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l’occupation byzantine

4. La politique de défense

Une importante bibliographie a été consacrée aux différents aspects de la politique de défense mise en œuvre par le pouvoir impérial dans l’ensemble de l’empire. Je n’en retiendrai que trois points, qui me paraissent essentiels pour comprendre la situation en Syrie centrale à la veille de l’occupation byzantine et jusqu’à la conquête arabe :

128 On peut envisager plusieurs possibilités. L’un des itinéraires les plus probables passe par Acadama/Qdaym 1, mais il en existe d’autres : par Abu Fayyad, Abu Naital et Al-Turkmaniyya ou encore par Khraybah (MOUTERDE et POIDEBARD 1945, 1, p. 139-140) et Bir Nbaj (MOUTERDE et POIDEBARD 1945, 1, p. 130), plus au nord. À Khraybah, l’accès à l’eau semble se limiter à des citernes, mais il s’agit néanmoins d’une étape sur la voie médiévale Raqqa-Damas (MOUTERDE et POIDEBARD 1945, 1, p. 139-140 ; DUSSAUD 1927, p. 262).

129 Voir ci-dessus b) Les cités, p. 146.

130 GATIER 2001, p. 106.

131 BAUZOU 2003, p. 308.

132 BAUZOU 1985, p. 154.

133 L’état de conservation de ces chemins en Syrie centrale ne permet pas d’envisager une étude comme celle entreprise dans le Leja (BRAEMER, DAVTIAN et CLAUSS-BALTY 2008, p. 10-11).

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La notion de « limes » appliquée dès les années 1950 à l’ensemble de la région par R. Mouterde et A. Poidebard134 constituait en quelque sorte un « cas d’école » qui a connu une grande postérité. Mais les recherches conduites dans les années 1980, également à partir d’observations aériennes, ont mis en cause ce modèle.

La Notitia dignitatum et quelques mentions dispersées dans les sources historiques permettent d’approcher la réalité de la présence militaire dans la région. Les données qu’elles fournissent sont au moins valables pour la période à laquelle elles ont été rédigées.

Certains lignages arabes ont conclu des alliances avec le pouvoir impérial et semblent avoir tenu un grand rôle dans la défense de l’empire, en combattant au côté des armées régulières lors des campagnes offensives ou punitives, mais également en assurant la police des tribus arabes nomades à l’intérieur même des frontières. Ce rôle pourrait avoir eu un impact très positif sur la mise en place du peuplement, même s’il est difficile à cerner dans le détail. Il sera discuté plus loin135.

a) Un « limes » ou une frontière ouverte ?

Le concept de « limes », que R. Mouterde et A. Poidebard ont appliqué à la Syrie centrale136, a elle-même été critiquée par des publications plus récentes portant sur la Jordanie137 ou encore sur la Lybie138. Selon leur théorie, la politique de défense mise en œuvre par le pouvoir impérial dès le IIe siècle en Syria Coele, puis un peu plus tard dans les provinces de Syrie Première, de Syrie Seconde et en Augusta Euphratensis, repose sur l’existence d’une ligne fortifiée ou plutôt sur l’imbrication de plusieurs lignes fortifiées. La première ligne, ou limes extérieur, se situait le prolongement nord de la strata diocletiana. Établi sur la rive droite de l’Euphrate, ce dispositif destiné à briser l’avancée des armées perses était doublé d’une seconde ligne de défense, le limes intérieur, organisé autour de la ville de Chalcis/Qinasrin dont la fonction première était de protéger l’arrière-pays d’Antioche de toute incursion. Entre les deux limes, un réseau routier développé devait permettre le déplacement rapide et efficace des armées romaines et byzantines pour gagner le front.

Mais la notion même de « limes » est battue en brèche par les travaux les plus récents139. La dispersion du dispositif défensif – confirmée par le témoignage de la Notitia dignitatum pour la Syrie centrale140 – et les effectifs réduits alloués à la défense de la « frontière », qui semblent plus impliquer un contrôle des populations locales (et des

134 Voir ci-dessus a) Les premiers inventaires et prospections, p. 32.

135 Voir ci-dessous A. Les conditions du développement démographique et économique de la région, p. 911.

136 On en voit les prémices dans POIDEBARD 1934 et la publication de 1945 la finalise (MOUTERDE et POIDEBARD 1945, 1, p. 230-237.

