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choix de la loi applicable aux contrats internationaux :
regards franco-mexicain
Santiago Ramírez Reyes
To cite this version:
Santiago Ramírez Reyes. L’affinement des mécanismes liés à l’ordre public dans le choix de la loi
ap-plicable aux contrats internationaux : regards franco-mexicain. Droit. Université Panthéon-Sorbonne
- Paris I, 2019. Français. �NNT : 2019PA01D088�. �tel-02530187�
École Doctorale de Droit de la Sorbonne
Département de Droit Comparé
L’affinement des mécanismes liés à l’ordre public dans le choix de
la loi applicable aux contrats internationaux.
Regards franco-mexicain.
Thèse pour le Doctorat en droit
(Arrêté ministériel du 7 août 2006)
Présentée et soutenue publiquement le 28 novembre 2019 par
Santiago RAMÍREZ REYES
Directeur de recherche :
Monsieur Pascal DE VAREILLES-SOMMIÈRES
Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Membres du jury :
Madame María Mercedes ALBORNOZ
Professeur au Centro de Investigación y Docencia Económicas
Monsieur Bertrand ANCEL
Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-Assas
Monsieur Didier BODEN
Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Madame Petra HAMMJE
Avertissement
L’Université Paris I Panthéon-Sorbonne n’entend
donner aucune approbation ni improbation aux
opinions émises dans la présente thèse. Ces
opinions doivent être considérées comme propres
à leur auteur.
À mes parents.
À Andrés et Tato.
REMERCIEMENTS
Je remercie vivement Monsieur le Professeur Pascal de Vareilles-Sommières, pour la
confiance qu’il m’a accordée dès ma candidature au Master de Droit anglais et nord-américain
des affaires et, tout au long de mes travaux de recherche, pour sa hauteur de vue et bienveillance
avec lesquelles il a dirigé cette étude. Qu’il veuille bien trouver ici l’expression de ma profonde
reconnaissance.
Je remercie mes parents de leur soutien indéfectible, à Diego et David, pour être mon
exemple à suivre. À Bérengère pour la force et la patience dont elle a su me témoigner ce voyage
durant et à sa famille pour leur accueil. À mes grands-parents, en particulier à Benito Ramírez
pour m’avoir transmis sa curiosité et envie d’apprendre.
Pour leur amitié, leur joie et leur soutien inestimable pendant les moments difficiles,
mes remerciements vont à : Abraham, Alejandra, Charles, Clothilde, Daniel, Gonzague,
Grégoire, Guillaume, Hyacinthe, Margaux, Monica, Natalia, Noela, Nicolas, Niza, Pierre, et
Salvador. Une pensée particulière va aux instigateurs principaux de cette aventure : Humberto
Cantú et Rafael Ibarra. Je souhaite exprimer ma reconnaissance toute particulière à Nathalie
Brochier, pour son soutien lors de mon échange universitaire à la Faculté de Lille 2, première
étape de cette odyssée.
À Nathan Béridot, Kevin Bihannic, Vasile Lisnic, Florent Masson, Sebastian Partida et
Kostas Rokas dont les conseils ont été inestimables. Je tiens à remercier Pauline Catesson et
Anne-Juliette Debove pour avoir su restaurer le français là où ma plume l’avait sauvagement
profané. Je souhaite exprimer ma gratitude à Mme. Ruth Sefton-Green et Eva Menduina pour
le temps qu’elles ont consacré à discuter de ma thèse et à débattre de mes positions. Leurs
conseils avisés ont été d’une aide qu’elles ne mesurent peut-être pas. Aux collègues et amis de
la salle 102 avec lesquels on a pu partager des échanges et discussions, notamment à Laurence
Tacquard pour ses encouragements.
Ce travail n’aurait pu voir le jour sans le soutien de diverses institutions qui m’ont
permis de financer, avec leurs programmes de bourses, cette entreprise. Je voudrais remercier
le Consejo Nacional de Ciencia y Tecnología, la Secretaría de Relaciones Exteriores,
l’Universidad Autonoma de Nuevo León
ainsi que la Facultad de Derecho y Criminología
(notamment son ancien Doyen Monsieur le Professeur José Luis Prado Maillard).
Finalement, comme Victor Hugo l’a écrit, « qui dit étudiant dit parisien ; étudier à Paris,
c'est naître à Paris », je voudrais faire ces remerciements extensifs à celles et à ceux qui m’ont
accompagné à des moments et circonstances différents, dans cette expérience parisienne.
Résumé (1700 caractères) :
Les notions d’exception d’ordre public et de lois de police appartiennent au vocabulaire de la
théorie générale du droit international privé. Il est légitime de se demander si cette affirmation
de principe est illustrée par une comparaison franco-mexicaine. La pertinence d’un tel
rapprochement peut paraître suspecte, compte tenu de la participation de la France à un
processus plus ou moins fédérateur, du fait de son appartenance à l’Union européenne ; alors
que le Mexique s’organise autour d’un « pacte fédéral ». Or, la comparaison retrouve sa
pertinence dès lors qu’on observe que le rapport entre l’État-Nation et le droit international
privé passe inexorablement par le prisme de la souveraineté et que la France et le Mexique
demeurent détenteurs de la souveraineté au plan international. L’analyse se rend possible grâce
à l’existence d’un fond historique et d’une culture juridique communes, elle se circonscrit à la
matière contractuelle car particulièrement sensible aux mécanismes liés à l’ordre public.
Cependant, le droit international privé a évolué depuis l’identification et la construction des
grandes catégories que sont l’exception d’ordre public et les lois de police aboutissant à un
certain nombre d’affinements dont il faudra vérifier leur orientation. Éléments d’affinement
aussi multiples que variés tels que les droits fondamentaux, la protection de la partie faible, le
contrôle de constitutionnalité, et la proportionnalité entre autres, font de cette étude l’occasion
de mettre en évidence le caractère évolutif des mécanismes liés à l’ordre public en droit
international privé.
Descripteurs : droit international privé, droit comparé, contrats internationaux, ordre public,
lois de police, droits fondamentaux, contrôle de constitutionnalité, contrôle de
conventionnalité, contrôle de proportionnalité.
Title and abstract (1700 characters)
:
Specification of public policy mechanisms in the conflict of laws regarding international
contracts. French-Mexican perspectives.
The concepts of public policy and overriding mandatory rules are to be found within the
vocabulary of the general theory of conflict of laws. It is legitimate to ask whether this statement
of principle can be illustrated by a French-Mexican comparison. The relevance of such a
comparison may seem doubtful, given France's participation in a more or less unifying process,
due to its membership of the European Union; whereas Mexico, on the other hand, is organized
around a "federal pact". However, the comparison remains relevant as we can observe that the
relationship between the nation-state and private international law inexorably passes through
the prism of sovereignty and that France and Mexico remain masters of their sovereignty at the
international level. This analysis is made possible thanks to the existence of a common
historical background and a common legal culture, contractual matters are specifically
targeted due to their high level of sensitivity to the influence of public policy. However, private
international law has evolved since the identification and construction of the broad categories
of the public policy and overriding mandatory rules, which have led to a number of
developments whose orientation will have to be verified. These specification elements as
multiple as they are varied, such as fundamental rights, protection of the weaker party,
constitutional review and proportionality, among others, renders this study an opportunity to
highlight the evolving nature of mechanisms related to public policy in international private
contract law.
