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Responsabilités objectives : Journée de la responsabilité civile 2002

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Responsabilités objectives : Journée de la responsabilité civile 2002

CHAPPUIS, Christine (Ed.), WINIGER, Bénédict (Ed.)

CHAPPUIS, Christine (Ed.), WINIGER, Bénédict (Ed.). Responsabilités objectives : Journée de la responsabilité civile 2002. Genève : Schulthess, 2003, 245 p.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:10755

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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Publications du Centre d'études juridiques européennes, Genève

Responsabilités objectives

Sous la direction de Christine Chappuis et Bénédict Winiger

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Schulthess

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2003

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Catalogage en publication de la Deutsche Bibliothek

Tous droits réservés. Toute traduction, reproduction, représentation ou adaptation intégrale ou partielle de cette publication, par quelque procédé que ce soit (graphique, électronique ou mécanique, y compris photocopie el microfilm), et toutes fonnes d'enregistrement sont strictement interdites sans l'autorisation expresse et écrite de l'éditeur.

© Schulthess Médias Juridiques SA, Genève· Zurich· Bâle 2003 ISBN 3 7255 4663 0

www.schulthess.com

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Avant-propos

Depuis plusieurs années, le droit de la responsabilité civile connaît des transformations de tous ordres. En Suisse, l'Avant-projet de loi fédérale sur la révision et l'unification du droit de la responsabilité civile a été soumis à la procédure de consultation en 2000. Sur le plan européen, la première partie des Principles of European Tort Law élaborés par le European Group on Tort Law (TIlburg Group) a été rendue publique à la fin de l'année 2002. Ces deux projets examinent, notamment, de manière nova- trice les différentes formes de responsabilité objective et leur distinction avec d'autres critères d'imputation. Etant donné que la même probléma- tique traverse la jurisprudence suisse récente, nous avons saisi l'occasion d'approfondir, lors de notre deuxième Journée de responsabilité civile, l'analyse des responsabilités objectives et leur rapport avec la notion de faute.

La responsabilité du fait des produits est le domaine par excellence des responsabilités objectives. Depuis le milieu du XX' siècle, la respon- sabilité du fabricant a été systématiquement alourdie pour devenir presque exclusivement objective. Cette attraction vers la responsabilité objective doit-elle gagner d'autres champs? On peut ainsi se demander jusqu'où la responsabilité médicale, qui repose fondamentalement sur la faute, peut et doit être aggravée par la faute objectivée. Malgré une apparente tendance internationale en faveur de la responsabilité objective, la Journée 2002 a montré un certain retour de balancier qui fait à nouveau une place plus large à la faute.

Nous tenons à remercier vivement les conférenciers et présidents de séance qui ont bien voulu prendre une part active à notre Journée du 20 septembre 2002 et qui ont consenti à préparer un texte pour le présent vo- lume. C'est également grâce à un auditoire nombreux et intéressé que cette entreprise a pu réussir.

Mme Ksenija Radojevic Bovet a relu et corrigé les manuscrits.

Qu'elle aussi soit ici chaleureusement remerciée.

En mai 2003

Christine Chappuis Bénédict Winiger

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Sommaire

Avant-propos ... 3 Liste des auteurs ... ... 7 Ouverture du colloque ... ... ... ... .... ... ... 9 Gilles Petitpierre

L'apparition d'un besoin social face à l'inadéquation du droit

en vigueur: la genèse d'une nouvelle réglementation ... 11 FranzWerro

La responsabilité objective du fait des produits

est-eUe stricte? ... 29 Pierre Wessner

Quelques propos erratiques sur des questions liées

à la responsabilité du fait des produits défectueux ... ... 61 Thomas Kadner Graziano

Haftung(en) ohne Verschulden-

die transnationale Perspektive ...... 81 Xavier Favre-Bulle

La vente internationale d'un produit défectueux

selon la Convention de Vienne ... ... ... ... 105 Guy Chappuis

La responsabilité civile du fait des produits:

les expériences d'un assureur ...... 145 Olivier Guillod

Responsabilité médicale: de la faute objectivée

à l'absence de faute ...... 155

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6 SOMMAIRE

Geneviève Viney

Les tentatives d'harmonisation des droits de la

responsabilité civile au séln de l'Union européenne ... 173 Bénédict Winiger

La responsabilité pour risque est-elle dangereuse

pour la faute? ... 191 Cluistine Chappuis

Responsabilités objectives: conclusions générales ... 207 Annexes ... 217 Table des matières .. ... ... ... ... ... ... ... ... 241

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Liste des auteurs

Christine Chappuis Professeure, Faculté de droit de l'Université de Genève

Guy Chappuis Avocat, membre de la Direction, La Bâloise Assurances

Xavier Favre-Bulle Docteur en droit, avocat au barreau de Genève et solicitor of the Supreme Court of England & Wales, chargé de cours (Univer- sité de Genève) et d'enseignement (Univer- sités de Lausanne et de Savoie)

Olivier Guillod Professeur, Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel

Thomas Kadner Graziano Professeur, Faculté de droit de l'Université de Genève

Gilles Petitpierre Professeur, Faculté de droit de l'Université de Genève

Geneviève Viney Professeur, Faculté de droit de l'Université de Paris 1 (Panthéon Sorbonne)

Franz Werro Professeur, Faculté de droit de l'Université de Fribourg, Georgetown University Law Center, Washington

Pierre Wessner Professeur, Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel

Bénédict Winiger Professeur, Faculté de droit de l'Université de Genève

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Ouverture du colloque

La responsabilité est le prix de la liberté, a-t-on coutume de dire. C'est peut-être un truisme, mais il n'est pas inutile de le rappeler au début d'un colloque - ou d'un ouvrage - consacré à l'étude des responsabilités objec- tives.

Les libertés dont nous nous prévalons, les droits que nous exerçons, ne peuvent se concevoir sans responsabilité; ils sont en quelque sorte grevés d'une «hypothèque sociale» 1: leur exercice, outre qu'il doit être confonne à leur finalité, est susceptible d'entraîner l'obligation de réparer le préju- dice causé à autrui. A ce titre, le propriétaire d'un bien, le détenteur d'un véhicule automobile, le fabricant de produits manufacturés, l'organisateur d'une manifestation publique, l'exploitant d'une centrale nucléaire ou même le simple piéton, par exemple, ne sauraient espérer se mouvoir dans le droit lorsque cela leur convient - et s'en extraire lorsqu'il s'agit d'in- demniser un tiers.