137 ISAAC 1990.

138 WHITTACKER 1989 et 1994.

139 Sur la définition et l’emploi du terme, voir ISAAC 1990, p. 408-410 ; WHITTTAKER 1994, p. 200-202 ; ISAAC 1998a, p. 345-387.

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migrations saisonnières des populations nomades) qu’une défense active contre les armées ennemies141, a conduit à nier localement l’existence d’un limes, y compris en Syrie centrale142

et à préférer la notion de frontière ouverte143, zone de contact toujours et d’échanges, souvent, entre des populations différentes, du point de vue ethnique comme des modes de vie. Et la Syrie centrale illustre en de nombreux points cette définition144.

Dans la région, de fait, les installations militaires connues semblent, sous la Tétrarchie et au moment de la rédaction de la Notitia dignitatum, avoir plus œuvré au contrôle des mouvements des tribus nomades pour limiter les frictions avec les populations sédentaires – et les déprédations éventuelles des tribus nomades – qu’à freiner les incursions éventuelles des armées sassanides. Les principaux terrains d’affrontement entre les deux armées, au moment de la mise en place de ce dispositif ou, plus justement de son renforcement, sous la Tétrarchie, se trouvaient en Arménie. À cette époque, la Syrie centrale, et plus particulièrement la région entre Oresa/Al-Tayibah 1 et Resafa, n’avaient pas encore subi ces incursions145. La seule offensive sassanide qu’on puisse signaler avant la mise en place du dispositif, en 252, est celle de Shapur I. Et, comme la plupart des assauts du VIe siècle, l’armée sassanide, une fois l’Euphrate franchi, longe le fleuve vers le nord, de Soura à

Barbalissos puis Hiérapolis146.

La notion de strata diocletiana a elle aussi été récemment précisée sur plusieurs plans, ce qu’on peut interpréter comme une conséquence logique de l’évolution de la perception du concept de « limes » et de frontière dans l’empire romain puis byzantin depuis les années 1990. T. Bauzou, en effet, est revenu sur la datation du dispositif, sur sa terminologie et enfin sur sa fonction et sa forme. On a d’abord supposé que le terme de strata diocletiana, qui figurait sur un milliaire retrouvé au nord-est de Palmyre, désignait une route caravanière en particulier, continue depuis Arak au nord via Khan al-Trab au sud et au-delà, jusqu’à ‘Azraq147. De fait, T. Bauzou montre que cette terminologie renvoie à toute route mise en place sous Dioclétien et non spécifiquement cette voie romaine148. En réalité, ce qu’on a appelé strata diocletiana fait référence à la politique d’aménagement du territoire développée sous Dioclétien, qui comprend la construction de routes, mais aussi des forts qui abritent selon les cas des unités de cavalerie, des cohortes et des ailes. Mais cette politique n’est pas propre à Dioclétien. Elle semble avoir été poursuivie par Constantin et la Notitia dignitatum, pour ces provinces, fait aussi état du maintien du dispositif jusqu’au début du

Ve siècle au moins. L’absence d’inscription postérieure à Constantin pourrait indiquer un

141 WHITTAKER 1994, p. 71-72, 79-81 et 209 ; ISAAC 1998c, p. 466-467.

142 ISAAC 1990, p. 372-418 et particulièrement p. 372-377; 391-392 ; WHITTAKER 1994, p. 71-72, 79-81 et 206-209 ; GATIER 2000.

143 ISAAC 1998b ; WHITTAKER 1994, p. 222-242.

144 Voir ci-dessous 4. Entre culture et élevage : un aperçu des relations entres agriculteurs sédentaires et pasteurs nomades, p. 852.

145 Voir TATE 1996, sur cette question.

146 DODGEON et LIEU 1991, p. 50. Voir ci-dessous (b) Les voies d’invasion perse d’après les sources historiques, p. 150.

147 Voir par exemple PARKER 1986, p. 135-143.

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statu quo dans cette politique d’aménagement149. T. Bauzou met en relation cette stratégie défensive avec la chute de Palmyre et la nécessité de contrôler par un autre moyen les tribus arabes nomades dans la région. Le pouvoir impérial aurait ainsi substitué un dispositif militaire à la police du désert assurée jusque là par Palmyre150.

