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La vie rurale en Syrie centrale à la période proto-byzantine (IVe-VIIe siècle)

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-02484427

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Submitted on 19 Feb 2020

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proto-byzantine (IVe-VIIe siècle)

Marion Rivoal

To cite this version:

Marion Rivoal. La vie rurale en Syrie centrale à la période proto-byzantine (IVe-VIIe siècle). Archéolo- gie et Préhistoire. Université Lumière Lyon 2, 2011. Français. �tel-02484427�

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l’Université Lumière-Lyon 2

Faculté de Géographie, Histoire, Histoire de l’art et Tourisme

pour l’obtention du diplôme de doctorat Langues, histoire et civilisations des mondes anciens

soutenue le 15 mars 2011

par Marion RIVOAL

L

A VIE RURALE EN

S

YRIE CENTRALE À LA PÉRIODE PROTOBYZANTINE

(IVE-VIIE SIÈCLE)

VOLUME 1–TEXTE

Directeur de thèse :

Bernard GEYER, directeur de recherche, CNRS, Université Lumière-Lyon 2

Jury :

Jean-Pierre SODINI, professeur honoraire, Institut d’histoire et civilisation byzantine rapporteur Maurice SARTRE, professeur émérite, Université de Tours, IUF rapporteur Pascal ARNAUD, professeur, Université Lumière-Lyon 2

Pierre-Louis GATIER, directeur de recherche, CNRS, Université Lumière-Lyon 2 Denis GENEQUAND, archéologue, Service cantonal d’archéologie, Genève (Suisse) Marie-Odile ROUSSET, chargée de recherche, CNRS

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Université Lumière-Lyon 2

L

A VIE RURALE EN

S

YRIE CENTRALE À LA PÉRIODE PROTOBYZANTINE

(IVE-VIIESIÈCLE)

par Marion RIVOAL

VOLUME 1–TEXTE

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À mes parents   

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Remerciements 

À l’heure où j’achève ce travail, entrepris il y a plusieurs années de cela, je tiens à remercier Bernard Geyer et Pierre-Louis Gatier, pour la confiance qu’ils m’ont témoignée en m’offrant de travailler sur les « Marges arides » et sur des données inédites, pour la patience dont ils ont fait preuve à mon égard, les précieux conseils qu’ils m’ont prodigués et, enfin, pour leur appui, sans lequel je n’aurai pu bénéficier d’une bourse d’aide à la recherche à l’Institut Français du Proche-Orient de Damas.

Mes remerciements vont aussi à Bertrand Lafont, directeur du département Histoire et archéologie de l’Antiquité de l’Institut Français du Proche-Orient, et à Michel Al-Maqdisi, directeur des fouilles et des études archéologiques de la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie, pour m’avoir permis de réaliser des prospections.

Je souhaite aussi dire merci à ceux que j’ai côtoyés sur le terrain, dans les bureaux de l’IFPO et à la bibliothèque, enfin, pour leurs conseils, leurs idées, leur écoute et parfois simplement pour leur seule présence. Qu’ils trouvent ici l’expression de ma plus profonde gratitude. Merci à Élodie Vigouroux, à Tara Steimer-Herbet, à Hommam Saad, à Marie- Laure-Chambrade, à Julie Bonnéric, à Amélie Le Bihan.

Merci à mes parents, à ma sœur, pour leur soutien, leur confiance, leur aide enfin.

Merci à Fabrice Laurent, à Josselin Derbier.

Merci à ceux qui m’ont appris de petites et de grandes choses. Merci à Olivier Barge, à Séverine Sanz et Emmanuelle Regagnon, à Marie-Odile Rousset, à Thibaut Fournet, à Jean-Baptiste Rigot, à Julien Aliquot, à Dominique Piéri.

Merci aussi à ceux qui ont su me rendre la vie plus facile. Merci à François Bernel, à Frank Capisano, à Mohammad Al-Dbiyat, à Nazir Awad.

Un grand merci aussi à Abu Fayyad, mokhtar d’Al-Sa‘an, à William et à leurs femmes pour leur hospitalité, leur aide et leur amitié.

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S

OMMAIRE

INTRODUCTION ... 11

PREMIÈRE PARTIE :  ÉTAT DE LA RECHERCHE, CADRE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE 19 CHAPITRE I.INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE ... 21 

A. Des premiers inventaires aux prospections systématiques en Syrie centrale (1500-1960) ... 21 

B. Les avancées de l’archéologie depuis 1960 ... 38 

C. Méthodologie ... 54 

CHAPITRE II.ENVIRONNEMENTS NATURELS PRÉSENTS ET PASSÉS ... 73 

A. Climat, milieux, et potentiels agricoles : la situation subcontemporaine ... 74 

B. Données paléoenvironnementales ... 128 

C. Synthèse : milieux et facteurs humains, quelles identités régionales ? ... 140 

CHAPITRE III.LES CONDITIONS ADMINISTRATIVES ET POLITIQUES DE LOCCUPATION BYZANTINE EN SYRIE CENTRALE ... 143 

A. Le cadre administratif, institutionnel et politique de l’occupation byzantine ... 143 

B. Les fléaux des VIe-VIIe siècles ... 168 

C. Avancées et reculs du peuplement : l’occupation byzantine de la Syrie centrale en perspective. ... 179 

DEUXIÈME PARTIE :  HABITAT, TERRITOIRE ET TERROIR 203 CHAPITRE IV.LES CONSTRUCTIONS ... 205 

A. Matériaux et techniques de construction ... 205 

B. L’habitation ... 258 

C. Les constructions religieuses... 352 

D. Des installations à caractère défensif ? ... 503 

E. Les autres édifices villageois ... 575 

F. L’architecture funéraire ... 591 

CHAPITRE V.UN PRÉALABLE À LA MISE EN VALEUR AGRICOLE : LAPPROPRIATION DU TERRITOIRE ET DE LA RESSOURCE EN EAU ... 613 

A. Les modes d’appropriation du terroir ... 614 

B. Les aménagements hydrauliques ... 637 

CHAPITRE VI.PRATIQUES CULTURALES, ÉLEVAGE ET INSTALLATIONS LIÉES À LEXPLOITATION DU MILIEU NATUREL : LES PRODUCTIONS ... 671 

VOLUME 1

VOLUME 2

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TROISIÈME PARTIE : 