Keywords: private international law, conflict of laws, comparative law, international contracts,
public policy, overriding mandatory rules, fundamental rights, constitutional review,
proportionality test.
P
RINCIPALES
A
BRÉVIATIONS
a.
Article
(loi, décret ou
arrêtés)
Adde.
Ajoutez
adm.
Administratif
aff.
affaire
al.
alinéa
ALADI
Asociación
Latinoaméricana de
Integración
Am. J. Comp. Law
American Journal of
Comparative law
anc.
ancien
Archiv. phil. dr.
Archives de
Philosophie du Droit
art.
article(s)
Ass. Plén.
Assemblée plénière
de la Cour de
cassation
Bibl.
Bibliographie
BICC
Bulletin
d’information de la
Cour de cassation
BIDCM
Boletín del Instituto de
Derecho Comparado
de México
Bull.
Bulletin des arrêts
de la Cour de
cassation
Bull. Joly
Bulletin Joly
Sociétés
c.
contre
CA
Cour d’appel
Cam. L.J.
Cambridge Law
Journal
CC
Código de Comercio
C. Cass.
Cour de cassation
Cass. civ.
Cour de cassation
Chambre civile
Cass. com.
Cour de cassation
Chambre
commerciale
Cass. crim.
Chambre criminelle
de la Cour de
cassation
Cass. soc.
Cour de cassation
Chambre sociale
Cass. ch. mixte
Chambre mixte de la
Cour de cassation
CCC
Contrats
Concurrence et
Consommation
CCF
Código Civil Federal
CCI
Chambre
Internationale du
Commerce
C. civ.
Code civil
C. com.
Code de commerce
C.E.
Conseil d’État
CEDH
Convention
européenne des
droits de l’homme
CFPC
Código Federal de
Procedimientos
Civiles
Ch.
Chapitre
chron.
chronique
CIDH
Convention
interaméricaine des
droits de l’homme
Civ. 1
èrePremière Chambre
civile de la Cour de
cassation
Cf.
Consulter
Chron.
Chronique
CIDIP
Conferencias
Especializadas
Interamericanas
sobre Derecho
Internacional
Privado
CIJ
Cour Internationale
de Justice
CJCE
Cour de justice des
Communautés
européennes
CJUE
Cour de justice de
l’Union européenne
CNUDCI
Commission des
Nations Unies pour
le Droit commercial
international
CNUDMI
Comisión de las
Naciones Unidas
para el Derecho
Mercantil
Internacional
Colum. L. Rev.
Columbia Law
Review
coll.
collection
comm.
Commentaire
Comp.
Comparer
Concl.
Conclusions
Cons. const.
Conseil
constitutionnel
CPEUM
Constitución Política
de los Estados
Unidos Mexicanos
D.
Recueil Dalloz
dactyl.
Dactylographiée
DDHC
Déclaration des
droits de l’homme et
du citoyen
dir.
Direction
doctr.
Doctrine
DOF
Diario Oficial de la
Federación
Dr.
Droit
Dr. fam.
Revue Droit de la
famille
Droits
Droits – revue
française de théorie,
de philosophie et de
culture juridique
éd.
édition ou éditeur
EPIL
Encylopedia of
Private International
Law
etc.
et cætera
et al.
et les autres
Europe
Revue Europe
ex.
exemple
fasc.
fascicule
GA
Grands arrêts de la
jurisprudence
française de droit
international privé
GAJC
Grands arrêts de la
jurisprudence civile
Gaz. Pal.
Gazette du Palais
Harv. LR
Harvard Law Review
Ibid.
Ibidem
(au même
endroit)
ICLQ
International and
Comparative Law
Quarterly
IIJ
Instituto de
Investigaciones
Jurídicas de la
Universidad
Nacional Autónoma
de México
Infra
ci-dessous
Introd.
Introduction
JCP E
Jurisclasseur
périodique
(La
Semaine Juridique),
édition entreprise et
affaires
JCP G
Jurisclasseur
périodique
(La
Semaine Juridique),
édition générale
JDI
Journal du Droit
international
(Clunet)
JPIL
Journal of Private
International Law
JO
Journal Officiel
JORF
Journal Officiel de
la République
Française
JOUE
Journal Officiel de
l’Union européenne
LGDJ
Librairie générale de
droit et de
jurisprudence
loc. cit.
loco citato
(à
l’endroit cité)
LPA
Les Petites Affiches
Mél.
Mélanges
n.
note de bas de page
n°
(s)numéro(s)
not.
notamment
nouv.
nouveau ou nouvelle
obs.
Observations
OAS
Organization of
American States
OEA
Organización de
Estados Americanos
op. cit.
opus citato
(dans
l’ouvrage cité)
ord.
Ordonnance
OUP
Oxford University
Press
p.
page/pages
pan.
Panorama (Recueil
Dalloz
)
préc.
précité(s)
préf.
Préface
PUF
Presses
universitaires de
France
RDA
Revue droit des
affaires
internationales
RDC
Revue des contrats
Rec.
Recueil
Rec. des cours
Recueil des Cours de
l’Académie de Droit
international de La
Haye
Rev. arb.
Revue de l’arbitrage
Rev. crit. DIP
Revue critique de
droit international
privé
RIDC
Revue internationale
de droit comparé
Riv. dir. int.
Rivista di diritto
internazionale
Riv. dir. int. priv.
Rivista di diritto
internazionale
privato e
processuale
RTD civ.
Revue trimestrielle
de droit civil
RTD com.
Revue trimestrielle
de droit commercial
RTD Eur.
Revue trimestrielle
de droit européen
s.
suivant(e)s
SCJN
Suprema Corte de
Justicia de la Nación
spéc.
spécialement
Supra
ci-dessus
t.
tome
TA
Tesis aislada
TFUE
Traité sur le
fonctionnement de
l’Union européenne
trad.
traduction
TUE
Traité sur l’Union
européenne
TCFDIP
Travaux du Comité
français de Droit
international privé
TGI
Tribunal de grande
instance
Tul. L. Rev.
Tulane Law Review
UNIDROIT
Institut international
pour l’unification du
Droit privé
Univ.
