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Données climatiques pour la période byzantine

B. Données paléoenvironnementales

1. Données climatiques pour la période byzantine

Pour la Syrie et l’ensemble de l’aire méditerranéenne, l’hypothèse la plus communément admise est celle d’un « petit optimum climatique » intervenant dès la période hellénistique. Le climat syrien actuel semble s’être mis en place entre le début du

IVe millénaire et la fin du IIe millénaire av. J.-C.. Par la suite, les oscillations climatiques ont été beaucoup plus restreintes463, mais l’ampleur et les conséquences des fluctuations semblent difficiles à cerner464.

Le « petit optimum climatique » de l’Antiquité prend la suite d’un long épisode plus frais et plus sec (4 500 BP à 500 av. J.-C.) et paraît caractérisé, dès 300 av. J.-C., par une période plus chaude et plus humide que l’actuelle. Son maximum se place à la période romaine surtout, mais ses effets auraient perduré pendant la plus grande partie de la période byzantine465.

461 Voir ci-dessous 1. L’occupation byzantine dans l’histoire de la Syrie centrale, p. 179.

462 Voir ci-dessous 2. Croissance démographique et essor économique au Proche-Orient du IERSIÈCLE apr. J.-C. à l’avènement de l’Islam, p. 186.

463 Les opinions divergent. Pour les uns, le climat caractéristique de la période actuelle ne se serait mis en place qu’à la fin du IIe millénaire (TRABOULSI 2004, p. 81 ; COURTY 1994), mais d’autres estiment qu’il a pu s’affirmer dès 3800 av. J.-C. (BLANCHET, SANLAVILLE et TRABOULSI 1997)

464 TRABOULSI 2004, p. 81.

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Plusieurs éléments étayent cette hypothèse et les indices concernent une aire géographique large. Dans la steppe syrienne, les fouilles archéologiques de Palmyre ont fourni l’exemple d’un horizon humique daté de la période romaine466. Or il a fallu un regain de pluviosité, même modeste, pour créer les conditions d’une augmentation de la végétation à l’origine de la formation de l’humus. En Jazirah, U. Rösner et F. Schäbitz ont identifié le même épisode plus humide grâce à la présence plus importante des pollens d’arbres, associée à une pédogenèse plus rapide467. Sur la côte levantine, l’édification de basses terrasses sur les oueds traduit l’augmentation des précipitations468 comme, plus au sud, les variations du niveau de la Mer morte.

L’évolution du niveau de la Mer morte et ses implications en termes de changements climatiques font l’objet d’une bibliographie conséquente et récente. Une partie des publications se concentre sur la période précédant l’ère chrétienne469. Plus rares sont les articles portant sur l’Antiquité, mais ils suffisent à se faire une idée assez précise des conditions climatiques de la période byzantine. Plusieurs indicateurs croisés470 mettent en évidence une augmentation progressive mais rapide du niveau de la Mer morte au cours des

IIIe et IIe siècles av. J.-C. (figure 16). Sa surface est passée de 406 m sous le niveau de la mer (mbsl = meters below sea level) vers 600 av. J.-C. à 393,5 mbsl au tournant du Ier siècle av. J.-C.471. Dès le début du Ier siècle apr. J.-C., son niveau s’abaisse pour retomber à 404 m autour de 300 apr. J.-C. À partir de cette date, son niveau augmente à nouveau, avec un pic probable au-delà de 390 mbsl vers le milieu du IVe siècle472. Le niveau se maintient au-dessus de 390 mbsl de 340 à 470473. Dans la seconde moitié du VIe siècle, il repasse sous la barre des 400 mbsl et baisse jusque vers 800, date à laquelle il aurait atteint 413 mbsl474.

À partir de ces données brutes, des études ont été menées pour comprendre dans quelle mesure les variations des totaux annuels de précipitations ont pu favoriser l’augmentation du niveau de la Mer morte ou au contraire son abaissement. La dotation moyenne annuelle de Jérusalem, représentative des autres stations de la région475, entre 1847

466 BESANÇON et al. 1997, cité dans GEYER 2000b, p. 86.

467 RÖSNER et SCHÄBITZ 1991, cité dans GEYER 2000b, p. 86. C’est la dégradation plus rapide de la roche mère (qui n’est possible que dans un contexte plus humide) qui préside à la formation accélérée des sols. Leur élaboration repose également sur un apport supplémentaire en matière organique : la dégradation des végétaux en humus participe à sa genèse. Dans les deux cas, ce sont les précipitations qui permettent d’une part l’altération du substrat et d’autre part l’augmentation du couvert végétal à l’origine de l’humus (GEORGE 2004, p. 309).

