12. L’ordre public interne
129est une notion présente dans toutes les branches du droit, laquelle
comme nous l’avons vu, cette dernière doit être distinguée de l’ordre public international. De
nombreuses lois dites d’« ordre public interne » n’ont pas un tel caractère en droit international
privé. Les doctrines, française et mexicaine, identifient le rapport de droit privé comme l’objet
de l’ordre public interne
130et plus récemment, associent l’ordre public interne à la notion
d’ordre public substantiel. Au sein de la doctrine française, il est admis à l’unanimité que le
sens interne et international d’une disposition d’ordre public ne doit pas être confondu
131même
si le fondement textuel de l’article 6 du Code civil a été sollicité dans les deux cas. Dans la
doctrine mexicaine, M. Pereznieto affirme que l’ordre public en droit interne constitue une
limite à l’autonomie de la volonté et peut avoir comme conséquence la nullité de l’acte
128 P. de Vareilles-Sommières, Exception d’ordre public et régularité de la loi étrangère, Recueil des cours, 2014,
t. 371, p. 204, spéc. p. n° 46.
129 L’article 6 du Code civil dispose : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui
intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ». Ainsi, les lois d’ordre public entraînent la nullité des conventions qui leur sont contraires.
130 « Rapport de droit privé lui-même dans lequel est incluse, le cas échéant, la norme contractuelle élaborée par
les parties pour organiser ce rapport et qui en devient à ce titre un élément », P. de Vareilles-Sommières, Exception d’ordre public et régularité de la loi étrangère, Recueil des cours, 2014, t. 371, p. 218 et s. : l’auteur avance un parallélisme avec le mode d’intervention de l’ordre public international en droit des effets de jugements afin d’illustrer la différence d’objet.
131 V. par exemple Audit et d’Avout, spéc. n° 367 : « Si l’éventualité d’une éviction de la loi étrangère
normalement applicable est inhérente à une théorie des conflits de lois, le fait qu’elle se soit exprimée à l’époque moderne par le vocable d’ordre public, également usité en droit interne, devait engendrer une confusion qui n’est pas complétement dissipée ». Également D. Bureau et H. Muir Watt, spéc. n° 464 : « Il paraît tout d’abord assez évident que l’on n’évincera pas une loi étrangère au seul motif qu’elle différerait de la lex fori ; encore faudra-t-il en effet qu’elle apparaisse radicalement incompatible avec des conceptions fondamentales du for. A défaut, c’est le principe même de l’application de la loi étrangère – et sans doute, au-delà, de la méthode conflictuelle – qui serait ainsi remis en cause. Ensuite, ce n’est pas parce qu’une disposition en vigueur dans l’ordre juridique du for est d’ordre public au sens du droit interne que dans son domaine, toute loi étrangère devra être évincée. C’est ainsi par exemple que les dispositions relatives à l’état et à la capacité des personnes sont presque toujours d’ordre public interne, au sens où les individus ne peuvent y déroger par convention, alors qu’en droit international privé, le rattachement du statut personnel à la loi nationale aura souvent pour conséquence l’application d’une loi étrangère ».
juridique
132. D’ailleurs, il est admis de manière générale qu’en droit interne l’idée de protection
des intérêts de la collectivité est sous-jacente à l’intervention de l’ordre public. Cette
affirmation trouve appui dans l’interprétation de l’article 6 du Code civil fédéral mexicain faite
par la doctrine
133, qui viendrait établir l’objet de l’ordre public en droit interne. M. Contreras
affirme par exemple, que l’ordre public interne « est octroyé aux normes juridiques quand le
législateur considère que son contenu n’affecte pas les intérêts particuliers, mais aussi les
intérêts de toute la collectivité »
134.