Université
UNAM
Universidad
Nacional Autónoma
de México
V.
voir
vol.
volume
YPIL
Yearbook of Private
PLAN SOMMAIRE
INTRODUCTION
P
REMIÈRE
P
ARTIE
L
A
PRÉSENTATION DES MÉCANISMES LIÉS À L’ORDRE PUBLIC
DANS LE CHOIX DE LA LOI APPLICABLE AUX CONTRATS
INTERNATIONAUX
T
ITRE
I : L
A
P
RÉSENTATION
DU
M
ÉCANISME D
’E
XCEPTION D
’O
RDRE
P
UBLIC
Chapitre 1. Les constructions doctrinales autour du mécanisme d’exception
d’ordre public
Chapitre 2. Les manifestations du mécanisme d’exception d’ordre public
en droit positif
T
ITRE
II : L
A
P
RÉSENTATION DU
M
ÉCANISME DES
L
OIS DE
P
OLICE
Chapitre 1. Les constructions doctrinales autour du mécanisme des lois de
police
Chapitre 2. Les manifestations du mécanisme des lois de police en droit
positif
S
ECONDE
P
ARTIE
L
A PRÉSENTATION DES AFFINEMENTS DES MÉCANISMES LIÉS À L’ORDRE
PUBLIC DANS
LE CHOIX DE LA LOI APPLICABLE AUX CONTRATS
INTERNATIONAUX
T
ITRE
I : L
ES
A
FFINEMENTS
E
NDOGÈNES
Chapitre 1. Les affinements endogènes substantiels
Chapitre 2. Les affinements endogènes fonctionnels
T
ITRE
II : L’A
FFINEMENTS
E
XOGÈNES
Chapitre 1. Le contrôle de constitutionnalité
Chapitre 2. Le contrôle de conventionnalité
CONCLUSION GÉNÉRALE
INTRODUCTION
« Gutta cavat lapidem non vi, sed saepe
cadendo. »
I. Affronter les questions relevant de l’ordre public en droit est bien une aventure digne de Don
Quichotte
1. Nombre d’études savantes ont traité des vicissitudes du phénomène et ont tenté de
mettre au pas le « cheval ombrageux »
2en droit international privé. La proportion, en nombre
et qualité, des ouvrages dédiés à l’ordre public témoignent de sa complexité et ont été l’occasion
d’une production doctrinale intense, profonde et variée
3. En dépit du caractère insaisissable de
l’ordre public dans son sens le plus large
4, les notions d’« exception d’ordre public » et de « lois
de police » appartiennent désormais au vocabulaire de la théorie générale de la discipline
5.
1 Et ainsi, s’attaquer encore aux moulins à vent. M. de Cervantes, chapitre VIII, Du beau succès qu’eut le valeureux
don Quichotte dans l’épouvantable et inimaginable aventure des moulins à vent, avec d’autres événements dignes d’heureuse souvenance.
2 En reprenant la traduction de Mme A. Jeauneau, L’ordre public en droit national et en droit de l’Union
Européenne, essai de systématisation, thèse, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2015, page 405, p. 526. L’image du cheval ombrageux pour décrire l’ordre public en droit international privé est bien connue en doctrine ; elle a été employée par W. Goldschmidt, Sistema y Filosofía del Derecho Internacional Privado, Ed. Bosch, Barcelone, 1948, t. I, p. 276. Toutefois, le premier recours à l’image se retrouve chez le juge Burrough pour qui chercher à définir l’ordre public « c’est enfourcher un cheval très fougueux dont on ne sait jamais où il vous transporte », dans l’affaire Richardson v. Mellish (1824) 2 Bing 252. Traduction proposée par Ph. Malaurie dans sa thèse, Les contrats contraires à l’ordre public, étude de Droit civil comparé : France, Angleterre, U.R.S.S., Ed. Matot-Braine, 1953.
3 Les variations dans l’approche de la notion répondent aux particularités de chaque domaine où l’ordre public se
manifeste. Tel est le cas de l’ordre public économique à l’origine d’une production doctrinale à part entière, voir par ex. J. Mestre, « L’ordre public dans les relations économiques », dans Th. Revet (coord.), L’ordre public à la fin du XXe siècle, Dalloz, 1996 ; qui nous rappelle les travaux des auteurs prestigieux concernant l’ordre public économique dont ceux de Malaurie, Ripert, Savatier et Farjat. Plus récemment voir, P. de Vareilles-Sommières, « Regards privatistes sur la notion d’ordre public économique », dans A. Laget-Annamayer (dir.), L’ordre public économique, LGDJ, 1ère éd., 2018, p. 107 et s.
4 Louis-Lucas affirmait par exemple : « Alors qu’elle semble constituer la clé de tant de problèmes juridiques et
qu’elle est si souvent, en tout cas, l’ultima ratio du juge, ni son sens, ni sa portée, ni sa légitimité n’ont réussi à s’imposer. Elle est encore à la recherche de son exacte valeur et, si l’on peut dire, de son propre équilibre », « Remarques sur l’ordre public », Rev. crit. DIP 1933. 393. Une liste des définitions a été dressée dans l’appendice à la thèse de Philippe Malaurie, « Les contrats contraires à l’ordre public… », op. cit. Pour une analyse approfondie des définitions voir D. Boden, L’ordre public : limite et condition de la tolérance. Recherches sur le pluralisme juridique, thèse (dactyl.), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2002, vol. 1, n° 396. Le caractère indéfini et indéfinissable de l’ordre public en droit interne et en droit communautaire est étudié par Mme Marie-Chantal Boutard Labarde, L’ordre public en droit communautaire, dans « L’ordre public à la fin du XXe siècle », Th. Revet (coord.), Dalloz, 1996.
5 En témoigne la liste des cours à l’Académie de la Haye, dans laquelle on retrouve, sans prétendre à l’exhaustivité :
Th. Healy, « Théorie générale de l’ordre public », Recueil des cours, vol. 9, 1925 ; H. Eek, « Peremptory norms in private international law », Recueil des Cours, vol. 139, 1973 ; F. Mosconi, « Exceptions to the operation of choice of law rules », Recueil des Cours, vol. 217, 1989 ; A. Bucher : « L’ordre public et le but social des lois en
II. Dans cette perspective, on peut légitimement se demander si l’affirmation de principe
concernant l’appartenance des notions d’« exception d’ordre public » et « lois de police » à la
théorie générale du droit international privé est illustrée par une comparaison franco-mexicaine.
En effet, le sujet de l’ordre public en droit international privé occupe l’intérêt de la doctrine
française de longue date
6. Une dichotomie particulièrement féconde a été tracée selon laquelle
ce « fond social intangible »
7, est composé par un ensemble de « valeurs », d’une part, et
d’« objectifs »
8, d’autre part, précisant de la protection dans le for. Le contenu de l’ordre public,
absent souvent des définitions
9, regroupe à la fois des considérations d’ordre moral et d’ordre
politique
10.