LE PEUPLEMENT BYZANTIN DE LA SYRIE CENTRALE 761

CHAPITRE VII.DE LHABITAT ISOLÉ À LA CITÉ : LES DIFFÉRENTES FORMES DU PEUPLEMENT ... 763 

A. L’habitat isolé ... 764 

B. L’habitat groupé ... 774 

CHAPITRE VIII.LES GRANDES ZONES DE PEUPLEMENT HOMOGÈNE ... 833 

A. La répartition des différentes formes de l’habitat ... 834 

B. Les secteurs à dominante culturale, pastorale et mixte ... 845 

CHAPITRE IX.LE DÉVELOPPEMENT DUNE ZONE DE MARGE : UNE « RUÉE VERS LEST » ? ... 855 

A. La mise en place du peuplement byzantin ... 855 

B. Une question restée en suspend : les formes de la propriété et les modes de faire-valoir ... 888 

C. La nature des échanges et la circulation des productions ... 902 

CHAPITRE X.LES CONDITIONS DE LA CONQUÊTE BYZANTINE DE LA SYRIE CENTRALE ET LES CAUSES DU RECUL DU PEUPLEMENT AU VIIE SIÈCLE... 911 

A. Les conditions du développement démographique et économique de la région ... 911 

B. Une politique volontariste de développement de la région ? ... 914 

C. Les facteurs de déclin aux VIe et VIIe siècles ... 917 

CONCLUSION ... 929 

INDEX DES NOMS DE LIEUX ... 939 

BIBLIOGRAPHIE ... 947 

TABLE DES MATIÈRES ... 985 

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I NTRODUCTION

Les recherches menées sur les campagnes au Proche-Orient, et tout particulièrement en Syrie, s’inscrivent dans une longue tradition historiographique qui a connu des développements qu’on peut qualifier de « modernes » à partir du milieu des années 1980.

L’ouvrage fondateur en la matière, paru dans les années 1960 et novateur à bien des égards, est celui de G. Tchalenko1. L’auteur s’est intéressé à l’occupation romaine et byzantine du Massif calcaire et à sa manifestation la plus courante – en Syrie, mais aussi dans la plus grande partie du Proche-Orient – : le village. À la suite des inventaires des voyageurs, des premiers explorateurs et des archéologues de la fin du XIXe et de la première moitié du

XXe siècle, F. Villeneuve a consacré dans les années 1980 sa thèse de doctorat, puis un article qui la résume, au peuplement antique du Hauran2. Comme G. Tchalenko, il fonde son étude des campagnes sur l’analyse des villages et de leur économie. G. Tate a adopté le même point de vue, dans les années 1990, bien qu’il se distingue de ses prédécesseurs par une méthode d’analyse systématique, sérielle, plus susceptible de dégager les principales périodes de croissance démographique et/ou économique3.

La Syrie centrale, dont le peuplement antique n’avait été que brièvement abordé à partir des observations aériennes d’A. Poidebard dans les années 1930 et 1940 4, était restée en marge de ces travaux jusqu’au milieu des années 1990. À partir de 1995, et jusqu’en 20025, le programme de recherche pluridisciplinaire « Marges arides de la Syrie du Nord » a choisi pour terrain d’étude une grande partie de la région que j’appellerai ici Syrie centrale.

En septembre 2003, au moment où, avec B. Geyer et P.-L. Gatier, nous définissions le sujet de ma thèse de doctorat, un seul volume de la série « Conquête de la steppe » avait été publié6. Un article faisait alors référence à une « ruée vers l’est », que les auteurs situaient au cours de la période byzantine7, et montrait que l’occupation antique du Massif calcaire et du Hauran trouvaient quelques résonances dans la steppe, particulièrement entre le IVe et le

VIIe siècle. Compte-tenu des éléments de comparaison dont on disposait pour la Syrie du Nord et la Syrie du Sud, l’étude des campagnes byzantines de cette région semblait alors prometteuse. Mais la Syrie centrale présente toutefois, par rapport au Massif calcaire et au Hauran, une particularité importante. Sa situation, à cheval entre le Croissant fertile et la steppe aride en fait une zone de transition entre le domaine cultivé et les terrains de parcours (badiya), entre les populations sédentaires et les tribus nomades ou semi-nomades. Les

1 TCHALENKO 1953-1958. Les travaux de terrain qui font l’objet de cette publication se sont pour l’essentiel déroulés dans les années 1936-1939 (TCHALENKO 1953, 1, p. XI-XIV).

2 VILLENEUVE 1983 et VILLENEUVE 1985.

3 TATE 1992. Les recherches de G. Tate qui ont abouti à la publication d’une partie de sa thèse de doctorat ont duré 15 ans et ont débuté au milieu des années 1970, en particulier avec la fouille de Dehes.

4 POIDEBARD 1934 ; MOUTERDE et POIDEBARD 1945.

5 Une campagne de terrain complémentaire a eu lieu au printemps 2010, pour préparer la publication finale. Les résultats de cette dernière campagne, qui n’ont été dépouillés que récemment, n’ont pu être intégrés à mon travail.

6 GEYER 2001. Dans l’intervalle, deux autres volumes se sont ajoutés à cette série (JAUBERT et GEYER 2006 ; GATIER, GEYER et ROUSSET 2010). Un quatrième est actuellement en préparation.

7 GEYER et ROUSSET 2001.

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différentes populations qui s’y côtoient pratiquent le plus souvent une économie mixte, dans laquelle l’élevage ou la culture occupent une place prédominante, dans des proportions qui peuvent varier d’une période à l’autre, parfois dans un temps très court. Les stratégies de subsistance (sédentarité, nomadisme, ou semi-nomadisme) elles-mêmes peuvent être modifiées pour s’adapter à la conjoncture climatique, fluctuante.

La Syrie centrale, au sens où je l’entends ici8, ne se limite pas à la zone d’étude du programme « Marges arides de la Syrie du Nord » (carte 1). C’est une région de 26 800 km² qui s’étend à l’ouest de la route actuelle qui relie Hama à Alep jusqu’à Qasr al-Hayr al- Sharqi à l’est. La latitude d’Alep correspond à sa limite nord et celle d’Al-Rastan approximativement à sa limite sud. La zone étudiée comprend donc, en plus des « Marges arides », une partie du piémont du Jabal Zawiyah (chaînon calcaire de la Syrie du Nord) l’ensemble du Jabal al-‘Ala, du Jabal Hass et du Jabal Shbayt (plateaux basaltiques) et de la sabkha Al-Jabbul, le glacis d’Al-Bab et le bas-plateau de Maskanah au nord, une partie de la chaîne palmyrénienne au sud et le plateau de Resafa à l’est (carte 2). Les limites que j’ai fixées à la Syrie centrale dans cette étude donnent l’occasion d’effectuer une synthèse des études anciennes9, des prospections-inventaires10 et des programmes récents menés sur les

« Marges arides » et sur la partie orientale de la Syrie centrale, dans le prolongement de la strata diocletiana11.

