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T ROIS ORGANISATIONS , TROIS PROCEDURES DECISIONNELLES

3. C ARACTERISATION DE NOS CAS

3.2. C2 : une forte lutte pour la performativité

Dans cette collectivité, nous avons réalisé 16 entretiens libres qui ont donné lieu à 16 cartes cognitives individuelles. Nous avons également assisté à 8 réunions (dont une consacrée à un atelier de restitution des résultats).

Tableau n°4 – Dates des réunions à C2 mixte, où plusieurs théories luttent pour la performativité.

106 3.2.1. Les réunions à C2

Les acteurs ont suivi globalement ce processus : ils ont d’abord défini le problème, puis ils ont recherché des solutions, ensuite ils ont choisi les options les moins insatisfaisantes, puis ils ont mis en œuvre des solutions et enfin ont procédé à une évaluation des résultats. On voit ici se dessiner le modèle procédural. Ils ont clairement défini chaque réunion comme une « étape » du processus, ayant ainsi une vision très séquentielle des choses. L’un des leitmotivs a d’ailleurs été « il faut prendre des décisions. » : il faut arrêter de discuter et décider.

Le déroulé des réunions s’est globalement effectué comme suit :

Indentification du problème : L’inscription des enfants dans les différentes activités de la collectivité (sportif, petite enfance, restaurant scolaire, périscolaire, TAP (nouveaux rythmes scolaires), et séjours) est problématique. On constate un décalage entre les listes préétablies et les listes finales. Le guichet unique est la porte d’entrée pour toutes ces inscriptions. Ce sera donc le point de départ de la réflexion.

Recherche de solutions : le kiosque famille (logiciel d’inscription en ligne), le dossier unique (un seul dossier d’inscription pour s’inscrire à tout, avec cette idée centrale : il faut simplifier), dématérialisation maximale (éviter le gaspillage de papier).

Choix des solutions les moins insatisfaisantes : liste des besoins précis (cahier des charges) à la société qui gère le kiosque famille, qui fait au mieux pour répondre à ces besoins : une réunion est consacrée à la présentation de ces améliorations par la société.

Pour le dossier unique : une réunion est organisée spécifiquement sur ce thème.

Evaluation du résultat : La dernière réunion a eu pour but d’évaluer le travail accompli. L’une des DGA la clôture par un bilan. Elle exprime les choses ainsi : « Moi je considère que c’est quelque chose qui a bien avancé. » « Aujourd’hui on voit qu’on peut y arriver. »

Cette organisation a une grande habitude des processus et modèles procéduraux. Par exemple, la méthode projet est une procédure qui encadre les processus importants dans C2. Elle ignore l’aspect relationnel et humain, pour se concentrer sur la rentabilité, la performance et l’efficacité des projets. Le fait que les acteurs doivent rendre compte

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précisément de chacun de ces éléments du projet a un impact à la fois sur les croyances (la rentabilité et la performance sont le plus important, croyances issues du NPM) et sur les processus cognitifs en eux-mêmes, qui se structurent dans le temps selon cette procédure.

Ainsi, les décisions sont finalement rationalisées.

D’un autre côté, assez paradoxalement, les acteurs ont reçu des formations approfondies à la communication. Ils ont ainsi une conscience aiguë de l’importance du relationnel.

Le modèle énactionnel lutte pour la performativité dans l’organisation. Toutes les réunions ont notamment été animées de débats de fond sur les sujets abordés. Les acteurs ont été nombreux à prendre la parole et à se contredire. La parole y était globalement plus libre qu’ailleurs, alors même que des conflits complexes opposaient certains services.

Nous avons notamment constaté que les acteurs ont finalement omis, plus ou moins volontairement, d’entrer dans le cadre concret de la méthode projet : « On n’a pas fait de fiche de projet là-dessus. C’est pas grave. On fonctionne bien comme ça. » On a donc préféré finalement quelque chose de plus informel pour alléger le processus. Une question s’est par ailleurs posée vers la fin « Est-ce qu’on voit avec « là-haut » ? » Autrement dit : est-ce qu’on demande une validation hiérarchique (par le maire, le DGS) ? La réponse a été : « non ». Les acteurs ont trouvé un moyen de contourner les procédures lourdes de l’organisation.

De plus, les acteurs sont fortement influencés par des notions comme la

« communication bienveillante » et la PNL. L’une des dernière phrases prononcées au cours du processus a été : « Je tiens à féliciter l’ensemble de l’équipe pour avoir travaillé de concert, en s’écoutant et en essayant de comprendre les difficultés de chacun ». Bien entendu, il est possible que l’intervention du chercheur ait eu un impact sur ce phénomène. Quoiqu’il en soit, dès le départ, ce terrain était plus perméable que les deux autres à ce type de vision.

