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L ordre public, de l arbitrage international aux conflits de juridictions

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(1)

Aux conFLits de juridictions

rafaël JAFFerALi

chargé de cours titulaire de la chaire de droit des obligations à l’Université libre de Bruxelles (ULB)

Avocat au barreau de Bruxelles (simont Braun)

introduction

1. Une grande ouverture caractérise les rapports de la dédicataire de ces lignes avec ses assistants et collègues, parmi lesquels elle a tou- jours rencontré – et même encouragé – la plus grande diversité d’opi- nions. Il n’est pas rare en effet que ceux-ci, par conviction, par défi ou par jeu, aient défendu dans leurs écrits des thèses qui s’écartent peu ou prou de celle enseignée par le professeur Watté. Cette dernière, loin de leur en tenir rigueur, n’a cessé de poursuivre avec ces joyeux frondeurs une discussion critique, parfois ferme, mais toujours enri- chissante.

C’est peut-être cet esprit d’ouverture qui explique, paradoxalement, la place récurrente qu’occupe l’ordre public international dans les tra- vaux du professeur Watté (1). En effet, il n’est pas de liberté sans

(1) Voy. not. N. Watté, Les droits et devoirs respectifs des époux en droit international privé, Bruxelles, Larcier, 1987, nos 333 et s., pp. 228 et s. (adde n° 314, p. 214, où l’on apprend que l’obligation de fidélité entre époux ne relève plus, selon l’auteure, de l’ordre public interna- tional belge)  ; id., «  Quelques remarques sur la notion de l’ordre public en droit international privé », note sous Cass., 27 février 1986, R.C.J.B., 1989, pp. 66 et s. ; id., « Examen de jurispru- dence (1990 à 2002). Droit international privé (conflits de lois). Première partie », R.C.J.B., 2003, n° 7, pp. 490 et s. ; id., « Les fonctions de l’ordre public international et les droits de l’homme », in Mélanges John Kirkpatrick, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 1047 et s. ; N. Watté, l. BarNich

et r.  JaFFErali, «  Chronique de jurisprudence belge (1995-2010)  », J.D.I., 2011, pp.  998 et  s., nos 7 et s.

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limite (2)  ; de principe sans exception (3)  ; ni de droit internatio- nal privé sans ordre public (4). Celui-ci constitue en d’autres termes la mesure – ou, du moins, le principal révélateur (5) – du degré de tolérance d’un système juridique aux situations étrangères.

En signe d’amical hommage, j’aimerais dès lors, dans les pages qui suivent, aborder cette question dans le domaine voisin de l’ar- bitrage international, qui n’a au demeurant pas échappé à la curio- sité insatiable du professeur Watté (6). Parmi les multiples fonctions qu’y joue la notion d’ordre public (7), je me concentrerai sur l’utili- sation de celle-ci comme moyen de contrôle exercé par le juge belge sur les sentences arbitrales. On sait à cet égard que l’ordre public peut être invoqué aussi bien comme exception opposée à la recon- naissance ou à l’exequatur d’une sentence étrangère (8) que comme

(2) Voy. déjà l’art. 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui énonce que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ». Plus récemment, voy. le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui énonce que « La jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs tant à l’égard d’autrui qu’à l’égard de la communauté humaine et des générations futures ».

(3) Voy. G. corNu, v°  Principe, Vocabulaire juridique (dir. Association Henri Capitant), 11e éd., Paris, P.U.F., 2016, 5e acception, p. 806 : « Règle générale qui doit, à défaut de texte spé- cial ou de dérogation particulière, régir une sorte de cas, par opposition à exception  » (asté- risques omis).

(4) Voy. déjà F.c. dE saViGNy, Traité de droit romain (trad. C. GuENoux), t. VIII, Paris, Firmin Didot, 1851, § 349, pp. 34 et s., spéc. p. 35 (sans encore utiliser les termes « ordre public », l’au- teur analyse les « lois dont la nature spéciale n’admet pas [l’]indépendance de la communauté du droit entre différents États. En présence de ces lois le juge doit appliquer exclusivement le droit national, lors même que notre principe demanderait l’application du droit étranger »).

(5) Pour une analyse globale des facteurs à prendre en considération, voy. J. MEEusEN, Natio- nalisme en internationalisme in het internationaal privaatrecht, Anvers, Intersentia, 1997.

(6) Voy. ainsi N. Watté, «  Le sort des sentences arbitrales en droit belge depuis la loi du 27 mars 1985 », R.B.D.I., 1988, pp. 496 et s.

(7) Voy. not. à ce propos G.a. BErMaNN, «  Mandatory rules of law in international arbitra- tion  », Conflict of Laws in International Arbitration, Munich, Sellier, 2011, pp.  325 et  s.  ; J. klEiNhEistErkaMP, « The Impact of Internationally Mandatory Laws on the Enforceability of Arbi- tration Agreements », World Arbitration & Mediation Rev., 2009, pp. 91 et s. ; P. saNdErs (éd.), Comparative Arbitration Practice and Public Policy in Arbitration, New York, Kluwer, 1987.

(8) Art.  V, §  2, b), de la Convention de New York du 10  juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (ci-après la «  Convention de New York »)  ; art. 1721, § 1er, b), ii), du C. jud. ; voy. à ce propos G. kEutGEN et G.-a. dal, L’arbitrage en droit belge et international, t. II, Le droit international, 2e  éd., Bruxelles, Bruylant, 2012, n°  975, pp.  1072 et  s.  ; B.  haNotiau et o.  caPrassE, «  Public Policy in International Commercial Arbi- tration  », Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards. The New York Convention in Practice, Londres, Cameron May, 2008, pp.  787 et  s.  ; J.-F.  PoudrEt

et s.  BEssoN, Comparative Law of International Arbitration, 2e  éd., Londres/Zurich, Sweet &

Maxwell/Schulthess, 2007, nos 933 et s., pp. 856 et s. ; c. VErBruGGEN, « Article 1721 », Arbitration in Belgium. A Practioner’s Guide, La Haye, Kluwer, 2016, pp. 511 et s.

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cause d’annulation d’une sentence rendue par un tribunal arbitral sié- geant en Belgique (9). Or, la portée exacte de l’ordre public a au cours des dernières années fait l’objet de plusieurs tentatives de systémati- sation de la part d’institutions soucieuses d’harmoniser par la voie de la soft law le droit de l’arbitrage international. On songe ainsi aux tra- vaux en cours de l’International Bar Association, au guide récemment publié par la CNUDCI sur la Convention de New York et aux recom- mandations de l’International Law Association (10). L’importance de ces codifications informelles n’est plus à démontrer (11).

