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Je débute la séance en demandant à M. de se rappeler la manipulation des bases de numération qu'elle a faite lorsqu'elle était en première année. Je désire ainsi faire ressurgir les souvenirs de ses expériences antérieures, ses images mentales. Je crois obtenir, de cette façon certaines informations quant à ses conceptions et ses croyances. De plus, le travail que je désire faire avec elle consiste à l'amener à développer les images qu'elle peut voir ou se dire dans sa tête. C'est à partir d’un souvenir que je commence le travail.

Elle me dit se rappeler ses expériences et commence à grouper des cubimaths en base cinq répondant ainsi à ma demande. Elle dénombre correctement un premier groupement et dispose les cubes les uns à côté des autres. Elle les oppose ainsi à ceux qui n'ont pas encore été dénombrés. Je lui demande alors de les organiser pour qu'il soit possible de voir rapidement qu’il s'agit bien d'un groupe. Elle répond qu'il faudra en faire d’autres. Ne comprenant pas le sens de sa réflexion, j’émets une directive présentée sous forme de question: "Est-ce qu'on pourrait les coller ensemble?" Ici, l'enfant n'a eu qu'à s'exécuter sans

vraiment avoir la chance de comprendre la raison de cette invitation. Elle n’a pas senti la nécessité de modifier son organisation et je n'ai pas su lui verbaliser le pourquoi de cette demande. Il s’agissait tout simplement de rendre les groupes moins faciles à défaire. Elle continuera par la suite à compter le reste des cubimaths en les groupant en base cinq, tel que suggéré. Je lui demanderai au cours de son travail comment elle appelle ce groupement. Elle me répondra un ensemble de cinq. Lorsqu'elle obtient cinq groupes de cinq elle continue à compter les cubimaths isolés sans penser à regrouper de nouveau. Je m'y attendais puisqu'elle n'avait pas eu à observer la nécessité dans le cas des groupements de premier ordre. De plus, la règle selon laquelle il faut grouper par cinq à toutes les fois où c’est possible n'a pas été énoncée explicitement.

En effet, je me suis appuyée uniquement sur un souvenir scolaire sans lui faire verbaliser ce dont elle se souvenait réellement et sans lui faire prendre conscience de groupements explicites dans notre vie quotidienne, images qui sont sans doute les plus aptes à donner un sens à ce qu’elle doit faire. Ainsi lorsque je lui demanderai ce que nous devons faire lorsque nous avons cinq paquets de cinq, elle ne saura que répondre.

Il apparaît évident ici que l'enfant et moi n’avons pas le même point de départ. En partant de ses expériences à l'école j’ai devancé son niveau de développement qui se situait entre les niveaux de la compréhension intuitive et de la compréhension procédurale du premier palier. Elle aurait eu besoin de découvrir des règles de regroupement dans son milieu d'abord. Cette règle artificiellement donnée a tout de même pu servir de point de départ pour découvrir les regroupements (groupements faits avec des groupes). Ces différentes manipulations me permettent de mettre en place les "fondations" sur lesquelles nous pourrons ériger des souvenirs ou des images mentales. Pour qu'un enfant puisse obtenir une image mentale, il faut d'abord lui fournir des outils.

Souvenons-nous que Piaget parlait d'images reproductrices qui s'avéraient presque exclusivement statiques dans un premier temps. Lorsque les enfants parvenaient à effectuer des mouvements et des transformations, il les appelait images anticipatrices. M. a encore de la difficulté à s'exprimer sur des images reproductrices. Elle n'est pas consciente qu'elles existent et qu'elles peuvent lui être utiles.

Lorsqu'il a fallu nommer ce qui venait d'être fait, les difficultés ont surgi. La verbalisation de ce qui se passe actuellement est cependant importante. Elle favorise la prise de conscience et possiblement la mémorisation de ce qui a été fait. A la question: "Si tu avais

