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Les problèmes posés par une documentation graphique variée

A. Des premiers inventaires aux prospections systématiques en Syrie centrale (1500-1960) Syrie centrale (1500-1960)

5. Les problèmes posés par une documentation graphique variée

a) La mise à l’échelle et l’orientation des plans

Les publications à partir desquelles j’ai constitué la base de la documentation graphique font appel à des chartes graphiques différentes. Pour établir des comparaisons entre les différents plans exploitables, il était donc nécessaire de les ramener à une échelle commune et de les orienter de la même manière (figures 53-65). Cette première opération, simple en apparence, n’a pas été sans poser quelques problèmes. L’orientation des plans n’est pas toujours précisée et, en conséquence, certains n’ont pu être orientés265. La mise à l’échelle a elle aussi soulevé quelques difficultés : la plupart des plans de J. Lassus devraient être publiés au 1/500e 266. Mais lorsque les plans possèdent une échelle graphique, elle contredit souvent les mesures rapportées dans la description et, dans ce cas, j’ai privilégié les indications du texte pour établir l’échelle. Le même problème s’est posé pour les relevés de H. C. Butler : il n’utilise jamais d’échelle graphique mais des mesures sur les plans permettent le plus souvent de retrouver l’échelle. Pour réduire les plans à une même échelle et diminuer la marge d’erreur, je me suis fondée sur les plus grandes dimensions, mais dans certains cas, les mesures auxquelles j’aboutis ne correspondent pas à celles que H. C. Butler reporte. Il faut donc considérer que certains de ses plans sont inexacts. Les autres publications, notamment celles de R. Mouterde et A. Poidebard, n’ont pas posé de problème de ce point de vue.

Le fait de réduire ou d’agrandir les plans, même en conservant les proportions, conduit à des imprécisions. Les mesures que je donne pour les relevés de J. Lassus et de H. C. Butler sont des approximations. Elles permettent cependant d’avancer des ordres de grandeur et démontrent l’existence de modules architecturaux. Pour l’architecture en brique crue, le problème se pose différemment et les incertitudes sont d’autant plus importantes que les plans parus ou à paraître267 auxquels j’ai pu avoir accès sont souvent des plans d’ensemble : l’échelle est plus petite que celle des plans de bâtiment isolés de H. C. Butler ou de J. Lassus et les mesures effectuées sur cette base – pour l’habitat notamment et la taille des pièces – sont encore plus imprécises. Quant aux relevés de terrain réalisés au GPS conventionnel, les distances, à l’échelle du bâtiment, doivent être comprises comme des valeurs indicatives et non comme des mesures absolues. La marge d’erreur, en multipliant les mesures pour parvenir à une valeur moyenne, m’a paru acceptable pour évaluer les dimensions des

264 Ces 342 sites correspondent à tous ceux localisés en Syrie centrale et cités dans le texte.

265 Cela concerne néanmoins une minorité de cas, essentiellement des relevés de J. Lassus et H. C. Butler.

266 LASSUS 1935, p. xi : « sauf mention contraire, tous les plans sont au 1/500e ».

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modules architecturaux. Par contre, elle est trop importante pour calculer ponctuellement les dimensions d’une pièce ou des distances réduites comme la largeur des portes.

b) Des chartes graphiques variées

Pour l’architecture en pierre, l’utilisation de différentes chartes graphiques influe peu sur la compréhension du bâtiment. Mais pour l’architecture en brique crue, certains partis pris peuvent faciliter ou au contraire compliquer la lecture et l’interprétation des plans. Sur les plans de hameaux de D. Schlumberger, seules les maçonneries en pierre sont figurées. L’effondrement des superstructures en brique crue n’est pas représenté et cela constitue un handicap majeur pour comprendre l’organisation du bâti.

La représentation des buttes de terre crue peut sembler accessoire mais elle facilite la lecture des plans. Ces massifs de brique crue témoignent de l’existence d’une superstructure en brique crue et d’un couvrement, alors que d’autres espaces en sont dépourvus. C’est le cas des cours, qui constituent souvent une dépression (donc exempte de construction) encadrée par les bourrelets de terre crue fondue (des espaces bâtis) au centre de l’édifice. La présence (et la représentation) des buttes de brique crue permet aussi de distinguer les enclos de bâtiments au plan incomplet.

