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Les guerres perses et les razzia des tribus arabes

l’occupation byzantine

1. Les guerres perses et les razzia des tribus arabes

a) Les campagnes offensives sassanides en Syrie centrale

À partir de la fin du IIIe siècle, et jusqu’au début du VIe siècle, les affrontements entre les armées byzantines et sassanides ont surtout lieu en Arménie et en Mésopotamie, principalement autour des places fortes de Nisibe et d’Édesse.

Avant 531, la seule campagne sassanide qui ait directement touché la Syrie centrale est celle conduite par Shapur I, en 252, au cours de laquelle le Roi des rois s’était emparé de

Soura/Suriya 1, de Barbalissos/Aski Maskanah et avait mis à sac les villes de Beroia/Alep,

Chalcis/Qinasrin et Apamée214. L’offensive suivante est donc celle de 531. Khusrau I traverse l’Euphrate à hauteur de Circesium, à la confluence du Khabur et de l’Euphrate. Alors que l’armée byzantine se rassemble aux alentours de Chalcis et de Hiérapolis/Mambij, les forces sassanides sont déjà parvenues à Gabboula/Jabbul. Elles tiennent le siège du

kastron et pillent ses environs215. L’armée de Khusrau I avance ensuite jusqu’à Bathnae/Tall Batnan et réussit à s’emparer de Gabboula/Jabbul216 avant que l’armée byzantine ne donne l’assaut. Khusrau I se défausse et amorce une retraite. La bataille rangée entre les deux armées a lieu à Callinicum/Raqqa sur la rive opposée du fleuve.

Au cours de la campagne suivante, en 540, l’armée sassanide pénètre plus profondément encore le territoire byzantin et occasionne des dégâts plus importants217. Khusrau I progresse cette fois le long de la rive droite de l’Euphrate, en Euphratésie. Il échoue à s’emparer de Zenobia/Halabiyya. La garnison stationnée à Soura/Suriya 1 lui oppose quelque résistance, mais finit par s’incliner218. L’évêque de Sergioupolis négocie alors la liberté de la population de Soura contre la promesse du versement d’un tribut219. Après avoir rançonné de la même manière Hiérapolis/Mambij, grâce à l’intervention de l’évêque de Beroia, l’armée de Khusrau I atteint ensuite Beroia, qu’elle met à sac220. Après la conquête, dont elles ne laissent que des ruines, les forces sassanides gagnent Séleucie de Piérie, puis Apamée et Chalcis, toutes deux rançonnées221, avant de retraverser l’Euphrate au nord de Barbalissos222. Une autre source grecque rapporte, au cours de la même campagne,

214 DODGEON et LIEU 1991, p. 50.

215 GREATREX 1998, p. 195-200 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 92-93 ; Malalas, Chronographie, 60, p. 388.

216 Le récit de la prise de Gabboula est donné par Malalas : les Sassanides détruisent les enceintes de l’agglomération (kastron) et s’emparent du fort (Malalas, Chronographie, 60, p. 388).

217 GREATREX et LIEU 2002, p. 103-108.

218 L’armée de Khusrau se livre alors au pillage, de nombreux habitants sont tués, d’autres réduits en esclavage avant qu’il ne soit mis feu à la cité (Procope, Guerres contre les Perses, II, 5, 26).

219 Ce tribut s’élève à 2 centenaria (Procope, Guerres contre les Perses, II, 5, 29) soit la somme allouée par l’empereur à la reconstruction de Laodicée après le séisme de 528 (GUIDOBONI, COMASTRI et TRAINA 1994, p. 323-325 ; Malalas, Chronographie, 28, p. 371).

220 Procope, Guerre contre les Perses, II, 7, 11 et 19.

221 Procope, Guerre contre les Perses, II, 11, 24-30 et 12, 1-2. Procope signale au passage que les habitants de

Chalcis, délestés de 2 centenaria, n’étaient pas très prospères.

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la prise de Neocaesarea/Dibsi Faraj et souligne que les Sassanides se sont emparés de toute la richesse de la Coele Syria en l’espace d’un an223.