à me nommer ce que tu viens de faire, comment appellerais-tu ça?”, elle réponds vingt-deux. Elle a dénombré un à un en comptant en base dix puisque c’est une expérience qui est récente et fréquente pour elle. Je reviends donc en arrière pour lui demander en lui montrant du doigt: "Comment appelions-nous ça”? Elle se montre surprise et je lui rappelle qu'elle lui avait déjà donné un nom. Elle se rappellera le nom utilisé et pourra me dire combien elle a de groupes de cinq. Je lui décrirai à ce moment ce qu'elle a devant les yeux (tu as quatre groupes de cinq et deux unités) en lui disant que c'est le nom qu'on donne en base cinq. Par la suite je lui demande comment s’appelle le nouveau groupe qu’elle a formé (regroupement) . Elle le nommera en le décrivant ainsi: "Cinq groupes de cinq". Je lui demanderai de le dénombrer et je lui suggérerai l'appellation "gros groupe” pour le nommer, expression qu’elle reprendra facilement. H semble exister une confusion chez l'enfant entre, trouver un nom à un ensemble et le décrire en s'appuyant sur une de ses propriétés. Il est vrai que chez tout enfant, il y a une évolution à propos de cette verbalisation. Le plus jeune procédera d'abord à partir de l’utilité reconnue à l'objet pour aller ensuite vers une description moins spécifique et enfin arriver à un nom générique.

Je lui propose par la suite de formaliser ses observations en trouvant une façon d’écrire ce qu'on voit. Devant son silence, je lui rappelle la façon utilisée en première année pour rapporter ses résultats. Je désire faire émerger ses images mentales de la même façon qu'au début de la séance. Cependant au lieu de laisser au souvenir le temps de ressurgir, je lui dessine ce qui lui était offert à ce moment. Il ne lui reste donc plus qu'à illustrer les gros groupes et à inscrire le nombre d'items pour chaque dessin y correspondant, ce qu'elle fera sans problème. Ceci illustre bien mon désir d'arriver le plus rapidement possible à l'objectif que je me suis fixée au début de la séance (lui faire découvrir une régularité dans la construction de groupement). La pédagogie par objectifs favoriserait-elle une quête de l'objectif visé au détriment du cheminement particulier de chacun?

La même démarche sera reprise en groupant cette fois en base dix. Les étapes se feront plus rapidement. Elle dénombre chaque groupe en disant un, deux, trois, identifiant ainsi la naissance d'un nouvelle unité de comptage, la dizaine. Lorsqu'il s'agit de nommer les groupes, elle retrouve d'ailleurs rapidement ce nom "dizaines”, utilisé en classe. J'ajoute la question suivante: "Tu as combien d'unités en tout, même celles qui sont regroupées"? Elle identifie correctement toutes les unités en jeu dans cette séquence.

Je lui pose alors des questions sur la nature des groupes. Elle retrouve la similitude entre dix unités et une dizaine. Elle trouve par double comptage le nombre de dizaines qui

manquent pour avoir un "gros groupe”. Je lui demande par la suite de fabriquer un "gros groupe". Je la questionne par la suite, afin de savoir si le plus grand nombre est "un gros groupe" (cubimath assemblé en structure à trois dimensions) ou "dix petits groupes"(dix rangées de dix cubimaths les unes à côté des autres). Elle répond immédiatement: "C'est égal". Puis elle me dira que le plus gros groupe est plus grand. H semble y avoir conflit entre ses connaissances antérieures et ses nouvelles observations. Je lui demande alors avec quoi elle a fait son gros groupe. Elle reconnaît qu'il est composé de dix petits groupes, puis elle explique qu'elle croyait que c’était plus grand parceque ça prenait plus de place. J'observe ici sa pensée magique. Il est vrai qu'au cours de l'entrevue préliminaire, elle a démontré un comportement semblable en affirmant que le bonhomme qui avait trois paquets de dix jetons en avait plus que les deux autres (deux paquets de dix jetons et dix jetons, trente jetons). Se pourrait-il que la conservation du nombre, d'après sa disposition, ne soit pas acquise automatiquement pour les grands nombres et ce, même lorsqu'elle l'est pour les nombres plus petits que dix? Il me semble que M. aurait très bien pu reconnaître la conservation entre cinq jetons en rangée et cinq jetons dispersés si cette expérience avait été tentée auparavant. Hélas...

Lorsque je lui demande combien elle a d'unités en tout maintenant, elle me répond sept. Elle ne pense pas compter les unités qu'il y a dans son gros groupe. Je laisserai cet aspect de côté pour le moment. Après sa récente découverte (équivalence entre un gros groupe et dix petits groupes), je crains qu’elle ne se sente incompétente si j'insiste pour modifier une autre conception. J'essaierai plutôt de trouver un terrain où elle pourra maintenant utiliser sa nouvelle compétence.

