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Cette séance a lieu une semaine plus tard. Cette fois-ci, je ne rappelle pas à J. le rôle des différents personnages. Je lui montre plutôt le carton sur lequel elle reconnaît les 146 bâtonnets regroupés en paquets de dix et de cent. Je lui rappelle les deux façons utilisées par elle pour écrire le nombre correspondant à son comptage, soit 446 et 146. Elle sait qu'il s’agit de 146 et elle m’explique qu’elle n'avait pas imaginé le cent qui était devant, d’où selon elle, son erreur.

Je reprends la question sur laquelle nous nous étions laissées la semaine dernière,question portant sur la quantité de dizaines dans le nombre 146. Elle va dans le cercle du fou puis me dit qu’il y a quarante dizaines, me présentant ainsi la réalisation avant d’émettre des hypothèses de solutions (réflexion). Je lui demande si le fou lui donne des idées pour trouver les dizaines et ce qu’il lui dit de faire. Elle répond qu’il peut compter les dizaines. Je résume les deux hypothèses formulées en lui rappelant que premièrement le fou lui a dit de regarder le chiffre à la position des dizaines et que par la suite il lui a dit de les compter. Elle énumère les mêmes procédures que lors de la dernière séance. Je lui propose de faire un choix entre les deux. Elle préfère regarder le chiffre à la position des dizaines. Ainsi, elle me dit qu'il y a quatre dizaines. Je lui demande de les compter maintenant. Elle en découvre quatorze. Je lui suggère d'aller voir son juge. Elle recompte le tout et confirme qu'il y a bien quatorze dizaines. Elle ajoute que pour découvrir le nombre de dizaines dans le nombre 146,"on n'a qu'à enlever les unités". Elle continue en me disant qu'il fallait compter les dizaines qui étaient à l'intérieur de l'ensemble de cent. Je lui rappelle qu'il faudra que son juge s'en souvienne.

Ici, elle a tenté d'escamoter la phase du fou, passant immédiatement à la réalisation. A nouveau elle a confondu le nombre de dizaines et le nom relatif à la valeur du chiffre. Cependant, son juge lui a permis une auto-correction et le comptage a été adéquat.

Je lui propose un autre problème en lui disant qu'elle peut s'aider des idées émises par le fou pour le solutionner. Elle doit trouver le nombre qui est le plus grand parmi les suivants: 908 unités, 809, 12 dizaines et 5 unités. Il me sera possible d'observer si J. réutilise l'apprentissage fait au cours de l'exercice précédent, puisqu'elle doit reconstituer le dernier nombre à partir d'une description relative au nombre de dizaines et d'unités.

Elle me dit que le fou lui suggère de compter 12+5=17. Je lui suggère d'aller voir son juge. Elle répète qu’il va recompter 12+5. Je lui demande alors si son juge se demande ce qu'est 12? Elle constate qu’il s'agit de 12 dizaines. Je poursuis: "C'est fait comment 12 dizaines?" Elle retrouve une illustration correspondant aux bâtonnets des multibases. Je lui demande ce que voit son juge à côté. Elle reconnaît qu’il y a cinq unités. J'ajoute: "Est-ce que ton juge est capable d'additionner pour savoir comment ça fait en tout". Elle acquiesce et m’explique par la suite que son juge aurait besoin de bâtons pour compter. Je lui demande s’il les a dans sa tête. Elle commence alors à additionner en comptant dix par dix jusqu’à 120 puis elle ajoute 5 unités et découvre 125. Elle peut se rappeler qu’elle avait déjà trouvé 17. Je lui demande donc de dire lequel des deux est le bon nombre. Elle me répond adéquatement mais lorsque je l’interroge afin de connaître la raison de sa première réponse, elle m’explique qu'elle doit trouver le plus grand nombre, 125 étant le plus grand, 12 dizaines et 5 unités correspond donc à 125. La réponse apportée par J. ne traduit donc pas une compréhension quant à la formation du nombre 125 à partir de sa décomposition.

Je lui dis qu'elle mêle la question posée avec la façon de faire le problème. Je lui propose de retourner dans le cercle du fou pour se rappeler ce qu'il avait dit de faire. Elle se souvient de l'opération effectuée. Elle m'explique qu'à ce moment, elle cherchait à trouver la réponse, le nombre. Je poursuis: "Est-ce que le juge t'a donné le nombre?" Elle me dit qu'il lui a donné le nombre 125. Elle ajoute que maintenant elle peut répondre à la question. Je lui propose de me répéter cette question. Au lieu de me répéter la question, elle répond: "908". Elle m'explique alors qu'il s'agit de 908,"mais qu’il va dans les unités". Je lui demande si 908 est pareil à 908 unités. Elle élude la question et continue à répondre à la question initiale en donnant 809 puis 125.

J. semble avoir perdu le sens de ce qui se passe. Elle confond les procédures à utiliser pour résoudre un problème et la solution finale du problème. Le jeu des trois personnages ne semble pas l'aider à s’organiser dans cette démarche de résolution de problèmes. Il est vrai que je ne lui ai pas encore proposé d'aller voir son juge. Je suis intervenue à la phase de la réalisation. Malgré l'utilisation de cette approche au cours des trois dernières séances, J. confond encore le rôle du fou et du réalisateur et j'interviens encore trop rapidement pour la questionner. Si cette approche ne favorise pas une meilleure organisation chez J., elle me permet toutefois d'observer où se situent ses faiblesses et les miennes.