13. La difficile distinction des objets s’explique par une tautologie des termes utilisés. Ainsi, la
notion d’ordre public a été employée sans discrimination par certains auteurs
135pour faire
référence à l’ordre public interne et international. Néanmoins, il est admis que le domaine de
l’ordre public international serait plus étroit que celui de son homologue interne. Ce dernier,
afin de se rendre immune aux caprices de la volonté des parties et d’éviter que l’intérêt public
ne soit troublé permet à la loi d’agir de manière négative. Ceci est rendu possible par
l’interdiction de certaines solutions mises en place par voie contractuelle. Au même titre et de
manière positive, la prescription de solutions directes peut être envisagée. Comme le rappelle
M. de Vareilles-Sommières les lois apportant de solutions directes « peuvent naturellement être
(et sont parfois effectivement) qualifiées de lois d’ordre public »
136. Si l’objet de l’ordre public
interne est le rapport de droit, il en est autrement pour l’ordre public international.
132 L. Pereznieto Castro, Derecho Internacional Privado. Parte General, 7ème éd., Colección textos jurídicos
universitarios, OUP, México, 1999, p. 158 “De este modo, el concepto de orden público en el derecho interno mexicano significa un límite a la autonomía de la voluntad, el cual puede ocasionar la nulidad del acto jurídico llevado a cabo en ejercicio de ella, mientras que en el DIPr dicho concepto tiene una connotación diferente. Se trata de un medio de que se vale el órgano aplicador del derecho, normalmente el juez, para impedir la aplicación en el foro de la norma jurídica extranjera competente.”
133 En ce sens F. Contreras Vaca et L. Pereznieto Castro. Ordre public qui prend en compte les mesures législatives
c’est-à-dire les « lois qui intéressent l’ordre public » existant dans le Code civil français, selon le vocabulaire employé par son article 6 : On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. P. de Vareilles-Sommières, Exception d’ordre public et régularité de la loi étrangère, Recueil des cours, 2014, t. 371, p. 217, spéc. p. n° 63.
134 « Es el carácter otorgado a las normas jurídicas cuando el legislador considera que su contenido no solo
afecta intereses particulares, sino los de toda la colectividad », F. Contreras Vaca, Derecho Internacional privado, Parte General, OUP, Colección Textos Jurídicos Universitarios, México, 5e éd., 2013, spéc. p. 187.
135 Voir par ex. V. Heuzé, « La réglementation française des contrats internationaux, étude critique des méthodes »,
Paris, GLN-Joly, 1990, page 180 spéc n° 373-409 : « Et après tout, l’idée que certaines règles indispensables » du droit interne, c’est-à-dire « d’ordre public », devraient toujours recevoir application dans les relations internationales n’est pas vraiment nouvelle. Mancini, en Italie, Pillet, en France s’en sont faits les principaux défenseurs ».
136 P. de Vareilles-Sommières, Exception d’ordre public et régularité de la loi étrangère, Recueil des cours, 2014,
t. 371, p. 190. Comp. « L’exception d’ordre public international est par ailleurs en communication ouverte avec l’ordre public interne, vraisemblablement en raison de la communauté des noms. Et le considérable pouvoir d’expansion de l’ordre public en droit interne aboutit à le détourner quelque peu de son objet en droit international. Ce n’est pas à dire qu’il y ait un risque quelconque de confusion entre les deux, mais plutôt qu’en dépit de différences marquées, une certaine conception de l’ordre public interne s’est toujours insinuée au cœur de l’exception, au point de la détourner de sa mission première », R. Libchaber, « L’exception d’ordre public en droit international privé », in « L’ordre public à la fin du XXe siècle », Dalloz, 1996, p. 65.
b. L’objet de l’ordre public international, la loi étrangère
14. L’objet de l’ordre public international est la loi étrangère compétente « dont il s’agit de
vérifier si elle lui est conforme ou non, par la réponse qu’elle apporte à la question de droit
soulevée par le rapport de fond »
137. En matière contractuelle, la différence d’objet présente une
importance toute particulière « car le contrat peut s’analyser comme une norme dont l’efficacité
est habituellement, en droit interne, subordonnée à sa conformité à l’ordre public, de telle sorte
que la tentation est grande, en face d’un contrat international, de soumettre sa pleine efficacité
au for à sa conformité à l’ordre public international en vigueur dans ce for »
138.
