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2.2.2 « Géographie théorique » : l'autre versant de l'étiquette ?

Tab 3.2 Associations de mots-clés centraux de la géographie théorique et quantitative

3. Analyse temporelle de l’affiliation au mouvement

Nous cherchons à observer ici l’évolution générale des effectifs de géographes concernés à partir des six mots-sources sélectionnés. L’étude de la variation des mots-sources choisis permet en effet d’effectuer un premier cadrage de l’évolution du mouvement en identifiant les étapes de son émergence et de son développement, d’analyser leur durée de vie et les substitutions éventuelles d’un mot-clé à l’autre. Nous faisons l’hypothèse de l’existence de plusieurs moments dans cette évolution qui peuvent se résumer par les termes suivants : émergence, développement, affirmation, généralisation, diversification, déclin ou encore disparition. Cette analyse de l’évolution du mouvement en nombre absolu est complétée par une comparaison avec l’évolution du nombre total de géographes référencés et à celle du nombre de personnes se référant à d’autres mouvements de la discipline, telles les géographies culturelle ou sociale.

3.1. Évolution comparée des mots-sources

Si le tableau 3.1 (p. 177) identifie les éditions durant lesquelles l’un des mots-sources est reconnu par les géographes, l’évolution du nombre de géographes qui choisissent ces différents thèmes de recherche permet d’effectuer une analyse temporelle de l’affiliation au mouvement théorique et quantitatif (fig 3.3).

Éditions GT GQ AS TGQ Q 1980 GQ 71 100 1980 GT 100 41 1984 GQ 75 100 1984 GT 100 41 1989 GQ 49 100 29 1989 GT 100 27 18 1989 AS 9 7 100 1994 GQ 33 100 17 1994 GT 100 21 9 1994 AS 20 33 100 1998 TGQ 19 100 1998 AS 100 47 2002 TGQ 27 100 2002 AS 100 53 2007 Q 19 100 2007 AS 100 47

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Deux périodes se dessinent dans l’affiliation au mouvement théorique et quantitatif dans le Répertoire des géographes. Un premier moment concerne les années 1970-1980 où domine le mot- source « géographie quantitative » : entre 40 et 80 individus selon les éditions. Le thème « mathématiques et informatique, géographie quantitative » n’ayant que peu d’individus en 1969 (un peu plus de 40 individus), il ne fut pas reconduit en l’état dans les éditions suivantes. En 1979 apparaît « géographie théorique » qui reste stable sur sa période d’existence (jusqu’en 1994), autour de 30 individus.

Un deuxième moment débute à la fin des années 1980 avec un léger déclin des deux mots-sources « géographie quantitative » et « géographie théorique », et inversement l’émergence d’ « analyse spatiale », les courbes se recoupant entre 1990 et 1994. Très peu utilisé lors de son apparition en 1989, avec moins de 20 individus, ses effectifs sont quatre fois plus importants en 1994, avec plus de 80 individus ; son maximum est même atteint en 1998 avec 120 individus. En parallèle, apparaît « théorie et géographie quantitative » en 1998.

Fig 3.3 - Nombre de géographes par mot-source : variation 1969 – 2007

Source : Répertoire des géographes français (1969 – 2007). Auteur : Sylvain Cuyala, 2014.

Cette expression semble remplacer numériquement « géographie quantitative » et « géographie théorique », ce qui montre que les acteurs du mouvement revendiquent le fait que leur géographie n’est pas seulement quantitative. Elle ne concerne toutefois que deux éditions du Répertoire (1998 et 2002) et connaît un succès relatif. Elle rassemble sensiblement le même nombre de personnes que « géographie quantitative » durant sa dernière année d’existence (une cinquantaine d’individus), loin derrière « analyse spatiale », alors que par ailleurs le nombre de notices n’a cessé d’augmenter. Enfin, « quantitatif » apparaît en 2007 après la disparition

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successive des mots-sources avec le même adjectif mais ce dernier peine à fédérer (moins de 20 géographes). Cette édition correspond également à une baisse importante du nombre de géographes ayant choisi « analyse spatiale », passant d’une centaine à un peu plus de 40 individus. Ceci laisse donc entrevoir une forte diminution de la volonté d’affiliation au mouvement qui peut avoir plusieurs origines : la désaffection pour cet étiquetage de la part des personnes qui s’y identifiaient ; une perte d’audience du mouvement (ou de la volonté d’affiliation) auprès des nouveaux entrants en géographie ; un effet de la diffusion de pratiques et par là de la banalisation du mouvement dans une grande partie de la discipline.

3.2. Analyse agrégée de l’évolution de l’affiliation au mouvement

théorique et quantitatif

En agrégeant, pour chaque édition du Répertoire, les différents mots-sources sélectionnés, trois périodes peuvent être identifiées quant à l’évolution générale du mouvement (fig 3.4). Une première période correspond au décollage quantitatif du mouvement (années 1970) avec la constitution d’un petit groupe, mais aussi une certaine fragilité puisqu’on remarque une nette augmentation des effectifs durant la première moitié des années 1970 suivie d’une stagnation durant la deuxième moitié de la décennie. Une deuxième période correspond à la forte croissance des effectifs à partir des années 1980 jusqu’à la fin des années 1990. Ce moment pourrait être qualifié d’âge d’or du mouvement puisque c’est la période où les géographes s’affilient le plus au mouvement, avec plus de 140 individus qui se reconnaissent derrière au moins l’un des mots- sources à la fin de la période de croissance des effectifs. Enfin, les années 2000 marquent un fort déclin de l’identification au mouvement par les mots-clés du Répertoire des géographes : une cinquantaine de personnes seulement sont comptabilisées en 2007, soit moins encore que dans les années 1970, lors du décollage, alors qu’à ce moment-là, les effectifs de géographes présents dans le Répertoire étaient bien inférieurs.