Le cadre chronologique de l’étude s’est imposé de lui-même. Il fallait prendre en compte les mêmes périodes que celles étudiées dans le Massif calcaire et le Hauran. L’intérêt d’étudier la Syrie centrale tient en effet en partie à ce qu’il est possible de comparer la situation dans cette région à celles connues en Syrie du Nord et en Syrie du Sud. Ce rapprochement permet de préciser les spécificités de la Syrie centrale (une « ruée vers l’est » ?) et de compléter (de nuancer ?) la situation déjà connue ailleurs pour la période byzantine. Le IVe siècle correspond, en Syrie du Nord, au début de la phase d’expansion principale, qui prend fin autour du milieu du VIe siècle. En Syrie du Sud, ce développement, commencé plus tôt et globalement plus linéaire, semble s’interrompre autour des VIIe-

VIIIe siècles, en fonction des auteurs. En Syrie centrale, les publications du programme

« Marges arides » placent la plus forte densité de l’occupation sédentaire et la mise en valeur maximale entre le IVe et le VIIe siècle. Le choix de cette fourchette chronologique (IVe-

VIIe siècle) permet aussi d’étudier un cycle de peuplement complet, c’est-à-dire l’installation d’une population sur un nouveau territoire, avec les aménagements hydro-agricoles mis en œuvre pour en assurer la mise en valeur, puis son recul progressif et la transformation des stratégies d’occupation et d’exploitation du sol, à partir de l’époque omeyyade.

La Syrie centrale, dans le cadre de l’économie traditionnelle – c’est-à-dire avant l’introduction des motopompes et des forages profonds – n’autorisait qu’une culture

8 Voir ci-dessous p. 21.

9 AAES 2 ; PAES 2B ; LASSUS 1935 ; POIDEBARD 1934 ; MOUTERDE et POIDEBARD 1945.

10 MAXWELL HYSLOP 1942 ; GAUBE 1979 ; HAASE 1983 ; RIGOT 2003 ; SCHWARTZ et al. 2000.

11 KONRAD 2001a.

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13 ponctuelle et limitée dans la badiya. Les terroirs de la steppe, autrefois exploités par les populations byzantines, n’offraient dans les conditions climatiques et pédologiques subactuelles, avec les technologies traditionnelles, qu’un intérêt limité pour les cultivateurs sédentaires. C’est ce qui explique, dans la plus grande partie de la région, l’excellent état de conservation des sites archéologiques – qui s’est cependant dégradé rapidement ces dernières années à cause des labours. Dans la zone la plus à l’ouest, la réoccupation moderne, diffuse, a été progressive, ce qui permettait d’observer, sur les photographies aériennes des années 1960, les parcellaires antiques. Le nombre de sites révélés par les premiers inventaires archéologiques dans les zones basaltiques de la région, ajoutés aux presque 400 sites identifiés au cours du programme de prospection « Marges arides », permettaient d’envisager une approche analytique et quasi-statistique des sites byzantins de la région.

L’objectif était de présenter un état des lieux de l’occupation byzantine à la fin du

VIe siècle, ou plutôt au tout début du VIIe siècle si l’on se fie aux dernières inscriptions datées, en rassemblant des données de plusieurs natures : des indications bibliographiques bien sûr, mais aussi des observations de terrain, principalement réunies au cours de deux prospections12, des informations fournies par la base de données constituée à l’occasion du programme « Marges arides » et une analyse de l’imagerie satellitaire et des photographies aériennes anciennes. Pour définir l’économie rurale de la région – ou plutôt les économies rurales imbriquées qui la caractérisent, comme on le verra –, j’ai choisi d’approcher les quelque 600 sites de mes bases de données par l’étude du bâti et de ramener la variété des matériaux (brique crue, basalte, calcaire et gypse) et des techniques employées dans toute la région à un dénominateur commun : l’habitat et les constructions, étudiées indépendamment les unes des autres (églises, « grands bâtiments », forts, bains, etc.). Pour saisir la nature des formes de peuplement – diversifiées au regard de la situation contemporaine dans le Massif calcaire et le Hauran – sur lesquelles repose la mise en valeur, il me semblait essentiel d’identifier des constantes valables pour toute la région.

Mais l’architecture seule n’est pas en mesure de rendre compte des spécificités du peuplement de la Syrie centrale. C’est peut-être là l’une des principales singularités de la région et c’est la raison pour laquelle l’étude du bâti, bien qu’elle occupe une place importante dans ce travail de recherche, n’est pas l’unique orientation choisie. L’état de conservation des constructions, en brique crue pour la plus grande partie, est médiocre comparé à celui des habitations du Massif calcaire ou des maisons – certes, remaniées – du Hauran. Les plans et la fonction des édifices, en Syrie centrale, ne se laissent pas percevoir immédiatement. En revanche, l’état actuel de la réoccupation, clairsemée dans certains secteurs, a permis de conserver certains aménagements antiques et notamment ce que j’ai appelé des « enclos de territoire », qui délimitent le terroir exclusif d’un site. Le parcellaire antique apparaît aussi avec plus ou moins de clarté selon les zones. Lorsqu’on considère les formes des champs, le potentiel agronomique actuel des sols – guère différent de celui de l’Antiquité – et la présence éventuelle d’aménagements hydrauliques, il est possible de se

12 Réalisées en novembre 2006 et novembre 2007 et financées par l’Institut Français du Proche-Orient de Damas.

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représenter la nature des cultures pratiquées et le type d’économie sur lequel repose l’implantation des sites. Alors que, pour le Massif calcaire, G. Tchalenko, O. Callot et G. Tate ont déduit du grand nombre de pressoirs antiques conservés l’existence d’une oléiculture florissante, on peut, dans certains secteurs de la Syrie centrale, parvenir à la même conclusion à partir des vestiges de la mise en valeur antique. Les terrasses de cultures, les trous percés dans la dalle calcaire sont autant d’indice de l’existence d’une arboriculture développée.

Mais la Syrie centrale n’offre pas de possibilités de mise en valeur uniforme. Elle est, par nature, une zone de marge, soumise à des facteurs géographiques contraignants qui influent, avec plus ou moins d’intensité selon les zones, sur la nature du peuplement (habitat groupé, habitat isolé) et sur les modes de subsistance (sédentarité, nomadisme et des déclinaisons subtiles de chacun de ces états, éventuellement réversibles). Dans cette région, qui couvre 200 km d’ouest en est et 150 km du nord au sud, l’aridité climatique, localement tempérée – ou aggravée – par les conditions édaphiques, s’exerce avec plus de force vers le sud et l’est. Ces conditions créent des milieux très divers, souvent imbriqués, aux possibilités de mise en valeur très diversifiées et aussi, parfois, très réduites. Le choix de ces limites géographiques permet d’étudier des terroirs13, des stratégies de mise en valeur et des modes de subsistance très différents. Le Jabal al-‘Ala – la dorsale basaltique de l’ouest – est vraisemblablement peuplé assez tôt par des cultivateurs sédentaires alors que la moitié orientale de la région, à l’est du bastion de ‘Itriya, n’autorisait guère qu’une exploitation pastorale – si l’on exclut de rares oasis. Enfin, un peu plus à l’est, dans le prolongement de la strata diocletiana se trouve une route romaine attestée dès la seconde moitié du Ier siècle dont on sait qu’elle était jalonnée au début du Ve siècle par des forteresses, avec des unités de cavalerie ou des légions en garnison.

