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car, comme nous l’avons évoqué préalablement 184 , on admettait la constitution de l’ordre public par deux composantes sans distinguer des mécanismes spécifiques à chacun d’entre elles Ains

donc, cette confusion des composantes

185

s’est traduite par une confusion des mécanismes,

jusqu’à ce que la thèse de M. Remy apporte une explication.

31. Son argument se construit sur une approche diachronique des conclusions doctrinales

186

constatant l’emploi, dans un premier temps, d’un seul vocable afin d’évoquer le phénomène

des règles dont on dégage le champ d’application spatial au regard de leur contenu et qui évoque

le mécanisme des lois de police ainsi que le mécanisme de rejet d’une norme étrangère eu égard

à sa teneur, cette dernière figure correspondant à ce que l’on entend par exception d’ordre public.

32. L’évolution de la pensée vers le départage des fondements s’explique en grande partie par

la spécialisation des mécanismes liés à l’ordre public. En effet, une analyse rétrospective permet

à M Libchaber de constater que « si l’exception d’ordre public dut alors prêter main-forte aux

objectifs législatifs du for, c’est tout simplement parce que le règne absolu de la règle de conflit,

neutre et abstraite, l’avait investie dans ce rôle de sentinelle rapprochée de l’ordre juridique

national »

187

. L’auteur considère que si l’exception d’ordre public en droit international privé a

pu regagner la fonction qui lui avait été réservée par Bartin, c’est-à-dire celle de la protection

des valeurs, grâce à deux phénomènes. En premier lieu, l’évolution des méthodes du droit

international privé a permis de desserrer le lien entre l’exception d’ordre public et

l’impérativité

188

, et notamment parce que l’emploi des lois de police et des règles de conflit à

184 Voir supra n° 19-23.

185 Non seulement en France mais aussi en autres doctrines. Voir par ex. A. Bonomi, « Mandatory Rules in Private

International Law », Yearbook of PIL, vol. 1, 1999, p. 229 : « Since internationally mandatory rules are designed to correct the results of bilateral choice-of-law rules when a fundamental interest of the forum is at stake, their function is very close to the traditional ordre public exception ».

186 Voir B. Remy, Exception d’ordre public et mécanisme des lois de police en droit international privé, op. cit.,

n°s 254-257, pp. 136-140. Voir spécifiquement n° 225, lorsque l’auteur affirme :« C’est ainsi au service d’un fondement unique –l’ordre public – que coexistaient deux instruments sensiblement distincts. C’est à E. Bartin que l’on doit d’avoir mis à jour la dualité de mécanismes qui habitait la notion d’ordre public international ».

187 R. Libchaber, L’exception d’ordre public en droit international privé, op. cit., p. 67.

188 Le parcours évolutif des mécanismes a permis au mécanisme de lois de police de gagner sa place au sein du

droit international privé. Les lois de police sont apparues comme des moyens pour faire prévaloir des objectifs législatifs au for dans les relations internationales. Nonobstant, l’exception d’ordre public a subi aussi une modification de fonctionnement qui lui a permis de se figer sur les valeurs. Dans son analyse de M. Libchaber constate que le détachement de l’ « impérativité » de l’exception d’ordre public viendrait s’accommoder ensuite au mécanisme des lois de police. En mots de l’auteur : « Procédé de nature particulière, les lois de police ont pu assumer ouvertement, depuis leur redécouverte, une fonction qui tendait parfois, à tort, à être dévolue à l’exception d’ordre public : traduire dans l’ordre international une certaine impérativité tirée de l’ordre interne. » R. Libchaber, L’exception d’ordre public en droit international privé, op. cit. p. 70.