Directement liée à cette dichotomie, la pensée internationaliste française envisagea l’ordre
public comme se manifestant de différentes manières
11, en reconnaissant depuis lors une
« ambigüité fonctionnelle »
12à la notion. Ainsi, il est admis depuis la thèse de Paul Lagarde
droit international privé », Recueil des cours, vol. 239, 1993 ; I. Fadlallah, « L’ordre public dans les sentences arbitrales », vol. 249, 1994 ; L. Brilmayer : « The role of substantive and choice of law policies in the formation and application of choice of law rules », Recueil des cours, vol. 252, 1995 ; T.-C. Hartley, « Mandatory rules in internatonal contracts : the common law approach », vol. 266, 1997 ; L. Radicati Brozolo, « Arbitrage commercial international et lois de police : considérations sur les conflits de juridictions dans le commerce international », Recueil des cours, vol. 315, 2005 ; L. Gannagé : « Les méthodes du droit international privé à l’épreuve des conflits de cultures », Recueil des cours, vol. 357, 2013 ; P. de Vareilles-Sommières, « L’exception d’ordre public et la régularité substantielle internationale de la loi étrangère », Recueil des cours, vol. 371, 2014, ; C. Fresnedo de Aguirre, « Public Policy : Common Principles in the American States », Recueil des cours, Vol. 379, 2016.
6 V. par ex. Louis-Lucas, « Remarques sur l’ordre public », Rev. crit. DIP 1933. 393 qui cite la thèse de R. Bireaud,
Contribution à l’étude de l’ordre public en droit international privé, Thèse Aix, 1932. Cependant, la pièce centrale de l’analyse du phénomène en France correspond à la thèse de M. P. Lagarde, Recherches sur l’ordre public en droit international privé, Paris, LGDJ, 1959. L’ensemble des manuels de droit international privé traitent de l’exception d’ordre public international et des lois de police. Concernant l’exception d’ordre public en droit français V. Audit et d’Avout, pp. 328-342, spéc. nos 367-377 ; Mayer et Heuzé pp. 152-162 spéc. nos 204-220. 7 Louis-Lucas, « Remarques sur l’ordre public », Rev. crit. DIP 1933. 393.
8 Le sujet a aussi inspiré les thèses de MM B. Remy, Exception d’ordre public et mécanisme des lois de police en
droit international privé, Nouvelle Bibliothèque de Thèses, Dalloz, 2008, et N. Nord, Ordre public et lois de police en droit international privé, Thèse dactyl., Strasbourg III, 2003. Comp. avec. M. A. Chapelle « Les fonctions de l’ordre public en droit international privé, Thèse dactyl., Paris II, 1979, pour qui l’ordre public serait le fondement de trois mécanismes distincts : l’exception d’ordre public qui correspond à la fonction d’éviction de l’ordre public, d’une part, et les lois de police ainsi que les règles matérielles qui traduisent la fonction de rattachement de l’ordre public d’autre part.
9 Comme l’affirme M Lagarde « le contenu de la notion d’ordre public ne fait pas partie de la définition juridique
de celle-ci », Recherches sur l’ordre public en droit international privé, Paris, 1952, p. 8.
10 Distinction attribuée à P. Lerebours-Pigeonnière, Précis de droit international privé, Dalloz, 2e éd., 1933, n°
270. Elle a ensuite été reprise par divers auteurs : B. Audit, Droit international privé, Economica, 5e éd., 2008, n°
312 s. ; H. Batiffol et P. Lagarde, Droit international privé, t. 1, 8e éd., LGDJ, 1993, n° 363 ; Y. Loussouarn, P.
Bourel et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, Dalloz, 9e éd., 2007, n° 254.
11 L’observation de ce dédoublement fonctionnel est attribuée à F.C. von Savigny, Traité de droit romain, tome 8,
2 éd., traduction Ch. Guénoux, 1860, spéc. § 349, p. 35 et s. En ce sens, P. Hammje, « L’ordre public de rattachement », Trav. Com. fr. DIP, 2006-2008, p. 153. Également, L. d’Avout, « Les lois de police », in T. Azzi et O. Boscovic (dir.), Quel avenir pour la théorie générale des conflits de lois ? Droit européen, droit conventionnel, droit commun, Actes du Colloque du 14 mars 2014, Bruylant, 2015, p. 92.
12 « De telles variations dans la perception des relations qu’entretiennent l’exception d’ordre public et le
mécanisme des lois de police ne tiennent cependant pas à la seule nature de ces objets. Elles découlent également, en partie, de l’ambiguïté fonctionnelle de l’expression « ordre public » dans les différentes développements
que l’ordre public en droit international privé est à l’origine de deux mécanismes, au moins
13:
l’exception d’ordre public international et les lois de police
14. S’agissant de deux exceptions
tenues pour « non fongibles et spécialisées »
15, la protection des valeurs correspond à
l’exception d’ordre public permettant l’éviction de la loi étrangère ou des décisions, tandis que
les lois de police
16se chargent de la protection des objectifs par un mécanisme de rattachement
immédiat. Outre-Atlantique, le phénomène attire également l’attention de la doctrine
17et les
notions sont évoquées en droit international privé mexicain
18sans que la doctrine ait pu les
approfondir.
doctrinaux », B. Remy, Exception d’ordre public et mécanisme des lois de police en droit international privé, op. cit., p. 3, spéc. n° 5.
13 « Le couple « lois de police-ordre public » a été mis en lumière, en France, par Francescakis dans un contexte
historique bien particulier dans lequel la jurisprudence se servait des notions de lois de police et de lois d’ordre public comme supports permettant à une loi donnée de « préempter » une question donnée, en reconnaissant que cette loi y est applicable, alors pourtant que la question en cause paraît bien appartenir à la catégorie de rattachement d’une règle de conflit qui désigne, pour les questions de cette catégorie, la loi d’un autre État », P. de Vareilles-Sommières, « Lois de police et politiques législatives », Rev. crit. DIP, 2011, p. 207, spéc. p. n° 31. L’insaisissabilité du contenu de l’ordre public semble bien être un défaut congénital qui touche également le mécanisme des lois de police, car comme le rappelle M. L. d’Avout on est face à une notion indéterminée qui n’est pas pour autant récusée, voir L. d’Avout, « Les lois de police », op. cit., p. 93. Sur l’affirmation du caractère incertain de la notion voir aussi : Y. Loussouarn, P. Bourel et P de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 10e éd., Dalloz, 2013, n° 178 ; « F. Jault-Seseke et S. Francq, « Les lois de police, une approche de droit comparé
», in S. Corneloup et N. Joubert (dir.), Le règlement communautaire « Rome I » et le choix de loi dans les contrats internationaux, Litec, 2011, pp. 359 et s., spéc. p. 366. Rappr. M.A. Bucher fédère sous un même vocable l’exception d’ordre public, que cet auteur évoque en parlant de « principes d’ordre public », et le mécanisme des lois de police, que cet auteur évoque en parlant de « règles d’ordre public », « L’ordre public et le but social des lois en droit international privé », Recueil des cours, 1993. II, tome 239, pp. 9-116, spéc. n° 3-17, pp. 22-43.