Lors de la mise au net des relevés au GPS, j’ai représenté les buttes de terre crue par des aplats grisés. Mais la meilleure représentation de ces massifs de brique crue me paraît être celle qui combine les courbes de niveaux et les aplats colorés : elle permet de prendre immédiatement connaissance des espaces bâtis et d’estimer leur importance en fonction de la hauteur des massifs de terre crue268. On pourrait ainsi comparer immédiatement les différentes ailes d’un édifice entre elles et estimer celle qui, par le volume supérieur de brique crue qu’elle emploie, semble être le corps de bâtiment principal. Mais la méthode de relevé et les outils utilisés au cours de mes prospections ne m’ont pas permis pas de réaliser de tels plans.

c) Les données objectives et la part interprétative

Tous les plans font appel, pour une part plus ou moins importante, à la subjectivité de leurs auteurs. Ceux de H. C. Butler présentent parfois des constructions remarquables par leur symétrie et leur orthogonalité. À titre d’exemple, en plus du cas de Jmarin cité par F. Villeneuve, on pourra comparer les plans de la résidence de Qasr Ibn Wardan 1 publiés par H. C. Butler269 et celui réalisé, après dégagement, par K. Shehadeh270. Les plans publiés par H. C. Butler, surtout lorsqu’ils sont parfaitement symétriques271 et présentent une grande

268 Voir par exemple les plans de ROUSSET et DUVETTE 2005 et DUVETTE 2010.

269 « La restitution en élévation [de la « villa » de Jmarin] par Butler est sur certains points fausse, invérifiable et incomplète » (VILLENEUVE 1997b, p. 275).

270 GROSSMANN 2000, fig. 1, p. 262.

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part de restitution doivent être considérés avec prudence272. Mais s’il s’est parfois livré à des interprétations libres, il a également produit des relevés rigoureux. Son plan du kastron d’Al-Andarin est presque semblable à celui publié, après la fouille, par C. Strube273.

J’ai tenu compte, dans les plans de H. C. Butler que j’ai exploités, du degré de certitude avec lequel il reporte la présence de murs274. J’ai souvent ignoré ses propositions de restitution (conjectured walls) pour ne tenir compte que des maçonneries en élévation et de celles qu’il a pu observer à l’état de fondation ou de soubasement (figure 43, 2)275. Les plans de J. Lassus présentent eux aussi des restitutions, mais plus prudentes la plupart du temps. Quant aux plans de J. Lauffray publiés par R. Mouterde et d’A. Poidebard276, il y aurait probablement des réserves à faire si l’on disposait de plans plus récents277, mais leurs relevés des constructions en brique crue prêtent peu à la critique278.

Pour limiter au maximum la part de l’interprétation dans les relevés effectués au GPS, nous nous sommes limités à des types de murs simples : murs de bâtiment, d’enclos, murs indéterminés ou murs postérieurs. Nous nous sommes efforcés autant que possible de respecter les interruptions que nous observions dans les maçonneries : lorsqu’il s’agit d’un passage (c’est le cas le plus rare), lorsque le soubassement disparaît sous un massif de brique crue ou lorsque les pierres ont été récupérées. Ceci explique que, sur les relevés, les pièces sont rarement complètement closes mais cela ne signifie pas qu’il faut restituer une porte à chaque interruption279. Les plans de C. Duvette me paraissent à ce titre parfois trop interprétatifs – mais je ne sais pas sur quoi elle fonde ses interprétations. Les pièces sont souvent complètement closes, ce qui implique que la continuité des soubassements en pierre a été extrapolée280. Et lorsqu’elle propose de restituer les limites entre les différentes unités d’habitation du bourg de Khirbat al-Dawsa, où peu de soubassements en pierre ont pu être observés, j’ai choisi délibérément de ne pas la suivre.

272 Voir aussi les réserves de M. Reddé, qui souligne que les plans de H. C. Butler font fréquemment l’amalgame entre plusieurs phases de construction distinctes (REDDÉ 1995, p. 94).