Sans nullement prétendre à l’exhaustivité, il m’a dès lors semblé intéressant de confronter succinctement la vision de l’ordre public développée dans ces sources avec celle généralement admise en droit international privé belge et européen, plus spécialement dans le domaine des conflits de juridictions. La comparaison se révélera d’au- tant plus pertinente que c’est dans celui-ci que l’ordre public exerce la fonction – analogue – de motif de refus à l’accueil (12) d’un jugement

(9) Art. 1676, § 7, tel que modif. par la loi du 25 décembre 2016, juncto 1717, § 3, b), ii), du C. jud., transposant les art. 1er, 2), juncto 34, 2), b), ii), de la loi type de la CNUDCI sur l’ar- bitrage commercial international, ci-après la « Loi type CNUDCI » ; voy. à ce propos i. claEys et t. taNGhE, « Annulment of Arbitral Awards Before Belgian Courts », The New Belgian Arbitration Law, Bruges, La Charte, 2015, nos 25 et s., pp. 135 et s. ; M. dal, « Le recours contre les sentences arbitrales en droit belge », L’arbitre et le juge étatique. Études de droit comparé à la mémoire de Giuseppe Tarzia, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 361 et s. ; B. haNotiau et o. caPrassE, « L’an- nulation des sentences arbitrales », J.T., 2004, nos 32 et s., pp. 417 et s. ; G. kEutGEN et G.-a. dal, L’arbitrage en droit belge et international, t.  I, Le droit belge, 3e  éd., Bruxelles, Bruylant, 2015, nos 680 et s., pp. 455 et s. ; P. lEFEBVrE et M. sErVais, « Vers une conception large de l’ordre public à l’instar de la portée qui lui est conférée dans le cadre de l’annulation des sentences arbi- trales  », b-Arbitra, n°  2, 2014, pp.  297 et  s.  ; M.  PiErs et M.  storME, «  Overzicht van Belgische rechtspraak. Arbitrage (2006-2014) », T.P.R., 2014, nos 57 et s., pp. 889 et s. ; h. VaN houttE, k. cox

et s. cools, « Overzicht van rechtspraak: Arbitrage (1972-2006) », R.D.C., 2007, n° 127, pp. 148 et s. ; c. VErBruGGEN, « Article 1717 », Arbitration in Belgium. A Practioner’s Guide, La Haye, Kluwer, 2016, pp. 455 et s.

(10) Voy. IBA Subcommittee on Recognition and Enforcement of Arbitral Awards, Report on the Public Policy Exception in the New York Convention, 2015 (www.ibanet.org), ci-après le Rapport IBA  ; UNCITRAL Secretariat, Guide on the Convention on the Recognition and Enforcement of Foreign Arbitral Awards (New York, 1958), Art. V(2)(b), 2014 (www.newyork- convention1958.org), ci-après le Guide CNUDCI  ; ILA Committee on International Commercial Arbitration, Final Report on Public Policy as a Bar to Enforcement of International Arbitral Awards, 2002 (www.ila-hq.org), ci-après le Rapport ILA.

(11) Voy. not. B. BlackaBy, c. PartasidEs, a. rEdFErN et M. huNtEr, Redfern and Hunter on International Arbitration, 6e éd., Oxford, OUP, 2015, nos 1.235 et s., pp. 66 et s. ; J.-B. raciNE, Droit de l’arbitrage, Paris, PUF, 2016, nos  79 et  s., pp.  75 et  s.  ; c.  sEraGliNi et J.  ortschEidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Paris, Montchrestien, 2013, nos  64 et  s., pp.  72 et s.

(12) Je vise par ce terme tant la reconnaissance que l’exécution.

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étranger, tant dans le cadre du règlement Bruxelles Ibis (13) que du Code de droit international privé (14).

J’aborderai ainsi successivement la notion et les caractéristiques de l’ordre public (I), son contenu (II) et ses critères d’appréciation (III), avant de conclure (IV).

i. notion et caractéristiques de l’ordre public A. notion fonctionnelle

2. Dans le domaine des conflits de juridictions, la Cour de cassation considère « qu’une loi d’ordre public interne n’est d’ordre public inter- national belge que si, par les dispositions de cette loi, le législateur a entendu consacrer un principe qu’il considère comme essentiel à l’ordre moral, politique ou économique établi en Belgique » (15). Cette défini- tion, commune aux conflits de lois (16), coïncide largement avec celles

(13) Art.  45.1, a), du Règlement (UE) n°  1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12  décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civil et commerciale (refonte) (dit Règlement Bruxelles  Ibis). Voy. not. à ce propos d.  alExaNdrE et a.  huEt, «  Compétence européenne, reconnaissance et exécution  : matières civile et commerciale  », Rép. int., Paris, Dalloz, 2016, nos  417 et  s.  ; L. dEschuytENEEr,

« Een kennelijk onjuiste toepassing van het Unierecht maakt (voorlopig nog) geen schending uit van de internationale openbare orde », note sous CJUE, 16 juillet 2015, Diageo Brands, C-681/13, ECLI:EU:C:2015:471, R.D.C., 2017, pp. 65 et s. ; s. FraNcq, « Article 45 », European Commenta- ries on Private International Law. Brussels Ibis Regulation (U. MaGNus et P. MaNkoWski dir.), Cologne, Otto Schmidt, 2015, nos 14 et s., pp. 878 et s. ; h. GaudEMEt-talloN, Compétence et exécu- tion des jugements en Europe, 5e éd., Paris, L.G.D.J., 2015, nos 398 et s., pp. 518 et s. ; r. GEiMEr,

« A.1 Art. 34 », Europäisches Zivilverfahrensrecht. Kommentar (r. GEiMEr et r.a. schützE dir.), 3e  éd., Munich, Beck, 2010, pp.  627 et  s.  ; J.  kroPhollEr et J. VoN hEiN, Europaïsches Zivilpro- zessrecht, 9e  éd., Francfort, Recht und Wirtschaft, 2011, ad art.  34 EuGVO, nos  3 et  s., pp.  561 et s. ; s. lEiBlE, « Artikel 45 Brüssel Ia-VO », Europäisches Zivilprozess- und Kollisionsrecht.

Kommentar (t. rauschEr dir.), 4e éd., Cologne, Otto Schmidt, 2015, pp. 1073 et s.

(14) Art.  25, §  1er, 1°, du C. DIP. Voy. not. à ce propos F. riGaux et M. FalloN, Droit inter- national privé, 3e  éd., Bruxelles, Larcier, 2005, n°  7.40, pp.  311 et  s.  ; h.  storME, «  Artikel  25.

Gronden voor weigering van de erkenning of de uitvoerbaarverklaring », Le Code de droit interna- tional privé commenté, Anvers/Oxford, Intersentia, 2006, pp. 138 et s. ; J. VErhEllEN, Het Belgisch Wetboek IPR in familiezaken. Wetgevende doelstellingen getoetst aan de praktijk, Bruges, La Charte, 2012, nos 490 et s., pp. 311 et s.

(15) Cass., 29  avril 2002, Pas., 2002, n°  259, et concl. 1er  av. gén. J.-F. lEclErcq  ; Div.

act., 2003, p.  97, note c.  BarBé, p.  97  ; E.J., 2003, p.  102, note M.  traEst  ; J.T.T., 2003, p.  101, note ; R.W., 2002-2003, p. 862, note J. ErauW (rendu à propos de l’anc. art. 570 du C. jud.). Voy., dans le même sens, sur la base du Règl. Bruxelles I, C.J.U.E., 25  mai 2016,  Meroni,  C-559/14, ECLI:EU:C:2016:349, pt 42, qui requiert une « atteinte à un principe fondamental » consistant en

« une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État membre requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique ».

(16) Voy. Cass, 18 juin 2007, Pas., 2007, n° 332, et concl. av. gén. t. WErquiN.

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proposées dans le domaine de l’arbitrage international, qui reviennent toutes en définitive à identifier l’ordre public avec les valeurs fonda- mentales d’un système juridique (17).