La contre-attaque byzantine conduit les forces de Bélisaire en territoire sassanide, mais l’armée de Khusrau I réapparaît en Syrie centrale (Euphratésie) dès l’été 542. Le Roi des rois réclame à cette occasion à l’évêque de Sergioupolis le tribut promis en 540 pour avoir épargné la population de Soura. Bien que les habitants de Sergioupolis lui aient offert leurs richesses et celles des églises de la ville, Khusrau I tente de se saisir de l’agglomération. Il est tenu en échec par la garnison de 200 hommes qui y est alors stationnée224. L’épidémie de peste qui sévissait à cette période en territoire byzantin semble l’avoir contraint à rebrousser chemin225, non sans qu’il ait dévasté au passage Barbalissos226.

Il s’écoule ensuite une trentaine d’années sans que la Syrie centrale ait à subir de nouvelle attaque sassanide mais, dans l’intervalle, une incursion arabe au moins a pris la région pour cible227. En 573, après une offensive byzantine en territoire sassanide, Khusrau I divise une importante armée en deux228. Le premier détachement rejoint l’Osrhoène, le second l’Euphratésie et les provinces de Syrie. Devant l’avancée de ces troupes, la population d’Antioche prend la fuite, laissant la ville déserte à l’arrivée de l’armée sassanide. L’officier (marzban) à la tête de ce détachement le conduit alors vers Apamée et se saisit des villages et des places-fortes qu’il trouve sur son chemin. Arrivé à Apamée, il s’empare de ses richesses, déporte sa population en territoire sassanide, et met le feu à la cité. Michel le Syrien apporte d’utiles précisions sur cette campagne : Barbalissos, Gabboula, la région de

Chalcis et le territoire d’Antioche sont dévastées par le marzban Adarmahan229. Si le détachement du marzban a suivi la voie Bathnae/Chalcis par Bersera (pour rejoindre la région de Gabboula depuis celle de Hiérapolis)230, il est probable que le Jabal Hass comme le glacis d’Al-Bab ont pâti de cette incursion.

Lorsque les armés sassanides pénètrent la fois suivante en territoire byzantin, c’est pour y établir une domination durable. Le mouvement de conquête lancé par Khusrau II en 603 (Arménie) ne touche pas les régions situées à l’ouest de l’Euphrate avant l’été 610, qui coïncide avec la prise de Zenobia/Halabiyya231. Antioche tombe le 8 octobre 610, Apamée

une semaine plus tard. Émèse est prise en 611, Damas en 613, Alexandrie en 619 232.

223 GREATREX et LIEU 2002, 107.

224 Procope, Guerre contre les Perses, II, 20, 20-16. Voir ci-dessus b) Les indications de la Notitia dignitatum, p. 162.

225 GREATREX et LIEU 2002, p. 109 et note 37, p. 271.

226 GREATREX et LIEU 2002, p. 114.

227 Voir ci-dessous b) Les razzia des tribus arabes, p. 171.

228 GREATREX et LIEU 2002, p. 146-147.

229 Michel le Syrien, Chronique, X, 9, 349 (trad. p. 312) ; GREATREX et LIEU 2002, p. 147.

230 Voir ci-dessus (b) Les voies d’invasion perse d’après les sources historiques, p. 150.

231 GREATREX et LIEU 2002, p. 186.

232 FOSS 2003a, p. 152. Sur les conséquences de l’occupation sassanide, voir ci-dessous c) Les facteurs politiques ou économiques, p. 923.

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b) Les razzia des tribus arabes

Les attaques des tribus arabes, principalement celles des Nasrides, sont vraisemblablement conduites selon des modalités distinctes de celles des armées régulières. Il arrive que les Nasrides se joignent à l’armée sassanide, comme les Jafnides à l’armée romaine. Ils font notamment partie du détachement commandé par Adarmahan qui vise les provinces de Syrie233. Mais, le plus souvent, leurs incursions, fugaces, répondent principalement à la volonté de piller pour accumuler du butin et de fuir rapidement pour éviter les représailles234. Bien que ces attaques soient plus nombreuses, la documentation qui les concerne est souvent bien moins précise sur leurs cibles, probablement parce qu’elles ne visent jamais ou exceptionnellement les cités235, mais la plupart du temps leurs chôras236. Les raids des tribus arabes prêtent donc plus à conséquence pour les campagnes, pour les villages mais aussi pour l’habitat isolé237 et sont donc potentiellement plus déstabilisante pour le peuplement de la région.

