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Croissance démographique et essor économique au Proche-Orient du

l’occupation byzantine

2. Croissance démographique et essor économique au Proche-Orient du

Ier siècle apr. J.-C. à l’avènement de l’Islam

Les caractéristiques de l’occupation byzantine en Syrie centrale – augmentation du nombre de sites, réseau d’implantations plus dense, mise en valeur intensive – sont assez représentatives d’une tendance que l’on observe dans l’ensemble du Proche-Orient et spécialement dans les zones de marge. À cheval entre le Croissant fertile et la steppe aride, la Syrie centrale constitue une zone de transition particulièrement étendue351 et illustre à cet égard particulièrement bien ce phénomène.

La Syrie du Nord, les provinces de Palestine et d’Arabie sont autant de secteurs où l’on a observé cette tendance – avec des décalages et des nuances plus ou moins importantes en fonction des régions. Elle touche les villes et les campagnes, mais c’est en contexte rural qu’elle est la plus évidente. À titre indicatif, dans les cités comme dans les villages du diocèse d’Orient, l’activité de construction la plus intense se place au VIe siècle352.

348 GEYER et ROUSSET 2001, p. 112 ; GEYER, BESANÇON et ROUSSET 2006, p. 61.

349 GEYER et ROUSSET sous presse.

350 ROUSSET sous presse 2.

351 L’isohyète actuel des 200 mm se déplace de 150 km d’ouest en est entre une année sèche et une année humide. Cette seule distance montre bien le caractère transitionnel de la région.

352 MUNDELL MANGO 2008, p. 73 : « a forthcoming study based on over 2046 building records from Oriens shows that nearly half the total occur in the 6th century (60 % before 550 A.D., and 40 % after), as do half of

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a) Une croissance démographique maximale aux périodes romaine et byzantine ?

On peut distinguer deux thèses contradictoires. La plus communément admise est celle d’une croissance démographique dont auraient bénéficié, à la période byzantine, les campagnes. La seconde, plus récente et plus discutée, est développée par A. Walmsley pour la Jordanie. Elle expliquerait le peuplement tardif des campagnes (aux VIe-VIIe siècles) par un déplacement de populations jusque-là établies dans les cités ou dans de grosses agglomérations353.

Les sources textuelles et l’archéologie n’apportent qu’une connaissance limitée des phénomènes démographiques. Les débats sur l’impact des pestes justiniennes montrent bien que les fluctuations de populations ne se laissent pas saisir facilement et que les textes et les vestiges archéologiques peuvent donner lieu à des interprétations très différentes. Pour saisir les grands mouvements démographiques entre la période romaine et le VIIe siècle, les chercheurs ont surtout réfléchi en termes de nombre de sites et d’inscriptions354.

(a) La Syrie du Nord

En appliquant aux chaînons calcaires de la Syrie du Nord les principes de l’histoire sérielle, G. Tate a identifié plusieurs phases démographiques en fonction du nombre de pièces dans les habitations. En croisant des critères technologiques, typologiques et épigraphiques, il a mis en évidence des périodes au cours desquelles les pièces se multiplient dans les maisons. Il en infère une augmentation du nombre d’habitants et donc, une croissance démographique.

Le premier peuplement de la région se serait mis en place très progressivement au cours du Ier siècle av. J.-C.. À partir du Ier siècle apr. J.-C. et jusqu’en 110, l’augmentation de la population reste lente, puis elle s’accélère entre 110 et 240 et atteint un premier sommet entre 190 et 250. Après 250, la diminution brutale du nombre de constructions nouvelles indiquerait une stagnation voire un déclin démographique. Le mouvement de croissance ne réapparaît qu’en 270, sur un rythme plus lent. L’essor démographique ne reprend réellement qu’après 310, surtout de 320 à 330, puis de 410 à 480. Il atteint entre 450 et 480 son maximum. La croissance diminue ensuite entre 480 et 550, puis paraît s’arrêter, avec des phases de reprises ponctuelles jusque dans les années 610 355. La construction de nouvelles

urban public building and 65 % of all dated village public building ». L’étude à paraître est la publication de sa thèse (M. Mundell Mango, 1984, Artistic Patronage in the Roman Diocese of Oriens. 313-641 A.D., University of Oxford).

353 WALMSLEY 2005, p. 517-518.

354 J’ai adopté plus loin une approche similaire. Voir ci-dessous a) Les étapes de la mise en place du peuplement, p. 855.