Qu’il ne soit pas possible d’offrir une définition plus précise (18) ne doit pas surprendre. L’ordre public constitue en effet une notion fonc- tionnelle (19), à savoir une institution, rétive à toute définition abs- traite, qui ne se laisse cerner qu’à travers ses applications concrètes et les objectifs que celles-ci poursuivent (20).

L’ordre public présente, dit-on, un caractère à la fois international et national. Une telle affirmation, en apparence paradoxale, requiert une explication.

b. caractère international

3. L’ordre public dont il est ici question est qualifié d’international pour le distinguer de l’ordre public interne (21). L’expression « ordre public » est en effet amphigourique (22). En droit interne, elle désigne les règles auxquelles il ne peut être dérogé par les parties (23). Dans les rapports internationaux, en revanche, elle constitue comme on l’a

(17) Voy. Guide CNUDCI, pt 4, p. 3 ; Rapport IBA, p. 6 ; B. haNotiau et o. caPrassE, Enfor- cement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards, op. cit., p. 789.

(18) Trib. féd. suisse, 8 mars 2006, ATF, vol. 132, p. 389, pt 2.1 ; Rapport ILA, pt 12, p. 4 ; B.  haNotiau et o.  caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbi- tral Awards, op. cit., p. 788 ; P. lEFEBVrE et M. sErVais, op. cit., b-Arbitra, 2014/2, n° 1, p. 301 ; N. Watté, op. cit., Mélanges John Kirkpatrick, n° 1, p. 1047.

(19) F. riGaux et M. FalloN, Droit international privé, op. cit., n° 7.46, p. 316 ; N. Watté, op. cit., Mélanges John Kirkpatrick, n° 1, p. 1047.

(20) Sur la différence entre notions fonctionnelles et notions conceptuelles, voy. r. JaFFErali, La rétroactivité dans le contrat. Étude d’une notion fonctionnelle à la lumière du principe constitutionnel d’égalité, Bruxelles, Bruylant, 2014, n° 5, pp. 9 et s., et réf. cit.

(21) Voy. ainsi très clairement, dans le domaine des conflits de juridictions, Cass., 29 avril 2002, préc. : « l’ordre public s’entend, au sens de [l’article 570 ancien, alinéa 2, 1°, du Code judiciaire], de l’ordre public international belge » ; s. FraNcq, « Article 45 », Brussels Ibis Regulation, op. cit., n° 16, p. 879 ; h. GaudEMEt-talloN, Compétence et exécution des jugements en Europe, op. cit., n° 398, p. 518 ; h. storME, « Artikel 25. Gronden voor weigering van de erkenning of de uitvoer- baarverklaring  », in Le Code de droit international privé commenté, op.  cit., p.  139  ; dans le domaine de l’arbitrage international, voy. Rapport IBA, p. 4 ; Rapport ILA, recomm. 1(b), p. 2 ; B. haNotiau et o. caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards, op. cit., p. 790.

(22) Voy. dans le même sens G.a. BErMaNN, Conflict of Laws in International Arbitration, op. cit., pp. 326 et s., sur la double signification du terme mandatory.

(23) Du moins, lors de la conclusion du contrat ; si l’on inclut les règles impératives dans la notion d’ordre public (voy. à ce propos infra, n°  11), alors une dérogation est possible une fois que la protection voulue par la loi a pu jouer (P. VaN oMMEslaGhE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, Bruxelles, Larcier, 2013, n° 221, pp. 364 et s.).

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dit la limite au degré d’ouverture du système juridique national (24).

La fonction de l’ordre public sera en ce cas de refuser la reconnais- sance ou l’exécution d’un jugement étranger ou d’une sentence arbi- trale rendue selon un droit étranger, ou d’annuler le cas échéant une telle sentence (25).

L’utilité de la distinction entre ordre public interne et ordre public international est que le second est, en règle (26), plus étroit que le premier (27). Le simple fait que le jugement ou la sentence s’écarte d’une règle d’ordre public interne n’est donc pas suffisant pour justi- fier sa censure au regard de l’ordre public international.

On notera qu’ainsi comprise, la distinction entre ordre public interne et ordre public international se justifie essentiellement lorsque l’arbi- trage était soumis au droit étranger, que ce soit sur le plan de la pro- cédure ou du fond. Si l’arbitrage était exclusivement soumis au droit belge, il semble a priori que la sentence doive être contrôlée par le juge belge au regard de l’ordre public interne (28). La question méri- terait cependant d’être approfondie (29).

c. caractère national

4. Par ailleurs, étant lié aux valeurs fondamentales de l’État du for (30), l’ordre public présente également un caractère national, ce qui permet de parler, sans contradiction, de « l’ordre public internatio- nal belge  ». C’est ce qui explique également que l’ordre public inter-

(24) Voy. supra, n° 1.

(25) Selon le Rapport ILA, recomm. 1(f), p. 7, la portée de l’ordre public international ne dif- fère pas selon que le siège de l’arbitrage soit situé dans l’État du for ou à l’étranger.

(26) Voy. toutefois infra, n° 9.

(27) Guide CNUDCI, pt 13, p. 6 ; Rapport IBA, p. 4 ; Rapport ILA, pt 11, p. 3 ; B. haNotiau

et o.  caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards, op. cit., p. 790 ; G. kEutGEN et G.-A. dal, L’arbitrage en droit belge et international, t. I, op. cit., n° 745, p. 606 ; h. storME, « Artikel 25. Gronden voor weigering van de erkenning of de uitvoer- baarverklaring », Le Code de droit international privé commenté, op. cit., p. 139.

(28) En ce sens, c. VErBruGGEN, « Article 1721 », Arbitration in Belgium, op. cit., nos 64 et s.

(29) Comp. ainsi, en France, la tendance à importer dans le domaine de l’arbitrage interne les standards appliqués dans celui de l’arbitrage international (voy. sur ce point J.-B. raciNE, Droit de l’arbitrage, op. cit., n° 957, p. 595 ; c. sEraGliNi et J. ortschEidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., n° 544, pp. 455 et s.) ; dans le même sens, en Belgique, h. VaN houttE, k.  cox et s.  cools, «  Overzicht van rechtspraak: Arbitrage (1972-2006)  », R.D.C., 2007, n°  127, p. 148.

(30) Guide CNUDCI, pt 13, p. 6 ; Rapport IBA, p. 10 ; Rapport ILA, pt 20, p. 5 ; G. kEutGEN

et G.-a. dal, L’arbitrage en droit belge et international, t. II, op. cit., n° 975, p. 1072.

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national puisse varier d’un État à l’autre (31) et même au fil du temps au sein d’un même ordre juridique (32), et qu’il doive être apprécié sans avoir égard, par exemple, aux conceptions de l’État dont le droit est applicable au contrat, où le contrat doit être exécuté ou encore où se situe le siège de l’arbitrage, si elles diffèrent de celles de l’État du juge saisi (33).

Admettre le caractère national de l’ordre public se situe à contre- courant de la fameuse question de l’existence d’un ordre public « trans- national  » ou «  réellement international  » (34). Celle-ci se laisse en réalité aborder en deux temps.

Tout d’abord, se pose la question de savoir si l’ordre public interna- tional ne devrait pas perdre tout caractère national, en ce sens qu’il se limiterait aux valeurs universelles communes à tous les États. Cette opinion ne semble guère défendue dans le domaine des conflits de juridictions. Sur le terrain de l’arbitrage international, elle semble ren- contrer plus de succès, encore que celui-ci demeure fort relatif (35).