Simultanément, on le sait bien, abaisser exagérément les conditions de l'imputabilité d'un préjudice peut se révéler économiquement coûteux (voire prohibitif) et peut entraîner une déresponsabilisation des victimes potentielles2.

Il y a là un délicat équilibre à trouver. Ce problème de la répartition des risques n'est qu'un exemple parmi les nombreuses questions auxquelles les auteurs des contributions qui suivent ont consacré leurs réflexions, aussi savantes que stimulantes. Ils y ont été invités par les professeurs Christine Chappuis et Bénédict Winiger, organisateurs du colloque et éditeurs du présent ouvrage. Qu'ils en soient tous ici remerciés (c'est là ma liberté, mais aussi ma responsabilité!): il est fort utile, à l'heure où J'on s'interroge sur la révision du droit de la responsabilité civile en Suisse, de disposer

Cf. par exemple, sur la «soziale Hypolhek au! dem E;gentum»: F. FURGER. Die Sozial- pJUchtigkeU des EigelJlI4ms. Gesichlpullkte der chrisl/ichell Sozialethik. in Eigentum und seine Gründe [H. HOLZHEY et G. KOHLER, éd.], Berne 1983, p. 129 ss, p. 140.

2 A titre d'illustration, s'agissant de la responsabilité du fait des produits aux Etats-Unis:

{(the American experience with product liability law tumed bad when judges lost faith in the ability of consumers to deal competently with the mix and quality of ordinary products), (R. A. EPSTErN, Simple rules for a complex world, Cambridge (USA), 1995, p. 244).

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10 OUVERTIJRE DU COLLOQUE

d'un guide faisant le point sur la problématique centrale des responsabili- tés objectives tout en offiant au lecteur des perspectives nouvelles particu- lièrement riches.

Bénédict F oëx

Président de la Section de droit privé de la Faculté de droit de Genève

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L'apparition d'un besoin social face à l'inadéquation du droit en vigueur:

la genèse d'une nouvelle réglementation

Gilles Petitpierre'

Il m'incombe de tenter de décrire la confrontation d'une situation nouvelle en fait avec un droit qui ne l'avait pas reconnue comme telle. Je m'appuierai pour l'essentiel sur le droit des Etats-Unis: son influence sur le droit européen, comprenant aussi bien celui de l'Union européenne que celui du Conseil de l'Europe, et finalement sur le droit suisse a été con- sidérable.

C'est moins l'historique du processus que le développement d'une construction conceptuelle que j'aimerais esquisser.

I. Un problème nouveau en fait

A. Du côté de la distribution et de la production

En fait, la problématique s'est dessinée plus clairement à mesure que l'industrie et le commerce se développaient toujours plus massivement depuis les années cinquante. C'est le producteur, ou souvent aussi, le grand distributeur qui déclenche et domine le processus de distribution. La rela- tion de l'acheteur avec le vendeur final s'est appauvrie. Ce dernier est de moins en moins souvent le spécialiste des objets qu'il vend. Il se présente le plus souvent comme un passage nécessaire entre la production et/ou la grande distribution et les clients. C'est d'autant plus évident quand les produits vendus sont emballés et scellés par le producteur ou par le distri- buteur en gros d'un côté, que les objets proposés à l'acheteur sont déposés sur des rayons et que finalement le contact avec un représentant du ven- deur se produit seulement au moment du paiement. On doit naturellement nuancer ce point de vue toutes les fois que l'acteur dominant est une chaîne de magasins à succursales multiples qui se fournit auprès de petits

Monsieur Bogdan Prensilevich, assistant, a collaboré à la rédaction de la contribution.

Je l'en remercie vivement.

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12 GILLES PETITPIERRE

producteurs qui se trouvent en définitive à sa merci. Même dans cette hypothèse, la qualité et l'intensité de la relation du vendeur au détail avec l'acheteur final sont extrêmement ténues.

Du côté de la production, le recours à la technique, à l'automatisation, à la spécialisation, à la division du travail se renforçait tous les jours. Les produits eux-mêmes devenaient plus compliqués, plus efficaces, mé- caniquement, énergétiquement, chimiquement. Ils étaient animés par des moteurs à essence, électriques, par du gaz sous pression, etc. Ils devenaient plus dangereux en soi parce que plus efficaces, mais il va de soi que le danger était encore plus considérable en ca~ d~ défectuosité.

C'est ainsi avant tout commcCsource dedaigez. que le défaut nous in- téresse. On distingue en effet tr'à:diti~entre deux types de défauts selon leurs effets:

Le défaut qui enlève au produit son utilité promise ou attendue, dimi- nue sa valeur, affecte sa durée d'utilisation, etc. C'est le domaine du contrat (vente, leasing, pour l'essentiel). Les pourparlers et la volonté exprimée par les parties jouent un rôle capital. Le défaut concret se définit principalement par la rupture entre les attentes de parties rai- sonnables et honnêtes et la réalité de l'espèce. On est dans le domaine de l'équilibre économique d'une relation contractuelle, de l'intérêt du public à ne pas faire de mauvaises affaires.

Le défaut en cause ici se caractérise par sa capacité de porter "active- ment" atteinte à des intérêts traditionnellement protégés par l'ordre ju- ridique: la personne et la propriété.

C'est en fonction des dangers qu'ils faisaient courir que les produits défectueux sont entrés en force dans la réflexion juridique des années cin- quante et soixante aux Etats-Unis d'abord, en Europe ensuite.

Je vous soumets une définition dépourvue de composantes juridiques:

"est un défaut toute propriété dangereuse d'un produit qui, si elle était

connue et appréciée comme telle par l'acquéreur ou l'usager et par le distributeur, entraînerait le refus du premier de l'accepter ou de s'en servir, la renonciation du second à le mettre dans le commerce".1

Ce défaut peut résulter de multiples causes dans le processus produc- tif. Leur recherche présente un intérêt particulier en vue de l'application du droit: elle contribue à déterminer à qui ou à quoi le défaut est imputable.

Cf. KEETON, Products Liability, p. 1335 (traduction libre); idem, Manufacturer's Liability, p. 568.

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GENÈSE D'UNE NOUVELLE RÉGLEMENTATION 13

C'est ainsi qu'en Allemagne et aux Etats-Unis' on a distingné les catégo- ries que voici.