14 Phocion Francescakis, relevait une « attitude de la jurisprudence » en France, tendant à l’application
« immédiate » de certaines lois françaises contrairement au procédé dicté par la règle de conflit traditionnelle. L’expression, analysée dans un article intitulé « Quelques précisions sur les « lois d’application immédiate » et leurs rapports avec les règles de conflit de lois », Rev. crit. DIP, 1966.1, est utilisée, selon son auteur, pour la première fois dans La théorie du renvoi et les conflits de systèmes en droit international privé, 1958, p. 11 et s. L’auteur constatait, entre autres, que ces règles profitaient d’un domaine d’application exorbitant. Comp. l’analyse de M. P. Mayer sur la confusion existant en droit interne entre les notions d’impérativité et d’ordre public, « La sentence contraire à l’ordre public au fond », Rev. arb., 1994, n° 6, p. 618-619.
15 L. d’Avout, « Les lois de police », op. cit., p. 92.
16 P. Mayer, « Les lois de police », Trav. Com. fr. DIP, Journée du cinquantenaire, éd. CNRS, 1988, p. 105-114.. 17 Traditionnellement, v. A. de Bustamante y Sirvén, El orden público, estudio de derecho internacional privado,
La Havane, 1893. Plus, récemment v. C. Fresnedo de Aguirre, « Public Policy : Common Principles in the American States », op. cit. En droit nord-américain « Théorie générale de l’ordre public », op. cit. ; et en droit canadien G. Goldstein, De l’exception d’ordre public aux règles d’application nécessaire, étude du rattachement substantiel impératif en droit international privé canadien, Les Éditions Thémis, Montréal, Canada, 1996.
18 Sous la bannière du « Droit applicable », Derecho aplicable, l’ensemble des manuels en droit international privé
mexicain traitent de la notion d’ordre public ; voir F. Contreras Vaca, Derecho Internacional privado - Parte General, OUP, Colección Textos Jurídicos Universitarios, México, quinta edición, 2013, spéc. p. 187-189 ; N. González Martín et S. Rodriguez Jiménez, Derecho internacional privado - Parte general, UNAM, Nostra Ed., 2010, spéc. p. 163-166 et L. Pereznieto Castro Leonel, Derecho Internacional Privado. Parte General, séptima edición, Colección textos jurídicos universitarios, OUP, México, 1999, pp. 157-161.
En outre, ce dédoublement méthodologique se retrouve, dans une mesure variable
19, en droit
positif
20. D’une part, l’exception d’ordre public et l’éviction de la loi étrangère à laquelle le
mécanisme abouti se retrouvent au Mexique avec les dispositions de l’article 18 de la
Convention Interaméricaine sur la loi applicable aux contrats internationaux
21et celles de
l’article 15, al. II, du Code civil fédéral
22. En droit français l’exception d’ordre public a été
déduite par l’application de l’article 3 du Code civil
23malgré l’absence de référence expresse
au mécanisme dans ce texte. La jurisprudence précisa le régime de l’exception dans son arrêt
Lautour
24,
mais c’est à partir de l’arrêt Rivière
25que la notion d’ordre public s’impose comme
une exception à la solution normale de la règle de conflit de lois. D’autres arrêts ont complété
le régime de l’exception d’ordre public, parmi eux, les arrêts Munzer
26,
De Pedro
27et
Cornelissen
28.
Ce n’est que dans un second temps que l’exception d’ordre public a été
expressément admise par la législation, en matière contractuelle, notamment par la Convention
de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, qui prévoit dans
son article 16 : « L’application d’une disposition de la loi désignée par la présente convention
19 « Ces certitudes théoriques ne sont néanmoins pas toujours vérifiées en pratique et les auteurs des règles de droit
international privé, bien souvent, sont tentés par l’assimilation (voy., actuellement, les projets de règlements européens sur les régimes matrimoniaux et les aspects patrimoniaux des partenariats organisés, version amendée par le Parlement européen ; voy. aussi le rapprochement à l’œuvre dans le projet de principes de La Haye sur la loi applicable aux contrats internationaux, version 2012, art. 11) », L. d’Avout, « Les lois de police », op. cit., p. 93, note en bas de page n° 9.
20 P. de Vareilles-Sommières, « L’ordre public dans les contrats internationaux en Europe, sur quelques difficultés
de mise en œuvre des articles 7 et 16 de la Convention de Rome du juin 1980 », Mélanges Ph. Malaurie, Defrénois, 2005, p. 393-411.
21 Art. 18, « Le droit désigné par cette Convention pourra être exclu seulement lorsqu’il est manifestement
contraire à l’ordre public du for », traduction libre.
22 Art. 15, al. II, « Le droit étranger ne sera pas appliqué lorsque ses dispositions où le résultat de son application
sont contraires aux principes ou institutions fondamentales de l’ordre public mexicain », traduction libre.
23 B. Ancel, « Destinées de l’article 3 du Code civil », dans Mélanges en l’honneur de Paul Lagarde, Dalloz, 2005,
pp. 1-18.
24 Civ. 25 mai 1948, D. 1948. 357, note Lerebours-Pigeonnière ; Rev. crit. DIP 1949. 89, note Batiffol ; Grands
arrêts, n° 19. Par cette décision la Cour de cassation affirme que la loi compétente pour régir la responsabilité civile extra contractuelle est la loi du lieu où le délit est commis. On rappellera que c’est au visa de l’article 3 du Code civil que la Cour de cassation affirme que « les dispositions étrangères de responsabilité civile délictuelle ne sont pas contraires à l’ordre public international français par cela seul qu’elles différent des dispositions impératives du droit français mais uniquement en ce qu’elles heurtent des principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue ».
25 Cass. civ., 17 avril 1953, Rev. crit. DIP 1953. 412, note H. Batiffol, Clunet 1953. 860, note R. Plaisant, Ancel
et Lequette, Grands arrêts, n° 26, p. 232. Il découle de cet arrêt que « la réaction à l’encontre d’une disposition contraire à l’ordre public n’est pas la même suivant qu’elle met obstacle à l’acquisition d’un droit en France, ou suivant qu’il s’agit de laisser se produire en France les effets d’un droit acquis, sans fraude, à l’étranger, et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français », Ancel et Lequette, Grands arrêts, op. cit.
26 Civ. 1re., 7 janv. 1964, Rev. crit., 1964, p. 344-351, note H. Batiffol ; JDI, 1964, p. 302-309, note B. Goldman ;
JCP, 1964.II.13590, note M. Ancel ; Ancel et Lequette, Grands Arrêts, n° 41, p. 357.