D’autres exemples peuvent être cités, comme cette exclamation poussée par un cadre :

« On peut le justifier politiquement comme ça. » Ainsi, les acteurs se saisissent d’un argument lancé au vol pour l’utiliser afin de justifier leur choix auprès des élus

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rétrospectivement. Enfin, des expressions comme « mettre en commun les synergies » ou « travailler ensemble » ont été fréquemment utilisées à C2.

3.2.2. L’analyse des catégories issues des cartes cognitives

Cette lutte pour la performativité des théories ressort dans les catégories qui ont été construites à C2 (voir Annexe 2 – catégories chez C2).

Trois catégories penchent en effet pour une vision rationnelle de l’organisation : la catégorie « organisation et structure », qui voit l’organisation comme un donné plutôt que comme un processus, la catégorie « performance », issue sans doute du NPM, et enfin la catégorie « rationalisation ».

Dans rationalisation, on trouve en particulier ces concepts qui se réfèrent au modèle rationnel de la décision :

- 1096 Homogénéité . Hétérogénéité - 1097 Rationalisation . Gaspillage - 1098 Logique . illogique

- 1099 Formalisation . manque de formalisation

Ces notions viennent de la théorie du NPM qui influence fortement ces terrains.

L’homogénéité, en particulier, se rapporte aux procédures. Plus les procédures sont uniformes, plus on gagne en temps et en efficacité.

Le concept « 1043 bonne décision . mauvaise décision ou indécision » nous rappelle enfin que pour ces acteur les décisions sont irrémédiablement bonnes ou mauvaises.

Ces catégories et ces concepts montrent une prégnance de la vision rationaliste. Mais d’autres catégories et concept démontrent que des visions plus cognitivistes ont fait du chemin dans cette collectivité.

Le concept suivant : « 1090 Simplicité . Complexité » est particulièrement intéressant, car il se rapproche d’une idée plutôt cognitive de la rationalité. Le monde est complexe, et nous devons le simplifier pour pouvoir agir sur lui. Une idée très proche de la complexité telle que la conçoit Weick. On voit donc que même lorsque les acteurs font appel à la notion de rationalité, ils ont malgré tout à l’esprit une notion ambiguë, qui tire

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sa définition à la fois des théories du choix social et à la fois des théories cognitivistes ou psychosociales.

Une catégorie entière est en outre consacrée à la communication, avec des concepts tels que :

- 1010 communication . manque de communication - 1012 partage . rétention des informations

- 1015 recherche de solutions . recherche de responsables - 1017 collaboration . Conflits

- 1018 grosses réunions . réunions en petit comité - 1019 bonne communication . mauvaise communication - 1021 culture problématique . pas problématique - 1024 participation . exclusion des agents - 1026 Bienveillance . manque de bienveillance

Autant de concepts qui montrent à quel point la rencontre, l’interaction, l’échange, on pourrait même dire l’énaction sont importantes pour ce collectif.

En outre, une catégorie complète est destinée à la description du contexte, au besoin d’inscrire son action dans un environnement organisationnel précis. On y retrouve en particulier les concepts suivants :

- 1028 Liberté, souplesse . Contraintes - 1029 contexte favorable . Défavorable - 1030 décision concertée . Imposée

Quelques concepts intéressants ont par ailleurs attiré notre attention :

1007 Compréhension, sens, signification . Absurdité : « besoin de savoir à quoi sert mon travail ensuite (vision a posteriori) - justifier le travail - comprendre l'utilité de la tâche - ouvrir les services pour donner du sens au travail » (les éléments entre guillemets correspondent aux verbatim enregistrés lors des entretiens). Deux personnes ont évoqué ce sujet. C’est la seule occurrence que nous avons relevée, sur les trois terrains, d’une référence à l’idée de « créer du sens » (sensemaking).

1038 Apprentissage . Stagnation : c’est un sujet qui occupe beaucoup les acteurs, avec en particulier cette idée d’apprentissage continu.

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Il semble donc qu’à C2, l’envie de faire sens ensemble soit plus forte qu’ailleurs. Mais le modèle énactionnel ne s’est pas pour autant imposé. C’est pourquoi nous n’avons pas choisi de placer ce terrain dans la case « modèle énactionnel » mais bien plutôt dans une case « lutte pour la performativité » qui met en valeur cette lutte pour la performativité au sein de la commune. Comme nous le verrons dans la troisième partie de notre étude, cela a influencé l’accueil qui a été fait à l’outil et son efficacité. En effet, les acteurs étaient déjà familiarisés avec des outils tels que le débat ou même les cartes cognitives.

Certains cadres ont été formés succinctement à cet outil il y a plusieurs années de cela et l’utilisent encore parfois pour décider.

Tableau n°5 – Les modèles décisionnels à C2

Modèle décisionnel

Modèle rationnel Modèle procédural Modèle énationnel

C2