1. Le défaut de conception (improperly designed product; Konzep- tionsfehler): un père de famille est électrocuté en voulant aider sa femme à sortir la lessive de la machine parce que l'isolation électrique de celle-ci est insuffisante; les freins de tel modèle d'automobile sont mal calculés d'où un accident; un remède n'a pas été testé suffisamment pour que ses effets secondaires soient tous révélés, etc.

Une série entière d'exemplaires peut en être affectée et les victimes potentielles sont nombreuses. En termes d'imputabilité, le vice résulte du fait d'un organe ou d'un cadre supérieur de l'entreprise productrice.

2. Le défaut de fabrication (miscarriage in the manufacturing process;

Fabrikationsfehler): un matériau de mauvaise qualité a été utilisé, une machine n'a pas bien fonctionné, un travailleur a été momentanément inattentif. Ce type de défaut affecte un ou quelques exemplaires d'un pro- duit fabriqué en série et le cercle des personnes menacées est relativement restreint. En termes d'imputabilité, le vice résulte du fait d'un employé subalterne ou de la fatalité si la production est automatisée, éventuellement d'un organe ou d'un cadre supérieur si le système de production choisi est en soi défectueux.

3. Le défaut d'avertissement (insufficient warning; lnstruktionsfehler) résulte non pas du processus de production au sens strict, mais de l'inadéquation des instructions et des avertissements accompagnant le produit: portant, par exemple, sur le caractère inflammable d'une perruque pour les enfants, sur les propriétés explosives ou toxiques du gaz d'un vaporisateur, résultant de l'inversion des étiquettes d'un flacon d'herbicide et d'un flacon d'insecticide, etc. En termes d'ampleur des risques et d'imputabilité, le défaut d'avertissement présente de grandes analogies avec le défaut de conception. Il est évidemment beaucoup plus facile à corriger après avoir été découvert.

4. Les défauts liés à des risques impossibles à reconnaître à temps (unknowable risks; Entwicklungsfehler) se présentent sous deux formes caractéristiques:

a) un produit nouveau révèle après sa diffusion dans le public des propriétés négatives que l'état de la science et de la technique de l'époque

SIMITIS, Grundfragen der Produzentenhaftung, pp. 3-6; idem, Soli die Haftung, pp. 12·

15; cf. KEETON, Products Liability.

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14 GILLES PETITPIERRE

de la diffusion, pour autant qu'il soit définissable, n'a pas permis de dé- couvrir et de prévenir. On pense en particulier au domaine pharmaceu-

tique; - •

b) un produit traditionnel consommé depuis des siècles ou des décen- nies se révèle toxique parce que le développement de la science a permis cette découverte. On pense naturellement au tabac, au plasma sanguin contenant un virus encore inconnu.

Dans les deux hypothèses, la quantité des occasions de dommage est considérable. En termes d'imputabilité, cette catégorie ne remonte à au- cune insuffisance critiquable dans l'entreprise productrice.

Il arrive que ces catégories se combinent pour ce qui est de l'imputation: le choix d'une chaîne de montage bon marché par la direc- tion générale conduit à de trop nombreux accidents de fabrication (Aus- reisser); le contrôle final des produits est superficiel pour des motifs de rentabilité; l'ouvrier est distrait parce que la disposition des machines est malencontreuse.

Il ressort de cette description sommaire que les causes des défauts sont multiples, variées, complexes, peu homogènes en termes d'imputation et que le fait d'un organe ou d'un employé n'est de loin pas toujours la cause du défaut.

B. Dans l'optique du

lésé

Le premier lésé auquel on pense est évidemment l'acquéreur du produit.

L'usager non acquéreur est aussi menacé, de même que, dans une moindre mesure, les tiers qui sont touchés par hasard quand le défaut se manifeste.

Le lésé est touché dans sa personne et/ou dans ses biens, mais il peut espérer obtenir réparation.

On a souvent insisté (le Professeur DIEDERICHSEN en particulier') sur la double surprise du lésé acquéreur ou de l'usager qui d'abord ne s'attend pas à la manifestation du défaut ni, dans un deuxième temps, à la difficulté d'obtenir la réparation de son dommage.

L'actualisation du défaut dangereux est une sorte de rupture de la con- fiance inspirée par la présence sur le marché du produit. Ce dernier a sou- vent été présenté favorablement par la publicité du fabricant lui-même ou du distributeur, publicité qui porte il est vrai surtout sur les avantages

DIEDERICHSEN, pp. 296-297.

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GENESE D'UNE NOlNELLE RÉGLEMENTATION 15

économiques de l'acquisition et de l'utilisation du produit. Mais elle ren- force le sentiment général que si un produit est offert au public, c'est qu'il correspond à des normes de sécurité et de qualité assez strictes pour qu'on puisse l'utiliser en observant, s'il y a lieu, des indications du fabricant ou du marchand. Aux Etats-Unis comme en Europe, on peut admettre que la mise sur le marché est un acte concluant, une sorte de garantie globale donnant sans autre à croire que le produit est sûr (c'est le contenu de la warranty, implied ou of safety du droit des Etats-Unis'). Cela n'est évidemment pas vrai dans la même mesure pour le tiers, comme on le véri- fiera plus loin dans la partie proprement juridique de cet exposé.

Une deuxième surprise attend le lésé quand il veut obtenir réparation.

La complexité de la production et du commerce modernes, la relativité des conventions et le contenu des contrats, l'identité du cocontractant (fabri- cant? importateur? grossiste? agent? sous-agent?, dernier vendeur seule- ment?), l'effet des "garanties d'usine", des garanties conventionnelles qui parfois enlèvent plus de droits à l'acquéreur qu'elles ne lui en donnent, la répartition des rôles au sein de l'entreprise productrice: autant d'obstacles, sinon de trappes, placés devant le consommateur moyen qui réclame ré- paration.

II. L'approche juridique de cet état de fait A. Généralités

Dans un premier temps, on peut ne pas distinguer les systèmes juridiques dans la mesure où les fondements et la structure conceptuelle de la res- ponsabilité sont semblables, sinon identiques, aux Etats-Unis et en Europe.

La responsabilité résultant de la garantie contractuelle du vendeur se caractérise par un avantage notable: pour les dommages corporels et maté- riels, elle est indépendante de toute faute (en Suisse l'art. 208 al. 2 CO): le lésé ne doit prouver que l'existence d'un défaut antérieur au passage des risques. Il peut s'épargner la recherche d'une personne responsable ou dont le fait est imputé au vendeur. Cet avantage est limité de façon tout aussi évidente: la garantie ne profite en principe qu'à l'acheteur et n'oblige que le dernier vendeur. L'entourage de l'acheteur et moins encore les tiers ne sauraient invoquer la garantie sauf clause ou circonstance particulière per- mettant d'étendre le champ de protection contractuel.