27 Civ. 1re, 1er avril 1981, JDI 1981. 812, note D. Alexandre.
28 Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, Cornelissen, Bull. civ. I, no 68, D. 2007. 1115, note L. d’Avout et S.
ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public
du for ». Cette formulation est reprise par l’article 21
29du règlement européen 593/2008 du 17
juin 2008, dit « Rome I ».
D’autre part, les lois de police en droit français partagent une généalogie dans l’article 3 du
Code civil avec le mécanisme d’exception d’ordre public, mais possèdent désormais un
fondement qui leur est propre en matière contractuelle. Ce fondement a été adopté dans un
premier temps à l’article 7 de la Convention de Rome et repris ultérieurement par l’article 9 du
règlement Rome I. Pour sa part, le droit mexicain adopta un fondement pour le mécanisme des
lois de police dans l’article 11
30de la Convention de Mexico.
L’étude proposée est donc par son objet, une analyse de droit international privé, mais elle est
par sa méthode, une étude de droit comparé. Nous mobiliserons les outils de cette branche du
droit afin de comprendre le traitement des mécanismes liés à l’ordre public dans deux
environnements juridiques divers.
III. Cependant, il ne passera pas inaperçu que la comparaison franco-mexicaine se révèle
suspecte de prime abord. En effet, la France participe d’un processus plus ou moins fédérateur
31,
du fait de son appartenance à l’Union européenne ; alors que le Mexique, à l’inverse, est
clairement une fédération
32, au sein de laquelle des États libres et souverains s’organisent autour
d’un « pacte fédéral ». De ce fait, chacun des États faisant partie la République mexicaine est
29 « Article 21. Ordre public du for : L'application d'une disposition de la loi désignée par le présent règlement ne
peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l'ordre public du for ».
30 Artículo 11. No obstante lo previsto en los artículos anteriores, se aplicarán necesariamente las disposiciones
del derecho del foro cuando tengan carácter imperativo. Será discreción del foro, cuando lo considere pertinente, aplicar las disposiciones imperativas del derecho de otro Estado con el cual el contrato tenga vínculos estrechos.
31 L’intégration de l’Union Européenne comporte sans doute, depuis quelques décennies, un phénomène politique
et juridique sans précèdent ; phénomène complexe qui a été assimilé à un procès de fédéralisation dans un contexte particulier. Dans les vifs débats que ce sujet suscite, une telle affirmation doit être prise avec mesure, la contextualisation faite par Y.-E. Le Bos nous semble particulièrement intéressante, notamment lorsqu’il observe que : « Le fédéralisme est une idée, qui combine unités autonomes, des institutions communes et un gouvernement qui les rassemble… Il s’agit alors de partir de critères objectifs qui sont autant d’indices en faveur de la qualification d’un ensemble comme étant fédéral. Il n’est donc pas question ici de militer pour que l’Europe devienne fédérale, sous la forme d’un État fédéral ou d’une Fédération d’États-nations, ou au contraire pour qu’elle renonce à cette voie. Il est simplement considéré que l’Union européenne est déjà un contexte fédéral, et ce en raison d’un certain nombre d’éléments objectifs et juridiques qui vont en permettre une comparaison intéressante avec les États-Unis, notamment sous l’angle du droit international privé », Renouvellement de la théorie du conflit de lois dans un contexte fédéral, Dalloz, 2010, p. 2. Pour une étude d’ensemble, voir M. Croisat et J.-L. Quermonne, L’Europe et le fédéralisme, Montchrestien, 2e édition, 1999. Et les nuances d’analyse apportées par J. Heymann :
« si l’existence d’un fédéralisme européen relève à présent de l’évidence, il aura néanmoins fallu au préalable s’assurer de ses fondements, lesquels ont été découverts dans la notion de Fédération d’États. Entendue lato sensu, celle-ci a en effet pour particularité de se concevoir en deux dimensions, constitutionnelle et internationale, ce à quoi l’Union européenne s’acclimate parfaitement », J. Heymann, Le droit international privé à l’épreuve du fédéralisme européen, Préface de Horatia Muir Watt, Economica, 2010, n° 468.
32 L’organisation politique du territoire est prévue par l’article 40 de la Constitution Fédérale, établissant
que : « c’est la volonté du peuple mexicain de se constituer en une République représentative, démocratique, laïque, fédérale, composée par des États libres et souverains en tout ce qui concerne son régime interne ; mais unis en une fédération établie selon les principes de cette loi fondamentale ».
doté d’un corpus juridique à part entière, comprenant une Constitution, des codes, des lois et
des règlements. Ainsi, si l’on devait faire une comparaison, un constat s’impose : le Mexique,
dans ses relations avec les États fédérés mexicains, se situe à la place supérieure que serait pour
la France celle de l’Union européenne. De la sorte, la pertinence de la comparaison entre les
systèmes juridiques français et mexicain laisse songeur car elle rapproche deux éléments
distincts et, en principe, non comparables : un État unitaire, composante d’un ensemble plus
large (la France dans l’Union Européenne), et un ensemble composé (les États-Unis du
Mexique)
33.
Toutefois, deux arguments liminaires justifient de regarder de plus près cette comparaison à
première vue asymétrique. Premièrement, ce rapprochement se présente comme l’opportunité
de retracer les chemins aboutissant à la construction d’un ensemble d’États
34, compositions
fortement influencées par la notion d’« espace »
35. Deuxièmement, l’étude France-Mexique
permet de contraster la gestion de la diversité des ordres juridiques. En effet, comme M.
Heymann le rappelle dans sa thèse, une fédération d’États, dans sa dimension interne, a pour
objet « la gestion de la diversité des ordres juridiques au sein d’une unité politique »
36. Cette
gestion qui recoupe nettement l’attribution des compétences en matière de droit international
33 Et en ce sens, la comparaison appropriée serait celle par exemple entre la France et l’un des États mexicains, ou
bien la comparaison entre les États-Unis du Mexique et l’Union Européenne.
34 Le processus de création d’un état fédéral, comme M. Le Bos le rappelle, répond à deux variables : le processus
centrifuge et le processus centripète, Y.-E. Le Bos, op. cit, p. 4. Le Mexique à la différence de l’Allemagne ou de la Suisse n’a pas suivi un processus de liens confédéraux.
35 « C’est l’Union européenne qui, dans le contexte de l’instauration du « Marché unique », s’est la première
définie juridiquement comme un « espace de liberté, de sécurité et de justice », ayant vocation à s’étendre à un nombre indéterminée et indéterminable de nouveaux pays membres, et non plus comme un territoire ou un ensemble de territoires aux frontières clairement identifiables », A. Supiot, L’esprit de Philadelphie, la justice sociale face au marché total, Éd. Seuil, 2010, p. 79.
