attestent de la prééminence de l’exception d’ordre public dans le raisonnement conflictuel.
Néanmoins, l’apparente similitude ne permettant pas de conclure à l’identité comparative des
mécanismes d’exception, une vérification s’impose. En effet, il s’agit de déterminer si le
mécanisme d’exception tel qu’à l’œuvre en droit français est identique au mécanisme présent
dans le système juridique mexicain. À notre sens, la démarche logique nécessaire pour donner
une réponse ne peut s’obtenir qu’après l’analyse de deux facteurs : la doctrine et le droit positif.
Ainsi, afin d’effectuer cette vérification, nous aborderons dans un premier temps les
constructions doctrinales édifiées autour de la notion de l’exception d’ordre public (Chapitre 1)
puis les manifestations en droit positif (Chapitre 2).
constate qu’il existe au niveau européen, une terminologie relativement peu unifiée mais « il faut distinguer entre le mécanisme d’ordre public qui tend bien à une unification terminologique et celui des lois de police qui ne prend pas cette direction ». Les règlements européens Rome I (article 21) et Rome II (article 26) présentent dans de termes très similaires le mécanisme d’exception d’ordre public.
112 Sans prétendre à l’exhaustivité et en guise d’exemple il est possible de retrouver : l’article 16 de la Convention
de Rome du 19 juin 1980 relative à la loi applicable aux obligations contractuelles, Rev. crit. DIP 1991, 415, JDI 1991, 839 ; l’article 18 de la Convention interaméricaine sur la loi applicable aux contrats internationaux signée à Mexico le 17 mars 1994, Rev. crit. 1995, 173 ; l’article 22 de la Convention de la Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, Rev. crit. DIP 1996, 813.
113 Notamment par les Principes de la Haye sur le choix de la loi applicable aux contrats commerciaux
internationaux, approuvés par la Conférence de la Haye en 2015 et les Principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, issus pour la première fois en 1994 ont fait l’objet de deux actualisations, la première en 2004 et la seconde en 2010.
Chapitre 1 - Les constructions doctrinales autour de l’exception d’ordre public
4. La problématique est de savoir si le mécanisme d’exception est traité à l’identique dans les
systèmes juridiques français et mexicain. La nécessité de reprendre les constructions doctrinales
est primordiale car une même désignation peut révéler deux mécanismes différents. S’agissant
de la vérification d’« un mécanisme », il est possible d’employer une étude de « cause-à-effet ».
Une analyse ainsi structurée permettra de saisir le fondement du mécanisme en étudiant la cause
et en associant l’effet à la mise en œuvre du mécanisme. Nous aborderons successivement les
constructions doctrinales concernant les fondements (Section 1) et la mise en œuvre des
mécanismes (Section 2).
Section 1. Le fondement du mécanisme d’exception d’ordre public
5. Lorsque la doctrine s’intéresse aux fondements de certaines règles ou mécanismes, elle fait
référence à leur justification. La justification de l’exception d’ordre public dans sa forme la plus
antique traduit une idée de répulsion. La formulation de Bartole en rend compte par
l’introduction de la notion des statuts odieux
114. L’idée d’origine a évolué et se présente
désormais comme un contrôle effectué par voie d’exception lorsqu’une violation de l’ordre
public est constatée. L’altération de l’ordre public déclenche l’inopposabilité au for, de la loi
étrangère malgré sa désignation par la règle de conflit. En d’autres termes, l’exception d’ordre
public permet de déclencher l’inapplicabilité de la loi étrangère parce que cette dernière
heurterait l’une des valeurs essentielles du for. Un aperçu général permet de constater une
vraisemblance entre les définitions données par les systèmes juridiques objets de cette étude.