4 Dans le même sens: SrtRO, Zur Haftung, p. 266.

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16 GILLES PETlTPlERRE

J'ajoute que la charge de cette responsabilité n'est pas légère à porter pour le vendeur final dont le recours n'est pas assuré. Il profite d'une ga- rantie qui ne lui sert à rien 'pour recourir car il n'est pas louché dans sa personne ou ses biens corporels (dommage direct).

La responsabilité exlraconlractuelle repose en règle générale sur une faute du responsable. Elle présente l'avantage de profiter en principe à toute personne lésée par un produit défectueux dans sa personne ou dans ses biens matériels, qu'elle soit un cocontractant, un membre de l'entourage de l'acquéreur, un usager, voire un tiers totalement étranger.

Elle pèse sur toute personne à qui le défaut peut être imputé, en particulier le fabricant.

La difficulté majeure de sa mise en œuvre réside dans la preuve de la faute. Même appréciée objectivement, la faute n'est pas facile à identifier dans la structure complexe de la production et de la diffusion modernes des biens. L'intégration et l'appréciation de la notion de faute dans une organi- sation qui se caractérise par la spécialité et la division du travail ne vont pas de soi. On peut être tenté de déduire de l'existence d'un défaut dan- gereux celle d'une faute', peu importe que son auteur ne soit pas identifié, ni même son objet, et de la faire entrer dans le domaine d'action du fabri- cant ou du distributeur de biens. Avec des autorités comme Albert EHRENZWEIG ou William PROSSER, il faut admettre que l'on introduit ainsi ce que le premier a appelé la negligence withol/I Jal/If' soit, pour l'expliciter dans des termes européens, une responsabilité fondée sur la faute (negligence) sans faute, en d'autres mots une responsabilité causale.

De même le Professeur SPIRO a pu écrire: "die Haftung des Schuldlosen kann nun einmal nicht auf Verschulden gegrundet werden"'- Si on est amené à de telles contorsions sémantiques, c'est le signe qu'une responsa- bilité objective disant clairement son nom est désormais la bonne solution.

En droit suisse on peut naturellement songer d'abord à admettre la faute de l'art. 41 CO très facilement puis à exploiter les ressources d'une forme ou d'une autre de responsabilité extracontractuelle indépendante de toute faute. Dans notre domaine, c'est évidemment l'art. 55 CO qui vient à l'esprit. En soumettant la libération de l'employeur à la preuve qu'il avait procédé ou fait procéder à un contrôle final du produit en plus de la démonstration qu'il avait observé les trois curae classiques et les règles

Cf. ATF 491465, JT 19241372.

6 EHRENZWEIG, p. 1422.

SPIRO, Zur Haftung, p. 269.

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GENÊSE D'UNE NOUVELLE REGLEMENTATION 17

d'une bonne organisation, le Tribunal fédéral a franchi le pas8J'y re- viendrai9.

B. L'adaptation du droit aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis la jurisprudence a suivi parallèlement une autre voie que j'aimerais présenter à grands traits, parce qu'elle a contribué à préparer la solution adoptée aujourd'hui en Europe, Suisse comprise. Les tribunaux ont fait converger la solution contractuelle (warranty), indépendante de toute faute et la solution extracontractuelle (negligence) fondée en principe sur la faute pour construire une responsabilité causale envers pratiquement tous les lésés possibles.

1. L'évolution de la conception de la warranty

PROSSER 10, parmi d'autres, remarque que la warranty fait panic du contrat soit parce que les panies l'ont voulu, expressément ou tacitement, soit parce que le droit applicable l'impose pour des motifs d'intérêt général (public policy). Son contenu se résume en ce que le vendeur garantit que le produit vendu est "fit for the purposc for which it \Vas manufactured and sold"". La sécurité de l'usage du produit qui nous intéresse particulière- ment ici est couverte par la warranty. S'il y a breach ofwarrallty dans la forme de la survenance d'une atteinte dommageable à la personne ou aux biens matériels de l'acbeteur, ce dernier a droit à la pleine réparation des dommages correspondant à son intérêt à l'absence du défaut. "The injured person is entitled to be placed, so far as this can be done by money, in the sarne position he would bave occupied if the contraet had been per- formed""- Les limites de la réparation sont fixées par la prévisibilité ob- jective des éléments du dommage (on n'est pas loin de notre causalité adéquate): en matière d'atteinte à la personne et aux biens matériels ce critère est assez stable, à la différence de ce qui vaut pour les intérêts éco- nomiques el commerciaux. On le retrouve identique en matière extra- contractuelle (Ilegligence).

ATF 110 11456,

9 Cf. section Cci-dessous.

10 PROSSER, The Warranty of Merchantable Quality, pp, 122·124,

Il Cf. entre autres WILLISTON, Sales, §232; idem, Contracts, §992.

12 WILLISTON, Contracts, Vol. Il, §344.

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18 GILLES PETITPIERRE

Le défaut de la warranty dans l'optique de la protection du public en général contre les produits défectueux dangereux, c'est qu'elle ne profite qu'à l'acheteur à un bout-de'la chaîne et qu'elle ne permet pas à l'acheteur de s'adresser directement au fabricant chez qui le défaut a son origine à l'autre bout de la chaîne.

Vertical privity

Détaillan!

(vendeur)

APPROCHE CONTRACTUELLE

Fabricant contrat Grossiste contrat Distributeur contrat Grossiste local contrat

, , , ,

, Diagonal pri vity

, , , , , ,

~---~~---~

r ,

contrat (acheteur)

Consommateur Famille, Amis, Tiers Horizontal privity

La jurisprudence s'est donc attaquée à cette limitation, cette privity, soit la relativité des conventions, pour transposer entre des acteurs sociaux qui n'avaient jusqu'à la survenance du dommage entretenu aucune relation directe ce qui valait entre des partenaires contractuels. L'histoire séculaire de la warranty offiait un point d'appui à cette façon de faire car elle avait passé, dans des temps anciens, par le droit des lortslJ. Dans un arrêt de 1932, Baxler v. Ford Motor COI4, le fabricant annonçait dans sa publicité que les vitres de ses voitures ne pouvaient pas se briser en éclats (shatter- prao/). Une pierre frappa la vitre de la Ford de M. Baxter et projeta des éclats dont l'un lui fit perdre son œil gauche. On retint, pour condamner le fabricant avec qui M. Baxter n'avait pas de relation contractuelle, qu'il avait pris un engagement à travers la publicité qui correspondait à une garantie expresse qu'il pouvait invoquer malgré l'absence de relation con- tractuelle.

