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Une controverse aiguë et persistante dans le domaine de l’arbitrage international est celle de l’intensité du contrôle que le juge étatique

est habilité à exercer sur la sentence au regard de l’ordre public inter-national. Les termes du problème sont bien connus et il suffira de les résumer ici en quelques mots (124).

Comme on le sait, le juge étatique se trouve écartelé entre deux impératifs contradictoires  : d’une part, assurer une protection effec-tive de l’ordre public dont il est le gardien (125) ; d’autre part, ne pas procéder à une révision au fond de la sentence (126). Pour résoudre

(121) Voy. l’art. 1676, § 1er, du C. jud.

(122) F. riGaux et M. FalloN, Droit international privé, op.  cit., n°  7.52, pp.  322 et  s.  ; h. storME, « Artikel 25. Gronden voor weigering van de erkenning of de uitvoerbaarverklaring », Le Code de droit international privé commenté, op. cit., p. 139.

(123) Voy. supra, note n° 81.

(124) Pour un aperçu des thèses en présence, voy. l.c. dElaNoy, «  Les allégations de cor-ruption et le contrôle de la sentence au regard de l’ordre public : vers un revirement de la Cour de cassation  ?  », note sous Cass. fr., 24  juin 2015, n°  14-18.706, Rev. arb., 2016, pp.  221 et  s.  ; B. haNotiau et o. caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards, op. cit., pp. 804 et s. ; J.-B. raciNE, Droit de l’arbitrage, op. cit., nos 962 et s., pp. 599 et s. ; l.G. radicati di Brozolo, « Arbitration and Competition Law: The Position of the Courts and of Arbitrators », Arbitration International, 2011, pp. 1 et s. ; c. sEraGliNi et J. ortschEidt, Droit de l’arbitrage interne et international, op. cit., nos 981 et s., pp. 891 et s. ; voy. aussi J.-F. PoudrEt

et s. BEssoN, Comparative Law of International Arbitration, op. cit., nos 938 et s., pp. 860 et s.

(125) Tout spécialement lorsque l’effectivité du droit de l’Union est en cause : voy. à ce propos les intéressantes concl. av. gén. M. WathElEt avant C.J.U.E., 7 juillet 2016, Genentech, C-567/14, ECLI:EU:C:2016:177, pts 58 et s.

(126) Sur ce principe fondamental, Guide CNUDCI, pt  30, p.  10  ; Rapport IBA, p.  12  ; B.  haNotiau et o.  caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbi-tral Awards, op. cit., p. 804 ; P. lEFEBVrE et M. sErVais, op. cit., b-Arbitra, 2014/2, n° 56, p. 333.

ce dilemme, deux démarches opposées ont vu le jour. Dans une approche «  maximaliste  », le juge est autorisé à réexaminer, en fait et en droit, l’ensemble des éléments du litige – même s’ils n’ont pas été soumis à l’arbitre – afin de s’assurer que l’ordre public n’a pas été méconnu (127). Dans une approche «  minimaliste  », au contraire, le juge étatique est tenu de déférer à l’appréciation des arbitres, dans une mesure plus ou moins étendue. Si l’on s’efforce de classer schémati-quement les différents courants minimalistes par degré d’intervention décroissante du juge, on considérera que (i) le juge peut remettre en cause les appréciations de l’arbitre en fait et en droit pour autant que la violation de l’ordre public soit non seulement effective et concrète, mais aussi «  flagrante  » (128)  ; que (ii) son contrôle doit être limité aux motifs de la sentence, sans réexamen possible des faits de la cause (129)  ; que (iii) son contrôle doit se limiter au dispositif de la sentence, à l’exclusion de ses motifs et donc du raisonnement qui y a conduit (130) ; voire même, que (iv) le contrôle du juge au titre de l’ordre public serait limité au cas où l’arbitre n’a pas lui-même statué sur la question (131).

Les mêmes tiraillements se retrouvent, quoiqu’en des termes sans doute moins passionnés, dans le domaine des conflits de juridictions.

Là aussi, en effet, le principe de l’interdiction de la révision au fond du jugement étranger occupe une place centrale (132). À cet égard, la Cour de justice considère que « le juge de l’État membre requis ne saurait contrôler l’exactitude des appréciations de droit ou de fait qui

(127) Rapport ILA, recomm. 3(c), pt 11 : « When the violation of a public policy rule of the forum alleged by a party cannot be established from a mere review of the award and could only become apparent upon a scrutiny of the facts of the case, the court should be allowed to undertake such reassessment of the facts  ». Voy. égal. B.  haNotiau et o.  caPrassE, Enforcement of Arbitration Agreements and International Arbitral Awards, op. cit., pp. 815 et  s.  ; P.  lEFEBVrE et M.  sErVais, op.  cit., b-Arbitra, 2014/2, n°  57, pp.  333 et  s.  ; c.  VErBruGGEN,

« Article 1717 », Arbitration in Belgium, op. cit., n° 87.