Le développement que connaît la Syrie centrale à la période byzantine soulève de multiples interrogations, dont certaines s’inscrivent dans la droite ligne des travaux menés sur les campagnes d’autres régions. Quelles sont les raisons de la conquête de ces nouveaux territoires ? Dans quelles conditions (géographiques, politiques, administratives) s’est déroulé ce mouvement de conquête ? La revendication par les sédentaires de ces nouveaux territoires s’est-elle effectuée au détriment d’une autre population – les nomades ? D’où vient l’impulsion à l’origine de ce mouvement de colonisation ? Correspond-elle à un accroissement démographique ? S’accompagne-t-elle d’une prospérité tangible et, si oui, sur quoi repose-t-elle ? Si la période byzantine et plus vraisemblablement les Ve et VIe siècles correspondent bien à un « monde plein », à quoi peut-on attribuer, au VIIe siècle, la fin de cette expansion ?

13 En suivant P. George, j’opte pour une définition double du terme « terroir » : un « territoire aménagé par l’homme et qui ne doit donc pas ses qualités à sa seule nature physique » et un « territoire présentant certains caractères qui le distinguent au point de vue agronomique des territoires voisins » (GEORGE 2004, p. 420). Je réserverai le terme de « finage » au territoire administré et exploité par un village.

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15 On doit aussi s’interroger sur les modalités de cette « ruée vers l’est » et sur les formes de peuplement qu’elle a engendrées. B. Geyer et M.-O. Rousset avaient avancé l’hypothèse d’un front pionnier constitué de fermes14. Qu’en est-il ? L’habitat isolé correspond-il à un front de colonisation ? Constate-t-on une répartition contrastée et des zones de concentration particulière des différentes formes de peuplement dans la région (fermes, monastères, hameaux, villages, bourgs) ? Cette répartition est-elle liée aux possibilités de mise en valeur qu’offre le milieu ? Correspond-elle à des stratégies de mise en valeur distinctes ? Existe-t-il des modes de mise en valeur propres à certaines formes de peuplement ? Le parcellaire antique traduit-il l’existence de productions spéculatives et de productions vivrières ? Est-il possible de mettre en évidence, à partir de ce que l’on sait de l’habitat et des formes du parcellaire, des économies propres à certains milieux et une certaine spécialisation agricole ? Le développement que connaît la région repose-t-il sur la mise en œuvre d’une politique volontariste de mise en valeur et si oui, quels en sont les acteurs ?

Le village, comme on pouvait s’y attendre à partir des résultats obtenus en Syrie du Nord et en Syrie du Sud, constitue apparemment la forme de peuplement la plus répandue – même si elle est loin d’être la seule en Syrie centrale. On dispose, pour les villages, de la documentation la plus détaillée, grâce notamment à l’épigraphie. Avec ces indications, on peut chercher à définir les attributs et les composantes du village mais aussi essayer de saisir la nature et les limites de la communauté qu’il abrite, comme groupe humain mais aussi comme centre de production administrant un territoire – un finage. Idéalement, on devrait aussi s’interroger sur son origine. La trame du village byzantin conserve-t-elle des traces de bâtiments antérieurs autour desquels se serait constituée l’agglomération : des forts, des fermes, des villae ? Le fait que la période byzantine corresponde à la phase d’extension maximale du peuplement sédentaire ne doit pas faire oublier que la région a connu une occupation antérieure, bien qu’elle ait été plus diffuse.

On ne dispose pas de données suffisantes pour répondre à toutes les questions que suscite le peuplement de la Syrie centrale entre le IVe et le VIIe siècle. Dans les première et deuxième parties de ce travail, j’ai cependant tenté de présenter le plus grand nombre d’éléments susceptibles d’apporter des solutions.

Dans la partie « État de la recherche, cadre géographique et historique », j’ai consacré un chapitre à la découverte de la région et aux développements des problématiques rurales dans l’ensemble du Proche-Orient, mais je me suis surtout appliquée à définir le cadre géographique actuel de cette étude, indispensable si l’on veut comprendre le potentiel agricole des différents types de milieux pendant l’Antiquité. Des modifications, d’ordre climatique, édaphique et technologique principalement, sont intervenues depuis l’Antiquité et permettent de nuancer (positivement) certaines des restrictions que la Syrie centrale oppose actuellement à la culture. Mais on verra que les terroirs les plus propices à la mise en valeur aujourd’hui étaient les mêmes à la période byzantine. De même, les milieux les plus

14 GEYER et ROUSSET 2001, p. 118.

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défavorables à la culture l’étaient déjà alors. La principale différence entre la situation antique et l’actuelle s’apprécie probablement en termes de potentiel de rendement, plus importants et réguliers pendant l’Antiquité – même si des conditions climatiques, globalement plus favorables, ne dispensaient pas d’aménagements hydrauliques importants.

Je préciserai également le contexte historique dans lequel s’inscrit le mouvement d’expansion de la période byzantine (état de l’administration de la région au VIe siècle à travers le réseau des cités, stratégie défensive, etc.) ; je le replacerai dans l’histoire de l’occupation de la région et résumerai brièvement les données dont on dispose sur l’essor que connaissent les provinces antiques de Palestine, de Phénicie et d’Arabie, à peu près à la même période.

Dans la seconde partie de ce travail, « Habitat, terroir et territoire », le chapitre le plus important est consacré à l’architecture, d’abord sous ses aspects techniques (matériaux, techniques constructives) puis sous l’angle du bâtiment. Je tenterai d’y résumer les principes et l’organisation de l’habitat, principalement rural – mais pas exclusivement –, qui prend souvent en compte, dans un même bâtiment, des zones dévolues à l’habitation et d’autres réservées à la production. Je passerai ensuite en revue les autres constructions, notamment religieuses (églises, monastères villageois et isolés) et celles dont l’existence est attestée dans les villages (bains, tours, « grands bâtiments », forts, etc.).

