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Les bruiteurs

Dans le document Td corrigé intro géné - TEL (thèses pdf (Page 100-106)

Section 1. Une grande diversité de comportements

III. Le bruiteur

3. Les bruiteurs

L'appellation de bruiteur est une traduction imparfaite de l'anglais “noisy investors” qui ne transmet que l'action qu'ont ces investisseurs sur le marché en faisant se mélanger bruit et information. Elle ne rend pas compte de la manière dont est issue leur stratégie par utilisation du bruit, c'est-à-dire de la mauvaise information, dans la prévision qu'ils font de l'évolution future des actifs financiers.

Nous ferons référence à l'article de BLACK (1986) qui définit exactement ce qu'est le bruit en finance : ce qui rend les observations imparfaites, mais également ce qui

permet d'observer des échanges sur le marché. S'il n'y avait pas de bruit sur les marchés, les gens se contenteraient de diversifier rationnellement leur portefeuille pour ajuster le risque à la rentabilité anticipée. Il y aurait alors peu de transactions.

Or, il est justement constaté de forts volumes d'échanges quotidiennement sur les marchés. D'après BLACK cette activité intense provient de la présence des bruiteurs ; sur la base d'informations pas toujours pertinentes, ils vont participer au marché en échangeant avec les investisseurs informés qui pensent profiter ainsi de l'erreur des bruiteurs. Ces derniers ne diversifient pas leur portefeuille qui se compose d'un nombre réduit d'actifs voir d'un seul (LEASE, LEWELLEN et SCHLARBAUM, 1974). S'ils voulaient diversifier, il suffirait, à leurs yeux, d'investir par le biais de SICAV ou de FCP. La présence des bruiteurs semble, de plus, intuitivement confirmée par le fait que si deux personnes ont exactement la même information et établissent les mêmes prévisions, il est assez paradoxal qu'elles agissent de manière contraire dans l'échange. Il faut donc qu'un des participants à l'échange ait une information différente de l'autre ou utilise différemment une même information.

Une première tentative de résolution de ce problème est due à GROSSMAN et STIGLITZ (1980) qui ont développé un modèle où interviennent à la fois des investisseurs informés et des non-informés. Ce modèle étudie surtout la façon dont l'information circule des premiers aux seconds. Supposons qu'il y ait deux actifs sur le marché. Un actif sans risque qui offre un taux de rentabilité R, et un actif risqué dont le taux de rentabilité u est composé d'une partie  observable au prix c (coût de l'information) et de  qui est lui inobservable.

u =  +  (1.42)

Les informés observent  et agissent en fonction de cela et du prix P de l'actif. Les autres investisseurs, en revanche, ne connaissent que le prix de l'actif. A l'équilibre le marché se définit comme :

DI(p,) + (1-) DU(p) = Offre (1.43) où :

: part des investisseurs qui sont informés DI : demande formulée par les agents informés

DU : demande formulée par les agents non informés

GROSSMAN et STIGLITZ établissent sept conjectures sur le rôle de l'information et la nature du marché dont certaines concernent plus ou moins directement les bruiteurs. La troisième conjecture dit que le nombre d'investisseurs informés est inversement proportionnel au coût de l'information. La recherche et l'analyse de celle-ci, étant sur le marché des actions très coûteuses, justifient ici la présence d'un nombre important de bruiteurs sur le marché. De plus GROSSMAN et STIGLITZ expliquent qu'en l'absence de bruit, les prix refléteraient bien toute l'information (conjecture 7). Il n'y aurait alors aucun intérêt à faire des recherches par ailleurs.

Ainsi, dans le cas d'existence de bruiteurs, le marché devient moins informatif et il est payant d'être informé. Ces deux conjectures montrent bien qu'il est inévitable de trouver, sur le marché, des investisseurs mal informés (conjecture 3) et que ce soient eux qui répondent au paradoxe de la conjecture 732. Il semble donc établi que cohabitent sur le marché des investisseurs qui sont informés et d'autres non.

L'échange se fera donc parce qu'un des participants possède une information différente de l'autre. Ceci est en contradiction d'ailleurs avec VARIAN (1985) qui estime que l'échange a lieu car, sur une même information, les opinions divergent.