Elle ne semble en tout cas avoir trouvé aucun écho dans la jurispru- dence belge.

De manière plus nuancée, on peut considérer que le caractère quasi universel d’une règle de droit permet d’admettre plus aisément qu’elle relève de l’ordre public international du for (36). On songe, notam- ment, au respect des droits fondamentaux (37). Ainsi compris, l’ordre public transnational jouit d’une certaine reconnaissance dans la juris-

(31) Rapport ILA, pt 21, p. 5.

(32) Rapport IBA, p. 10 ; s. FraNcq, « Article 45 », Brussels Ibis Regulation, op. cit., n° 15, p.  879  ; M.  PiErs et M.  storME, «  Overzicht van Belgische rechtspraak. Arbitrage (2006-2014)  », T.P.R., 2014, n° 58, p. 890.

(33) Trib. féd. suisse, 8  mars 2006, ATF, vol.  132, p.  389, pt  2.2.2  ; Rapport ILA, recomm.

2(a), p. 8.

(34) Sur le rôle de celui-ci devant l’arbitre, voy. l’étude classique de P. laliVE, « Transnational (or Truly International) Public Policy and International Arbitration  », Comparative Arbitration Practice and Public Policy in Arbitration, New York, Kluwer, 1987, pp. 258 et s.

(35) Voy. ainsi, au contentieux de l’annulation, Trib. féd. suisse, 1er février 2002, ATF, vol. 128, p.  234, pt  4, c), refusant d’annuler une sentence pour violation de dispositions du droit grec et européen de la concurrence, au motif qu’« il paraît douteux que [ces] dispositions […] fassent par- tie des principes juridiques ou moraux fondamentaux reconnus dans tous les États civilisés au point que leur violation devrait être considérée comme contraire à l’ordre public ». La jurisprudence ulté- rieure est cependant revenue à une conception plus classique de l’ordre public. Voy. ainsi Trib.

féd. suisse, 27 mars 2012, BGE, vol. 138, III, p. 322, pt 4.1 ; Trib. féd. suisse, 8 mars 2006, ATF, vol. 132, p. 389, pt 2.2.2. Sur cette controverse, voy. égal. J.-F. PoudrEt et s. BEssoN, Comparative Law of International Arbitration, op. cit., n° 824, pp. 765 et s.

(36) Rapport ILA, recomm. 2(b), p. 9.

(37) Voy. à ce propos N. Watté, op. cit., Mélanges John Kirkpatrick, spéc. n° 18, p. 1068.

(8)

prudence (38). La question présente dans l’ensemble un caractère quelque peu théorique dès lors que, pour pouvoir prétendre à une reconnaissance universelle, une règle de droit doit à tout le moins être admise par le for, ce qui ne permet donc pas de faire l’économie de la conception nationale classique de l’ordre public (39).

d. rôle du juge et des parties

5. Quel est le rôle respectif du juge et des parties à l’égard d’une vio- lation de l’ordre public ?

S’agissant du juge, se pose la question de savoir s’il a la possibilité, voire même l’obligation, d’élever d’office une telle violation. La réponse est assurément positive dans l’hypothèse de la reconnaissance ou de l’exécution d’un jugement étranger fondée sur les dispositions du Code de droit international privé (40). Il en va de même dans le domaine de l’arbitrage international qui opère à cet égard une distinction claire entre les motifs de contrôle devant être invoqués par les parties et ceux devant être vérifiés d’office par le juge (41), nonobstant les dis- cussions auxquelles l’utilisation du terme may ont donné lieu à l’ar- ticle  V, §  2, de la Convention de New York (42). Les choses sont en

(38) Voy. not. Bruxelles, 6 décembre 2000, J.T., 2001, p. 572, pt 2.4, obs. B. haNotiau (déci- sion visant des «  articles de la Constitution ou de conventions internationales ratifiées par la Belgique et relatives aux droits de l’homme, aux droits civils et politiques, ou encore à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ») ; Guide CNUDCI, pt 14, p. 6 ; Rapport IBA, p. 10 ; Rapport ILA, pt 43, p. 9.

(39) B. haNotiau et o. caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and Internatio- nal Arbitral Awards, op. cit., p. 796 ; comp. cependant les intéressantes réflexions de N. Watté, op.  cit., Mélanges John Kirkpatrick, nos  18 et  s., pp.  1067 et  s., qui s’interroge sur le point de savoir si les critères d’application de l’ordre public ne devraient pas être affinés en présence de la violation alléguée d’un droit fondamental.

(40) F. riGaux et M. FalloN, Droit international privé, op.  cit., n°  10.40, p.  453, qui se réfèrent à Cass., 23 janvier 1981, Pas., 1981, I, p. 547. De manière plus générale, la solution découle de la conception moderne de l’office du juge, qui impose au juge d’élever d’office les dispositions dont l’application est commandée par les faits spécialement invoqués par les parties à l’appui de leurs prétentions, et lui permet d’élever d’office celles dont l’application n’est commandée que par des faits adventices du dossier (voy. Cass., 17 mars 2016, n° C.15.0235.N ; J.-F. VaN drooGhENroEck,

« Chronique de l’office du juge », obs. sous Cass., 13 mars 2013, J.L.M.B., 2013, pp. 1307 et s.).

(41) Comp. les §§ 1er et 2 de l’art. V de la Conv. de New York ; les pts a) et b) de l’art. 34,

§ 2, de la loi type CNUDCI ; les pts a) et b) des art. 1717, § 3, et 1721, § 1er, du C. jud. ; voy. égal.

le Guide CNUDCI, pts 55 et 56, p. 19 ; P. lEFEBVrE et M. sErVais, op. cit., b-Arbitra, 2014/2, n° 54, p. 332 ; c. VErBruGGEN, « Article 1721 », in Arbitration in Belgium, op. cit., n° 60.

(42) Voy. à ce propos B. haNotiau et o. caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards, op.  cit., p.  803  ; J.-F.  PoudrEt et s.  BEssoN, Comparative Law of International Arbitration, op. cit., n° 902, p. 829.

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revanche nettement plus controversées lorsque la reconnaissance ou l’exécution se fonde sur le règlement Bruxelles Ibis (43).

Quant aux parties, on aurait tendance à répondre spontanément que puisque l’ordre public international constitue le « noyau dur » de l’ordre public interne (44) et que celui-ci caractérise précisément les règles auxquelles il n’est pas permis de déroger, il ne devrait pas non plus être permis aux parties ou à l’une d’elles de couvrir une violation de l’ordre public international. On trouve confirmation de cette idée à l’article  1717, §  5, du Code judiciaire, qui dispose que «  Ne sont pas retenues comme causes d’annulation de la sentence arbitrale les cas prévus au § 2, a), i., ii., iii. et v., lorsque la partie qui s’en prévaut en a eu connaissance au cours de la procédure arbitrale et ne les a pas alors invoquées » ; a contrario, la violation de l’ordre public, non visée par cette énumération (45), pourrait être invoquée même si une partie y a renoncé ou a négligé de l’invoquer au cours de la procédure arbi- trale (46). Il ne conviendrait pas, en effet, de faire dépendre le respect de l’ordre public – qui touche comme on l’a vu aux valeurs fondamen- tales du for – de la seule attitude de parties privées (47).