355 TATE 1992, p. 185. Au début de la période islamique, le Massif calcaire est loin d’être abandonné. L’occupation se maintient au moins jusqu’au Xe siècle – mais dans des proportions moindres que celles observées à la période byzantine. Le Xe siècle marque l’accélération d’un déclin progressif, au cours duquel de nouvelles constructions, de fonction militaire cette fois, apparaissent (EDDÉ et SODINI 2005, p. 470-471).

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églises, entre 550 et 590, montrerait que l’arrêt de la croissance à cette époque ne s’accompagnerait pas nécessairement à une baisse démographique356.

Au cours de la première phase de croissance identifiée par G. Tate, jusqu’en 250, le peuplement est globalement réparti de manière homogène, sur tous les chaînons calcaires, et exploite indifféremment tous les terroirs357. Le village représente la forme dominante du peuplement, mais n’exclut pas complètement l’habitat isolé qui évolue dans certains cas en de gros villages358. Les vestiges de cadastration, dans la même région, indiquent que l’organisation du territoire, dans le Massif calcaire, date au plus tard du règne de Dioclétien et sert de cadre, dès cette époque, à l’occupation359. À cette première phase d’expansion démographique correspondrait, en plaine, une occupation dense : G. Tate souligne que les prospections archéologiques réalisées dans la plaine d’Antioche360 accréditent la thèse d’un premier accroissement démographique dès cette époque361.

La période de latence des années 250 à 330 est marquée (sauf cas particuliers) par un arrêt complet des constructions362.

La seconde phase de croissance (330-550), particulièrement importante entre 450 et 480 ou 500, est celle qui donne au Massif calcaire la physionomie qu’on lui connaît : les constructions de maisons se multiplient, on assiste au développement des villages déjà existants, et à l’émergence de nouveaux villages dans les secteurs qui en étaient jusqu’alors dépourvus363. À la fin de cette période, les contrastes qu’on observait auparavant entre les différentes implantations (habitat isolé, hameaux, villages ou « villages cités » comme les appelle G. Tate) se sont en partie résorbés364. C’est à cette seconde vague de peuplement que revient l’aménagement du terroir : tout en défrichant et en épierrant systématiquement les finages, les habitants du Massif calcaire, en nombre croissant, ont vu la taille de leurs exploitations se réduire par rapport à la période précédente, sans avoir pour conséquence, comme on s’y serait attendu, une paupérisation365. Ce remaniement des finages pourrait expliquer les révisions de cadastres rapportées par Libanios, en 362/363 et en 392366.

356 TATE 1992, p. 187. 357 TATE 1992, p. 277. 358 TATE 1992, p. 277. 359 TATE 1992, p. 298. 360 BRAIDWOOD 1937. 361 TATE 1992, p. 284. 362 TATE 1992, p. 300. 363 TATE 1992, p. 305.

364 TATE 1992, p. 309. Cette affirmation, comme le montre des travaux plus récents, doit être nuancé. Au réseau des villages se superpose un réseau important de monastères (au moins 60 pour les seuls Jabal Sim ‘an, Jabal Halaqa et Jabal Barisha) auquel ni les travaux de G. Tchalenko ni ceux de G. Tate ne rendent justice. Ces établissements sont rarement complètement isolés. D. Hull suppose qu’ils sont en relation étroite avec les villages, mais ils en sont généralement éloignés de 1 à 2 km (HULL 2008, p. 93 et 95).

365 TATE 1992, p. 316.

366 Libanios, Or. XLVI, 4 (3, p. 480) et Ep. 1363, 1412 et 1444 (11, p. 438, 453 et 455) ; PETIT 1955, p. 148-149 ; TATE 1992, p. 329.

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Pour G. Tate, « le départ et le moteur principal de l’expansion du Massif calcaire […] se trouvait […] dans la démographie […]. En Syrie du Nord, il ne s’agit pas d’un déplacement de population mais d’un accroissement de celle-ci »367.

(b) La Syrie du Sud

Pour le Hauran et les secteurs basaltiques de la Syrie du Sud, on ne trouve pas d’étude aussi détaillée que pour Massif calcaire. Les données, moins bien calées chronologiquement, ne permettent pas d’entrevoir la succession des phases de croissance et de stagnation ou de recul démographique. De plus, elles se concentrent, en règle générale, sur la période romaine et, à l’exception de l’article de F. Villeneuve368 – qui a aujourd’hui plus de 20 ans –, il n’existe ni synthèse ni vision globale du peuplement antique pour cette région. Par conséquent, les informations à disposition, particulièrement entre le IVe et le VIIe siècle, sont souvent très insuffisantes pour identifier une croissance économique ou démographique particulière à cette époque.