13 PROSSER, The Assault upon the Citadel, p. 1126.

14 12 P 2d 409 (1932) et 15 P 2d 1118 (1932).

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GENÈSE D'UNE NOUVELLE RÉGLEMENTATION 19

L'essentiel de l'évolution s'est déroulé à l'autre bout de la chaîne au- tour des produits alimentaires défectueux. Ainsi fut-il admis que si la mère de famille achetait des aliments, elle les destinait aussi à son entourage.

Son époux et ses enfants furent inclus dans le bénéfice de la warranty.

Une fois acquis que le danger lié à un aliment défectueux justifiait l'extension de la warranty à la famille de l'acheteur, on pouvait se fonder sur la notion de danger pour remarquer qu'une voiture défectueuse est tout aussi dangereuse pour son conducteur et ses passagers qu'une mouche dans une bouteille de limonade".

On n'est pas encore allé jusqu'au tiers étranger à l'entourage de l'acheteur.

Dans une autre direction, il fut jugé à partir de la nourriture destinée aux humains, qu'il fallait passer à celle destinée aux animaux qui sont des choses comme chacun sait. La property entrait dans le champ de la diag- onal privity.

William PROSSER a décrit sous la forme épique, en reprenant l'expression du juge Cardozo, l'assaut contre, puis la chute de la Citadel of Privity'6. PROSSER voit la chute de la citadelle dans l'arrêt Henningsen v.

Bloomfield and Chrysler"- M. Henningsen acheta une voiture Plymouth au vendeur final Bloomfield pour en faire cadeau à son épouse. Mme Hen- ningsen conduisait la voiture pratiquement neuve lorsqu'elle entendit des craquements juste avant que la voiture ne tourne brusquement à droite et s'écrase contre un mur. Mme Henningsen fut blessée et elle ouvrit action aussi bien contre Chrysler, le fabricant, que contre Bloomfield, le vendeur.

L'argument décisif des juges peut être résumé ainsi: la charge des .dom, mages consécutifsJ!l'll~l!ge" d'articles défec;tI!~1lx ~~t .supportée par ceux

~sont da!!sJa.p.()sitiQn sQi.Uk .cQotrôler.le_danger,.J;oitdei-épâr!iLéqlli- tablement ces pertes quand elles surviennent. En conséquence, dans les conditiôiiS-moâërnes"dti marché;

qûand

·ùn·i;;bricant met dans le commerce un nouveau modèle d'automobile et qu'il promeut sa vente par la publicité, il donne une garantie implicite qu'il est raisonnablement adapté à son usage jusque dans les mains du dernier usager. L'absence de représentation entre le fabricant et le vendeur est sans pertinence. On ne voit pas de motif juridique rationnel de distinguer entre une mouche dans une bouteille de

limonade et une automobile défectueuse. La limonade avariée peut rendre

lS Henningsen v. Bloomfield and Chrysler, 161 A 2d 69, 76 (1960).

16 PROSSER, The Assault upon the Citadel; idem, The Fall of the Citadel, p. 791.

17 Cf. supra note 15, p. 83.

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20 GILLES PETlTPIERRE

malade une personne, la voiture défectueuse, avec son grand potentiel de lésions pour le conducteur, les occupants et les tiers justifie encore moins qu'on persiste à observer-les étroites barrières de la relativité des conven- tions'"' Mme Henningsen obtint la réparation du dommage résultant de ses lésions corporelles, de même que du dommage matériel qu'elle avait subi.

La privity était désormais abandonnée sur les deux axes, vertical et horizontal.

Il restait encore à intégrer les tiers purs (mere bystanders); cela sera fait partiellement par une autre voie étant donné qu'il est difficile de con- struire une quelconque relation de confiance entre le tiers lésé et un pro- ducteur avec lequel le premier n'a entretenu aucun rapport de fait ni de droit jusqu'à l'accident.

On relèvera finalement que les juges du New Jersey ont décidé que la garantie de sécurité ne pouvait pas être écartée par une clause d'exonération, pour le motif qu'elle existait indépendamment d'un contrat et qu'elle ne se prêtait pas de ce fait à être écartée par un contrat.

2. L'évolution de la jurisprudence en matière de neglig~nce

Pour notre propos, on peut défmir la neg/igence comme "a conduct which falls below the standard established by the law for the protection of others against an unreasonable risk of harm"". La référence est the reasonable man. L'appréciation est objective pour éviter au lésé les aléas d'un juge- ment défavorable parce que l'auteur, objectivement fautif, pourrait s'excuser en raison de ses caractéristiques personnelles.

Plus précisément, en matière de produit défectueux, la négligence suppose que le fabricant ait pu reconnaître que le produit, s'il n'était pas fabriqué correctement, était de nature à causer une alteinte à la personne ou aux biens de l'utilisateur. Le produit doit être conçu de façon à ne pas créer de danger excessif (particulièrement les voitures automobiles: la deux chevaux aurait été probablement impensable aux Etats-Unisfo; la fabrica- tion doit être soignée, les instructions et la surveillance du personnel et des chaînes adéquates, les contrôles finals serrés.

lB Ibid.

19 HARPER/ JAMES, p. 896.

20 TUNe, pp. 311 55.

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GENÈSE 0 'UNE NOUVELLE RÉGLEMENTATION 21

Les tribunaux ont généralement facilité la preuve de la faute objective par des inférences de fait, la maxime res ipsa loquitur ("les faits parlent d'eux-mêmes"), en particulier, est venue en aide au lésé. Avec PROSSER2I

on peut la présenter ainsi: premièrement, l'événement dommageable doit être tel qu'il ne s'en produit généralement ou ordinairement pas de pareil si quelqu'un n'a pas été négligent; deuxièmement, il doit avoir été causé par une agency ou une instrumentality exclusivement contrôlée par le défendeur; troisièmement, il ne doit pas être dû à une action volontaire ou une contribution fautive de la part du demandeur. La deuxième condition couvre ce qui chez nous relèverait de l'art. 55 CO, mais sans la preuve libératoire.