Selon l’auteur un rapprochement peut être fait avec les règles à coloration matérielle, c’est-à-dire le cas des règles de conflit avec une multiplication d’options dont l’idée est de proposer au moins une loi favorable à un objectif spécifique, de manière à que celui-ci soit réalisé. Ainsi il a affirmé que « la diffusion des objectifs du for par le canal de la règle de conflit à coloration matérielle a pu dégager l’ordre public de toute intervention destinée à réaliser ces objectifs nationaux », op. cit., p. 71.

coloration matérielle a rendu possible d’éviter l’intervention de l’exception d’ordre public

189

afin de protéger des objectifs nationaux. En second lieu, l’évolution du domaine d’intervention

de l’exception

190

qui serait à la fois rétréci car limité à la protection des valeurs mais élargi par

recours aux valeurs partagées par d’autres pays culturellement homogènes.

33. Il est intéressant de noter qu’en doctrine mexicaine le besoin de développer une construction

théorique autour de l’exception d’ordre public ne s’est fait ressentir que trop tard car la tradition

territorialiste empêchait toute application de la loi étrangère

191

. Néanmoins, la théorie de la

répartition des rôles des mécanismes liés à l’ordre public est admise dès lors que, pour expliquer

le fondement du mécanisme d’exception, il est affirmé que son emploi est justifié quand la loi

étrangère est contraire aux principes fondamentaux du for

192

. Il est aussi affirmé que la

contrariété avec les principes et les institutions de droit mexicain doit être « manifeste » et une

simple différence entre dispositions matérielles, étrangère et mexicaine, ne saurait justifier

l’application de l’exception

193

. La grille de lecture proposée par la thèse de M. Remy sur la

réassignation des rôles des mécanismes liés à l’ordre public semble donc transposable à la

doctrine mexicaine. Ainsi, une base commune est établie pour l’analyse du mécanisme

d’exception dans les systèmes juridiques français et mexicain : ce mécanisme se préoccupait de

la protection des valeurs du for, reste à déterminer celle qui méritent une telle protection.

189 « La diversification des méthodes de détermination de la loi applicable à une situation internationale a ainsi

entraîné une moindre sollicitation de l’exception d’ordre public. Ces méthodes nouvelles s’étant chargé de manifester dans les relations internationales des objectifs essentiels du for, l’exception d’ordre public a pu être bien moins investie dans ce rôle qu’elle l’avait été autrefois », R. Libchaber, op. cit., p. 71.

190 « Le visage de l’exception d’ordre public international a donc profondément changé dans les dernières années.

Bien moins préoccupée de réaliser les objectifs législatifs du for, bien moins soupçonnée d’être le vecteur d’un quelconque impérialisme du droit français, cette exception a connu une double évolution apparemment contradictoire. D’une part, un certain rétrécissement de son domaine d’intervention, l’ordre public se chargeant moins d’assurer les objectifs législatifs du for, pour se limiter au respect d’un certain nombre de valeurs intangibles qui seules justifient l’éviction des lois étrangères. Mais d’autre part, un élargissement du cadre de référence où ces valeurs sont inscrites, par recours aux valeurs partagées par d’autres pays culturellement homogènes. », R. Libchaber, L’exception d’ordre public en droit international privé, op. cit. p. 81.

191 Cette caractéristique n’est pas exclusive du système juridique mexicain, elle se retrouve de manière générale

en Amérique latine. En effet, lors de son analyse sur la Convention de México le Professeur Juenger constate que le principe de l’autonomie des parties est arrivé en retard dans le continent américain où pendant longtemps il était interdit. Cette interdiction demeura possible grâce aux juges mais aussi grâce à l’hostilité de la doctrine. Voy. F.K. Juenger, « The Inter-American Convention on the Law Applicable to International Contracts : Some Highlights and Comparisons », The American Journal of Comparative Law, 1994, vol. 42, pp. 386 et 387.

192 N. González Martin et S. Rodríguez Jiménez, Derecho internacional privado Parte general, UNAM, Nostra

Ed., 2010, p. 163 et s.