Je m’intéresserai dans le chapitre suivant aux opérations préalables indispensables à l’exploitation du terroir. Les limitations antiques, les quelques bornes domaniales identifiées dans la région, l’épierrement, certains types d’enclos et de réseaux hydrauliques reflètent les formes d’appropriation de ces nouveaux territoires et la mainmise progressive des exploitants sur les terroirs qu’ils recèlent. L’accès à l’eau était probablement moins problématique qu’à l’heure actuelle et favorisé par des conditions climatiques globalement plus favorables – de nombreuses sources exploitées dans l’Antiquité sont aujourd’hui taries et la remise en état des qanats, au début du XXe siècle, puis leur abandon, a permis d’observer l’abaissement progressif du niveau piézométrique des nappes superficielles. Mais l’accessibilité de la ressource en eau reste la condition sine qua non du peuplement. Elle ne dispensait pas d’aménagements parfois complexes pour constituer une réserve destinée à la consommation et/ou à l’irrigation et disponible à longueur d’année. Le chapitre VI porte sur la mise en valeur. À partir des résultats d’analyses archéobotaniques et archéozoologiques notamment, il est possible de préciser la nature des espèces cultivées dans la région et le type d’élevage – les formes exactes restent à définir – qu’on y pratiquait. Une fois cernés la variété des cultures et le type d’élevage, on peut passer en revue les différents aménagements agricoles identifiés en connexion étroite avec les sites d’habitat pour déterminer leur(s) fonction(s) probable(s). La forme des enclos et des parcelles, leur environnement, la possibilité ou non d’irriguer renseignent sur la destination des différents aménagements agricoles et permettent de mieux cerner, dans un contexte précis, l’économie des sites (culture, élevage, ou association des deux dans des proportions très variables d’un site à

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17 l’autre) et de formuler des hypothèses quant à l’orientation spéculative de certaines productions (arboriculture et/ou viticulture, production de viande de boucherie, etc.).

La troisième partie, « Le peuplement byzantin de la Syrie centrale », est conçue comme une synthèse entre les deux aspects des sites abordés dans la seconde partie : les bâtiments, d’un côté, et le terroir et les productions, de l’autre. Je proposerai une typologie des formes de peuplement, fondée sur la composante architecturale des sites, sur leur économie et sur leur rôle dans l’aménagement du territoire. On verra que, si la plupart des sites reflètent bien une économie rurale – malgré le caractère parfois spéculatif de certaines productions –, certaines agglomérations, que j’ai assimilées à des bourgs, se distinguent des villages par leur orientation spécifique, manifestement plus commerciale. J’étudierai ensuite dans le détail la répartition – contrastée – des sites puis celle des grandes zones de production homogène (culturale et/ou pastorale) qu’on peut identifier dans la région. Le chapitre IX sera consacré à l’analyse de la mise en place du peuplement byzantin et aux principales étapes du développement des agglomérations, identifiées à partir des inscriptions datées. J’ai choisi ensuite de soulever deux questions spécifiques ; l’une, plus directement liée au village, porte sur la nature de la propriété et sur le statut de l’exploitant tandis que la seconde s’intéresse plus particulièrement aux témoins des échanges, de la circulation des productions locales et du type d’économie sur laquelle est fondée la prospérité de la région.

J’essaierai ensuite, dans le chapitre X, de préciser les conditions qui ont présidé à l’occupation byzantine dans la région et à la mise en valeur qui l’accompagne. Je m’interrogerai aussi sur les facteurs qui ont pu conduire au recul des populations sédentaires, peut-être dès le début du VIIe siècle, et je tenterai d’évaluer dans quelle mesure l’occupation sassanide et la conquête musulmane ont pu contribuer à un éventuel déclin démographique et économique de la région.

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19 PREMIÈRE PARTIE

ÉT A T D E L A R E C H E R C H E,

C A D R E G É O G R A P H I Q U E E T H I S T O R I Q U E

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21 CH A P I T R E I. IN T R O D U C T I O N B I B L I O G R A P H I Q U E E T M É T H O D O L O G I Q U E

La Syrie centrale n’est pas apparue aux yeux des premiers voyageurs et archéologues comme une région archéologique majeure au regard du nombre de vestiges et de leur état de conservation – contrairement à la Syrie du Nord et la Syrie du Sud. Pourtant, la région a aujourd’hui acquis une place importante dans la recherche archéologique. Les thèmes de recherche développés actuellement au Proche-Orient comme l’occupation des zones de marge, la prégnance des facteurs climatiques et la manière dont ces contraintes ont été apprivoisées au cours de la période byzantine placent la Syrie centrale au cœur des recherches contemporaines.

Les principales étapes de la découverte de la région – des premiers voyageurs aux dernières prospections systématiques, pluridisciplinaires – seront exposées successivement puis replacées dans le contexte plus général des recherches actuelles au Proche-Orient. Je préciserai ensuite certaines orientations méthodologiques (base de données, SIG) et proposerai un état des lieux critique de la documentation que j’ai exploitée.

A. Des premiers inventaires aux prospections systématiques en Syrie centrale (1500-1960)

Le terme même de « Syrie centrale » prête à fusion et son acception géographique varie largement d’un auteur à l’autre. Le premier à avoir fait usage de cette terminologie est M. de Vogüé, à la fin du XIXe siècle. La région qu’il désigne alors n’a rien à voir avec celle dont il est ici question. La « Syrie centrale » est pour lui une région qui inclut à la fois la Syrie du Nord et la Syrie du Sud, c’est une vaste zone comprise entre le « grand désert » à l’est et les fleuves du Jourdain, du Litani et de l’Oronte à l’ouest1. Pour le géographe R. Thoumin, le même terme recouvrait une partie de la région soumise au Mandat français comprenant à la fois Beyrouth et Damas et plus largement le mont Liban, l’Anti-Liban, l’Hermon et la Beqaa2. Pour l’épigraphiste M. Griesheimer, le même terme semble plutôt s’appliquer à une région située au sud de Hama, le long de l’Oronte3. Le géographe M. al- Dbiyat, pour qui ce terme désigne une zone comprise entre Homs au sud et Hama au nord, rejoint les vues de M. Griesheimer4. En résumé, le caractère central de la région tient, selon les points de vue, à sa position en latitude ou en longitude.

La « Syrie centrale » apparaît donc comme une région aux contours fluctuants. J’ai néanmoins repris cette terminologie. La zone étudiée apparaît centrale parce qu’elle occupe,

1 VOGÜÉ 1865-1877, p. 3.

2 THOUMIN 1936.

3 GRIESHEIMER 2003.

4 AL-DBIYAT 1995.

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sur plusieurs plans, une position intermédiaire. Du point de vue géographique, elle est à cheval entre le Croissant fertile et la steppe aride. Du point de vue humain, elle constitue une zone tampon entre une population sédentaire à l’ouest et un peuplement nomade ou semi- nomade. Du point de vue archéologique enfin, elle se situe entre le Massif calcaire de Syrie du Nord d’une part et le Hauran et les massifs basaltiques de Syrie du Sud d’autre part.