Si cette conclusion est assurément fondée dans son principe, elle mériterait cependant d’être nuancée sur plusieurs points, qu’il n’est guère possible de développer ici.

Relevons tout d’abord que, dans la mesure où l’ordre public inter- national inclut des règles qui sont simplement impératives en droit interne (48), il devrait pouvoir y être renoncé après que la protec- tion voulue par le législateur a pu jouer (49). La renonciation au

(43) Voy. à ce propos s. FraNcq, « Article 45 », in Brussels Ibis Regulation, op.  cit., n° 7, pp. 870 et s. ; r. GEiMEr, « A.1 Art. 34 », Europäisches Zivilverfahrensrecht, op. cit., nos 62 et s., pp. 648 et s. ; s. lEiBlE, « Artikel 45 Brüssel Ia-VO », in Europäisches Zivilprozess- und Kolli- sionsrecht, op. cit., n° 3, pp. 1078 et s.

(44) Voy. supra, n° 3.

(45) Elle figure en effet, pour rappel, au § 2, b), ii), de cette disposition.

(46) Voy. en ce sens Civ. Bruxelles, 30 mars 2011, R.D.C., 2012, pp. 186 et s., spéc. p. 188, obs. c. VErBruGGEN ; Civ. Bruges, 25 juin 2007, T.G.R., 2008/1, p. 20, pt 5 ; i. claEys et t. taNGhE, The New Belgian Arbitration Law, op.  cit., n°  25, p.  135  ; P.  lEFEBVrE et M.  sErVais, op.  cit., b-Arbitra, 2014/2, n°  52, p.  331  ; M.  PiErs et M.  storME, «  Overzicht van Belgische rechtspraak.

Arbitrage (2006-2014) », T.P.R., 2004, n° 59, p. 890.

(47) B. haNotiau et o. caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and Internatio- nal Arbitral Awards, op. cit., p. 816 ; P. lEFEBVrE et M. sErVais, b-Arbitra, op. cit., n° 51, p. 330.

(48) Voy. à ce propos infra, n° 11.

(49) Voy. supra, note n° 23. On songe notamment aux règles du droit de la consommation. À cet égard, bien que la Cour de justice ait décidé que celles-ci doivent être assimilées à des règles d’ordre public devant être soulevées d’office pour les besoins de l’annulation d’une sentence arbi- trale même si le consommateur n’a pas contesté la validité de la convention d’arbitrage au cours de

(10)

bénéfice des droits fondamentaux est de même admise dans certaines limites (50).

Ensuite, on ne peut exclure que l’invocation de la contrariété de la sentence avec une règle relevant de l’ordre public du for, alors que la partie qui s’en prévaut en avait connaissance au cours de la procédure arbitrale et s’est néanmoins abstenue de la soulever, puisse dans cer- taines circonstances être constitutive d’abus de droit (51). On rappel- lera à cet égard qu’en droit interne, même les droits d’ordre public sont susceptibles d’abus (52).

Enfin, même si les parties ne sont pas admises à renoncer en tant que telle à l’application de la règle d’ordre public, leur consentement pourra dans certains cas être l’indice que sa violation ne présente pas une gravité suffisante pour censurer la décision rendue (53).

la procédure arbitrale (C.J.C.E., 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C-168/05, ECLI:EU:C:2006:675, spéc. pts  30 et  35), elle a précisé par la suite que le consommateur avait le pouvoir de renon- cer à la protection en connaissance de cause (C.J.C.E., 4  juin 2009, Pannon GSM,  C-243/08, ECLI:EU:C:2009:350, pt 33) et que celle-ci ne pouvait en outre jouer qu’en cas d’introduction d’une procédure juridictionnelle, dès lors que « le respect du principe d’effectivité ne saurait aller jusqu’à suppléer intégralement à la passivité totale du consommateur concerné  » (C.J.U.E., 1er  octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C-32/14, ECLI:EU:C:2015:637, pt 62).

(50) Voy. P. FruMEr, « La renonciation aux droits constitutionnels », Les droits constitution- nels en Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 367 et s. ; r. JaFFErali, « The Horizontal Effect of Human Rights: A Typology of the Methods of Reasoning Applied by Belgian Courts  », EU- Grundrechte und Privatrecht, Baden-Baden, Nomos, 2016, pp. 153 et s. ; S. VaN drooGhENBroEck,

« La renonciation aux droits fondamentaux », in Le droit international et européen des droits de l’homme devant le juge national, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 369 et s. ; adde, sur la renon- ciation à l’impartialité de l’arbitre, J.-F. tossENs et s. GoldMaN, « Recours en annulation : commen- taire des arrêts de la Cour de cassation du 7 novembre 2013 et de la Cour d’appel de Bruxelles du 6 décembre 2011 », b-Arbitra, 2014/1, nos 22 et s., pp. 231 et s.

(51) Voy. en ce sens Rapport ILA, recomm. 2(c), p. 9 ; J.-F. PoudrEt et s. BEssoN, Compa- rative Law of International Arbitration, op.  cit., n°  902, p.  829  ; cf., sur la figure de l’estop- pel reconnue dans certains ordres juridiques, Guide CNUDCI, pts  47 et  s., pp.  17 et  s.  ; sur le principe de loyauté procédurale et la théorie du « moyen renégat », Cass., 4 octobre 2012, Pas., 2012, n° 512, et concl. av. gén. t. WErquiN ; P. lEFEBVrE et M. sErVais, op. cit., b-Arbitra, 2014/2, n° 53, p. 332.

(52) Voy. Cass., 2  avril 2015, Pas., 2015, n°  238, et concl. proc. gén. J.-F. lEclErcq ; Cass., 22  septembre 2008, Pas., 2008, n°  491  ; Cass., 10  juin 2004, Pas., 2004, n°  315, A.C., 2004, n° 315, et concl. av. gén. D. thiJs ; Cass., 27 juin 1985, Pas., 1985, I, n° 656.

(53) Cf., en matière de répudiation, l’art. 57, § 2, 4°, du C. DIP. Sur le critère de la gravité des effets, voy. infra, n° 12.

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ii. contenu de l’ordre public

6. On décline généralement l’ordre public international en un volet procédural (A) et un volet matériel (B) (54). Compte tenu de la taille limitée de cette étude, il ne s’agit nullement de dresser un catalogue des cas d’application de l’ordre public international, mais plutôt d’épin- gler certaines hypothèses intéressantes dans la perspective du droit belge.

A. ordre public procédural 1. impartialité du tribunal arbitral

7. L’ancien article 1704.5 du Code judiciaire prévoyait que « Les causes de récusation et d’exclusion des arbitres prévues aux articles 1690 et 1692 ne constituent pas des causes d’annulation au sens de l’alinéa 2, lettre f) du présent article [relative à la constitution irrégulière du tri- bunal arbitral], alors même qu’elles ne seraient connues qu’après le prononcé de la sentence ».

Pour donner un effet utile à cette disposition, certains en dédui- saient qu’une telle cause de récusation n’aurait pas pu non plus jus- tifier l’annulation sur un autre fondement (55), et notamment sur la base de l’ancien article  1704.2, a), du Code judiciaire (56). Un autre courant considérait en revanche qu’une sentence rendue par un arbitre manquant au principe d’impartialité méconnaît le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, lequel relève de l’ordre public (57).