Je lui pose la question suivante: "Devine quel nombre tu aurais si tu ajoutais vingt au nombre 107 que tu as déjà"? Elle me répond sur le champ 127. Je lui propose de vérifier ses crcynnces à l'aide du matériel afin qu'elle puisse observer qu'un comptage spontané correspond à une réalité. Avec cette expérience j’espère développer chez elle l'habileté à imaginer un matériel dans sa tête. Ce nouveau matériel, sans cesse disponible, pourrait lui permettre de résoudre un problème pour lequel elle ne trouverait pas spontanément une réponse. J'entre ici dans le coeur de l’imagerie mentale. Je désire lui faire prendre conscience que même les réponses qui apparaissent spontanément peuvent aussi être obtenues par réflexion.

Elle ajoute deux dizaines comme je le prévoyais mais elle les inclut dans le "gros groupe". Je lui demande si elle a le droit de mettre ces deux dizaines dans le "gros

Je lui demande quel nombre elle aurait si elle enlevait cent. Elle me répond correctement et peut manipuler adéquatement le matériel qui vient corroborer ses prévisions.

Je lui demande quel nombre elle aurait si elle ajoutait quatre unités au nombre 27 qu’elle a actuellement. La retenue intervient ici. Je désire vérifier si elle pensera à regrouper les cubimaths. Elle me répond 30. Je lui demande comment elle fait pour trouver, elle répond 7+4=10. L’erreur est due à un problème de comptage. Ici aussi, je lui demande de vérifier ses dires par ses manipulations. Elle compte 10, 20, 21, 22... 31. Elle se corrige verbalement mais ne fait pas de nouveau groupement. Je lui dis alors que je vois 20 et plusieurs unités mais pas 31. Je lui demande ce qu'on faisait en base cinq lorsqu'on avait cinq unités. Elle rétorque:"On va faire un groupe". Le rappel d'une expérience passée lui permet de généraliser et de résoudre des problèmes. Je dois toutefois lui rappeler cette expérience tout en souhaitant qu’elle arrive à l’utiliser elle-même spontanément plus tard.

Ma dernière question vise à lui faire généraliser la construction de groupements à chaque fois qu'elle obtient dix. Je lui demande: "Si tu avais dix gros groupes, qu'est-ce que tu ferais"? Elle ne sait que répondre. Je reviens donc sur son expérience de la base dix en lui permettant de se remémorer ses gestes lorsqu'elle avait dix unités puis dix dizaines. Elle ne trouve toujours pas. Je reviens alors sur son expérience de la base cinq en suivant la même démarche qu'avec la base dix. Ici il semble y avoir plus de place pour l'imprévisible puisque la base cinq est peu utilisée dans son quotidien. C'est ici qu'elle me dira qu'elle peut faire des groupes de gros groupes en base cinq. Je lui demande immédiatement de réinvestir dans la base dix en lui reposant la question de départ. Avec beaucoup d'hésitation elle généralisera son expérience en disant "un groupe de gros groupes".

5.2.1 Conclusion de la première séance

Au cours de cette séance M. et moi avons pu énoncer clairement les règles propres à la numération. Nous avons mis en place des manipulations qui pourront servir à alimenter des images reproductrices. La verbalisation a favorisé des prises de conscience de ce qui se passait et de ce qu'elle faisait: elle a pu observer le déioulement d'une réflexion. M. a aussi découvert la conservation des grands nombres d'après leur disposition.

Cette séance m'a sensibilisée au danger d’une pédagogie par objectifs. Elle m’a aussi appris que M. pouvait profiter d'une intervention basée sur l'imagerie mentale. En effet, elle utilise à deux reprises ses expériences récentes (puisqu’elle vient de les revivre) pour généraliser à un nouveau contexte (passage de la base 5 à la base 10). De plus, les verbalisations de M. m'ont permis de me rendre compte de son niveau de développement (étape descriptive).

Cette première séance en est une de tâtonnements. M. ne savait pas trop à quoi s'attendre. De mon côté, je n’avais pas réalisé l'importance de revenir à ses expériences de la vie courante, compte tenu de son niveau de compréhension. Les propos échangés nous ont permis de mettre en place un vocabulaire et une expérience commune. Ils m'ont aussi permis d'observer les conceptions et les croyances de M. Cette première partie est essentielle à un travail sur les images mentales.

D'autre part, le fait de travailler à partir de ses souvenirs scolaires favorise une sensibilisation au fait de mémoriser, d'éclaircir et de réinvestir des connaissances antérieures. Le souvenir ainsi formé est l'outil qui me permettra de travailler sur ses images mentales évoquées auditivement ou visuellement.