Je poursuis en lui demandant comment elle va s'y prendre. Elle me répète que si 908 est dans les unités, on ne peut pas le prendre parce que ce sont des unités. Elle ajoute: "Si

125 est dans les dizaines, ça va être lui le plus gros". Je lui propose de me nommer les trois nombres inscrits sur le carton. Elle commence en disant 908 puis 809 et enfin 125. Je lui demande de me formuler la question. Elle la reprend correctement. Je continue: "Comment feras-tu pour répondre?" Après un instant, elle peut m'expliquer qu'elle va relire les nombres puis qu'elle ira "dans celui qui fait". Je lui suggère d'attendre un peu avant d'aller "dans celui qui fait" et de chercher d'abord à savoir quoi faire. Elle répond qu’elle doit chercher la réponse. Je répète: "Comment tu vas faire?" Elle me dit qu'elle doit regarder les nombres. Je poursuis: "Tu vas regarder quoi dans les nombres"? Elle veut regarder les centaines et constate que 100 est plus petit que 800, puis que 900 est plus gros que 800. Elle conclut donc que 908 est le plus grand. Je lui propose d’aller voir son juge. Ici, elle avoue que ce ne

sera vrai que si on ôte le mot unité à côté du nombre 908.

La croyance selon laquelle 908 unités et 908 sont des entités différentes est donc très ancrée. Malgré le déroulement de sa pensée observé plus haut, l'utilisation de son juge permet de faire ressortir sa préoccupation.

Je décide de m’attaquer à cette croyance en l'interrogeant à nouveau sur la différence qui semble exister, pour elle, entre 908 et 908 unités. Pour la première fois, elle accepte de dire que ce n’est pas la même chose. Je lui propose d'aller voir son juge puisque le rôle de ce dernier consiste à vérifier nos doutes, nos hypothèses. Elle me répète que si 908 est dans les unités, il est plus petit que s’il est dans les dizaines parce que: "L'unité c’est plus petit que les autres chiffres". Elle ne sait toutefois pas comment elle pourrait vérifier cela.

Elle reconnaît qu'elle vient de faire des unités et des dizaines et qu'elle ne sait plus quoi faire. Je lui demande comment elle fait dans .a classe. Elle me parle des cartes représentant les différentes formes des multibases. Elle reconnaît qu'avec ce matériel elle pourrait vérifier. Je le lui fournis. Elle commence à compter les unités une à une jusqu'à 60. Je l’arrête et lui dis: "Ton juge ne se pose pas de questions lorsqu'il voit beaucoup d'unités comme ça?" Elle décide de prendre les unités pour en faire des dizaines. Elle justifie cette décision en disant que si on compte comme ça, on n'aura pas assez d'unités. Je lui dis qu'on pourra toujours en trouver d'autres. Elle découvre que former des dizaines est plus rapide. Elle recompte donc ses 60 unités deux par deux et commente les changements effectués. Je lui demande combien elle veut d'unités. Elle me dit 908. Je la questionne ainsi: "Tu ne trouves pas que c'est long compter un à un comme ça?" Elle continue tout de même en formant le nombre 30 puis 40. Je répète: "Est-ce que ton juge se demande s'il n'y aurait pas une façon plus rapide de faire ce travail?" Elle décide de prendre des plaques de centaines.

Elle choisit neuf plaques puis compte 100, 110...Je l'arrête et lui demande si son juge sait compter les centaines. Elle reprend 100 200...jusqu’à 900. Puis elle pose huit unités à côté. Elle conviendra que 908 unités n’est pas différent de 908.

Aurais-je dû faire intervenir fou et\ ou réalisateur? Ici, j’ai souvent fait intervenir le juge dans le but de l'inciter à apporter une ou des corrections, d'ébranler une croyance. Cependant, le fou aurait peut-être suscité une plus grande originalité dans le choix des idées à expérimenter.

6.5.1 Conclusion de la quatrième séance

Lors du premier et du troisième problème, elle a tenté d'escamoter la phase du fou passant immédiatement à la réalisation. Au cours du deuxième problème J. se dit préoccupée par la recherche d’une réponse et non par la recherche d'une méthode de travail. Elle exprime d'ailleurs qu’elle cherche à trouver la réponse, le nombre. Cette observation explique la confusion qui persiste entre les deux premiers personnages et l'importance de poursuivre le travail dans le même sens.

Au niveau des connaissances mathématiques, elle a eu à retrouver le nombre de dizaines dans 146 et à comparer des nombres représentés de différentes façons. A nouveau elle a confondu le nombre de dizaines et le nom relatif à la valeur du chiffre. Cependant son juge lui a permis une auto-correction et un comptage adéquat. Le juge lui permet aussi de verbaliser ses doutes quant à la valeur de 908 unités et de 908. Il joue donc un rôle important qui permet de laisser apparaître ses croyances.

En ce qui concerne mes interventions, elles sont encore trop hâtives. Je néglige les connaissances que J. peut exprimer à travers son juge. C'est pourtant à partir de ces dernières que j'ai pu observer les conceptions et les croyances de J. C'est aussi à cette étape que j'ai pu constater le plus de possibilités de restructuration dï ses connaissances. J'éprouve une difficulté à faire réapparaître les personnages du fou er du réalisateur au cours d'une tâche. Serais-je moi aussi trop préoccupée par la "bonne réponse"?