468 SANLAVILLE 2000, p. 186.

469 Voir par exemple MIGOWSKI, STEIN, PRASAD, NEGENDANK et AGNON 2006 et la bibliographie correspondante.

470 Parmi ces indicateurs, on trouve des séquences de dépôts sédimentaires (fluviaux et lacustres) datés au 14C et des dépôts salins.

471 Pour comparaison, le niveau de la Mer morte en 2003 était de 415 mbsl (BOOKMAN et al. 2004, p. 555). Mais il faut tenir compte du fait que cette altitude ne reflète pas une réalité climatique : la niveau actuel de la Mer morte témoigne surtout des nombreux prélèvements que subit le Jourdain en amont depuis le milieu des années 1960 (ENZEL et al. 2003, p. 264). Avant ces prélèvements, c’est-à-dire au début du XIXe siècle, elle atteignait 390 mbsl (BOOKMAN et al. 2004, fig. 8, p. 568).

472 Un site archéologique daté de 70 à 130 apr. J.-C. situé à 390 mbsl est ainsi submergé par la Mer morte, au plus tard vers 300 (BOOKMAN et al. 2004, p. 566).

473 BOOKMAN et al. 2004, p. 566.

474 BOOKMAN et al. 2004, fig. 8, p. 568.

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et 1995, est estimée à 554 mm476. Or les chercheurs estiment aujourd’hui, d’après les séquences modernes, qu’en période d’exhaussement du niveau de la Mer morte, la dotation pluviométrique annuelle est souvent supérieure à 700 mm et, dans 85 % des cas, supérieure à 550 mm477. Les modélisations obtenues à partir de ces séries de données donnent le résultat suivant : en moyenne, 648 mm annuels sont nécessaires pour observer une augmentation significative du niveau de la Mer morte. Autour de 553 mm par an, son altitude reste stable, et en deçà de 445 mm, son niveau baisse478. Les périodes au cours desquelles le niveau de la Mer morte diminue sont associées soit à une moyenne de 50 % d’années recevant une quantité de précipitations inférieure ou égale à 450 m, soit à plus de 70 % d’années recevant au maximum 550 mm479.

La représentativité de la station de Jérusalem dépasse largement le cadre de la haute vallée du Jourdain. Les variations qu’elle enregistre d’une année sur l’autre sont confirmées d’une part par les données des stations régionales, et d’autre part par les informations des stations libanaises. Les principales ambiances climatiques et notamment les épisodes les plus secs et les plus humides enregistrés à Jérusalem ont également été perçus à Beyrouth, ce qui renforce le caractère symptomatique des enregistrements de la station de Jérusalem. Comme on observe de plus une forte corrélation entre les précipitations du nord de la Jordanie et celle du nord d’Israël480, la station de Jérusalem apparaît comme un indicateur des grandes tendances climatiques de l’ensemble du Proche-Orient. Si l’on suit la logique d’Y. Enzel, cela signifierait qu’entre 300 et 500481, la région de Jérusalem aurait bénéficié de près de 100 mm de précipitations supplémentaires par rapport aux moyennes actuelles et subactuelles, soit précisément au moment où l’on assiste, dans plusieurs régions du Proche-Orient, à l’occupation des zones de marge et à l’extension maximale des terroirs cultivés. Les conséquences exactes de l’augmentation des précipitations restent cependant difficiles à cerner. Pour R. Bookman, cela ne signifie pas nécessairement que la culture est partout florissante, mais plutôt que les rendements agricoles ont pu se stabiliser et s’accroître, tout particulièrement dans les zones de marge482.

En Syrie centrale, il est difficile de se faire une image de l’impact qu’ont pu avoir ces changements climatiques, mais ils apparaissent comme la « condition sine qua non » de la mise en valeur intensive de la période byzantine483. Les réserves hydriques devaient aussi être plus importantes qu’aujourd’hui car la situation actuelle ne permettrait pas un tel développement484. C’est ce dont témoignent d’ailleurs des aménagements hydrauliques aujourd’hui inopérants, comme les qanats. Pour que ces aménagements fonctionnent, il a

476 ENZEL et al. 2003, p. 266. 477 ENZEL et al. 2003, p. 266. 478 ENZEL et al. 2003, p. 266. 479 ENZEL et al. 2003, p. 266. 480 ENZEL et al. 2003, p. 264.

481 D’après la courbe de variation du niveau de la Mer morte donnée par R. Bookman (BOOKMAN et al. 2004, fig. 8, p. 568).

482 BOOKMAN et al. 2004, p. 570.

483 GEYER, BESANÇON et ROUSSET 2006, p. 60.

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nécessairement fallu que les sources artésiennes des plateformes gypseuses, sur lesquelles sont greffés plusieurs réseaux de galeries souterraines485, bénéficient d’une alimentation plus soutenue486. Il semble qu’avant même que les pompes motorisées n’aient abaissé le niveau des nappes phréatiques, les sources artésiennes ne disposaient pas d’un débit suffisant pour que les qanats antiques soient fonctionnelles487.