Toutefois, un test de vérification s’impose. Dans le but de conclure à une similitude ou à une
divergence des mécanismes, il est indispensable d’identifier les causes à l’origine du
114 « Bartole oppose les statuts qui « disposent relativement aux personnes » et ceux qui « disposent relativement
aux choses ». Les premiers ne s’adressent qu’aux sujets, et ce où qu’ils soient ; ils sont « extraterritoriaux ». Les seconds sont territoriaux, ils ne s’appliquent qu’aux choses situées sur le territoire. Par ailleurs, un tribunal n’appliquera jamais un statut étranger s’il est « odieux », ce qui pour Bartole signifie « prohibitif », mais sera interprété par certains de ses successeurs comme signifiant « inique ». A côté des statut personnels et réels, Bartole retient les statuts relatifs aux solennités des actes, qui s’appliquent à tous les actes faits sur le territoire où ils sont en vigueur, et les statuts relatifs aux contrats, qui, sous certaines réserves, ont le même domaine. », Mayer et Heuzé, p. 67. En ce sens, « l’ordre public a des origines anciennes en droit international privé. Ainsi Bartole au XIVème siècle distinguait les « statuts favorables » des « statuts odieux », ces derniers ne pouvant produire d’effet que dans la cité les ayant édictés. », N. Nord, Ordre public et lois de police en droit international privé, Université Robert Schuman, Strasbourg III, 2003.
déclenchement ainsi que les effets. Afin d’appréhender les fondements, il nous semble essentiel
de comprendre l’objet de l’exception (§ 1) et dégager ensuite les composantes de l’objet (§ 2).
§ 1. L’identification de l’objet de l’exception d’ordre public
6. Il est actuellement admis qu’un État protège de façon simultanée deux ordres publics qui se
distinguent par leur objet et par leur contenu. L’un est interne, l’autre est international. L’ordre
public interne est compris, en matière de contrats, comme le mécanisme qui empêche les
destinataires de la norme de déroger à certaines règles d’un commun accord
115. Tandis que
l’ordre public international garde une relation étroite avec l’efficacité des lois étrangères dans
le territoire du for
116. Aujourd’hui, cette précision demeure essentielle dans la compréhension
du fonctionnement de l’exception d’ordre public. Or, l’identification de l’objet de l’exception
d’ordre public en droit international privé n’a pas été une démarche aisée. Elle est le résultat
d’une succession de constructions doctrinales à partir desquelles nous élaborons notre analyse.
Leur reprise doit être effectuée avec circonspection afin d’éviter une paraphrase stérile. Nous
essayerons donc de garder l’essentiel des apports sans omettre d’étapes dans l’évolution de la
pensée. Il s’agit d’identifier quel ordre public est protégé par l’exception en droit international
privé. Pour répondre à cette interrogation, la doctrine a traversé deux étapes qui méritent d’être
rappelées (A)
115 V. Ch. Larroumet et S. Bros, Les obligations, Le contrat, Economica, 9e éd., 2018, n° 100 et s., p. 76-79. 116 Une première distinction se trouve déjà chez Louis-Lucas lorsqu’il affirmait : « On peut entendre, d’abord, par
ordre public interne la conception de l’ordre public qui est particulière à un État et par ordre public international la conception de l’ordre public qui est commune à tous les États ou, tout au moins, à un certain nombre d’entre eux. A cet égard, on dira que l’indissolubilité absolue du mariage est d’ordre public interne dans les quelques pays qui la consacrent puisque, dans la plupart des États, au contraire, le divorce est admis. Et on dira, en revanche, que la prohibition de l’esclavage ou de la piraterie est d’ordre public international puisque c’est là un principe communément admis par les pays civilisés… Plus l’ordre public s’internationalise, plus il s’affirme en droit international public, moins il a d’intérêt en droit international privé puisque sa généralisation écarte la possibilité des conflits. Le jour où l’on pourrait parler d’un ordre public universel, la mission caractéristique de l’ordre public en droit international privé se trouverait réduite à néant parce qu’elle serait devenue inutile et inconcevable. », Louis-Lucas, « Remarques sur l’ordre public », Rev. crit. DIP 1933. 393, p. 408. En effet, la distinction entre ordre public interne et ordre public international diffère de celle communément admise actuellement. Pour expliquer la différence entre les deux, l’auteur propose l’idée de deux cercles concentriques dont le plus ample comprendrait l’ordre public interne et le plus restreint l’ordre public international, il déduit que « tout ce qui est d’ordre public international est a fortiori d’ordre public interne, mais que la réciproque n’est pas vraie. Les deux formes de l’ordre public n’expriment pas une opposition, mais plutôt un chevauchement », op. cit., p. 409.