Les conclusions de T. Bauzou s’inscrivent dans la lignée de celles, parfois plus théoriques, énoncées par B. Isaac et C. R. Whittaker. Plus proche de nous, la région à laquelle renvoie le terme strata diocletiana151 renvoie à une situation plus concrète et transposable en Syrie centrale.

b) Les indications de la Notitia dignitatum

La Notitia dignitatum est un inventaire des lieux de cantonnement et des unités militaires qui y sont affectées, placées sous le commandement d’officiers militaires : le préfet du prétoire à l’échelle du diocèse et les duces à l’échelle de la province. La partie de ce document qui concerne l’Orient a pu être daté de 401 et fournit donc des données valables pour le système défensif dans la région au début du Ve siècle (carte 9)152.

Les unités de stationnement identifiées en Syrie centrale sont placées sous le commandement d’un dux Syriae, en charge des deux provinces de Syrie, Syria Prima et

Syria Secunda – elles ne sont pas dissociées dans le document – et de l’Augusta Euphratensis. Des castella153 sont signalés à Serianae, Occariba, Barbalissus, Neocaesar,

Matthana, Adada, Rosapha, Sura, Aratha, Acadama, Acanatha et enfin Oresa. Des identifications ont été proposées pour la plupart de ces toponymes, dont certains apparaissent dans des documents avant et après cette date154. Certaines de ces identifications font l’objet d’un consensus, mais d’autres toponymes ont suscité peu de propositions.

Les identifications les plus communément admises sont celles de Barbalissos/Aski Maskanah155, Neocaesarea/Dibsi Faraj156, Rosapha/Resafa157, Soura/Suriya 1 158, Oresa /Al-Tayibah 1 159 pour les principales agglomérations – qui deviendront des cités. Les propositions pour Occariba/’Aqirbat160, Sériane/‘Itriya161 et Acadama/Qdaym 1 162 renvoient

149 BAUZOU 2000a, p. 82 et 86-87.

150 BAUZOU 2000a, p. 88.

151 Le terme de strata diocletiana paraît inadéquat pour désigner la partie nord du dispositif mis en place sous Dioclétien, c’est-à-dire celle comprise entre Oresa/Al-Tayibah 1 et Soura/Suriya 1, puisqu’aucun milliaire mentionnant Dioclétien n’y a été découvert (BAUZOU 2000a, p. 79-80).

152 ZUCKERMANN 1998, p. 146.

153 Sur ce terme, voir ci-dessous note 2292, p. 540.

154 Voir ci-dessous 3. Le réseau des routes romaines et les axes de circulation, p. 147.

155 HONIGMANN 1923a, p. 20 ; DUSSAUD 1927, p. 452-453.

156 E. Honigmann place le site entre Aski Maskanah et Suriya 1, mais ne propose pas d’identification plus précise (HONIGMANN 1923a, p. 64). R. Dussaud suggère l’identification avec Dibsi Faraj (DUSSAUD 1927, p. 453). R. P. Harper va dans le même sens (HARPER 1975, p. 322-324), suivi par T. Ulbert (ULBERT 1989, p. 286) et P. Leriche (LERICHE 2000-2001, p. 122).

157 HARTMANN 1899, p. 135 ; HONIGMANN 1923a, p. 79, 80 et 83 ; DUSSAUD 1927, p. 253.

158 HARTMANN 1899, n. 3, p. 175 ; HONIGMANN 1923a, p. 85-86 ; DUSSAUD 1927, p. 251.

159 HARTMANN 1899, p. 135 ; HONIGMANN 1923a, p. 67 ; DUSSAUD 1927, p. 251-252.

160 MORITZ 1889, p. 7; HARTMANN 1899, p. 138 et 162 ; HONIGMANN 1923a, p. 66; DUSSAUD 1927, p. 256 et 273 et GATIER 2001, p. 103.

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sur le terrain à des agglomérations plus modestes voire à des constructions isolées (Qdaym 1). Si ces identifications sont aujourd’hui communément admises, certains de ces

castella n’ont pas été localisés ou les propositions qui ont été faites n’emportent pas l’adhésion. C’est le cas pour Matthana163, Adada164, Aratha ou Anatha165 et Acanatha166.