3. L'émergence (provisoire?") d'une responsabilité générale indépendante de toute faute des fabricants et des vendeurs des biens corporels défectueux

L'évolution de la jurisprudence dans le sens de l'abandon de la privity de la warranty est parallèle au processus d'objectivisation du tort qu'est la negligence qui a glissé de la sanction d'une faute à une responsabilité pra- tiquement causale. La convergence des deux développements a consacré expressément la responsabilité causale (strict liability) des producteurs et des distributeurs de biens matériels pour les dommages résultant d'atteintes à la personne et aux biens corporels par un produit défectueux dangereux. On a ainsi marié une negligence d'où la faute se retirait et unëî(

garantie causale désormais sans relation contractuelle pour ajouter à celle du vendeur envers l'acheteur la responsabilité objective du fabricant en- vers tout usager.

Deux problèmes restaient ouverts, celui de l'inclusion dans le champ de la responsabilité des tiers purs (mere bystanders) et celui de l'actuali- sation des risques impossibles à connaître au moment de la diffusion du produit comme défaut de celui-ci. J'y reviendrai dans la conclusion.

21 PROSSER, Law afTorts, p. 217.

22 Cf. la contribution de F. WERRO dans le présent ouvrage; également MICKLITZ,

pp. 79 ss.

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22 GILLES PETITPIERRE

C.

Aperçu de l'évolution en droit suisse

1. Bref exposé de l'évolution de la jurisprudence portant sur les art. 41 et 55 CO

Les arrêts fédéraux ne sont pas nombreux et la jurisprudence n'a pas la latitude de créer de nouvelles règles. Elle doit interpréter.

Dans l'affaire Hoecker (1923)", on a qualifié de fautive la mise en circulation par son fabricant d'une teinture pour le cuir contenant de l'aniline. Les souliers de la demanderesse avaient été, à sa demande, teints avec ce produit par un cordonnier. Elle souffrit d'un eczéma provoqué par le contact de la peau avec le cuir teint. Ce type de réaction, qui s'appellerait aujourd'hui allergique, était à dire d'experts, très rare24 Le Tribunal fédéral n'en admit pas moins une faute du fabricant et de ses as- sociés, responsables ensemble de la qualité des produits".

Dans l'affaire de l'aubergiste Breu (1964)'6, le thermostat d'une fri- teuse vendue neuve à Breu par les hoirs de Oberliinder n'avait pas été con- necté par l'employé de ces derniers, de sorte que treize mois après la livraison, l'huile s'échauffa jusqu'à s'enflammer et provoquer un incendie de l'auberge de Breu. L'action fondée sur le défaut de la chose vendue était prescrite (art. 210 CO). La responsabilité fondée sur l'art. 41 CO fut cette fois écartée27, parce que les employeurs n'avaient pas commis de faute en ne contrôlant pas si le thermostat avait été connecté: "ils pou- vaient s'en remettre à leurs employés consciencieux, qui possédaient une bonne formation technique"28.

L'art. 55 CO ne vint pas au secours de Breu: les trois curae avaient été données et l'entreprise était bien organisée29

Puis vint l'ATF 11 0 II 45630 de 1984, dans lequel le Tribunal fédéral ajoute aux trois curae et à la bonne organisation de l'entreprise productrice l'exigence d'un contrôle final du produit fini, contrôle "apte à préserver le tiers de tout dommage", ou, si le contrôle est impossible, l'exigence "d'un mode de fabrication qui exclut, avec un haut degré de probabilité, l'erreur

2J ATF 49 1 465, JT 19241372.

24 ATF 49 1 468, JT 19241375 .

25 Arrêt cité, consid. 3 et 4.

26 ATF 90 II 86, JT 1964 1 560.

27 Consid. 3 a.

28 fbid.

29 Consid. 3 c.

30 Traduit au JT 1985 1378.

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GENESE D'UNE NOUVELLE RÉGLEMENTATION 23

de fabrication et le danger qui en résulte pour autrui". Le producteur fut condamné.

Enfin, dans un arrêt non publié de 198531 on condamna le vendeur- importateur de chaises pliables pour le dommage subi par le client d'un dentiste qui s'était blessé lorsque la chaise s'écroula sous son poids parce que l'axe à la jonction des deux parties mobiles de la chaise était trop fai- ble. La motivation est, pour l'essentiel, que le vendeur-importateur aurait du contrôler, ou faire contrôler, la solidité de la chaise. A défaut il répond selon l'art. 41 CO oU selon l'art. 55 CC s'il est une personne morale, une société anonyme en l'espèce.

Ainsi a été introduite en droit suisse une responsabilité quasi absolue de celui qui met sur le marché un produit défectueux dangereux: si le résultat n'est pas choquant en soi, on souligne qu'il est intervenu sans que le législateur ait eu son mot à dire, sans droit transitoire, sans que les res- ponsables potentiels aient pu se couvrir par des assurances adéquates, sans que les assureurs aient pu calculer les coûts des risques éventuellement assurés.

On avait adopté, en catimini, une solution au moins aussi rigoureuse que celle élaborée aux Etats-Unis.

2. Législation (adoption du droit européen)

C'est intentionnellement que je dis "en catimini", car les efforts des parle- mentaires et de la doctrine en vue d'obtenir l'élaboration d'une législa- tion transparente prévoyant une responsabilité objective, se heurtaient à l'inertie hostile des autorités compétentes.

En Suisse comme aux Etats-Unis et en Europe, aussi bien dans la Communauté européenne qu'au sein du Conseil de l'Europe, on était con- scient de la problématique.

Les Etats-Unis l'avaient affrontée à travers l'impressionnante réflex- ion des juges et des auteurs; l'Europe par la préparation et la promulgation de normes conventionnelles et de directives communautaires. La Suisse, dans le cadre des relations bilatérales avec l'Union européenne, s'est ral- liée, comme souvent, au droit préparé par d'autres parce qu'elle ne pouvait plus faire autrement, en adoptant la Loi fédérale sur la responsabilité du

" Résumé publié au JT '1986 1 568.

(25)

24 GILLES PETITPIERRE

fait des produits du 18 juin 199332, qui est une paraphrase de la directive européenne)).