193 N. González Martin et S. Rodríguez Jiménez, Derecho internacional privado, op. cit., p. 164 : « debemos

mencionar que la contradicción con los principios e instituciones del derecho mexicano debe ser manifiesta. De tal forma que una mera diferencia entre la disposición material estatal extranjera y una mexicana no justifica la alegación de esta figura excepcional ».

3. Le problème de l’identification des valeurs

34. L’identification des valeurs susceptibles de protection par l’exception d’ordre public est un

travail doté d’intérêt. Ainsi la doctrine a traité la question de savoir quelles valeurs justifièrent

la protection par l’exception d’ordre public. Toutefois, les constructions doctrinales dans leur

dernier état ne permettent pas de conclure à une liste, ne serait-ce qu’approximative, de ces

valeurs. Au mieux, certains critères ont pu être dégagés à l’aide desquels le juge pourrait les

identifier. Concernant les valeurs susceptibles d’être protégées, un phénomène relativement

récent apporte un indice de réponse à leur identification, il s’agit des droits fondamentaux ou

droits de l’homme

194

.

En effet, certains cas paraissent relever de l’évidence : tel est le cas de la liberté individuelle

qui s’oppose à toute forme d’esclavage moderne

195

. D’autres, le sont de manière plus relative

selon la société dont il s’agit : par exemple les cas de répudiation et de la polygamie sont

incompatibles avec l’ordre public français et mexicain, mais ne le sont pas avec l’ordre public

d’autres systèmes juridiques. On ajoutera qu’en matière contractuelle, les valeurs essentielles

du for sont plus difficiles à identifier

196

.

35. Au vu de ces constatations, ce travail renonce d’emblée à l’établissement d’une liste à

chiffre clos des valeurs justifiant le déclenchement de l’ordre public et ce pour une forte raison :

l’ordre public est une notion irrémédiablement atteinte de relativité, tant spatiale

197

que

temporelle

198

. En effet, on observe un point commun entre les doctrines française et mexicaine

dans la difficulté à discerner la notion car elle présente une double variabilité

199

, rendant la

194« Un phénomène similaire, mais pas nécessairement identique, est celui de l’intégration des droits fondamentaux

ou droits de l’homme dans l’ordre public international. Non pas que la définition du contenu et des limites de ces droits soit facile ; elle se fait, elle aussi, par référence à des valeurs qui peuvent être controversés ou contradictoires…» P. Kinsch, « La ‘sauvegarde de certaines politiques législatives’, cas d’intervention de l’ordre public international ? », op. cit., p. 453. Nous traiterons de ce phénomène lors de l’étude de l’affinement des mécanismes liés à l’ordre public, voir infra § 352 et s.

195 Pour un exemple de cette protection dans le conflit de juridictions : V. en France Soc. 10 mai 2006, JCP 2006.

II. 10121, note Bollée ; Rev. crit. DIP 2006. 856, note Pataut et Hammje.

196 En dehors du cas des contrats de maternité substituée, voir par ex. les arrêts Ass. plén. 31 mai 1991, D. 1991.

417, comm. J. Bernard.

197 Plusieurs efforts ont été menés afin de définir l’ordre public ; cependant, compte tenu de sa variabilité, d’un

système juridique à l’autre, les résultats sont inachevés. En ce sens J. L. Siqueiros, « El Orden Público como motivo para denegar el reconocimiento y la ejecución de Laudos Arbitrales Internacionales », Pauta Boletín Informativo Del Capitulo Mexicano de La Cámara Internacional de Comercio A.C., Mayo 2009, page 33 http://www.iccmex.mx/pautareducida/pauta59reducida.pdf.

198 « On reconnaît, d’autre part, que le contenu de l’ordre public est incessamment sujet à révision. Il n’a ni

uniformité, ni permanence. Il varie de pays à pays et, dans un même pays, d’époque à époque. Il n’y a qu’une autorité locale et momentanée. » Louis-Lucas, « Remarques sur l’ordre public », Rev. crit. DIP 1933. 394.