(128) Selon la célèbre formule inaugurée dans l’aff. Thalès par Paris, 18  novembre 2004, Rev. arb., 2005, p. 751.

(129) Voy. en ce sens d. dE MEulEMEEstEr et M. PiErs, «  Merits revisited? Arbitral Award, Public Policy and Annulment – The Belgian Experience », note sous Civ. Bruxelles, 8 mars 2007, ASA Bull., 2007, pp. 630 et s., n° 16.

(130) a. MourrE et l.G. radicatidi Brozolo, note sous Civ. Bruxelles, 8 mars 2007, Rev. arb., 2007, pp. 318 et s., n° 11.

(131) Voy. ainsi y. dEraiNs, « Chronique de jurisprudence française », Rev. arb., 2001, pp. 810 et  s.  : «  La matière étant arbitrable, l’arbitre est tenu d’appliquer le droit communautaire de la concurrence. A partir du moment où il l’a fait, le bien-fondé de sa décision échappe au contrôle de l’autorité judiciaire ».

(132) Art. 52 du Règl. Bruxelles Ibis ; art. 25, § 2, du C. DIP.

ont été portées par le juge de l’État membre d’origine  » (133). À ce stade, la Cour ne paraît cependant pas encore avoir eu l’occasion de faire application de ce principe (134). C’est sans doute ce qui explique que la doctrine demeure partagée. Pour les uns, « l’interdiction de la révision au fond ne doit pas vider de toute substance les contrôles que les textes européens maintiennent sur la décision d’origine […] Dans la mesure où est prévu un contrôle de la décision initiale, le juge de l’État requis doit avoir un plein pouvoir d’appréciation sur tous les points de droit ou de fait pertinents au regard de ce contrôle. En décider autrement, sous prétexte de l’interdiction de la révision, serait priver de toute substance ce contrôle » (135). Pour les autres, au contraire, dès que le point litigieux invoqué comme motif de refus de reconnais-sance a déjà été tranché par le juge de l’État d’origine, un contrôle au regard de l’ordre public par le juge de l’État requis est exclu (136).

Il faut bien reconnaître que, jusqu’à présent, la jurisprudence belge a peu abordé de front ces questions et que, lorsqu’elle a eu à en trai-ter, aucune solution claire ne s’en est dégagée (137). On tâchera néan-moins, dans les lignes qui suivent, de glaner quelques enseignements de deux affaires récentes.

(133) C.J.C.E. (gr. ch.), 28  avril 2009, Apostolides,  C-420/07, ECLI:EU:C:2009:271, pt  58  ; C.J.U.E., 25  mai 2016, Meroni, C-559/14, ECLI:EU:C:2016:349, pt  41  ; C.J.U.E., 16  juillet 2015, Diageo Brands, C-681/13, ECLI:EU:C:2015:471, pt 43 ; C.J.U.E., 23 octobre 2014, flyLAL-Lithua-nian Airlines, C-302/13, ECLI:EU:C:2014:2319, pt 48.

(134) Au contraire, dans un arrêt antérieur, elle a considéré, dans le domaine voisin du res-pect des droits de la défense, que le juge de l’État requis peut refuser l’exécution d’un jugement même si la juridiction de l’État d’origine a tenu pour établi que le défendeur, qui n’a pas comparu, avait eu la possibilité de recevoir communication de l’acte introductif d’instance en temps utile pour se défendre. Cette solution est justifiée par le souci d’« assurer au défendeur une protection effective de ses droits » (C.J.C.E., 15 juillet 1982, Pendy Plastic Products BV c. Pluspunkt Han-delsgesellschaft, aff. 228/81, ECLI:EU:C:1982:276, pt 13).

(135) h. GaudEMEt-talloN, Compétence et exécution des jugements en Europe, op.  cit., n° 578, p. 503 ; dans le même sens, r. GEiMEr, « A.1 Art. 34 », Europäisches Zivilverfahrensrecht, op.  cit., n°  66, p.  649, pour autant que l’intérêt de l’État requis soit en jeu, mais non en cas de simple violation d’une règle protectrice d’une partie  ; comp. égal. J.-l.  VaN BoxtaEl, note sous Bruxelles, 20 avril 2009, Rev. not. b., 2010, p. 441, pour qui « la censure de l’ordre public n’est rien d’autre […] qu’une révision au fond, c’est-à-dire une prise de position quant au fond du litige entre les parties mais minimale, limitée aux cas graves ou flagrants, dans lesquels sont en cause […] “les principes essentiels pour l’ordre moral, politique et économique” de la Belgique ».

(136) s. FraNcq, « Article 45 », Brussels Ibis Regulation, op. cit., n° 21, p. 883 ; P. MaNkoWski,

« Article 52 », European Commentaries on Private International Law. Brussels Ibis Regula-tion (U. MaGNus et P. MaNkoWski dir.), Cologne, Otto Schmidt, n° 13, p. 967.

(137) Dans le même sens, c. VErBruGGEN, « Article 1717 », Arbitration in Belgium, op. cit., n° 87.

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