(54) C.J.U.E., 16  juillet 2015, Diageo Brands,  C-681/13, ECLI:EU:C:2015:471, pt  46  ; Trib.

féd. suisse, 8  mars 2006, ATF, vol.  132, p.  389, pt  2.2.1  ; Cass. fr., 24  mars 1998, Bull., 1998, I, n° 121 ; Guide CNUDCI, pt 28, p. 9 ; Rapport ILA, recomm. 1(c), p. 5 ; s. FraNcq, « Article 45 », in Brussels Ibis Regulation, op. cit., n° 15, p. 879 ; B. haNotiau et o. caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards, op.  cit., p.  789  ; J.-F.  PoudrEt et s. BEssoN, Comparative Law of International Arbitration, op. cit., n° 936, p. 858.

(55) Comp., à propos de l’effet de la règle In pari causa… sur le plan réel, r. JaFFErali, La rétroactivité dans le contrat, op. cit., n° 281, p. 627.

(56) Voy. en ce sens Bruxelles, 6 décembre 2011, b-Arbitra, 2014/1, p. 216, pt 5.5 ; Bruxelles, 22 juin 2009, Rev. arb., 2009, p. 574, pt XV, obs. a. MourrE ; adde Gand, 14 janvier 2014, Rev. dr.

jud. pr., 2014, p. 78, pt 5.

(57) Voy. Civ. Bruges, 25  juin 2007, T.G.R., 2008/1, p.  20, pt  5  ; adde Bruxelles, 8  octobre 2001, J.T., 2002, p. 635 ; M. PiErs et M. storME, « Overzicht van Belgische rechtspraak. Arbitrage (2006-2014)  », T.P.R., 2004, n°  59, p.  890  ; h.  VaN houttE, k.  cox et s.  cools, «  Overzicht van rechtspraak: Arbitrage (1972-2006) », R.D.C., 2007, n° 127, p. 148.

(12)

L’abrogation de l’article 1704.5, qui n’a pas d’équivalent dans la loi sur l’arbitrage de 2013, vient conforter cette dernière solution (58) et aligne ainsi la position belge sur celle généralement admise en matière d’arbitrage international (59) et de conflits de juridictions (60). Le défaut d’impartialité ne pourra toutefois pas être invoqué par la par- tie «  qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile  [cette] irrégularité devant le tribunal arbi- tral » (61).

2. sentence dépourvue de toute motivation

8. Un jugement remarqué du tribunal de première instance de Bruxelles a refusé l’exequatur à une sentence arbitrale rendue en Californie en considérant que la motivation stéréotypée de celle-ci équivalait à une absence de motivation et qu’elle violait à cet égard l’ordre public, eu égard aux exigences de l’article  6 de la Convention européenne des droits de l’homme (62).

Il est intéressant de souligner que ce jugement s’inspire expressément de la jurisprudence de la Cour de cassation de France en matière de conflits de juridictions (63). Celle-ci considère en effet qu’est contraire à la conception française de l’ordre public international de procédure, la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits les documents de nature à servir d’équivalents à la

(58) Voy. J.-F. tossENs et s. GoldMaN, « Recours en annulation : commentaire des arrêts de la Cour de cassation du 7 novembre 2013 et de la Cour d’appel de Bruxelles du 6 décembre 2011 », b-Arbitra, 2014/1, nos  22 et  s., pp.  231 et  s. (en réservant l’hypothèse où il a été renoncé à se plaindre du défaut d’impartialité) ; h. VErBist, « Rechtsbescherming van partijen in arbitragepro- cedures naar Belgisch recht – Een overzicht van rechtspraak », b-Arbitra, 2014/2, n° 17, p. 267 ; c. VErBruGGEN, « Article 1717 », Arbitration in Belgium, op. cit., n° 72.

(59) Guide CNUDCI, pt  38, p.  14  ; Rapport ILA, recomm. 1(e), p.  6  ; B.  haNotiau et o.  caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards, op.  cit., p.  824  ; J.-F.  PoudrEt et s.  BEssoN, Comparative Law of International Arbitration, op. cit., n° 936, p. 858.

(60) Voy. s. lEiBlE, «  Artikel 45 Brüssel Ia-VO  », Europäisches Zivilprozess- und Kolli- sionsrecht, op. cit., n° 16, p. 1085.

(61) Art.  1679 C. jud. Voy. égal. l’art.  1717, §  5, du C. jud.  ; l’argument est toutefois moins immédiat dès lors que cette dernière disposition ne vise pas le § 2, b), ii), du même art., et sus- cite donc des questions analogues à celles posées par l’anc. art. 1704.5.

(62) Civ. Bruxelles, 30  mars 2011, R.D.C., 2012, pp.  186 et s., et obs. critiques et fouillées de c. VErBruGGEN, « Le refus d’exequatur d’une sentence arbitrale étrangère dépourvue de moti- vation ».

(63) Ibid., p. 188.

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motivation défaillante (64). On relèvera également que, dans l’arrêt Trade Agency, la Cour de justice a considéré qu’un État membre ne peut refuser l’exécution d’un jugement d’un autre État membre dépourvu de motivation au titre de l’ordre public, «  à moins qu’il ne lui apparaisse, au terme d’une appréciation globale de la procédure et au vu de l’ensemble des circonstances pertinentes, que cette décision porte une atteinte manifeste et démesurée au droit du défendeur à un procès équitable, visé à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en raison de l’impossibilité d’exercer à son encontre un recours de manière utile et effective » (65).

Le jugement précité a cependant été sévèrement critiqué par la doc- trine arbitragiste (66) et a suscité une réaction législative lors de l’adop- tion de la réforme de 2013 (67). Ainsi, si la motivation de la sentence demeure obligatoire – à peine d’annulation – lorsque le siège de l’arbi- trage est situé en Belgique (68), en revanche, à l’égard des sentences étrangères, la reconnaissance et l’exequatur ne peuvent être refusés que si « la sentence n’est pas motivée alors qu’une telle motivation est prescrite par les règles de droit applicables à la procédure arbitrale dans le cadre de laquelle la sentence a été prononcée » (69). Lorsque

(64) Voy. Cass. fr., 9 septembre 2015, n° 14-13.641 ; Cass. fr., 11 février 2015, n° 14-10.074 ; Cass. fr., 7 novembre 2012, Bull., 2012, I, n° 228 ; Cass. fr., 14 octobre 2009, n° 08-16.370 ; Cass. fr., 22 octobre 2008, Bull., 2008, I, n° 234 ; Cass. fr., 28 novembre 2006, Bull., 2006, I, n° 521 ; Cass.

fr., 28 novembre 2006, Bull., 2006, I, n° 520 ; Cass. fr., 20 septembre 2006, Bull., 2006, I, n° 405 ; Cass. fr., 20 septembre 2006, n° 04-11.636 ; Cass. fr., 17 janvier 2006, Bull., 2006, I, n° 20 ; h. Gau-

dEMEt-talloN, Compétence et exécution des jugements en Europe, op. cit., n° 405, pp. 427 et s.

Au contraire, il semble qu’en Italie, l’exigence de motivation des jugements ne relève pas de l’ordre public international (S. FraNcq, « Article 45 », Brussels Ibis Regulation, op. cit., n° 32, p. 898).