La Notitia dignitatum signale deux légions cantonnées dans ces castella, sur la route qui prolonge la strata diocletiana vers le nord : Oresa/Al-Tayibah 1 abrite le siège du préfet de la Legio IVa Scythicae et Soura/Suriya 1, le poste de commandement (préfet) de la Legio XVIa Flaviae firmae. Les autres garnisons déployées sont des unités de cavalerie. Elles stationnent à Sériane (Equites scutarii Illyriciani), Occariba (Equites promoti Illyriciani),

Acadama (Equites sagittarii), Barbalissos (Equites Dalmatae Illyriciani), Neocaesarea

(Equites Mauri Illyriciani) et Resafa (Equites promoti Indigenae)167. À ce dispositif bien établi au début du Ve siècle, on doit également ajouter Anasartha (avant 529) et Gabboula, dont on connaît mal les aménagements à cette période. Mais Malalas désigne ces deux agglomérations comme des kastra, en faisant d’ailleurs référence, pour Gabboula, à une enceinte préjustinienne168. Bien que le terme de kastron désigne une place forte, on ignore si une garnison y était stationnée. P.-L. Gatier semble le penser169.

L’état des lieux que présente la Notitia dignitatum pour les premières années du

Ve siècle soulève des questions sur l’origine du dispositif et sur son maintien. De fait, la découverte d’une borne milliaire placée sous Trajan père, en 75 à Arak170, témoigne, dès cette date, d’une route reliant Palmyre à l’Euphrate171. L’archéologie confirme, par l’intermédiaire de sondages réalisés à Resafa, Qusair al-Saila et Suriya 1, que les débuts de l’occupation, associés par les fouilleurs à une implantation militaire, remontent au milieu du

Ier siècle apr. J.-C. et à Vespasien pour Resafa172. La présence militaire à Tall

161 HARTMANN 1899, p. 133-134 ; HONIGMANN 1923b ; DUSSAUD 1927, p. 273 et GATIER 2001, p. 103. À noter que E. Honigmann revient sur sa proposition et préfère finalement Al-Sa‘an à ‘Itriya, ce en quoi il n’est guère suivi (HONIGMANN 1932, col. 1703-1704).

162 HARTMANN 1899, p. 143-144; HONIGMANN 1923a, p. 4 ; DUSSAUD 1927, p. 275 et GATIER 2001, p. 103.

163 Pas de réelle proposition pour Matthana.

164 Pour Adada, proposition d’identification avec Sukhnah puis avec Qasr al-Hayr al-Sharqi par E. Honigmann (HONIGMANN 1923a, p. 4 et HONIGMANN 1932, col. 1703-1704), refusée par R. Dussaud qui préfère Al-Andarin/Andrôna, sans convaincre (DUSSAUD 1927, p. 274). R. Mouterde et A. Poidebard suivent la seconde proposition d’E. Honigmann (MOUTERDE et POIDEBARD 1945, 1, p. 104 et 115). P.-L. Gatier propose de le situer dans le secteur du Jabal Hass (GATIER 2001, p. 103).

165 E. Honigmann suggère l’équivalence Aracha/Arak, hors zone, en direction de Palmyre depuis Sukhnah (HONIGMANN 1923a, p. 14). L’hypothèse est rejetée par R. Dussaud, qui préfère lire Anatha et propose de localiser le site au sud-est d’Al-Andarin (DUSSAUD 1927, p. 274-275).

166 Pas de réelle proposition d’identification.

167 On remarque que l’unité de cavalerie attachée à Resafa est recrutée localement.

168 Malalas, Chronographie, 31, p. 372 et 60, p. 387-388.

169 GATIER 2001, p. 10

170 MOUTERDE 1930, p. 232-233 ; SEYRIG 1932, p. 270-272 et p. 276 et en dernier lieu BOWERSOCK 1973.

171 BOWERSOCK 1973, p. 133-135.

172 Les premières traces de l’occupation dans ce secteur (si on laisse de côtés les périodes pré- et protohistoriques) apparaissent autour du milieu du Ier siècle apr. J.-C.. Elles renvoient, selon toute vraisemblance, à des implantations militaires (KONRAD 1992 pour Resafa et KONRAD 2001b, p. 147 pour Qusair al-Saila, Suriya 1, Dibsi Faraj). À Resafa, un sondage pratiqué dans le collatéral nord de la basilique B a révélé une occupation sous Vespasien (69-79 apr. J.-C.), que M. Konrad met en relation avec la surveillance de la circulation des caravanes et des tribus via le contrôle du point d’eau (KONRAD 1992, p. 346-347).

