payé une somme symbolique à la douane.

Bien que le manque d’organisations types entre les activités commerciales informel-les à l’échelle de l’Afrique ait été souligné, il existe en Afrique de l’Ouest deux types de réseaux de commercialisation: les microréseaux qui organisent l’offre à une petite échelle aux frontières, essentiellement pour le commerce en provenance de zones voisines mais aussi de l’intérieur; et les grands réseaux transnationaux ou nationaux qui dominent le commerce dans chaque secteur, en ce qui concerne en particulier les produits bruts et les produits fabriqués sur place ou importés. Les commerçants haoussas, yorubas, ibos et zermas contrôlent ce secteur dans les parties orientales de l’Afrique de l’Ouest. Dans la corne de l’Afrique, des groupes organisés dans le secret sont créés pour pratiquer le commerce informel transfrontière. Ces coopératives clandestines mobilisent des fonds, organisent les achats et les ventes de marchandises et de bétail et arrangent des programmes de transport à travers les frontières, même jusqu’aux marchés centraux nationaux (Addis-Abeba, Nairobi, Mogadishu, Berbera et Djibouti), probablement par voie de négociations avec les agents de la douane et de la police, les milices locales et les administrateurs locaux.

Les produits pétroliers suivent des réseaux de distribution semblables aux circuits de commercialisation. Ils passent par des microréseaux d’information qui détermi-nent l’efficacité des transactions, la vitesse de réaction et la capacité d’adaptation des acteurs aux aléas du commerce de ces produits. L’information circule souvent très vite dans ce domaine du commerce transfrontière, beaucoup plus que partout ailleurs en raison de l’utilisation de microréseaux, de téléphones mobiles et, en par-ticulier, du maillage systématique de circuits courts le long des zones frontalières qui se composent de nombreux nœuds de traitement et de diffusion de l’information.

Ici, en particulier lorsqu’il s’agit de la sécurité des transactions, l’information est dif-fusée presque gratuitement. Chaque nœud et chaque chaîne du circuit traitent l’in-formation, ce qui garantit que l’ensemble des grossistes et des détaillants reçoivent la même information en même temps.

5.5 Commerce transfrontière intra-africain: cas