La Syrie du Sud paraît connaître un développement sinon linéaire, du moins progressif entre le Ier siècle av. J.-C. et le début de l’époque islamique. L’essor démographique de la région se traduit, comme en Syrie du Nord, par une croissance des villages369 et par une densification du réseau villageois370. Ce phénomène semble intervenir principalement entre le IIe siècle et le IVe siècle : d’après F. Braemer, le nombre de villages augmente du tiers voire de la moitié pendant cette période371. Cependant, sa conception du village ne correspond pas exactement à celle que j’ai adoptée ici372. Par « village », F. Villeneuve et F. Braemer ne font pas toujours référence à un groupement dont la cohésion sociale est attestée archéologiquement par des constructions communautaires. Aussi serait-il plus juste de souligner que c’est l’habitat groupé (incluant à la fois bourgs, villages et hameaux) qui se développe particulièrement dans cet intervalle de temps.

Comme dans le Massif calcaire, les traces de cadastration indiquent en Syrie du Sud également un premier aménagement du territoire auquel a pu succéder une seconde limitation. Le cadastre d’origine correspondait à une strigation-scamnation (milieu du

IIe siècle). La seconde campagne, peut-être plus tardive parce que confinée aux zones de marge mises en valeur dans un second temps, a consisté en un arpentage en lanière (lacinae)373. La constitution des terroirs impliquait des aménagements importants et notamment un épierrement systématique, condition préalable à toute culture374.

367 TATE 1992, p. 332.

368 VILLENEUVE 1985.

369 À travers l’exemple des maisons byzantines à cour centrale de Kafr Shams, F. Villeneuve met en avant une occupation de plus en plus dense au cours de cette période (VILLENEUVE 1985, p. 129). Il resterait à déterminer si Kafr Shams est un cas à part ou si, au contraire, l’évolution de ce village témoigne d’une tendance généralisée.

370 VILLENEUVE 1985, p. 128.

371 F. Braemer, communication personnelle.

372 Voir ci-dessous (a) En guise de définition : la kômè en Syrie centrale et les critères d’identification du village, p. 781.

373 VILLENEUVE 1985, p. 128.

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La Syrie du Sud semble avoir connu, dès avant la période romaine, une occupation sédentaire importante : « tous les villages (ou à peu près tous) furent habités avant l’occupation romaine et le restèrent jusqu’à la période byzantine »375. Ce constat vaut aussi pour les zones marginales et pour l’habitat isolé si l’on en juge d’après les résultats des prospections effectuées sur le Jabal al-‘Arab. Sur une région de 100 km² étudiée au sud de Si’, 29 sites ont pu être datés. Quinze d’entre eux apparaissent au IIer siècle apr. J.-C. (ils connaissent une continuité d’occupation variée, avec pour plus d’un tiers, une occupation d’au moins cinq siècles). Un tiers de ces sites seulement, soit neuf sur 29, n’auraient été occupés qu’à partir du IVe siècle et brièvement376. Leur nombre est trop réduit pour en déduire des tendances générales. Les résultats obtenus sont néanmoins conformes à ce que l’on connaît du développement de la région. Les auteurs avancent prudemment que le

IIIe siècle, le VIe et le VIIe siècle seraient des périodes au cours desquelles l’occupation décline377.

Dans les campagnes, F. Villeneuve entrevoit également certaines évolutions dans les modalités du peuplement autour du Ve siècle. À cette période correspondraient un « retour en force des nomades », l’installation d’une « nuée de monastères » et l’émergence de petits villages pauvres (des hameaux ?)378.

À partir du corpus épigraphique des IVe-VIIe siècles, M. Sartre est parvenu à isoler plusieurs phases d’activité édilitaire dans les cités– mais rien ne prouve que l’évolution des cités et celle des campagnes aient connu des développements parallèles. Pour les IVe et

Ve siècles, les documents épigraphiques, trop peu nombreux, n’apportent aucun éclairage379. M. Sartre évoque cependant un essor, intervenu entre 320 et 360380. Entre la fin du Ve siècle et le début du VIIe siècle, la quantité d’inscriptions devient suffisante pour discerner quelques tendances. Entre 475 et 518, surtout dans les cités de Bostra/Bosra et de Gérasa/Jerash, de nouvelles constructions sont signalées. Ce n’est plus le cas à partir de 520 et ce pendant près d’une décennie. Le pic principal de l’activité édilitaire (constructions et restaurations) dans les cités de la région se place sous Justinien (527-565) avec, semble-t-il, avec un temps de retard dans les campagnes. Si la politique impériale donne dans les cités l’impulsion à l’origine de ces constructions – l’augmentation de l’activité édilitaire dans ce contexte n’est pas nécessairement le témoin d’une croissance démographique –, en contexte rural, le regain d’activité qu’on observe dans les metrokomiai et les villages est probablement à mettre au compte d’un essor démographique et/ou économique. De 550 à 596, les activités de construction témoigneraient du dynamisme des populations rurales381. Mais à partir des