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Hajj/Eragiza173 est également attestée par des tuiles estampillées qui témoigne de deux cohortes stationnées dans l’agglomération. L’une aurait été réaffectée dès la fin du

Ier siècle174. Les sondages montrent que les mesures prises par Dioclétien au sud de Sukhnah ont également été suivies d’effet au nord des Palmyrénides. Des vici militaires, associés à un fort, sont implantés sur la route Sukhnah-Suriya 1 entre la fin du IIIe siècle et le début du

IVe siècle à Cholle/Al-Khula, Tetrapyrgium/Qusair al-Saila et Resafa175.

Il reste à présent à tenter de définir dans quelle mesure le dispositif attesté par la

Notitia dignitatum se maintient pendant le Ve siècle et jusqu’au VIIe siècle. B. Isaac et P.-L. Gatier, respectivement pour Resafa et pour Anasartha, Gabboula et Oresa, estiment que l’état du système défensif du Ve siècle se dégrade et qu’aucune de ces agglomérations ne conserve de garnison au VIe siècle176. Pour B. Isaac, la défense de cette zone est confiée aux tribus arabes tout au long du VIe siècle.

On peut cependant avancer plusieurs objections à cette théorie. Procope, notamment, la contredit en partie : en 540, Soura dispose d’une garnison177, comme Resafa en 542, même si celle-ci ne compte en tout et pour tout que 200 hommes178. En revanche, il est vrai qu’au moment des travaux de fortification ordonnés par Justinien, Resafa semblait ne pas avoir de garnison. Malheureusement, la date de ces travaux n’est pas connue précisément179. M. Konrad considère qu’ils ont été réalisés peu avant ou en réaction aux attaques de 540 et 542. Le témoignage de Procope, qui attribue à Justinien l’affectation d’une garnison pendant la campagne de travaux, pourrait indiquer, d’une part, que cette campagne de fortification a eu lieu, à Resafa avant 542 et, d’autre part, que la ville s’est trouvée pendant une période dépourvue de garnison. M. Konrad, de son côté, estime n’avoir aucune preuve de l’abandon des forts de ce secteur avant le dernier quart du VIe siècle180 et suppose même que les principaux cantonnements se sont maintenus du IIIe au VIIe siècle181. Resafa et Qusair al-Saila paraissent avoir bénéficié au VIe siècle d’une garnison arabe182. Peut-être a-t-elle remplacé celle constituée de locaux attestée au début du Ve siècle par la Notitia dignitatum183. Par conséquent, la thèse de B. Isaac rejoint d’une certaine manière celle de M. Konrad : la

173 Identification proposé par R. A. Stucky et suivie par P. Leriche (STUCKY 1974, p. 96 ; LERICHE 2001, p. 122).

174 Voir ci-dessous La présence militaire dans les autres agglomérations, p. 542.

175 KONRAD 1999, p. 406; KONRAD 2001b, p. 152 ; KONRAD 2008, p. 436-438. À Resafa, une phase d’occupation antérieure à la construction du castellum tétrarchique a été mise en évidence au milieu du IIIe siècle. Elle est probablement aussi liée à une implantation militaire, directement en lien cette fois avec les affrontements entre Rome et l’empire sassanide (KONRAD 1992, p. 348 ; les sources sassanides rapportent au cours de la seconde campagne de Shapur I, en 252 la prise de Soura, Barbalissos, Chalcis et Apamée, entre autres cités. Cf. DODGEON et LIEU 1991, p. 50). Sur la plupart des sites du secteur pour lesquels une occupation du Ier siècle apr. J.-C. a pu être mise en évidence, il n’existe guère de preuve d’une continuité de l’occupation avant l’installation des forts et des vici militaires tétrarchiques (KONRAD 1999, p. 397).