(65) C.J.U.E., 6 septembre 2012,  Trade Agency, C-619/10, ECLI:EU:C:2012:531, dispositif ; voy. égal. C.J.U.E., 23 octobre 2014, flyLAL-Lithuanian Airlines, C-302/13, ECLI:EU:C:2014:2319, pts  51 et  s.  ; s.  lEiBlE, «  Artikel 45 Brüssel Ia-VO  », Europäisches Zivilprozess- und Kolli- sionsrecht, op. cit., n° 20, p. 1087.

(66) G. kEutGEN et G.-A. dal, L’arbitrage en droit belge et international, t.  I, op.  cit., n° 745, p. 607 ; adde, plus nuancée, c. VErBruGGEN, op. cit., R.D.C., 2012, pp. 189 et s.

(67) Voy. Exposé des motifs, Doc. parl., Ch., s.o., 2012-2013, n° 2743/001, p. 37 : « Le projet de loi considère néanmoins que la motivation est inhérente à tout acte juridictionnel et est seule de nature à permettre un contrôle juridictionnel adéquat. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit pas, selon la doctrine unanime (voy. G. kEutGEN et G.A. dal, L’arbitrage en droit belge et inter- national, t. I, op. cit., p. 401, n° 503), d’une exigence d’ordre public international de sorte qu’une sentence non motivée conformément au droit applicable à la procédure arbitrale sera néanmoins reconnue en Belgique et pourra donc faire l’objet d’une exécution forcée  ». Adde dans le même sens p. 40.

(68) Art. 1713, § 4, et 1717, § 3, a), iii), du C. jud.

(69) Art. 1721, § 1er, a), iv), du C. jud. ; G. kEutGEN et G.-A. dal, L’arbitrage en droit belge et international, t. I, op. cit., n° 727, p. 594. Sur la possibilité de renoncer à la motivation de la sentence, voy. égal. l’art. VIII de la Convention européenne sur l’arbitrage commercial internatio- nal, signée à Genève le 21 avril 1961.

(14)

ces règles ont été respectées, le défaut de motivation de la sentence ne contreviendrait donc plus à l’ordre public international belge (70).

On peut toutefois se demander si cette précision du législateur suffira à couper court à toute argumentation fondée sur la primauté des droits fondamentaux sur les dispositions du droit interne (71).

3. Autorité de la chose jugée

9. La question de l’autorité de la chose jugée peut se poser aussi bien devant l’arbitre que devant le juge étatique et suscite des difficul- tés éminemment complexes (72). On se contentera de relever que la méconnaissance de l’autorité de la chose jugée est généralement pré- sentée comme un motif s’opposant à l’accueil de la sentence au titre de l’ordre public (73).

En va-t-il de même en Belgique ? On pourrait a priori en douter au vu de l’article 27, alinéa 2, du Code judiciaire, aux termes duquel l’ex- ception de chose jugée « ne peut être soulevée d’office par le juge ».

Puisqu’elle ne ressortit pas à l’ordre public interne (74), ne devrait- elle pas également être exclue du domaine de l’ordre public internatio- nal belge ? Une double réponse peut être apportée à cette objection.

Sur le plan interne, on peut tenter de nuancer l’idée selon laquelle l’autorité de la chose jugée ne relève pas de l’ordre public en relevant qu’une fois que la décision est passée en force de chose jugée (75), le respect de celle-ci intéresse directement la sécurité juridique et, par- tant, l’ordre public (76).

(70) i. claEys et t. taNGhE, The New Belgian Arbitration Law, op. cit., n° 14, p. 129.

(71) Revoy. à cet égard le jugement du 30 mars 2011, préc.

(72) Pour un aperçu global de celles-ci, voy. le n° 2016/1 de la Revue de l’arbitrage ; adde s. BolléE, « L’autorité de chose jugée et l’opposabilité de la sentence confrontées au principe du contradictoire », Le principe du contradictoire en arbitrage, Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 145 et s.

(73) Rapport IBA, p. 15 ; Rapport ILA, pt 29, p. 7.

(74) G. dE lEVal (dir.), Droit judiciaire, t. 2, Manuel de procédure civile, Bruxelles, Lar- cier, 2015, n° 7.52, p. 696.

(75) On rappellera qu’alors que l’autorité de chose jugée s’attache à toute décision définitive dès son prononcé (art. 24 C. jud.), la force de chose jugée n’est acquise que lorsque la décision n’est plus susceptible de recours ordinaire (art. 27 C. jud.).

(76) Voy. en ce sens Cass., 24  juin 2010, R.W., 2012-2013, p.  211, note F. duPoN, excluant qu’on puisse acquiescer pour ce motif à une requête civile qui vise à révoquer la force de chose jugée d’une décision ; G. dE lEVal, Droit judiciaire, op. cit., t. 2, n° 7.52, p. 696.

(15)

Sur le plan international, on soulignera que même si, en règle, l’ordre public international constitue le noyau dur de l’ordre public interne (77), il n’en va pas nécessairement ainsi, certaines règles sup- plétives pouvant exceptionnellement relever de l’ordre public interna- tional (78). C’est ainsi qu’alors que les dispositions légales relatives à la responsabilité résultant d’un acte illicite ne sont ni d’ordre public ni impératives en droit interne (79), l’application d’une loi étrangère privant la victime d’une infraction punie par la loi belge de tout droit à réparation heurterait l’ordre public international belge (80), de même que, à certaines conditions, l’octroi de dommages-intérêts puni- tifs (81). À supposer même que l’autorité de la chose jugée ne relève pas de l’ordre public interne, elle pourrait donc néanmoins relever de l’ordre public international.

Les conflits de juridictions peuvent, sur ce point encore, montrer la voie à l’arbitrage international, puisqu’un arrêt, il est vrai déjà ancien, de la Cour de cassation décide que l’ordre public international belge s’oppose à l’exequatur d’un jugement étranger contraire à une déci- sion belge antérieure passée en force de chose jugée (82).

(77) Voy. supra, n° 3.

(78) N. Watté, op. cit., R.C.J.B., 1989, n°  10, p.  73  ; P. WautElEt, «  La Cour de cassation et l’ordre public international alimentaire », obs. sous Cass., 18 juin 2007, J.L.M.B., 2008, p. 826.

Comp. égal., dans le cadre de l’art. 806 C. jud., Cass., 13 décembre 2016, n° P.16.0421.N, décidant qu’est contraire à l’ordre public (interne) l’accueil d’une demande ou d’une défense manifestement non fondée (et ce même si ce défaut manifeste de fondement ne résulte pas de l’application d’une règle d’ordre public).

(79) Cass., 15 février 1993, Pas., 1993, I, n° 92 ; Cass., 4 janvier 1993, Pas., 1993, I, n° 1 ; Cass., 29  mai 1984, Pas., 1984, I, n°  549 (sol. implicite)  ; Cass., 10  février 1981, Pas., 1981, I, p. 623 ; Cass., 29 septembre 1972, Pas., 1973, I, p. 124.

(80) Voy. les concl. proc. gén. r. hayoitdE tErMicourt avant Cass. (plén.), 17 mai 1957, Pas., 1957, I, p. 1114 ; voy. aussi Civ. Bruxelles, 17 juin 2014, R.G. 10/4855/A, www.juridat.be.

(81) Voy. en ce sens le cons. n° 32 du Règl. (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») ; art.  11 de la Conv. de La Haye du 30  juin 2005 sur les accords d’élection de for  ; Cass. fr., 1er  décembre 2010, Bull., 2010, I, n°  248  ; BGH, 4  juin 1992, BGHZ, vol.  118, p.  312, pt  V  ; c. VaNlEENhoVE, Punitive Damages in Private International Law, Cambridge/Anvers/Portland, Intersentia, 2016.