36 J. Heymann, Le droit international privé à l’épreuve du fédéralisme européen, Préface de Horatia Muir Watt,
Economica, 2010, n° 468. Voir également le compte rendu de Mme M.-E. Ancel dans RIDC, Vol. 63, n° 4, 2011, pp. 1001-1004. Contra : « À la différence des États-Unis, l’Europe n’est pas une fédération et il est possible d’être un européen convaincu tout en étant persuadé qu’il est heureux qu’il en soit ainsi », H. Gaudemet-Tallon, « Quel droit international privé pour l’Union européenne », dans International conflict of laws for the third millenium, Essays in Honor of Friederich K. Juenger, 2001, p. 330.
privé est, pour le cas de l’Union européenne
37, laissée en principe aux États membres
38tandis
qu’au Mexique elle est menée au niveau fédéral
39.
IV. La comparaison retrouve donc entièrement sa pertinence dès lors qu’on observe que le
rapport entre l’État-Nation et le droit international privé passe inexorablement par le prisme de
la souveraineté
40. Ainsi, « parce qu’il est souverain et indépendant, l’État va édicter ses propres
règles de droit international privé, mais en outre, il est seul maître pour décider de recevoir et
de faire produire effet dans son ordre juridique à une loi ou à une décision étrangère »
41. En ce
sens, l’on peut observer que le Mexique est un État fédéral, détenteur de la souveraineté au plan
international. La France est un État membre de l’Union européenne mais reste détentrice de la
souveraineté au plan international. Certes, le renforcement de l’intégration européenne
implique davantage des compétences pour l’Union européenne
42, et ce au détriment des
compétences étatiques. L’on pourrait rétorquer avec justesse que la souveraineté de
l’État-Nation est fortement érodée
43du fait de sa participation à des ensembles régionaux, cependant,
37 L’architecture européenne repose sur les traités adoptés successivement par les États membres de l’Union :
Rome en 1957, Acte unique en 1986, Maastricht en 1992, Amsterdam en 1997, Nice en 2001, Lisbonne en 2007.
38 Il paraît plus exact de rappeler que la détermination de la compétence législative en droit international privé des
États membres de l’Union européenne respecte une construction hybride qui se présentait déjà au sein de la Communauté européenne en ce sens que, de manière parallèle à l’adoption des conventions, un certain nombre de règles matérielles fut assortie d’un champ d’application, voir Audit et d’Avout, 8e édition, 2018, n° 59. Sur la
question de savoir comment le droit de l’Union européenne appréhende ces questions v. H. Gaudemet-Tallon, « Quel droit international privé pour l’Union européenne », op. cit., et l’analyse critique de V. Heuzé, « D’Amsterdam à Lisbonne, l’État de droit à l’épreuve des compétences communautaires en matière des conflits de lois », JCP 2008.1.166 et « La Reine Morte : la démocratie à l’épreuve de la conception communautaire de la justice », JCP 2011, 359 et 397.
39 Bien que la Constitución Política de los Estados Unidos Mexicanos ne prévoit pas de manière expresse
l’exclusivité du congrès fédéral pour légiférer sur les conflits de lois, la plupart des règles en la matière se retrouvent dans d’instruments fédéraux. Cependant le droit international privé au Mexique ne fait pas l’objet d’une codification, contrairement à certains pays où de véritables codes de droit international privé ont été promulgués. Pour une appréciation d’ensemble de la codification du choix de lois dans diverses pays Latino-Américains voir ; M.M. Albornoz, El derecho aplicable a los contratos internacionales en el sistema interamericano, IUSTITIA Revista juridica del Departamento de Derecho, ITESM, 2007, num. 16 ; El derecho aplicable a los contratos internacionales en los Estados del MERCOSUR, UNAM, Boletin Mexicano de Derecho Comparado, nueva serie, año XLII, núm. 125, mayo-agosto de 2009, p. 631-666.
40 Sur la notion de souveraineté, voir M. Flory, v° « Souveraineté », Rép. Int. Dalloz, 1998 ; P.-M. Dupuy et Y.
Kerbrat, Droit international public, Dalloz, 2018, 14ème éd., p. 31s., n° 32 s.
41 J. Guillaumé, L’affaiblissement de l’État-Nation et le droit international privé, LGDJ, 2011, p. 2, § 3.
42 Le fondement de la compétence en matière de droit international privé se trouve aujourd’hui dans l’article 81
du traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009. Ce fondement reprend le contenu de l’article 65 TCE
« avec certaines modifications rédactionnelles mais sans remédier à ses ambiguïtés, dont la principale consiste à appréhender les conflits de lois sous l’étiquette de la « coopération judiciaire » ». À son égard, la doctrine a averti que « loin de fonctionner sur la base de la répartition de deux ordres de compétences exclusives, selon la tradition des États fédéraux de type classique, la « gouvernance » de l’Union européenne s’exerce à travers le développement, tantôt explicite et tantôt implicite, des compétences concurrentes ou partagées entre ses institutions et ses États membres », Audit et d’Avout, 8e édition, 2018, n° 59.
43 « Le regroupement des États dans des ensembles régionaux participe aussi de l’affaiblissement de l’État.
L’ensemble régional le plus abouti est sans conteste l’Union européenne, qui au-delà d’une union économique vise également une union politique. D’un point de vue purement symbolique, ces intégrations régionales constituent un aveu de la nécessité de dépasser la logique étatique. Ainsi, la nature de l’étendue des compétences européennes sont manifestes de l’érosion de la souveraineté de l’État-Nation. Il ne s’agit pas pourtant pas d’une
comme l’observe Mme Guillaumé si la souveraineté est érodée elle n’est pourtant pas
abandonnée
44. Mais les systèmes juridiques qui serviront de base à la comparaison, à savoir la
France et le Mexique, se présentent tous deux comme des entités souveraines aptes à repousser
une loi étrangère incompatible avec l’ordre public de l’entité souveraine concernée. Cette
aptitude n’est autre que celle de la gestion des mécanismes d’exception liés à l’ordre public au
sens du droit international privé. De telle sorte, la comparaison des réactions de l’ordre public
face à la loi étrangère justifie sa pertinence.
V. L’exercice de comparaison s’avère d’autant plus important que le mécanisme d’exception
d’ordre public et le mécanisme des lois de police sont essentiels en droit international privé des
contrats. Bien que l’incidence des mécanismes liés à l’ordre public ne se limite pas au domaine
contractuel
45, ce dernier est particulièrement sensible à l’intervention des mécanismes par la
forte opposition qui existe entre le principe d’autonomie de la volonté et l’ordre public
46.