176 ISAAC 1998b, p. 416; GATIER 2001, p. 105.

177 GREATREX et LIEU 2002, p.103 ; Procope, Guerres contre les Perses, II, 5, 8-11.

178 GREATREX et LIEU 2002, p.103 ; Procope, Guerres contre les Perses, II, 20, 14.

179 KONRAD 2001a, n. 99, p. 14 et KONRAD 2008, p. 437.

180 KONRAD 1999, p. 408 ; KONRAD 2001a, p. 113 (pour Tetrapyrgium/Qusair al-Saila principalement).

181 KONRAD 2008, p. 434.

182 KONRAD 2008, p. 435 et 439 et n. 56, p. 440.

183 La Notitia dignitatum qualifie l’unité de cavalerie en garnison à Resafa d’« Indigenae »et non de « Saracenoi ». Sur les unités de cavalerie locales, voir ISAAC 1998c, p. 458 et suiv..

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défense de la région est progressivement passée du IIIe au VIe siècle aux mains des tribus arabes.

c) Le rôle des tribus arabes fédérées

La question des alliances contractées entre certaines tribus arabes et le pouvoir impérial est en quelque sorte le corollaire de l’évolution de la politique défensive byzantine et de la redéfinition récente, par les chercheurs, de la notion de frontière184. Je ne saurais résumer ici l’ensemble de la documentation et les problématiques qu’a soulevées cette question185. Mais il est possible de présenter certaines des étapes de l’orientation que semble prendre dès le IVe siècle la politique de défense impériale et les grands principes des traités conclus avec les tribus arabes186.

Pour la période allant du IVe au VIIe siècle, plusieurs chercheurs ont suggéré que les unités assignées au système défensif mis en place sous la Tétrarchie (limitanei) étaient à la fois moins nombreuses et moins efficaces. Ils relèvent dans le même temps – dans certains secteurs seulement – une désaffection apparente des fortifications187. Ce point de vue même est contestable – et contesté –, mais cette controverse n’apporte guère d’éléments pour mon étude. En résumé, donc – et quelle qu’en soit la raison profonde –, pour pallier l’insuffisance du système de défense, le pouvoir impérial aurait opté pour un rapprochement progressif avec certaines tribus arabes qui aurait aboutit, au VIe siècle au « phylarcat général des Ghassanides »188.

La terminologie communément employée pour évoquer les différentes factions tribales avec lesquelles les empires byzantin et sassanide ont conclu des alliances a été révisée récemment par C. Robin189. « Ghassanide », « Lakhmide » et « Salihides » sont autant de termes qui renvoient à la tribu (banu) d’origine190 dont sont issus les lignages191

alliés aux deux empires, et non aux lignages eux-mêmes. Or, si certains lignages, comme c’est le cas des Jafnides (issus de la tribu de Ghassan) et des Nasrides (issus de la tribu de Lakhm, et alliés des Sassanides), ont effectivement étendu leur domination sur des tribus arabes, ils ne l’exerçaient pas nécessairement sur la tribu à laquelle ils appartiennent. Les Jafnides ne contrôlaient pas la tribu de Ghassan, éclatée au moment où Aréthas, fils de Jabala

184 Voir par exemple PARKER 1986, p. 149-155 et ISAAC 1998c, mais aussi SAUVAGET 1939, p. 122 et suiv.

185 Voir PETERS 1977-1978 ; SARTRE 1982, p. 121-203 ; SHAHID 1984, 1989 et 1994-2002 et les comptes-rendus qui en ont été faits par G. Bowersock, M. Whittow et J.-P. Sodini (BOWERSOCK 1986, WHITTOW 1999, FOSS 2003b et SODINI 2005) ; ROBIN 2008, p. 178 et suiv..

186 Je reviendrai sur certains développements plus spécifiques à la Syrie dans la troisième partie. Voir ci-dessous

Le témoignage de l’épigraphie et des sources écrites sur la composante arabe du peuplement, p. 865 et A. Les conditions du développement démographique et économique de la région, p. 911.

187 PARKER 1986, p. 149-150 et 151-152 et ISAAC 1998c, p. 457-458 et 462, pour un point de vue plus nuancé sur la question, fondé sur la situation en Palaestina Tertia.

188 Selon l’expression de M. Sartre (SARTRE 1982).

189 ROBIN 1996, n. 118, p. 698 et ROBIN 2008, p. 193.

190 Avec une désinence en –ide qui renvoie normalement à une dynastie (ROBIN 1996, n. 118, p. 698).

191 On parle indifféremment de lignage ou de dynastie pour les principautés arabes majeures, notamment parce que la succession y est héréditaire, en lignée masculine (ROBIN 2008, p. 184-185 sur les modalités de