On a l'habitude en -Suisse de distinguer deux sortes de fondements aux règles instituant une responsabilité sans faute: la violation d'un devoir objectif de diligence d'une part (cf. les art. 55, 56, 58 CO, 333 CC), le risque inhérent à une activité donnée d'autre part (cf. art. 58 LCR, art. 3 LRCN, art. 1 LRespC, art. 27 LExpl, etc). L'Avant-projet de révision du droit de la responsabilité civile reprend ces notions34On aura remarqué que la responsabilité du vendeur au sens de l'art. 208 al. 2 CO ne corres- pond à aucune de ces deux hypothèses.

On peut affiner un peu l'analyse des motifs nombreux et variés de renoncer à la faute du responsable pour le charger d'une obligation de ré- parer.

En premier lieu, on distinguera l'abandon de lafaute de l'abandon de la preuve d'unefaute pour aider le tiers à faire valoir son droit dans chaque situation où la faute n'a pas perdu en soi sa pertinence, mais est difficile à établir, à localiser, à imputer (art. 55, 58 CO). Ensuite, l'existence d'un comportement du responsable de nature à susciter une sorte de confiance dans le produit peut être déterminante (art. 208 al. 2 CO; LRFP).

La maîtrise des risques el de leur répartition par un acteur social jus- tifie qu'il supporte la charge de leur réalisation, en particulier quand il apparaît en outre comme économiquement mieux loti que le tiers. On n'est pas loin de l'idée de "canaliser" la responsabilité sur le sujet le mieux placé pour l'assumer.

Il n'est pas rare que l'idée de l'expropriation sous-tende l'instauration d'une responsabilité de celui qui par ailleurs est dans une situation d'exer- cer une activité que la société ne désapprouve en rien, ou même encourage, comme l'innovation technique et scientifique par exemple. Il n'en faut pas moins indemniser les victimes, désignées par le sort, de ce type de situa- tions ou d'activités auxquelles est attaché un "risque inhérent".

Même l'idée'de prévention générale n'est pas toujours absente de ce type de choix législatifs, bien que l'assurance de la responsabilité civile vienne en atténuer la pertinence.

12 RS 221.1 12.944.

B Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (Annexe 1).

'" Art. 49 à 5 1,60 et 6t AP; WIDMER/ WESSNER, Rapport explicatif, pp. 123 ss, 280 ss.

(26)

GENÈSE O'UNE NOUVELLE RÊGLEMENTATION 25

Il n'est pas douteux que la plupart des règles instaurant une responsa- bilité se fondent sur deux ou plusieurs des motifs qui viennent d'être évo- qués sommairement.

L'art. 58 LCR, par exemple, repose sur le risque de l'emploi d'un véhicule automobile (le plus souvent actualisé par une faute de conduite qu'on renonce à rechercher systématiquement) qu'on impute, par le choix du détenteur comme responsable, à ce dernier, dans la mesure où on a ca- nalisé sur lui la charge économique des dommages subis par des tiers. En outre, on l'oblige à s'assurer pour le protéger directement, autant que les tiers lésés indirectement, contre les risques de sa responsabilité, faisant de lui celui qui est le mieux placé économiquement pour supporter la charge économique des dommages "corporels" et "matériels".

III. Conclusion

Pour en revenir·aux produits, j'ai laissé tout à l'heure de côté deux ques- tions controversées aux Etats-Unis. Le tiers pur (mere bystander) profite-!- il aussi de la responsabilité stricte? Quid des produits affectés d'un défaut que l'état des connaissances ne permettait pas de déceler ni de supprimer lors de la diffusion du produit?

La Suisse a choisi: le tiers pur est protégé (art. 1 al. 1 lit. a LRFP); les risques de développement sont exclus (art. 5 al. 1 lit. e LRFP).

Ces questions sont une occasion de revenir sur les fondements et les motifs de l'adoption d'une responsabilité indépendante de toute faute.

Si au défaut est attaché d'une façon ou d'une autre un blâme objectif au fabricant-distributeur, le tiers doit être inclus dans la protection et les risques de développement exclus.

Si est décisive la confiance dans la sécurité de l'utilisation du produit, on doit exclure le tiers et inclure les risques du développement.

Si l'accent est mis sur le risque, inhérent à l'activité productive, de laisser parvenir de temps à autre sur le marché des produits défectueux et que la responsabilité causale est en quelque sorte le prix à payer pour l'exercice d'une activité par ailleurs licite, il se justifie d'inclure le tiers pur et les risques du développement dans son champ. On est très proche de l'idée d'expropriation en droit public; les rares victimes d'une activité conforme à l'intérêt général ne doivent pas être laissées sans recours.

Si le fabricant répond parce que c'est lui qui est le mieux à même de répartir la charge des dommages résultant de l'actualisation des risques de

(27)

26 GILLES PETITPIERRE

la production, en particulier parce qu'i! peut reporter le coût de la respon- sabilité sur l'ensemble des acheteurs de ses produits à travers les prix et/ou par des contrats d'assurance couvrant sa propre responsabilité, on ne voit pas de raison d'exclure ni les tiers purs, ni les risques du développement du champ de la responsabilité.

L'intérêt de cette réflexion est de faire apparaître que les motifs de l'introduction par le législateur ou par le juge d'une responsabilité causale sont divers et variés et que la notion de responsabilité objective n'est perti- nente que par son aspect techniquement formel, soit sa conséquence ju- ridique détachée de la condition d'une faute: des dommages-intérêts sont alloués sans référence à une faute de celui qui les doit. Pour le surplus, elle ne dit rien de son fondement ni de ses motifs.

C'est l'occasion de remarquer une fois de plus qu'une institution n'a de contenu clair qu'en fonction de ses finalités.

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GENÈSE D'UNE NOUVELLE RÉGLEMENTATION 27

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La responsabilité objective du fait des produits est-elle stricte?

Franz Werro"

J.

Introduction

Dans une société industrielle, la fabrication de produits en masse expose les usagers à des risques particuliers. L'ampleur et la fréquence des dom- mages, mais également les difficultés pour la victime d'apporter des preu- ves, ont peu à peu convaincu les législateurs qu'une responsabilité spécifi- que du producteur était nécessaire pour renforcer la protection des lésés.