1. La place de la Syrie centrale dans les explorations des voyageurs La Syrie a, dès l’Antiquité, fonctionné comme une plaque tournante du commerce entre l’Occident, d’une part, et le Moyen-Orient et l’Afrique, d’autre part. Les routes de la soie et des épices faisaient d’Alep et de la Syrie centrale en général une des principales aires de transit. Il n’est donc pas surprenant que les préoccupations des premiers Occidentaux à s’être aventurés en Syrie aient, dès le XVIe siècle, été commerciales. On doit distinguer plusieurs groupes de voyageurs. Les marchands occupent la première place. Ils sont suivis des diplomates et des « touristes », souvent de véritables explorateurs. L’objectif des voyageurs des deux premières catégories est de gagner la vallée de l’Euphrate, depuis leur port de débarquement, pour rejoindre selon les cas les ports de commerce ou le lieu d’affectation des diplomates, les voyages s’effectuant bien sûr dans les deux sens5.

La « route du désert », celle qui d’Alep jusqu’à Basra traverse la Syrie centrale avant d’emprunter la vallée de l’Euphrate, est la mieux documentée (carte 3). Suivie par les caravanes, elle a été parcourue par les premiers Occidentaux dont les carnets de voyage nous sont parvenus. D. Carruthers, S. Calley et N. Lewis l’ont étudiée à plusieurs reprises6. S. Calley et N. Lewis notamment ont tenté de retracer, à travers les récits de voyages, l’évolution de la passe d’Al-Tayibah 1 et les étapes du développement des villages situés sur cette route (Al-Tayibah 1, Sukhnah et Al-Kowm) entre le Jabal Bil’as et le Jabal Bishri.

On doit la première mention de cet itinéraire à A. Tenreiro, marchand portugais du

XVIe siècle7. Du XVIIe au XVIIIe siècle, la fréquentation de cette route augmente sensiblement – N. Lewis dénombre une seule mention d’Al-Tayibah 1 au XVIe siècle, dix au XVIIe siècle et quinzeau XVIIIe siècle –, probablement parce que la Levant Company Establishment envoie en 1581, depuis Londres, ses premiers agents8. Entre le milieu et la fin du XVIIIe siècle, l’East India Company dépêche sur les routes de nombreux émissaires entre Alep et Basra tandis

5 Cette partie consacrée aux voyageurs ne prétend pas être exhaustive. À l’exception de quelques explorateurs (A. Musil par exemple), les informations dispensées par les voyageurs sur les sites archéologiques sont laconiques et l’identification des toponymes souvent problématique. Aussi s’agit-il plus de présenter les grands itinéraires – dont certains présentent une utilité pour l’étude des axes de circulation antique (voir ci-dessous 3. Le réseau des routes romaines et les axes de circulation, p. 147) et de mettre en avant les grandes tendances qui se dégagent des récits de voyage que d’entreprendre une étude chronologique point par point, comme cela a pu être fait pour la passe d’Al-Tayibah 1 par N. Lewis (LEWIS 1991).

6 CARRUTHERS 1996 ; CALLEY 1985 ; LEWIS 1991.

7 TENREIRO 1923.

8 CARRUTHERS 1929, p. xvi. Les Britanniques – W. Beawes en 1745, B. Plaisted en 1750, J. Carmichael en 1751 – ne sont pas les seuls à suivre cet itinéraire, mais ils sont majoritaires (BEAWES 1929 ; PLAISTED 1929 et CARMICHAEL 1929). J.-B. Tavernier en 1632 et l’abbé Carré en 1671 empruntent la route du désert sans apporter beaucoup de précisions sur son tracé (TAVERNIER 1769 et CARRÉ 1699).

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23 que la Factory of Aleppo emploie de nombreux expatriés britanniques qui sillonnent les campagnes et entreprennent des voyages9. À cette époque, les caravanes tombaient sous l’autorité des confédérations bédouines auprès desquelles elles devaient négocier les droits de passage. À part quelques passages obligés, la voie caravanière évitait les agglomérations pour se soustraire au versement de taxes supplémentaires et progressait d’un point d’eau à un autre10.

À partir de la fin du XVIIIe siècle, l’intérêt commercial de cette route et sa fréquentation diminuent : si l’ouverture du canal de Suez au milieu du XIXe siècle a eu un impact substantiel sur cette désaffection, elle doit aussi être mise en relation avec l’affaiblissement des confédérations tribales, jusque-là garantes de la sécurité des caravanes.

En 1929, D. Carruthers signale qu’entre cette route et les zones peuplées par les sédentaires à l’ouest, s’étend désormais un no man’s land qui s’attire la défiance des voyageurs11. Mais N. Lewis signale des problèmes de sécurité dès le XVIIIe siècle12.

Les premiers itinéraires qui font état d’étapes détaillées remontent au XVIIe siècle. Il est ainsi possible, à partir du récit de P. Teixera, qui rentre d’Inde en Italie en 1605, de retracer les différentes stations sur cette route, et notamment celles de la portion comprise entre Sukhnah et Alep13. Les voyageurs suivants en précisent certaines étapes et font valoir quelques variantes. Ils montrent aussi que cet itinéraire n’est pas totalement tombé en désuétude au XIXe siècle, bien qu’il soit réputé dangereux, puisque plusieurs voyageurs continuent de l’emprunter14. Les informations archéologiques fournies par ces voyageurs, qui dévient rarement de l’itinéraire imposé par la sécurité et par les points d’eau, sont assez minces. Des vestiges sont fréquemment mentionnés, mais lorsqu’il ne s’agit pas de sites importants déjà connus (comme Qasr al-Hayr al-Sharqi, ‘Itriya ou Khanasir), il est souvent impossible de les localiser précisément et les commentaires sont trop lapidaires pour se faire une idée de la nature et de la datation de ces sites.

9 CARRUTHERS 1929, p. xxiv-xxv.

10 CARRUTHERS 1929, p. xxxi.

11 CARRUTHERS 1929, p. xxxii.

12 LEWIS 1991, p. 68-69.

13 Depuis Sukana (Sukhnah), il rejoint Taibé (Al-Tayibah 1), puis Abumemten ( ?), Serige (‘Itriya), Acle (Haqla) entre la sabkha Al-Jabbul et le Jabal Hass, et enfin Safyra (Sfirah), Tel Aron (Tall ‘Aran), Gebrahin (Jibrin), Tel Axarab (Tall Aqraba) puis Alep (TEIXERA 1902).