Quant aux modifications du régime des précipitations, elles sont extrêmement difficiles à saisir. Il est possible que leur augmentation se soit traduite dans les faits par une moindre variabilité et par des dotations plus conformes aux moyennes. J.-B. Rigot est d’ailleurs parvenu à mettre en évidence l’existence d’une morphogenèse plus importante pendant les périodes romaine et byzantine dans la région de la sabkha Al-Jabbul488. Cet épisode s’est traduit par la mise en place de terrasses d’oueds présentant des alluvions classées qui indiquent une « ambiance climatique plus calme, avec des pluies plus régulières tout au long de l’année, engendrant un transport d’alluvions un peu moins grossières et une tendance au classement »489. Les conséquences, pour l’agriculture, auraient été très importantes : une meilleure répartition interannuelle de la pluviométrie aurait eu pour effet d’atténuer le caractère aléatoire des cultures pluviales, tandis qu’une moindre irrégularité intraannuelle, particulièrement pendant les saisons intermédiaires, aurait contribué à garantir de meilleurs rendements agricoles490.

Jusqu’au milieu du Ve siècle environ, le « petit optimum climatique » fait presque l’objet d’un consensus491, mais les conditions climatiques de la seconde moitié du Ve et des

VIe-VIIe siècles semblent un peu plus floues. L’opinion la plus répandue est celle d’une péjoration climatique, appelée « petit âge glaciaire du haut Moyen Âge », intervenant entre 500 et 750 apr. J.-C., et caractérisée par une plus grande fraîcheur et par une diminution très légère des précipitations492 – si légère qu’il est même possible que la quantité de précipitations soit restée sensiblement identique493. Cette évolution semble s’être traduite en

485 Voir ci-dessous B. Les aménagements hydrauliques, p. 637.

486 GEYER 2000b, p. 88.

487 BESANÇON et GEYER 2006, p. 42.

488 RIGOT 2003, 1, p. 182.

489 RIGOT 2003, 1, p. 183. J.-B. Rigot insiste toutefois sur la complexité de cet épisode morphogénétique et sur l’alternance rapide des phases d’incision des talwegs (la concentration des écoulements qui conduit au creusement des talwegs est due à un couvert végétal plus important sur les versants) et des phases d’alluvionnement.

490 Voir ci-dessous 3. Potentiels agricoles des terroirs byzantins, p. 138.

491 Sans beaucoup de précisions, G. Tate évoque, d’après un rapport inédit de T. M. L. Migley, une tendance au réchauffement généralisé dans le bassin méditerranéen oriental, accompagné de précipitations inférieures à la moyenne, ce qui aurait eu pour conséquence de rendre particulièrement délicate la mise en valeur des secteurs plus arides (TATE 1992, n. 3, p. 200). Ce réchauffement se serait interrompu dès le début du VIe siècle, remplacé par un épisode froid qui rejoint la thèse du « petit âge glaciaire du haut Moyen-âge » (T. M. L. WIGLEY,

Geographical patterns of climatic change. 1 000 B.C.-1 700 A.D., Interim report to N.D.A.A. ; U.S. department of commerce under contract N7).

492 GEYER et ROUSSET 2001, p. 114.

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Syrie par une instabilité climatique accrue. Les sources historiques témoignent des nombreux accidents (gel, sécheresse) qui ont émaillé le VIe siècle494.

Les publications les plus récentes des chercheurs israéliens montrent qu’après 500, le niveau de la Mer morte redescend rapidement jusqu’aux alentours de 800, ce qui témoigne au contraire d’une modification importante du régime pluviométrique : la dotation pluviométrique annuelle aurait diminué de près 200 mm par rapport à la période 300-500, si l’on suit Y. Enzel495.

Peu de temps après, un nouvel optimum climatique, plus chaud, se met en place autour du IXe siècle, mais on connaît assez mal ses caractéristiques dans la partie orientale de la Méditerranée496. Il s’est traduit par une remontée rapide du niveau de la Mer morte, donc par une nouvelle augmentation des quantités de précipitations perçues497 et semble à l’origine d’un phénomène comparable à celui observé au Proche-Orient pour la période protobyzantine : essor démographique et extension des terres cultivées (en Macédoine comme en Occident)498. Les fluctuations climatiques ultérieures n’ont pas de rapport direct avec le sujet qui nous occupe ici : je me contenterai de signaler un nouvel épisode plus froid, autour des XIVe-XVe siècles499.