Aux Etats-Unis, une responsabilité du producteur indépendante de la faute a vu le jour dans les années soixantel. En Europe, le législateur l'a imposée avec la Directive relative à la responsabilité du fait des produits défectueux de 19852. En Suisse, le Tribunal fédéral a admis le principe de la responsa- bilité sans faute du producteur dans un arrêt de 1984 en modifiant son in- terprétation de l'art. 55 COl; quant au législateur, il a repris la directive européelUlc et le principe d'une responsabilité sans faute avec le projet Swisslex dans la loi fédérale sur la responsabilité du fait des produits (LRFP) en 19934

• Je remercie Maud ClivaI, assistante à la Faculté de droit de l'Université de Fribourg, de l'aide qu'cUe m'a apportée dans la mise au point de ce tex.te, ct MaIjolaine Viret, cand. ira:, de la lecture critique qu'clle a faite de ce manuscrit.

1 Cf. notamment Greenman v. Yuba Power Products, Inc., S9 Cal. 2d 57, 377 P.2d. 897 (1962); Heaton v. Ford Motor Co., 435 P.2d 806 (1967); World-Wide Volkswagen Curp. v.

Woodson,444 U.S. 286 (1980); Piper Aireraft Co. v. Reyno, 454 U.S. 235 (1981). Un pre- mier arrêt californien avait admis en 1944 déjà que le fardeau de la preuve en matière de faute devait être renversé dans certaines circonstances: cf. Escala v. Coca Cola Bollling Company of Fresno, Supreme Court of Califomia 1944. 24 Cal.2d 453, 150 P.2d 436 (Annexe 6).

, Cf. Directive 8S13741CEE du Conseil du 25 juillet 1985, lOCE 1985 L 210129 ss (ci- après: Directive, reproduite cn Annexe 1).

l Cf. ATF 11011456, ldT 19851378.

, Cf. la loi Fédérale sur la responsabilité du fait des produits du 18 juin 1993 (LRFP), RS 221.112.944. A ce sujet, cf. notamment FEllMANN 1 VON 8ÜREN-VON Moos, 21 S5.

(31)

30 FRANZWERRO

Dix ans après son entrée en vigueur, la loi suisse n'a encore généré aucun arrêt'. Pendant longtemps, il en a été de même dans les Etats de l'Union européenne ave"C les lois de transposition de la Directive. La ten- dance s'est toutefois inversée au cours de ces dernières années. Certains tribunaux des Etats membres ainsi que la Cour de justice des Communau- tés européennes (CJCE) ont rendu plusieurs arrêts importants, tant sur les conditions de la responsabilité du producteur que sur la relation qui existe entre le droit commun national de la responsabilité civile et le droit spécial adopté par les Etats membres dans les lois de transposition de la Direc- tive".

Tôt ou tard, les tribunaux suisses seront eux aussi amenés à se pro- noncer sur la responsabilité du producteur. Ils seront alors confrontés aux questions et controverses qui divisent les juristes européens et américains depuis des années. La jurisprudence de la CJCE7 ainsi que celle des Etats membres constituent à cet égard une source de renseignements précieux. Il en va de même de la jurisprudence américaine, à condition de tenir compte du contexte juridique et politique différent qui préside dans ce pays tant à l'adoption des lois qu'à leur application.

L'objectif du présent colloque est d'analyser la responsabilité objec- tive et d'en dégager les caractéristiques. La responsabilité du fait des pro- duits offre à cet égard un point d'appui privilégié, car le but des légis- lateurs, aussi bien américains qu'européens, était précisément d'adopter une responsabilité objective, fondée sur le résultat défectueux de la pro- duction, et indépendante d'un éventuel manque de diligence du producteur ou de ses auxiliaires. Là où elle existe, la jurisprudence montre que ce but n'a pas toujours été atteint et que, aux Etats-Unis, l'adieu à la faute ne s'est pas vraiment fait; nous verrons que dans ce pays, on en réclame même le retour, du moins en relation avec certains aspects de la responsabilité du producteur (II). Nous constaterons également qu'on a atténué le caractère strict de la responsabilité en accordant au producteur des moyens de défense conséquents (III).

Une compagnie d'assurance m'a toutefois signalé un cas décidé en première instance dans le canton de Vaud. Une autre m'a affirmé n'avoir connaissance d'aucun cas en Suisse.

Le Tribunal fédéral ne s'est prononcé qu'une nouvelle fois sur l'art. 55 CO, après l'arrêt de 1984: cf. JdT 19861571 ("chaise du dentiste").

6 Cf. les références à ce sujet dans le Livre vert 1999 sur la responsabilité du fait des produits défectueux sur: http://europa.eu.inticommlintemaLmarketienlupdate/

consumer/greenfr.pdf; de façon étonnante, de nombreux cas ont été décidés en Autriche; cf.

les références in POSCH, 55 55.

7 Cf. à ce sujet WERRO, Droit européen.

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RESPONSABILITÉ DU FAIT DES PRODUITS 31

Il. La notion de défaut: résultat ou diligence?

Le législateur européen a voulu fonder la responsabilité du producteur sur le résultat dommageable de la production en prenant comme critère le défaut du produit. Le Tribunal fédéral est parti de la même conception dans la jurisprudence relative à l'art. 55 CO précédemment évoquée: il a mis en place un régime de responsabilité dans lequel la victime doit démontrer la défectuosité du produit, mais sans devoir prouver l'existence d'un manque de diligence de l'auxiliaire du producteur recherché; quant à ce dernier, il ne dispose pas des preuves libératoires traditionnellement reconnues à l'employeur et il ne peut donc pas se libérer en montrant qu'il a fait preuve de la diligence requise'.

La notion de défaut est connue en droit suisse de la RC (cf. art. 58

CO). Celle du défaut du produit présente la particularité de ne comprendre

en principe aucune référence au comportement du producteur (A). De manière propre au domaine des produits encore, on reconnaît différents types de défauts (B) et l'appréciation qui en est faite n'est pas nécessaire·

ment la même pour chacun d'eux (C). Une brève synthèse permettra de résumer l'analyse retenue (0).

A. La définition du défaut

Comme l'art. 6 de la Directive, l'art. 4 LRFP a la teneur suivante":

1 Un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment:

a) de sa présentation;

b) de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu;

c) du moment de sa mise en circulation.

2 Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un produit plus perfectionné a été mis ultérieurement en circulation.

Le défaut est donc une absence de la sécurité à laquelle on peut légi- timement s'attendre compte tenu des circonstances. Ces circonstances sont appréciées de manière concrète, mais non subjective. En ce sens, le défaut est une notion normative: son appréciation est fondée sur les expectatives

Cf. ATF 110 II cité; à ce sujet, cf. FELLMANN 1 VON BOREN-VON Maos, 159.

Cf. art. 4 LRfP, art. 6 Directive (cf. Annexe 1).

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