14 L’itinéraire suivi en 1808 par le consul de France J.-B. J. L. Rousseau (successivement affecté à Basra puis à Alep) pour rejoindre son poste, s’écarte légèrement de la route dite « classique » : il visite ainsi Qasr al-Hayr al- Sharqi avant d’atteindre Al-Tayibah 1. Il pousse ensuite vers le nord jusqu’à Al-Kowm, Nadwiyat al-Qdayr, passe à proximité d’Al-Turkmaniyya et, après deux étapes que je n’ai pu situer, rejoint la région du Jabal Hass et Jabal Shbayt. De là, par la route habituelle, il gagne ensuite Alep (ROUSSEAU 1899). Le voyage de T. Bischoff en 1873 apporte un complément d’information sur les stations situées entre la passe d’Al-Tayibah 1 et ‘Itriya et entre ‘Itriya et la sabkha Al-Jabbul : d’Al-Tayibah 1, il rejoint Qdaym, Bir ‘Ashika puis ‘Itriya. De là, vers le nord, il passe par ‘Ayn al-Zarqa, ‘Ayn al-Ghazal – Al-Hammam, d’après une communication personnelle de B. Geyer –, Khanasir puis Haqla, Sfirah et enfin, Alep. À ‘Itriya et à Khanasir, il précise brièvement la nature des ruines, identifie quelques bâtiments (temple, église, citadelle) et mentionne la présence d’inscriptions (BISCHOFF 1881, p. 364-365).

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De nombreux voyageurs ont aussi emprunté l’itinéraire, également appelé sultanieh, qui, de Beyrouth ou de Tripoli, rejoignait Antakya/Antioche15 ou Iskanderun/Alexandrette par Alep (carte 3)16. Le sultanieh passe par Homs, Al-Rastan, Hama, Khan Shaikhun, Ma‘arat al-Nu‘man, Idlib, Khan Tuman et de là rejoint Alep. Certains ont fréquemment bifurqué à hauteur de Hama pour passer par Qal‘at Shaizar/Larissa, Qal‘at al-Mudiq/Apamée et apercevoir plus au nord les ruines du Massif calcaire (Al-Bara, Serjilla, et Ruwaiha notamment) avant de gagner Ma‘arat al-Nu‘man, mais ils font généralement partie des explorateurs dont il sera question plus loin. Les autres voyageurs du sultanieh n’ont pas pénétré la Syrie centrale. P. Lucas en 1714-1717, L. A. O. Corancez en 1812 et U. J. Seetzen, J. S. Buckingham restent ainsi à l’écart de la région17. J. L. Burckhardt, en 1812, pourtant l’un des grands découvreurs de la péninsule arabique et des plateaux du Jawlan et de Transjordanie, traverse rapidement le Massif calcaire avant de gagner Damas depuis Alep par le sultanieh18.

Au XVIIIe siècle, R. Pococke suit le même chemin. Arrivé du Liban, il gagne Damas et de là, par le sultanieh, Alep, avec une brève incursion dans le Massif calcaire puis, en Syrie centrale, à Qinasrin19. Il emprunte ensuite l’une des routes du nord, également suivie, près d’un siècle plus tard, par E. Sachau (en partie), K. Humann et O. Puchstein, ainsi que par A. H. Sayce20. Cet itinéraire qui, au départ d’Alep, passe par Killis, ‘Aintab (Gaziantep) et Birecik est doublé au sud par une seconde route qui permet d’atteindre l’Euphrate à la confluence du Sajur, à Tall al-Ahmar. Partant d’Alep, elle passe par Al-Bab, Tall Batnan (Bathnae) et Mambij avant d’arriver sur le fleuve. C. F. Volney, R. A. Chesney et F. Cumont l’ont empruntée dans sa totalité, A. H. Sayce seulement jusqu’à Al-Bab, avant de bifurquer au nord pour rejoindre la première route21. Une troisième route au départ d’Alep atteint l’Euphrate à hauteur de Maskanah par le sud : elle passe par Jibrin et Tall Dair Hafir, puis Tall Mahdum au sud et enfin Maskanah. À partir de ce point, elle suit les contours de l’Euphrate par Aski Maskanah, Dibsi Faraj, Abu Huraira, à proximité de Suriya 1 et descend le fleuve jusqu’à Dair al-Zor, en passant au préalable par Halabiyya. Cet itinéraire, avec quelques variantes, est celui emprunté par A. Blunt, E. Sarre et E. Herzfeld et en partie par A. Musil en 1915 22.

Les voyageurs qui ont réellement pénétré la Syrie centrale occupent une place à part.

Contrairement à la plupart de ceux qui empruntent le sultanieh et la « route du désert », ils sont attentifs aux régions qu’ils traversent et peuvent être qualifiés d’explorateurs. À l’exception peut-être d’A. Musil, ils sont souvent moins connus que ceux qui se sont illustrés

15 Pour faciliter la lecture et distinguer les noms de sites modernes des toponymes antiques, j’ai pris le parti de présenter ces derniers en italique.

16 PERTHUIS 1896, p. 7.

17 LUCAS 2004; CORANCEZ 1816; SEETZEN 1854, 1 et BUCKINGHAM 1825.

18 BURCKHARDT 1822, et particulièrement p. 121-209 : « Journal of a tour from Aleppo to Damascus through the valley of the Orontes and Mount Libanus, in february and march, 1812 ».

19 POCOCKE 1772-1773.

20 SACHAU 1883 ; HUMANN et PUCHSTEIN 1890.

21 VOLNEY 2004 ; CHESNEY 1969 ; CUMONT 1917.

22 BLUNT 1879 ; SARRE et HERZFELD 1911 ; MUSIL 1928a.

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25 dans des régions plus méridionales, comme R. Pococke et J. L. Burckhardt. Ils appartiennent moins à la catégorie des voyageurs (qui se rendent sans détour d’un point à un autre) qu’à celle des « touristes » éclairés. Férus d’archéologie et d’épigraphie ou d’ethnologie avant l’heure, ils rendent compte d’une situation à un instant précis et décrivent les modes de vie, les paysages et le cas échéant, les ruines qu’ils traversent. Ils ont pleinement conscience d’œuvrer à la connaissance d’une région pas ou peu connue et les itinéraires qu’ils suivent, détaillés avec plus ou moins de précision, seront abondamment exploités par R. Kiepert à la fin du XIXe siècle, qui établit la première carte de la région23.

On doit la première incursion documentée en Syrie centrale à une équipée anglaise en 1678 et 1691, reconstituée par M. Hartmann (carte 3)24. Lors du premier voyage, au départ d’Alep, ils passent par Kafr Abid, visitent les ruines d’Al-Andarin, observent les qanats de Shaikh Hilal, se rendent à Bghaidid et à Al-Qastal 1. En 1691, leur itinéraire serait à restituer comme suit : d’Alep à Kafr Abid, puis Al-Buwaydar, à proximité de la sabkha Al-Harayik, ensuite une étape que je n’ai pas identifiée (Urghee), puis Qasr Ibn Wardan 1, Shaikh Hilal, Al-Andarin et ‘Ayn al-Zarqa. Ils ont dû ensuite passer à proximité de ‘Itriya, puisqu’ils rejoignent Bir Washal, un point d’eau situé dans les montagnes au nord de Palmyre. Par Arak à l’est, ils rejoignent ensuite Sukhnah, puis remontent vers le nord par la passe d’Al- Tayibah 1, Al-Kowm, Resafa et atteignent l’Euphrate. Ils regagnent ensuite leur point de départ25.