Les incursions arabes répondent probablement à des préoccupations beaucoup plus prosaïques que la volonté d’accumuler des richesses. C’est par la razzia en territoire ennemi que ces tribus se procurent certaines denrées alimentaires – en plus de l’annone que perçoivent certaines d’entre elles en territoire byzantin au moins – comme les céréales. Certaines incursions sont aussi motivées par la nécessité d’accéder à des pâturages. Cet impératif explique l’intrusion de Saracènes mal identifiés en territoire byzantin en 536. Le Nasride Al-Mundhir leur aurait refusé l’accès à des pâturages en territoire sassanide, vraisemblablement en raison de la sécheresse, et les aurait conduits à l’ouest de l’Euphrate, dans une région que G. Greatrex suppose être celle de Sergioupolis et de Zenobia238. Des pâturages sont aussi en cause, en 539, dans la dispute dite de la Strata, selon le terme de Procope, qui oppose Jafnides et Nasrides sur le territoire byzantin, au sud de Palmyre, vraisemblablement en Phénicie Libanaise239.

Plusieurs raids sont rapportés pour le Ve siècle, même s’il est impossible d’identifier précisément leurs cibles :

celui de 411 touche les provinces de Syrie et de Phénicie – mais aussi l’Égypte et la Palestine240 ;

233 GREATREX et LIEU 2002, p. 146.

234 On peut signaler deux exceptions, en 525/526 et 529, signalées par Zacharie le Rhéteur. Au cours de ces incursions – la seconde touche le territoire d’Émèse, d’Apamée et de Chalcis –, les Nasrides semblent avoir fait des prisonniers, ce qui a dû considérablement ralentir leur retraite (Zacharie le Rhéteur, Histoire ecclésiastique, VIII, 5 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 84 et 86).

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Bostra, par exemple, après la révolte des Jafnides en 582 (Jean d’Éphèse, Histoire ecclésiastique, III, 42).

236 La seule agglomération importante visée par les Nasrides dans la région est Sériane/‘Itriya et il ne s’agit pas d’une ville. De plus, elle ne possédait qu’une enceinte en brique crue, contrairement à la plupart des villes de la région.

237 C’est un monastère qui est visé par une incursion de Saracènes sur le territoire d’Émèse vers 491 (Cyrille de Scythopolis, Vie de Saint Abraamios, I, 24).

238 GREATREX 1998, p. 219 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 100.

239 Procope, Guerre contre les Perses, II, 1, 1-11 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 102.

240 GREATREX et LIEU 2002, p. 35. À noter que les sources mentionnent des barbares, et non spécifiquement des Saracènes. Par conséquent le caractère arabe de cette incursion n’est pas assuré.

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en 431, les Nasrides, emmenés par Al-Na’aman, attaquent et pillent

Sériane/‘Itriya241 ;

vers 491, Cyrille de Scythopolis signale l’attaque d’un monastère, dans la chôra

d’Émèse, par des Saracènes242 ;

l’Euphratésie (d’après I. Shahid plus précisément Resafa, mais c’est douteux) est visée en 497/498 243.

D’après la documentation, les incursions, nasrides surtout, sont beaucoup plus fréquentes au VIe siècle :

en 501/502, les provinces de Phénicie et de Syrie sont la cible d’une attaque de Saracènes244 ;

en 503 et 519/520, des raids nasrides sont rapportés en Arabie, en Palestine et en Osrhoène245 ; la Syrie centrale ne paraît pas touchée ;

en 529 (il pourrait s’agir de la seconde incursion de ce genre en quelques années seulement246), les territoires d’Émèse/Homs, d’Apamée et d’Antioche sont durement touchés par une nouvelle offensive. Les Nasrides atteignent à cette occasion les limites de l’Antiochène, à Litargon/Litarba/Al-Tarib, après avoir brûlé au passage le domaine de Seremin/Sarmin et le territoire de

Chalcis/Qinasrin247.