273 STRUBE 1999, fig. 6, p. 32. H. C. Butler a seulement restitué dans l’aile sud la présence de piliers centraux cruciformes qui, en réalité, n’existent pas. Son plan omet également plusieurs tours quadrangulaires qui flanquent les côtés de l’édifice et, dans certains cas, les portes : elles étaient probablement indécelables sans dégagement.

274 Voir sa charte graphique, PAES 2B, p. vi.

275 Sur les planches qui reprennent les plans de H. C. Butler, j’ai utilisé la même charte graphique que la sienne : les murs conservés en élévation sont représentés en noirs, ceux dont il a pu observer les arases sont en grisés. Les murs restitués sont en général figurés sans remplissage et, dans certains cas, j’ai choisi de ne pas en tenir compte, par exemple lorsqu’il restitue les ailes sud et est d’une habitation par symétrie avec les ailes nord et ouest (cas de la maison 2 d’Al-Tuba 2 notamment).

276 MOUTERDE et POIDEBARD 1945.

277 À noter que le plan du bâtiment d’Al-Qastal 1, en calcaire, a été jugé faux par le programme « Marges arides de la Syrie du Nord » et donc levé à nouveau par les architectes de la mission (B. Geyer, communication personnelle).

278 À noter cependant que certains des plans réalisés par A. Poidebard (POIDEBARD 1934) à partir de photographies aériennes sont jugés très incomplets par M. Reddé (REDDÉ 1995, p. 107).

279 L’existence d’une porte n’a été restituée que lorsque l’on pouvait observer un seuil (rare) en place, un linteau, ou la présence de piédroits. Cependant, toutes les portes n’étaient pas matérialisées par des encadrements en pierre de taille, surtout lorsqu’il s’agit de franchissements secondaires assurant la communication entre les espaces d’un même bâtiment.

280 La fouille du tell d’Al-Rawda le confirme en partie, notamment dans le secteur 4, une zone d’habitat (C. Castel, communication personnelle).

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CH A P I T R E II. EN V I R O N N E M E N T S N A T U R E L S P R É S E N T S E T P A S S É S

Il me semble essentiel d’accorder à la géographie, physique et humaine, une place importante dans cette étude. L’occupation, toutes périodes confondues – encore aujourd’hui, malgré les avancées technologiques –, repose sur les ressources qu’offre le milieu et détermine en partie les formes de peuplement (habitat groupé ou isolé), leur nature (habitat permanent ou temporaire) et leur répartition. La présentation détaillée des environnements dans lesquels s’inscrivent les sites s’impose donc comme un préalable à toute recherche sur l’économie rurale.

J’ai fait le choix de commencer par définir la situation subcontemporaine avant d’aborder celle de la période byzantine, parce que les données disponibles pour l’Antiquité sont rares et reposent en grande partie sur notre connaissance des milieux subactuels. Je m’efforcerai de privilégier la situation au début du XXe siècle et de faire abstraction de la situation strictement contemporaine. Depuis les années 1950, en effet, l’introduction de la motorisation, la multiplication des forages profonds et les réformes agraires ont induit de grands bouleversements dans l’économie traditionnelle. Les progrès techniques ont considérablement modifié la physionomie de la région et, plus particulièrement, celle des zones de marge, pourtant plus récemment acquises à l’agriculture. Le milieu est aujourd’hui communément considéré comme très dégradé par les activités anthropiques. Mais l’idée selon laquelle l’état d’équilibre entre l’homme et son environnement serait à présent rompu doit être nuancée. Comme l’observent R. Jaubert et F. Debaine à partir de photographies aériennes réalisées dans les années 1930 par A. Poidebard, le milieu steppique semble plus stable et résistant qu’on ne l’admet couramment. Et les bouleversements qu’a connus la steppe au cours de la seconde moitié du XXe siècle ne semblent pas avoir eu les conséquences dramatiques qu’on évoque généralement. Si l’on compare le couvert végétal actuel et celui des années 1930, les effets réels du surpâturage, de la culture pluviale sous le seuil des 200 mm et de l’abandon consécutif des terroirs restent à évaluer en termes objectifs sans céder à la tentation du catastrophisme1.