375 SARTRE 1985a, p. 193.

376 VALLAT et LEBLANC 2007, p. 29.

377 Ce constat n’est fondé que sur 4, 8 et 5 sites.

378 VILLENEUVE 1985, p. 129.

379 M. Sartre tient compte uniquement dans son article des documents présentant une datation assurée ou de ceux dont l’objet est certain, ce qui le conduit à écarter un grand nombre d’inscriptions. Aussi met-il le petit nombre d’inscriptions attribués aux IVe et Ve siècles plus sur le compte du caractère aléatoire des découvertes que sur celui d’un recul démographique et/ou économique (SARTRE 1985a, p. 196-197).

380 SARTRE 1985b, p. 133.

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années 634-635, cette croissance ralentit, sans jamais cesser complètement : certaines périodes témoignent d’une activité plus vive que d’autres.

Les campagnes du Hauran semblent donc avoir été peuplées dès le Ier siècle apr. J.-C. et déjà principalement sous la forme de villages. La phase principale d’appropriation du terroir est nettement antérieure à la période byzantine. Dès le Ier siècle apr. J.-C., les milieux les plus favorables à la culture comme les plus contraignants382, font partie du domaine des sédentaires. Les phases de croissance les plus importantes se situent au milieu du IVe siècle et autour du règne de Justinien. La période byzantine est caractérisée par une légère évolution des formes du peuplement puisque, sur les zones de marge, apparaissent de nouvelles constructions, isolées : des monastères.

(c) La Palestine

Les données concernant la Palestine sont nombreuses. Mais la seule étude portant véritablement sur la démographie est celle de C. Dauphin, qui met en évidence un doublement de la population sur une période de 350 à 700 ans. Intervenu précisément pendant la période byzantine, cet accroissement démographique concerne l’ensemble de la Palestine et de la Transjordanie383. C. Dauphin distingue des secteurs qui présentent des tendances spécifiques : c’est le cas des zones steppiques et désertiques (Néguev). Entre les périodes romaine et byzantine, l’augmentation du nombre de sites y est particulièrement notable. Dans les régions qui présentent des contraintes géographiques et climatiques moindres, le contraste entre les deux périodes est moins marqué, avec un nombre de sites presque égal384.

Le constat de C. Dauphin vaut pour les villes comme pour les campagnes – même si ces dernières sont les mieux connues. La période byzantine, et principalement les Ve

-VIe siècles, correspondent à la densité de sites la plus élevée et à la population la plus nombreuse385. Dans les cités, cet accroissement démographique se traduit par une extension de leur superficie (Ascalon, Gaza, Jérusalem)386. La surface délimitée par les remparts est même doublée par rapport à celle de la période romaine à Scythopolis/Baysan387. Les fouilleurs placent cependant la période de pleine prospérité de l’agglomération sous Anastase (491-518) et Justin I (518-527), plutôt que sous Justinien388. L’épigraphie, en Israël, indique que l’activité édilitaire la plus importante intervient entre le règne de Justin I et celui de Justin II (565-578)389. Dans les zones jusque-là peu peuplées, on assiste au développement de

382 L’exemple de Diyateh, « la ruine importante la plus orientale de tout le sud syrien » le prouve : au Ier siècle apr. J.-C., il s’agit déjà d’un village, établi sur le versant est du Jabal al-‘Arab, dans un milieu à forte contrainte puisque les précipitations, à une altitude inférieure à 1 000 m, y sont pratiquement absentes. Le village est établi sur la courbe hypsométrique des 1 000 m (VILLENEUVE et SADLER 2001).

383 DAUPHIN 1998, p. 79. 384 DAUPHIN 1998, p. 77-78. 385 TSAFRIR 1996, p. 271 et 274. 386 TSAFRIR 1996, p. 275. 387 TSAFRIR 1996, p. 276. 388 TSAFRIR et FOERSTER 1997, p. 106.

389 DI SEGNI 1999, tableau 4A, p. 162. À noter que le règne de Phocas est lui aussi marqué par une activité de construction importante.

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sites qui n’étaient jusqu’alors que des stations routières ou de modestes établissements390. Les villages atteignent fréquemment la taille de bourgs et prennent parfois des allures de villes, si bien qu’ils ont souvent été désignés comme telles391. Mais, comme en Syrie centrale, les véritables villes sont peu nombreuses sur les zones de marge (deux cités voire trois pour le Néguev392).