Le comte de Perthuis, en 1866, entreprend la descente de la vallée de l’Euphrate jusqu’à Baghdad, avant de remonter par Mosul pour explorer la Mésopotamie. Au cours de cette exploration, il fait une incursion en Syrie centrale. À partir de Salamiya, il gagne les Palmyrénides où il séjourne un moment avec une tribu nomade, les Sba‘a. Il ne fournit malheureusement pas assez d’indications pour qu’on puisse suivre son parcours – et sa carte manque de précision. Par conséquent, les ruines et les inscriptions qu’il mentionne sur son passage ne peuvent être localisées. On sait qu’il quitte Salamiya par l’est en direction des Palmyrénides : il gravit et dépasse le Jabal Bil’as, traverse le Jabal Shaar, puis le Jabal Abyad, au nord de Palmyre. Il bifurque ensuite vers l’ouest et regagne Salamiya par une passe entre le Jabal Bil’as et le Jabal Shumriyah. De là, il emprunte le sultanieh, jusqu’à Khan Tuman, puis l’itinéraire rejoignant par Maskanah la vallée de l’Euphrate. Le récit du comte de Perthuis se distingue par les visées ethnologiques de son auteur, par son souci de décrire la géographie et de signaler les ruines, jusqu’alors non répertoriées, qu’il croise sur son chemin26.

23 Le baron M. von Oppenheim, au cours de son voyage de 1893, est accompagné d’un cartographe, R. Kiepert (OPPENHEIM 1899-1900). Il dresse une carte au 850 000e de la région située au sud des Palmyrénides et la complète, pour la zone située au nord du massif, à partir des indications des voyageurs. Pour les avancées progressives de la cartographie syrienne et ses défauts, voir DUSSAUD 1927, p. x-xix.

24 D’après les informations fournies par M. Hartmann (HARTMANN 1901, p. 65-69), ces itinéraires ont d’abord été publiés dans le volume 19 de Philosophical Transactions consacré aux années 1695 à 1697 (HALIFAX 1695). K. Ritter a ensuite repris ces itinéraires dans son atlas géographique (RITTER 1822-1859, non vidi).

25 HARTMANN 1901, p. 65-69.

26 PERTHUIS 1896.

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Presque au même moment, en 1869, R. F. Burton et C. F. T. Drake entreprennent un voyage qui, depuis le Liban sud, en passant par les épanchements volcaniques de Syrie du Sud et par l’Anti-Liban les conduit jusque dans le Jabal al-‘Ala, la région basaltique située au nord-est et au sud-est de Hama27. Après s’être rendus sur les ruines de Ba’albeck et être passés par le Krak des Chevaliers, sur la route d’Alep, au départ de Homs, ils traversent le Jabal al-‘Ala, atteignent Sfirah, puis Khanasir en longeant le Jabal Hass. Ils gagnent ensuite Alep. De là, vers le sud, ils traversent plusieurs sites sur le piémont du Jabal Zawiyah, puis parcourent à nouveau le Jabal al-‘Ala, avant de rejoindre la vallée de l’Oronte, puis Hama28. La relation de ce périple est à la limite du récit de voyage tant la description des sites est détaillée et les péripéties de l’expédition reléguées au second plan : C. F. T. Drake identifie une cinquantaine de sites et rapporte 20 à 25 inscriptions grecques pour l’ensemble du Jabal al-‘Ala29.

Le récit du voyage d’E. Sachau, dans les années 1880, apporte des indications assez similaires à celles fournies par R. F. Burton et C. F. T. Drake. Il s’apparente également à un inventaire archéologique des principaux sites et documente précisément la géographie et la toponymie des régions traversées. Après avoir emprunté le sultanieh jusqu’à Alep, E. Sachau quitte la route de Maskanah à hauteur de Jibrin pour explorer le Jabal Hass et le Jabal Shbayt. Il suit les contours de la sabkha Al-Jabbul puis pénètre par une vallée le Jabal Hass pour le quitter à Khanasir. Après une reconnaissance à la pointe sud du plateau, il remonte le couloir de Munbatah, longe le Jabal Shbayt et signale les sites de Rasm al-Ruwam et Zabad 1. Il s’enfonce dans la vallée de Zabad 1, traverse le bas plateau de Maskanah jusqu’à Tall Mahdum, remonte au nord par Abu Hanaya puis quitte la région pour rejoindre Mambij.

Ses descriptions des sites s’accompagnent de croquis topographiques, de relevés d’architecture et d’inscriptions, pour lesquelles il donne une édition rapide. Il documente également les techniques de construction et les matériaux employés (Khanasir et Zabad 1) et propose à l’occasion des plans sommaires des bâtiments encore en place (Abu Hanaya).

Les travaux de M. Hartmann relèvent principalement de la topographie historique30, mais s’appuient, entre autres, sur une étude de terrain, conduite en 1887. Un compte-rendu détaillé permet de suivre sa progression31. Il atteint Salamiya par le sud, après avoir quitté le sultanieh. De site en site à travers le Jabal al-‘Ala, puis au nord de la sabkha Al-Harayik, il rejoint Khanasir. Il revient ensuite sur ses pas pour gagner Hama en retraversant le Jabal al-

‘Ala32. En plus d’informations précises concernant les itinéraires, la toponymie et les

27 BURTON et DRAKE 1872. Voir ci-dessous (b) Les répercussions du double alignement montagneux littoral sur le modelé de la Syrie centrale, p. 75.

28 Le secteur semble surtout avoir été exploré par C. F. T. Drake – R. F. Burton lui attribue la reconnaissance dangereuse effectuée dans cette zone.

29 BURTON et DRAKE 1872, 1, p. xi.

30 Voir ci-dessous b) La topographie historique, p. 31.

31 HARTMANN 1901, p. 69-77.

32 À l’aller, il passe par Tall Snan, Al-Ruhaiyah, Al-Haways, Tall Halawah, Rhaital, Al-Sabha, Basatin al-Hass (?), Ramlah puis après avoir fait l’ascension du Jabal Hass, il redescend dans la plaine et arrive à Khanasir. Il emprunte, au retour, le même trajet qu’à l’aller jusqu’à la sabkha d’Al-Harayik, puis il bifurque vers l’est pour rejoindre Al-Andarin et Qasr Ibn Wardan 1 puis Al-Hamra, Abu al-Qudur et enfin Al-‘Anz dans sa progression vers Hama (HARTMANN 1901, p. 74-77).

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