(82) Voy. Cass., 4 novembre 1909, Pas., 1909, I, p. 429 (rendu sur pourvoi dans l’intérêt de la loi).

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b. ordre public matériel

1. grands principes du droit des contrats

10. Lorsque l’on tente de faire l’inventaire des valeurs fondamentales communes aux différents ordres juridiques, certaines ne suscitent guère de difficulté. C’est ainsi que l’interdiction de la piraterie, du terrorisme, du génocide, de l’esclavage, de la contrebande, du trafic de drogue ou encore de la pédophilie relève sans conteste de l’ordre public international de la plupart des États (83).

D’autres valeurs suscitent en revanche plus d’étonnement. Ainsi, il semble parfois admis que des grands principes du droit des contrats tels que le principe de la convention-loi (pacta sunt servanda) (84), le principe de bonne foi (85) ou encore l’interdiction de l’abus de droit (86) relèveraient également de l’ordre public international. À tout le moins en droit belge, cette idée me paraît toutefois devoir être maniée avec la plus grande prudence.

Certes, on a vu qu’une règle qui n’est pas d’ordre public interne peut néanmoins, à titre exceptionnel, faire partie de l’ordre public interna- tional (87). Par conséquent, ce n’est pas parce que le principe de la convention-loi est supplétif (88) qu’il est automatiquement exclu de la sphère de l’ordre public international. Et il est vrai que, dans la pure hypothèse d’école où une sentence arbitrale admettrait que les par- ties sont convenues de telle clause, mais refuserait néanmoins d’en faire application sans aucune justification (89), la sentence pourrait

(83) Rapport ILA, pt 28, p. 7.

(84) Trib. féd. suisse, 27 mars 2012, BGE, vol. 138, III, p. 322, pt 4.1 ; Rapport IBA, p. 16 ; Rapport ILA, pt 28, p. 6.

(85) Trib. féd. suisse, 8 mars 2006, ATF, vol. 132, p. 389, pt 2.2.1 ; Rapport ILA, pt 28, p. 6.

(86) Trib. féd. suisse, 8 mars 2006, ATF, vol. 132, p. 389, pt 2.2.1 ; Rapport ILA, recomm. 1(e), p. 6.

(87) Voy. supra, n° 9.

(88) En effet, le contrat ne lie les parties que pour autant qu’elles n’y aient pas dérogé de commun accord (art. 1134, al. 2, du C. civ.), voire même qu’elles n’aient pas autorisé l’une d’elles ou un tiers à y apporter des dérogations (hypothèses de la partij- ou de la derdebeslissing).

(89) En droit interne, méconnaît la force obligatoire d’une convention, l’arrêt qui, en se fon- dant sur des stipulations que ladite convention contient, refuse de donner à celle-ci l’effet convenu par les parties (Cass., 16 avril 2015, Pas., 2015, n° 254, et concl. av. gén. T. WErquiN). En revanche, ne méconnaît pas la force obligatoire d’une convention litigieuse, le juge qui reconnaît à celle-ci l’effet qu’elle a dans l’interprétation qu’il en donne (Cass., 22 avril 2010, Pas., 2010, n° 272 ; Cass., 23 octobre 2009, Pas., 2009, n° 611 ; Cass., 29 mai 2008, Pas., 2008, n° 332). Il en va de même lorsque l’arbitre refuse d’appliquer la clause en raison d’une autre règle de droit, par exemple parce que les parties sont convenues de la modifier, que son application serait abusive, que le contrat serait nul ou autrement dissous, que le droit serait prescrit, etc.

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sans doute être annulée et sa reconnaissance et son exécution seraient compromises pour contrariété à l’ordre public international.

En revanche, il me paraît douteux que les grands principes précités du droit des contrats relèvent en tant que tels de l’ordre public inter- national. En effet, même en tenant compte des limites dans lesquelles le juge judiciaire doit apprécier le respect de celui-ci (90), ces grands principes sont tellement intimement liés à l’appréciation des faits de la cause qu’ils risqueraient de conduire à une révision au fond sys- tématique de la sentence. Ainsi, il me paraît douteux que, sous cou- vert de l’ordre public international, le juge judiciaire puisse être invité à rechercher si le principe de la convention-loi n’a pas été indirecte- ment méconnu par l’arbitre en donnant une interprétation erronée au contrat dont il fait application, ou si la sentence n’aurait pas dû abou- tir à une solution différente par application du principe de l’exécution de bonne foi des conventions ou de la théorie de l’abus de droit.

2. règles impératives et lois de police

11. Les règles simplement impératives relèvent-elles de l’ordre public international ? Si l’on excepte les cas où la solution est dictée par le droit de l’Union européenne (91), la question appelle une réponse nuancée.

Ainsi, dans un arbitrage national, la violation d’une règle impérative paraît pouvoir être assimilée à celle d’une règle d’ordre public, ces deux catégories de règles se distinguant essentiellement par la possi- bilité pour les parties de renoncer à leur application (92). L’approche

(90) Voy. infra, nos 12 et s.

(91) Ainsi, la Cour de justice a considéré que la méconnaissance des règles du droit de la concurrence (C.J.C.E., 1er  juin 1999, Eco Swiss, C-126/97, ECLI:EU:C:1999:269, pt  37) ou de la réglementation relative aux clauses abusives (C.J.C.E., 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunica- ciones, C-40/08, ECLI:EU:C:2009:615, pt 53 ; C.J.C.E., 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C-168/05, ECLI:EU:C:2006:675, pt  35) devait être assimilée à la violation de l’ordre public, lorsque celle- ci constitue une cause d’annulation ou de refus d’exécution d’une sentence selon le droit natio- nal. La Cour de justice ne paraît pas à cet égard effectuer de distinction entre l’ordre public interne et l’ordre public international. Dans le domaine des conflits de juridictions, en revanche, la Cour de justice semble moins encline à admettre que la méconnaissance du droit de l’Union constitue une violation de l’ordre public : voy. C.J.U.E., 16 juillet 2015, Diageo Brands, C-681/13, ECLI:EU:C:2015:471, pt 48 ; C.J.C.E., 11 mai 2000, Renault, C-38/98, ECLI:EU:C:2000:225, pt 32.

Sur ce que cette différence d’approche pourrait s’expliquer par le principe de confiance mutuelle entre États membres et le système des voies de recours disponibles dans l’État d’origine, voy.

s. FraNcq, « Article 45 », Brussels Ibis Regulation, op. cit., n° 24, p. 886.

(92) En ce sens, M. dal, L’arbitre et le juge étatique, op. cit., p. 361 ; G. kEutGEN et G.-a. dal, L’arbitrage en droit belge et international, t. I, op. cit., n° 681, p. 547 ; B. haNotiau et o. caPrassE,

« L’annulation des sentences arbitrales », op. cit., n° 34, p. 418 ; P. lEFEBVrE et M. sErVais, op. cit., b-Arbitra, 2014/2, n° 47, p. 325 ; c. VErBruGGEN, « Article 1721 », Arbitration in Belgium, op. cit., n° 62 ; contra, i. claEys et t. taNGhE, The New Belgian Arbitration Law, op. cit., n° 26, pp. 136 et s.

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