Dans leur volet externe les mécanismes liés à l’ordre public en droit international privé sont
l’expression du traitement du droit étranger, du saut dans l’inconnu
47,
doublés dans le volet
interne par le rapport de forces entre l’intérêt privé et l’intérêt général. Dans ce contexte, comme
le signale Mme Guillaumé, « l’État, personnifié par le législateur ou le juge, ne peut pas
satisfaire l’intérêt des parties au détriment de l’intérêt général et la dimension internationale de
la situation n’y change rien »
48. En effet, c’est en matière contractuelle que l’opposition
49trouve
perte de souveraineté, puisqu’en choisissant l’intégration régionale et le transfert des compétences, l’État exerce un attribut de sa souveraineté. Or il ne peut y avoir de perte là où le choix se fait librement », J. Guillaumé, op. cit., p. 6, § 11.
44 « Ainsi, la nature et l’étendue des compétences européennes sont manifestes de l’érosion de la souveraineté de
l’État-Nation. Il ne s’agit pourtant pas d’une perte de souveraineté, puisqu’en choisissant l’intégration régionale et le transfert des compétences, l’État exerce un attribut de sa souveraineté. Or, il ne peut y avoir de la perte là où le choix se fait librement », Ibid.
45 Le droit de la famille, par exemple, est fortement touché par l’ordre public, comme l’atteste l’affaire enfant
Jérémy dans lequel la Cour de cassation a appliqué le mécanisme d’exception d’ordre public, Cass. civ. 1, 26 octobre 2011, 09-71.369, Enfant Jérémy, JDI, 2012, p. 176, note J. Guillaumé.
46 Pour une illustration de la dialectique qu’existe entre ordre public et autonomie de la volonté en droit des contrats
voir, P. de Vareilles-Sommières, « Autonomie et ordre public dans les Principes de la Haye sur le choix de la loi applicable aux contrats commerciaux internationaux », JDI, n° 2, 2016, p. 410.
47 Notion empruntée à la doctrine allemande, « Sprung ins Dunkel », L. Raape, Internationales Privatrecht, 4e éd,
Franz Vahlen Verlag, 1955, p. 87.
48 J. Guillaumé, L’affaiblissement de l’État-Nation et le droit international privé, op. cit., p. 2, § 3.
49 Voir par ex. S. Ebrahimi, “Mandatory Rules and Other Party Autonomy Limitations in International Contractual
son paroxysme mais c’est aussi le domaine dans lequel le juste équilibre
50est le plus souvent
réclamé au nom de la sécurité juridique
51.
En guise d’exemple, l’incidence de ces mécanismes dans les relations contractuelles a pu être
interprétée comme un « retour de l’État »
52à contre-sens de l’esprit libéral qui guide la
mondialisation caractéristique de notre époque. Révélatrice de cette opposition est
l’intervention accrue des lois de police
53dans les transactions internationales à caractère privé
qui contraste avec un certain recul du recours à l’exception d’ordre public en matière
contractuelle
54.
En définitive, l’équilibre entre l’autonomie de la volonté et l’ordre public s’apprécie avec une
netteté toute particulière dans le domaine contractuel où le paradigme de l’autonomie de la
volonté des parties est venu s’ancrer comme un critère de rattachement, et dans lequel la
question sur son étendue exacte demeure sans réponse claire
55. D’une part parce que la réponse,
50 « Juridiquement instituée comme solution des conflits de lois, l’autonomie de la volonté doit s’accorder avec
les objectifs étatiques contraires, qui s’expriment parfois à travers l’ordre public ou certaines règles péremptoires des ordres juridiques concernés par le contrat », L. d’Avout, « Le sort des règles impératives dans le règlement Rome I », D. 2008. 2165, spéc. 1.
51 Pour un regard critique de l’ordre public et ses mécanismes, notamment par leur imprévisibilité et relativité v.
J. Guillaumé, « Ordre public plein, ordre public atténué, ordre public de proximité : quelle rationalité dans le choix du juge ? », in Le droit entre tradition et modernité, Mélanges à la mémoire de Patrick Courbe, 2012, p. 296.
52 Ch. Kohler, L’autonomie de la volonté en droit international privé : un principe entre libéralisme et étatisme,
Recueil des cours, 2012, n° 3.
53 Juenger, « General Course on Private International Law », 1983, Recueil des cours, 1985, IV, p. 201 :
« Interventionism has prompted an unprecedented proliferation of ‘strictly positive statutes’ (i.e., lois de police) designed to promote the common weal, and more of them are enacted each day. The importance of such legislation is not merely quantitative; regulatory laws deal with matters of considerable societal concern. As any international practitioner knows, some of the most troublesome conflicts problems are raised by the ‘extraterritorial’ application of ‘public law’, such as export controls, antitrust and securities legislation ».
54 Et un effacement directement proportionnel du mécanisme d’exception d’ordre public. Pour certains, cet
effacement s’explique par un transfert de la protection des valeurs du for qui ne s’opère plus par l’intervention de l’exception d’ordre public mais par le biais des lois de police. « La lecture des répertoires et des recueils de jurisprudence ne laisse planer aucun doute : l’exception d’ordre public international est invoquée, en droit des contrats internationaux, plus rarement encore aujourd’hui qu’hier… Cet effacement de l’ordre public international en matière de contrat est enregistré par la convention de Rome du 19 juin 1980… Malgré les apparences, cependant, il n’y a pas d’abdication mais plutôt transfert. C’est là, en effet, qu’apparaît le trait caractéristique de l’évolution contemporaine dans la défense des « valeurs intangibles du for ». Elle ne passe plus, en effet, par l’exception d’ordre public mais par l’application des lois de police », P. Courbe, « Ordre public et loi de police en droit des contrats internationaux », Études offertes à B. Mercadal, éd. Francis Lefebvre, 2002, p. 101.
55 Cette question a mérité l’attention dans la doctrine depuis longtemps : J.-P. Niboyet, « La théorie de l’autonomie
de la volonté », Rec. cours, 1927-I, tome 16, pp. 1-116 ; Louis-Lucas, « L’autonomie de la volonté en droit privé interne et en droit international privé », in Études de droit civil à la mémoire de Henri Capitant, Paris, Dalloz, 1939, pp. 469 et s. ; G.-R. Delaume, « L’autonomie de la volonté en droit international privé » Rev. crit, DIP 1950 , p. 321 ; H. Batiffol, « Le rôle de la volonté en droit international privé », Arch. Phil. Droit, 1957, p. 71 ; V. Ranouil, L’autonomie de la volonté, Naissance et évolution d’un concept, Paris, PUF, 1980 ; Ch. Kohler, L’autonomie de la volonté en droit international privé : un principe universel entre libéralisme et étatisme, Livres de poche de l’Académie de la Haye, 2013 ; V. Heuzé « La réglementation française des contrats internationaux, étude critique des méthodes », Paris, GLN-Joly, 1990 ; J.-Ch. Pommier, Principe d’autonomie et loi du contrat en Droit International Privé conventionnel. Paris : Ed. Economica, 1992 ; P. de Vareilles-Sommières, « Autonomie substantielle et autonomie conflictuelle en droit international privé des contrats », in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, 2015.