15. Le contrat, malgré sa qualification d’« international », voit sa validité soumise à la loi
désignée par la règle de conflit, c’est-à-dire à un ordre public interne et non, directement, à
l’ordre public international du for. On distingue alors ce dernier d’un côté, et d’un autre côté
les règles d’ordre public de la lex contractus. Ainsi donc, si la lex contractus est une loi
étrangère, le juge du for est susceptible de faire intervenir son ordre public international pour
examiner la conformité de la loi étrangère et non le contrat lui-même. En revanche, et suivant
ce même raisonnement, il a été avancé que lorsque la loi choisie est la loi du for, les dispositions
d’ordre public interne peuvent être mises à l’œuvre, dans le cadre d’autres outils tels que les
contrôles de conventionnalité ou de constitutionnalité
139.
137 P. de Vareilles-Sommières, Exception d’ordre public et régularité de la loi étrangère, Recueil des cours, 2014,
t. 371, p. 220, spéc. p. 64.
138 C’est l’analyse suivie par B. Mercadal, « Ordre public et contrats internationaux », DPCI, 1977, p. 457 s. À cet
égard, M. de Vareilles-Sommières soulève une critique aux juges nationaux pour ne pas suivre rigoureusement la démarche logique et en admettant de consacrer la solution retenue par les parties dans le contrat, au vue de sa non contrariété à l’ordre public international du for, quand il s’agit de consacrer la non contrariété de la loi étrangère compétente à l’ordre public international du for, voir Exception d’ordre public et régularité de la loi étrangère, Recueil des cours, 2014, t. 371, p. 221, spéc. note en bas de page 100 et les exemples cités par l’auteur : « Voir en France, par exemple : Cass. civ. 1, 16 mars 1999, 96-21.794, Sté de Loisy et Gelet, Bull. civ., I, n° 94, Rép. Def. 1999, 92, 1324, obs. P. Delebecque, où la Cour, au sujet d’une clause visant à garantir la stabilité du cours du cacao dans un contrat régi par la loi anglaise, décide que l’exécution du contrat en France ne heurtait pas l’ordre public international ; l’orthodoxie aurait pourtant conduit à dire que la loi anglaise compétente validant cette clause ne produisait pas un résultat contraire à l’ordre public international français ; Cass. soc., 21 janvier 2004, Maureen X. c. United Airlines, Bul. civ., V, n° 24, Rev. crit. DIP, 2004, 644, note F. Jault-Seseke, où il est décidé que n’est pas contraire à la conception française de l’ordre public international la clause, insérée dans un contrat de travail régi par la loi américaine et s’exécutant aux Etats-Unis, qui attribuait juridiction à des instances de médiation et à des juridictions américaines. Ici encore il est intéressant de noter que c’est la clause contractuelle en cause qui semble faire l’objet du contrôle de l’ordre public, non la loi américaine applicable au contrat et validant la clause, comme cela aurait dû être dans le cadre d’une démarche orthodoxe ; Cass. civ. 1, 28 février 2006, Sté Pegase et Sté Debeaux c. Sté Lombard, Bull, civ., I, n° 110, concernant une clase limitant la garantie due par l’assureur canadien dans un contrat d’assurance, clause jugée finalement non contraire à l’ordre public international français… ».
139«… [S]i la loi choisie est la loi du for, dont le titre à s’appliquer dans ses dispositions d’ordre public interne ne
fait pas alors difficulté, sa mise en échec peut encore se produire, non sur le fondement d’une impossible contrariété à l’ordre public international du for dans le cadre du mécanisme de l’exception d’ordre public, puisque cet outil ne joue que contre l’application d’une norme étrangère…, mais sur celui des exceptions d’inconventionnalité ou d’inconstitutionnalité éventuellement disponibles par ailleurs…», P. de Vareilles-Sommières, « Autonomie et