Parallèlement au développement des gros villages, les hameaux se multiplient, surtout dans des secteurs marginaux393, où l’on assiste aussi à une augmentation remarquable de l’habitat isolé394. Différents types de fermes395 se partagent les campagnes avec des monastères. Les résultats de prospections témoignent clairement de la place prépondérante qu’acquiert l’habitat isolé dans l’exploitation du sol. Au cours d’une prospection portant sur la région couverte par la carte de Nahal Yattir, au nord du Néguev 67 sites byzantins ont été repérés396. Au même moment, Y. Tsafrir soulignait cependant la difficulté que représente la discrimination des sites romano-byzantins et des sites byzantino-omeyyades. En 1996, l’établissement d’une chrono-typologie céramique précise et fiable restait problématique et obligeait à nuancer prudemment l’idée communément répandue que l’essor démographique devait être attribué à la période byzantine plus qu’à la période islamique, particulièrement pour l’habitat isolé397. La question qui se posait – et qu’Y. Hirschfeld élude dans son article de 2005, à moins qu’une révision des datations n’ait été effectuée entre-temps – est de savoir si l’habitat dispersé date de la période byzantine et constitue un essaimage des gros bourgs ou s’il est plus tardif, islamique, et s’est développé après le déclin de ces agglomérations398.

(d) La Jordanie

La Jordanie fait partie des régions pour lesquelles les synthèses font le plus cruellement défaut399. Cela s’explique sans doute en partie par le développement récent des prospections régionales sur le peuplement rural400 et par des contrastes géographiques importants qui impliquent des modes d’occupation du sol différents. Il est donc impossible

390 TSAFRIR 1996, p. 277.

391 Pour une discussion sur la terminologie adaptée aux agglomérations de Palestine et d’Arabie, voir GATIER 1994, p. 24-27 et GATIER 2005, p. 106-107.

392 GATIER 1994, p. 27.

393 HIRSCHFELD 1997, p. 67. Voir aussi TSAFRIR 1996, p. 277 pour les agglomérations du Néguev.

394 HIRSCHFELD 2005, p. 523-528.

395 HIRSCHFELD 1997, p. 68-70.

396 HIRSCHFELD 1997, p. 52. La prospection de la carte de Nahal Yattir, au nord du Néguev, recense 67 sites byzantins. Sur ce total, les villages ne représentent que 7,4 % des sites, 9 % pour les hameaux (soit seulement 16,4 % pour l’habitat groupé) et 58,2 % pour l’habitat isolé (dont 3 % de monastères). Voir aussi TSAFRIR 1996, p. 273-274 pour un résumé des prospections régionales de Palestine.

397 M. Haiman considère que de nombreuses fermes du Néguev doivent être attribuées aux périodes islamiques (HAIMAN 1995, p. 34 et 44 et suiv.

398 TSAFRIR 1996, p. 272.

399 On peut cependant signaler l’exception notable que constitue l’article de H. I. MacAdam, qui comprend le Hauran syrien mais exclut tout le sud de la Jordanie – la zone située au sud du Wadi al-Mujib (MACADAM 1994).

400 WALMSLEY 2005, p. 511. Il cite les programmes de prospection suivants : Hasban regional survey (GERATY et LABIANCA 1985; LABIANCA 1990), Southern Ghor and North-East Arabah survey (MACDONALD 1992), Wadi Yabis survey (MABRY et PALUMBO 1992) et Karak Plateau survey (MILLER 1991).

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de mettre sur un même plan les cartes de l’occupation du sol qui résultent de ces différentes enquêtes de terrain. Les résultats de ces programmes sont de toute façon encore trop imprécis pour permettre une compréhension détaillée du peuplement et de la mise en valeur pendant l’Antiquité tardive.

De grandes tendances se dégagent cependant qui vont, à quelques nuances près, dans le même sens que ce qu’on observe en Syrie du Nord, en Syrie centrale et en Palestine. Dans la région de Tall Hasban, à une vingtaine de kilomètres à l’est de la Mer morte, sur 148 sites prospectés, 93 (soit 68 %) connaissent une occupation romaine et 128 une occupation byzantine (soit 85 %). 22 % des sites seulement sont occupés pendant la période omeyyade et 5 % pendant la période ayyoubide. La plupart des prospections portant sur la badiya

jordanienne fournissent des résultats équivalents : un développement pendant l’époque romaine, un apogée entre le IVe et le VIIe siècle et une tendance au déclin à l’époque