BLACK pense que cette différence d'opinion est justement le fait d'une différence d'information. Les acteurs du marché financier semblent en effet assez hétérogènes surtout dans les moyens qu'ils ont d'acquérir (analyse de BLACK) et d'interpréter (analyse de VARIAN) l'information. Aussi motivée soit-elle, la “veuve de Carpentras” pourra difficilement égaler la puissance analytique des plus importants investisseurs de la place financière parisienne. D'ailleurs, ayant conscience de cela, le bruiteur va chercher à connaître l'action des autres investisseurs.

Le bruiteur sera celui qui, interprétant ce qu'il croit être de l'information (trend, analyse technique simplifiée, action des autres investisseurs), va participer au marché financier dans l'espoir de réaliser un gain raisonnable d'après lui, car il

32 Si tout le monde est informé, les prix comprennent toute l'information. Il n'est alors plus nécessaire de se documenter plus puisque la connaissance du prix suffit. Mais si personne ne s'informe, les prix n'intègrent alors plus d'information...

l'aura réalisé autrement qu'à pile ou face. L'existence de nombreux ouvrages expliquant les règles de base pour battre le marché ou spéculer sans risque prouvent que les bruiteurs cherchent à s'informer. Ils ont donc bien l'impression de ne pas participer au tirage du LOTO, mais d'agir en fonction de techniques qui leur semblent éprouvées. Il est donc question de bruit dans le sens d'information incomplète mais jugée comme suffisante autant que dans le sens de mauvaise information. Les bruiteurs utilisent des règles de décision qui les amènent à établir des liens de causalité non fondés. Cela peut par exemple se révéler être la recherche d'un trend dans les cours (le lien de causalité est alors établi entre les cours passés et le cours futur) que le bruiteur va suivre espérant ainsi battre le marché. Ce comportement moutonnier qui consiste à prendre le train en marche plutôt que d'anticiper l'évolution des prix par une analyse complète de l'information est une caractéristique du bruiteur. L'information qu'il utilise est donc bruyante. En effet, le trend qu'il suit, s'il existe réellement, est insuffisant car son existence depuis plusieurs jours n'est aucunement l'assurance de son existence future ; et surtout la stratégie que le bruiteur adopte, si elle est effectuée par un nombre important d'investisseurs, va générer son propre trend. Ce dernier totalement factice est l'œuvre unique des bruiteurs et est, à l'origine, la cause de leur intervention. Cet exemple met en lumière le fait que les bruiteurs peuvent dominer le marché, en volume de transactions et, sur la base d'une illusion qu'ils prennent pour de l'information, se conforter ensuite dans l'idée qu'ils agissent rationnellement. Il semble pourtant assez paradoxal que de tels investisseurs ne soient pas rapidement évincés du fait des erreurs de stratégies qu'ils commettent.

L'idée selon laquelle les bruiteurs sont éliminés plus ou moins rapidement a été longtemps soutenue par les principaux chercheurs qui semblaient trop attachés au modèle du marché efficient à investisseurs rationnels pour intégrer de tels comportements dans leurs études. FAMA (1965) défend l'idée selon laquelle les bruiteurs seront écartés du fait qu'ils agissent par erreur avec des arbitragistes qui ont raison puisqu'ils sont bien informés. Donc à terme ces arbitragistes élimineront les non informés. Cependant ce raisonnement n'est valable que si les bruiteurs n'effectuent qu'une part infime des transactions et que leur action n'est donc pas prépondérante. De plus un tel résultat n'est possible qu'en ignorant les attitudes face

au risque de chacun des deux types d'investisseurs. La question est alors de savoir par quel moyen les arbitragistes risquophobes vont pouvoir éliminer les bruiteurs. Il semble justement qu'en prenant en compte la réaction au risque, la survie des bruiteurs soit tout à fait concevable. DELONG, SHLEIFER, SUMMERS et WALDMANN (1990) développent quatre arguments alternatifs qui tendent à aller à l'encontre de cette croyance en l'élimination inéluctable des bruiteurs (reprenant d'ailleurs les travaux de BLACK).

Le premier argument repose sur l'incapacité des arbitragistes à prendre des risques suffisants pour écarter les bruiteurs. CAMPBELL et KYLE (1987) montrent que, même en raisonnant à l'infini, les arbitragistes hésiteront à supporter le risque spécifique causé par leurs actions à court terme contre les bruiteurs. L'aversion au risque des investisseurs informés rationnels limite la puissance de leur action et rend plus longue et aléatoire l'éviction des bruiteurs.