S’il est vrai que le niveau actuel des nappes phréatiques est bien inférieur à celui de l’Antiquité, d’autres aspects du paysage, comme la nature du couvert végétal et son état de conservation (surpâturage), ont pu connaître des évolutions importantes – même s’il reste à le prouver. La mise en valeur byzantine de la steppe s’est effectuée dans des conditions très différentes et, du point de vue strictement technologique, il ne fait pas de doute que la pression de l’homme sur le milieu était moindre, ou différente. La capacité de résilience de l’environnement n’a pas été sollicitée dans l’Antiquité comme elle l’est aujourd’hui par l’exploitation actuelle du milieu. C’est pourquoi cette présentation géographique se fonde

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avant tout sur l’économie traditionnelle et sur les conditions de mise en valeur antérieures aux années 1950.

La Syrie centrale est une région complexe qui regroupe un grand nombre de milieux différents. À chacun d’entre eux, ou presque, correspondent des stratégies de mise en valeur adaptées. Il s’agira donc en priorité de distinguer les éléments qui relèvent de facteurs contraignants (climat, relief…) de ceux qui facilitent la mise en valeur (sols épais, nappes de sous-écoulement des oueds…).

À partir de ces données et des indications que l’on possède sur la situation pendant l’Antiquité, les conditions dans lesquelles se sont effectuées à la période byzantine la conquête et la mise en valeur par les sédentaires de ces nouveaux territoires devraient apparaître plus clairement.

A. Climat, milieux, et potentiels agricoles : la situation

subcontemporaine

La région a été intégrée dans des études générales, souvent réalisées à l’échelle de la Syrie ou du Proche-Orient, dès le début du XXe siècle2. Parallèlement, certaines zones de la Syrie centrale ont, dès les années 1950, fait l’objet d’études ponctuelles de géographie humaine et physique. C’est le cas de la région d’Alep3, de Homs4 et, un plus tard, de Salamiya5. À partir des années 1970, des ouvrages comme le Syrien. Ein geographische Landeskunde de E. Wirth6, le Moyen-Orient arabe de P. Sanlaville7, ou encore la thèse de M. Trabousli8 ont fait la synthèse des publications antérieures et de travaux personnels. Ces dernières années, la connaissance de la géographie syrienne a progressé en même temps que d’autres disciplines : la prospection « Marges arides » représente ainsi l’aboutissement d’une tendance à combiner plusieurs spécialités au sein d’un même programme de recherche. Les recherches ethnologiques sur Sukhnah9, qui passent par la nécessaire prise en compte du milieu géographique, tout comme les travaux menés sur les qanats de la région d’Al-Tayibah 110 et les fouilles archéologiques de la cuvette d’Al-Kowm révèlent la même tendance11. De la même manière que les fouilles ponctuelles d’un site sont de plus en plus fréquemment associées à une prospection archéologique microrégionale ou visant au moins à circonscrire l’environnement proche (Al-Rawda pour l’âge du Bronze, Al-Andarin pour la période byzantine), l’attention des archéologues se porte aussi de plus en plus sur le milieu et son potentiel agricole.

2 THOUMIN 1928 ; DUBERTRET et WEULERSSE 1940 ; BIROT et DRESCH 1956.

3 HAMIDÉ 1959.

4 AL-NAAMAN 1951. Voir aussi plus récemment AL-DBIYAT 1995 et BOISSIÈRE 2005.

5 AL-DBIYAT 1980. 6 WIRTH 1971. 7 SANLAVILLE 2000. 8 TRABOULSI 2004. 9 MÉTRAL 1993. 10 SUZUKI 1980.

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Bien qu’il n’existe pas d’étude géographique détaillée sur l’ensemble de la zone que j’étudie, plusieurs secteurs sont néanmoins documentés par ces recherches pluridisciplinaires. Ces données, disparates et inégales, ne couvrent cependant pas toute la Syrie et ne présentent pas tous les aspects géographiques que l’on souhaiterait voir développés.