en 536, 15 000 Saracènes auraient été incités à pénétrer en territoire byzantin par le Nasride Al-Mundhir, peut-être autour de Sergioupolis et de Zenobia, en raison d’une sécheresse248 ;

en 539, d’après les sources grecques – mais pas d’après les sources perses –, Al-Mundhir aurait fait irruption au sud de Palmyre, dans la région dite « strata », entrant en compétition avec le Jafnide Harith249 ;

En 545, une trêve de cinq ans est conclue entre Justinien et Khusrau I, mais les tribus arabes n’en ont guère tenu compte. On sait, grâce à Procope, qu’au cours d’un raid mal localisé, Al-Mundhir fait prisonnier puis tue l’un des fils d’Al-Harith250. En 554, Al-Mundhir mène un raid en territoire byzantin qui le conduit dans la région de Chalcis où Jafnides et Nasrides s’affrontent. Le Nasride Al-Mundhir est tué dans cette bataille251.

241 FEISSEL 2008a.

242 Cyrille de Scythopolis, Vie de Saint Abraamios, I, 24 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 51.

243 Théophane le Confesseur, Chronique, AM 5990 ; SHAHID 1989, p. 496 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 51.

244 Théophane le Confesseur, Chronique, AM 5994 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 51-52.

245 GREATREX et LIEU 2002, p. 71 et 79. Des raids répétés de Saracènes conduisent saint Sabas à solliciter de la part de l’empereur la construction d’un fort pour protéger des monastères (Cyrille de Scythopolis, Vie de Saint Sabas, LXXII, 175 et 178).

246 GREATREX et LIEU 2002, p. 86. La première aurait eu lieu en 525/526 (GREATREX et LIEU 2002, p. 84). Au cours de ces deux incursions, les Nasrides auraient fait des prisonniers (voir ci-dessus note 234, p. 171).

247 GREATREX et LIEU 2002, p. 86. Voir aussi FEISSEL 1983, p. 326 et 329 : Litarba et Seremin sont situées sur le territoire de Chalcis. D’après d’autres sources, Chalcis elle-même aurait été brûlée à cette occasion (GREATREX et LIEU 2002, n. 22, p. 267).

248 GREATREX 1998, p. 219 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 100.

249 Procope, Guerre contre les Perses, II, 1, 1-11 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 102.

250 Procope, Guerre contre les Perses, II, 28, 13 ; GREATREX et LIEU 2002, p. 123.

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En 562/563, 569/570 et 571/572, trois incursions nasrides en territoire byzantin sont recensées, mais on ignore quelles sont les régions visées252. En 572, l’empereur Julien tente de faire assassiner Al-Mundhir, fils d’Al-Harith, qui a succédé à son père, mort en 569 ou 570, à la tête du phylarcat fédéré des Jafnides. En représailles, Al-Mundhir semble avoir cessé d’exercer tout contrôle sur le territoire byzantin pendant 2 ou 3 ans entre 572 et 575253, favorisant de fait la progression du détachement de Sassanides et de Nasrides sous la direction d’Adarmahan dans les provinces de Syrie. Jean d’Éphèse signale, en 580, une incursion de Nasrides en territoire byzantin, alors qu’Al-Mundhir scelle à Constantinople sa réconciliation avec l’empereur (Tibère II)254. L’alliance retrouvée est de courte durée car, en 582, Maurice fait arrêter Al-Mundhir255, ce qui provoque la révolte – conduite par Al-Nu‘man, son fils – des tribus placées sous la domination des Jafnides256. Ce mouvement de rébellion, qui se manifeste par le pillage, touche les provinces de Palestine et de Phénicie257, mais aussi celles de Syrie et d’Arabie258.

Après l’invasion sassanide de 610/611, Théophane et Michel le Syrien signalent tous deux l’incursion de tribus arabes. Pour Michel le Syrien, des Tayyaye (arabes) poussés par la sécheresse pénètrent en territoire byzantin259. Théophane fait référence à des Saracènes, qui pillent des villages dans les provinces de Syrie avant de rebrousser chemin260. La dissolution du phylarcat – et de la hiérarchie tribale – institué par Justinien et ses prédécesseurs apporte des bouleversements importants pour les tribus qui doivent désormais compter, pour celles qui étaient fédérées, avec la suspension de l’annone que leur accordait l’administration byzantine. La perte de ces subsides a dû être compensée, probablement par le pillage261.