Le second argument tient à l'hésitation à agir des arbitragistes face au trend que les bruiteurs génèrent sans en avoir conscience. En effet, les arbitragistes connaissant cela, hésitent à vendre lorsque les bruiteurs achètent sur un marché qu'ils poussent à être haussier, car ils risquent une perte d'opportunité en vendant trop tôt. Sur un marché efficient dominé par des investisseurs rationnels le retour inévitable du prix vers la valeur fait qu'un marché haussier ne peut l'être très longtemps. En revanche, la présence des bruiteurs laisse courir le risque que la hausse soit durable. La peur de cette perte freine considérablement le pouvoir des arbitragistes. Le raisonnement est symétrique dans le cas d'un marché baissier avec un prix inférieur à la valeur. Cependant il faut relativiser la portée de cet argument car l'intervention des agents informés est de plus en plus massive au fur et à mesure que l'écart prix-valeur augmente; ils savent qu'une telle anomalie économique ne peut perdurer du fait que la bourse est fortement liée au monde économique extérieur ce qui se traduit par un rapprochement inévitable du prix et de la valeur.

BLACK estime, par exemple, que le prix évolue dans un intervalle allant de la moitié de la valeur à deux fois la valeur. Ce qui d'après lui serait vérifié empiriquement dans 90% des cas.

Le troisième argument est simplement que les bruiteurs provoquent leur propre risque par un changement aléatoire de leur opinion majoritaire. Puisqu'ils agissent sur du bruit, leurs réactions dans l'avenir restent impossibles à connaître par les arbitragistes qui eux agissent sur de l'information. L'argument précédent provient du fait que les bruiteurs peuvent amener les cours à conserver sur plusieurs périodes leur caractère haussier ou baissier. Mais il est tout aussi probable que leur opinion change pour une raison que l'information utilisée par les arbitragistes ne pouvait laisser augurer. Le risque des bruiteurs est que leur action ne repose sur rien de prévisible par l'investisseur informé. Il empêche donc ce dernier d'agir contre le bruiteur.

Enfin, le dernier argument provient plus de la stratégie propre des bruiteurs que de l'action des arbitragistes. Les arbitragistes, risquophobes et bien informés, n'achètent pas d'actifs risqués ou bien demandent une prime de risque élevée. Les bruiteurs, non conscients de tous les risques par manque d'information, investissent, sans le savoir, dans des actifs risqués qu'ils ont eux-mêmes participé à rendre risqués.

Nous sommes donc en présence d'investisseurs qui, agissant sur du bruit, génèrent du risque donc une rentabilité supérieure dont ils sont les principaux bénéficiaires. Ce type d'investisseur est souvent identifié aux petits actionnaires qui sont limités dans leur capacité financière et temporelle pour la recherche d'information. Mais il est possible également d'y adjoindre les gestionnaires de SICAV. En effet, la peur de présenter des résultats inférieurs à ceux des gestionnaires concurrents peut les pousser à adopter un comportement moutonnier qui alimente, au même titre que les bruiteurs, le trend évoqué précédemment. Afin d'éviter la confusion nous engloberons sous la dénomination de bruiteurs tous les investisseurs qui ne peuvent posséder et utiliser toute l'information pertinente et disponible. Ils agissent alors de manière souvent moutonnière avec la certitude cependant de pouvoir battre le marché.

Depuis quelques années, il devient possible de concevoir sur les marchés financiers des agents rationnels n'utilisant pas l'information de manière optimale sans qu'ils soient pour autant rapidement éliminés. BLACK (1986) en posant la

définition rigoureuse du bruiteur permet d'intégrer un tel type de comportement dans l'étude des marchés financiers. Cet investisseur nouveau vient en supplément du spéculateur qui, bien qu'envisagé plus tôt, est introduit timidement dans les modèles décrivant les prix des actifs financiers.

La section deux de ce chapitre consiste en la présentation du modèle probabiliste de DELONG, SHLEIFER, SUMMERS et WALDMAN (1990) incluant les bruiteurs à travers un modèle de comportement permettant d'envisager leur impact sur les prix des actifs risqués.

Dans le document Td corrigé intro géné - TEL (thèses pdf (Page 100-106)