199 En ce sens P. de Vareilles-Sommières, Exception d’ordre public et régularité de la loi étrangère, Recueil des

cours, 2014, t. 371, p. 225, « Chaque État fixe pour lui-même, dans le respect de ses engagements internationaux, le contenu de son ordre public international, et l’on conçoit que ce contenu varie, en principe, d’un État à l’autre, et même, pour un État donné, d’un moment à l’autre ». L’auteur nous renvoie à la motivation de la Cour permanente de justice, dans les affaires Emprunts serbes et Emprunts brésiliens, cf. CPJI, 12 juillet 1929, arrêt n°

tâche de figer l’état de l’ordre public impossible

200

. Cependant, la difficulté d’identification des

valeurs susceptibles d’être protégées par l’exception d’ordre public ne rend pas la théorisation

du mécanisme insurmontable, si l’on admet que le mécanisme d’exception d’ordre public a

pour fondement la protection de l’une des composantes de l’ordre public lato sensu, les valeurs

essentielles au for, quelles qu’elles soient à la place et au moment où cette protection est requise.

36. Les constructions doctrinales autour du mécanisme d’exception d’ordre public ont permis

d’identifier l’objet de l’exception d’ordre public dans la loi étrangère afin de protéger l’une des

composantes de l’ordre public lato sensu, c’est-à-dire, les valeurs essentielles au for. La

diversité des constructions doctrinales

201

concernant le fondement

202

de l’exception d’ordre

public n’est pas ignorée de cette analyse. Néanmoins, la thèse de M. Remy emporte l’adhésion

de ce travail car elle permet d’expliquer l’enchevêtrement des mécanismes liés à l’ordre public

grâce à ses arguments concernant la réassignation des rôles. De l’analyse des constructions

doctrinales au Mexique, il nous est apparu que la grille de lecture proposée par la thèse de M.

Remy sur la réassignation des rôles des mécanismes liés à l’ordre public, lui est transposable.

Dès lors, une base commune est établie pour l’analyse du mécanisme d’exception dans les

systèmes juridiques français et mexicain : ce mécanisme se préoccupe de la protection des

valeurs du for. Il est désormais nécessaire de s’intéresser à la mise en œuvre de l’exception

d’ordre public.

Section 2. La mise en œuvre de l’exception d’ordre public

37. Afin d’établir l’identité, base de la comparaison, des mécanismes d’exception d’ordre public

tels qu’à l’œuvre dans les systèmes juridiques français et mexicain, il est nécessaire d’observer

leur procédé d’intervention. L’homogénéité de fondements, à elle seule, ne saurait suffire à

14, Affaire concernant le Paiement de divers emprunts serbes émis en France, Série A N° 20/21, spéc. p. 46, et arrêt n° 15, Affaire relative au Paiement, en or, des emprunts fédéraux brésiliens émis en France, spéc. p. 124- 125.

200 T. Healy, « Théorie générale de l’ordre public », op. cit., p. 445, « il ne sera jamais possible de faire de l’ordre

public une chose fixe et définie ».

201 À l’égard de cette diversité, M. Remy affirme « ce serait, cependant, négliger que chacune de ces formulations

de l’ensemble des fondements de l’exception d’ordre public se présente, par leur auteur, comme une tentative de parfaire l’œuvre de ses prédécesseurs. La diversité n’est donc pas ici cacophonie. Elle est, en fait, un faisceau d’indices qui approche toujours plus du système que tous cherchent à saisir. » Remy, Exception d’ordre public et mécanisme des lois de police en droit international privé, op. cit., n° 230, page 124.

202 Pour une autre approche du fondement du mécanisme voir J. Guillaumé, « Ordre public plein, ordre public

atténué, ordre public de proximité : quelle rationalité dans le choix du juge ? », in Le droit entre tradition et modernité, Mélanges à la mémoire de Patrick Courbe, spéc. p. 303, n° 17.

affirmer que les mécanismes d’exception d’ordre public sont traités de manière similaire. Ainsi,

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