A. Les étapes d’identification de l’objet de l’exception dans la
doctrine française
7. Lors de l’identification de l’objet de l’exception d’ordre public, la doctrine a traversé deux
étapes consécutives : une étape de confusion (1) suivie d’une période de dissociation (2).
1. L’étape de confusion
8. L’un des grands défis de la compréhension de l’ordre public en droit international privé fut
le discernement de son objet. Certains auteurs voyaient dans l’exception d’ordre public une
forme de prolongement de la protection de l’ordre public interne
117. Les premières études
dédiées à la notion d’ordre public en droit international privé comme celle de Pillet
118, se
retrouvent à l’origine de cette confusion d’objets. Pour sa part, Louis-Lucas admettait que
l’ordre public jouait de rôles différenciés lorsqu’il était employé en droit interne ou en droit
international.
119La critique générale faite à la confusion d’ordres publics, repose sur le fait
qu’elle donne à penser que le juge du for, saisi d’un litige issu d’une controverse contractuelle
dans laquelle les parties ont choisi une loi étrangère, peut appliquer ses dispositions d’ordre
public
120de la même manière qu’il le ferait pour un contrat soumis au droit national. Avec le
117 Pour un regard critique sur cette tendance v. R. Libchaber, L’exception d’ordre public en droit international
privé, dans « L’ordre public à la fin du XXe siècle », Th. Revet (coord.), Dalloz, 1996, p. 65. M. Libchaber débute son article en affirmant que « l’exception dite d’ordre public international fait l’objet en France d’une singulière imprécision » ; selon l’auteur, l’exception d’ordre public se voit influencée par le droit naturel mais aussi par l’ordre public interne, « vraisemblablement en raison de la communauté des noms… » et affirme que la communication entre l’ordre public interne et l’exception a détourné ce dernier de son objet en droit international.
118 A. Pillet, Principes de droit international privé, Pedone – Allier frères, 1903, p. 367-428, spéc. n° 182. La
démarche de Pillet consiste à l’analyse de l’ordre public comme une catégorie de lois « Quand on prononce le nom des lois d’ordre public en droit international privé, on fait allusion au principe le plus évident de toute notre science et en même temps à celui dont la définition et l’analyse sont les plus difficiles. Ce qu’il y a d’évident en cette matière, le voici. Personne ne doute que l’obligation dans laquelle se trouve un État d’admettre sur son territoire l’application des lois étrangères n’ait une limite, et que cette limite ne se trouve au point où la loi étrangère aurait pour conséquence de compromettre l’action de quelque principe jugé par l’État indispensable à la sauvegarde de la société particulière qu’il représente ».
119 « L’objectif général que poursuit l’ordre public est toujours le même : assurer le respect d’une exigence sociale
fondamentale. Mais, le procédé utilisé pour y parvenir est double. Tantôt –principalement en droit interne – l’ordre public se borne à rendre inéludable une règle qui, de toute manière, est celle qui devait s’appliquer. Son rôle est alors essentiellement normal. Tantôt – principalement en droit international privé – il écarte la règle juridiquement applicable et il va jusqu’à lui substituer une règle inverse. Son rôle apparaît alors comme délibérément anormal », Louis-Lucas, « Remarques sur l’ordre public », Rev. crit. DIP 1933, p. 405. L’auteur proposait de distinguer et d’opposer la règle d’ordre public à l’exception d’ordre public : « Lorsque les exigences sociales commandent qu’une loi déjà compétente ne puisse être écartée, on doit dire de cette loi qu’elle constitue une règle d’ordre public. Lorsque les exigences sociales commandent qu’une loi normalement compétente n’entre pas en jeu, probablement même qu’elle fasse place à une loi d’esprit inverse, on doit dire que la première loi rencontre une exception d’ordre public ».
120 Expliqué de manière plus éloquente : « saisi d’un contentieux contractuel pour lequel les parties auraient choisi
la loi d’un État A, le juge d’un État B devrait commencer par se demander si la réglementation d’ordre public de l’État B couvrant ce type de contrats est violée par la loi de l’État A ainsi choisie dans le cas en cause, pour ne se décider à appliquer ladite loi choisie que dans l’hypothèse où aucune violation de ce type n’aurait été, en l’espèce, constatée. Or, en choisissant la loi d’un État pour leur contrat, les parties décident précisément de mettre hors-jeu