Si nous avons montré qu’il existait trois moments dans l’histoire de l’affiliation au mouvement en termes d’effectifs, cette observation doit être pondérée par l’évolution des effectifs totaux de géographes répertoriés lors de chaque édition pour l’apprécier en termes relatifs. Entre 1969 et 1998, nous constatons que le nombre de notices a été multiplié par 2,4, soit un point de moins que l’augmentation de l’affiliation au mouvement qui a été multiplié par 3,3 entre ces deux dates. Entre 1998 et 2007, si le nombre de notices a chuté de près d’un quart, l’affiliation au mouvement a quant à elle connu une chute de près de deux tiers. Ces premières observations semblent montrer que le développement de l’affiliation au mouvement n’est pas parallèle à l’évolution du nombre de notices. Néanmoins, le rapport entre le nombre de géographes affiliés aux mots-sources et le nombre total de géographes recensés dans le Répertoire semble indiquer l’existence de quatre périodes : deux périodes de percée dans la discipline (entre 1969 et 1974 et entre 1989 et 1994) et deux périodes de déclin relatif (entre 1974 et 1989 et surtout entre 1998 et 2007) (fig 3.5).

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Fig 3.4 - Géographes se déclarant des mots-sources : variation 1969 – 2007

Source : Répertoire des géographes français (1969 – 2007), Auteur : Sylvain Cuyala, 2014.

NB : figure construite en établissant l’effectif des personnes ayant choisi au moins un des mots-clés retenus : « mathématiques et informatique, géographie quantitative », « géographie quantitative », « géographie théorique », « analyse spatiale », « théorie et géographie quantitative », « quantitatif ». Une personne présente dans deux mots- clés lors de la même édition n’est comptabilisée qu’une seule fois.

Fig 3.5 - Affiliation relative au mouvement théorique et quantitatif : variation 1969 - 2007

Source : Répertoire des géographes français (1969 – 2007), Auteur : Sylvain Cuyala, 2014.

NB : figure construite en faisant le rapport entre l’effectif des personnes ayant choisi au moins un des mots-clés retenus : « mathématiques et informatique, géographie quantitative », « géographie quantitative », « géographie théorique », « analyse spatiale », « théorie et géographie quantitative », « quantitatif » et le total des répondants.

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Plus précisément, 1973 a été une édition assez remarquable puisque le mot-clé « géographie quantitative » a été choisi par 10% des géographes répertoriés alors que cinq ans plus tôt, une expression proche, « mathématiques et informatique, géographie quantitative », ne rassemblait que 6% des notices, montrant une relative percée de l’affiliation à la « géographie quantitative » entre ces deux dates. La forte croissance des années 1990 n’a pas permis d’atteindre de nouveau ces 10% mais simplement de les frôler comme en 1994. La chute très importante des affiliations en 2007 fait de cette année-là la plus basse depuis près d’un demi-siècle.

Enfin, en comparant l’évolution de l’affiliation à la géographie théorique et quantitative à celle de deux autres mouvements comparables et apparus durant la même période, nous remarquons des évolutions très différentes des effectifs concernés (fig 3.6).

Ainsi, la géographie sociale connaît sensiblement la même évolution récente que la géographie théorique et quantitative, même si son affiliation a commencé à diminuer dix ans avant géographie théorique et quantitative. Mais son évolution initiale était fort distincte au départ, une croissance forte des affiliations se produisant des années 1970 à la fin des années 1980. La géographie culturelle a conquis quant à elle un nombre croissant de géographes tout au long de la période, avec un effectif multiplié par 2,5 entre 1998 et 2007 alors même que la géographie théorique et quantitative voyait son effectif divisé par 3 et la géographie sociale par 2.

Finalement, si nous reprenons les cadres d’analyse de S. Frickel et N. Gross (2005), cette première étude des formes d’affiliation montre bien un processus doté de plusieurs phases : l’apparition de géographes rattachés à des mots-clés spécifiques ; puis la structuration d’un noyau central du mouvement avec une augmentation des effectifs de géographes se reconnaissant derrière les mots-clés choisis, même s’ils n’effectuent pas forcément une forte percée dans la discipline ; un étiolement matérialisé par la chute brutale de l’affiliation de ses acteurs, les années 2000 pouvant annoncer une future disparition du mouvement théorique et quantitatif en tant que tel, d’un point de vue sociologique.

Néanmoins, si le rôle de la labellisation est important lors de l'émergence d'un mouvement, cela n’est plus forcément le cas lorsqu’il est davantage développé. Au moment où ce mouvement s’affirme, la fonction identitaire et revendicative de l'étiquetage a tendance à s'atténuer. Ainsi, loin de témoigner nécessairement d’une disparition, cette tendance révélée par la figure 3.4 ne signifierait pas que la diffusion du mouvement tende à s’arrêter : il indiquerait alternativement une certaine banalisation des théories et modèles liés au mouvement, de sorte qu’il serait moins important pour les géographes d’y faire prioritairement référence.

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Fig 3.6 - Affiliation des géographes à trois mouvements scientifiques de la géographie française : variation 1969 – 2007

Source : Répertoire des géographes français, 1973, 1980, 1989, 1998, 2007. Auteur : Sylvain Cuyala, 2014. N.B. : si les expressions « géographie sociale » et « géographie culturelle » ont existé tout au long des éditions, l’évolution concernant « géographie théorique et quantitative » est obtenue en agrégeant les mots-sources que nous avons sélectionnés plus haut (cf. figure 3.4).

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