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Franz Werro"

D. Un essai de synthèse

Comme pour les défauts de présentation ici laissés de côté, le dernier Reslatement of Torts américain propose un retour du régime de la faute prouvée pour les défauts de conception. Il appartient à la victime de démontrer que le producteur aurait pu concevoir un produit moins dange-reux. Pour ces défauts, la jurisprudence américaine se contente de con-sidérer que le consumer expectation test est souvent insuffisant ou injuste-ment favorable au consommateur. Elle propose soit de remplacer, soit de compléter ce test par le risk-utility test, lequel implique de prendre en compte les coûts de production et l'analyse de conceptions alternatives ainsi que les risques liés au produit64.

En Europe, alors que d'aucuns avaient craint qu'on limite les expec-tatives légitimes des consommateurs en les faisant dépendre de ce qu'on peut raisonnablement attendre du producteur6', on a vu des juges décidés à donner à la responsabilité du producteur un caractère résolument objectif, détaché de toute considération relative à la diligence du producteur. Révé-lateurs de cette approche, les jugements anglais rejettent le risk-utility test que certains estimaient compris dans le consumer expectation test, comme ils écartent la distinction entre défaut de fabrication et défaut de conception, en retenant que la manière de produire peut augmenter les défauts de fabrication et que ce qui apparaît comme tel n'est en définitive que le fait d'un processus de fabrication insuffisant. Pour les juges anglais, il suffit dès lors de distinguer entre produits standards et produits non standards66

63 Cf. MrcKLlTz, 79 55.

64 Cf. notammentPerkins v. Wilkinson Sword [ne., Ohio Supreme Court 1998, Ohio St.3d 507; MeCabe v. Ameriean Hondo Motor Co., Cal. App. 4'", 123 Cal. Rptr. 2d 303 (2002).

65 Cf. STAPLETON, qui affirmait que: "The core of the defect study will substantially par-allel the issue which underlies the negligence standard", 705.

66 Cf. A & Others v. National Blood Authority, par. 35.

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RESPONSABILITE DU FAIT DES PRODUITS 45

En d'autres termes, si le résultat n'est pas celui que le consommateur attendait, il Y a défaut, même si l'expectative de sécurité est irréaliste. La question que les tribunaux n'ont pas tranchée est celle de savoir quelle est la situation lorsque l'usager est prévenu du risque; dans le cas du sang contaminé, la réponse du juge anglais aurait-elle été la même si le produc-teur avait prévenu les patients du risque de contamination6'? Y aurait-il aussi dans ce cas un défaut ou devrait-on conclure que l'information élimine le défaut, comme on peut l'admettre en application du droit de la Directive? En l'état, on ne le sait guèré8

Sans doute faut-il ajouter à ce qui précède que les réponses anglaises - et néerlandaises - doivent être interprétées au regard du contexte par-ticulièrement sensible de la santé et des scandales qui ont entouré le sang contaminé. Il n'est pas certain que les tribunaux européens montreront toujours la même sévérité. Celle dont le Tribunal fédéral a paru faire preuve dans l'arrêt de l'anneau de suspension en exigeant une sécurité quasi absolue était peutêtre aussi due au fait mentionné par les juges -que le producteur aurait pu recourir à un processus de fabrication plus sûr à peu de frais. Savoir ce que le Tribunal fédéral dirait dans un contexte dif-férent n'est ainsi pas non aisé.

Il est intéressant de mentionner ici les résultats auxquels ont abouti les recherches menées à l'Université de Trente dans le projet du Common Core of European Privale Law sur les limites de la strict /iability69. Ainsi, les réponses à la question de savoir si le risk-utility lest devrait être com-pris dans le consumer expectation test varient sensiblement d'un Etat eu-ropéen à l'autre'o.

Sans toujours pouvoir fonder leurs réponses sur des cas jugés dans leurs pays respectifs, sont favorables à la prise en compte des avantages du produit par rapport au risque qu'il présente les rapporteurs anglais7l,

écos-67 Il ne semb-Ie pas J'exclure: cf. idem, par. 68.

68 Pour plus de détails, cf HOWELLS / MILDRED. Infected Blood, 101.

69 Cf Werm 1 Palmer.

70 Ainsi, dans le cas d'une crème pour la peau causant des allergies uniquement aux per-sonnes qui ne supportent pas les huîtres, c'est-à-dire une sur 250'000, les réponses données par les différents rapporteurs sont loin d'être unanimes. Ce cas pose le problème de savoir si l'on doit considérer un produit comme défectueux même si le risque est très mince et même si sa réalisation est subordonnée à une combinaison de circonstances telles que l'existence d'une allergie preexistante. Plus généralement, le problème tourne autour des défauts de conception et de la prise en compte des considérations de coût et d'utilité dans la détennination du défaut.

11 Contrairement à ce qu'ajugê la jurisprudence.

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sais, danois, français, grecs et finlandais. La plupart d'entre eux tentent de concilier cette approche avec le consumer expectation test en considérant que l'analyse de la relationTisque-bénéfice fait partie des expectatives du consommateur. Rejettent en revanche cette approche et admettent le défaut sans égard au faible risque du produit, les rapporteurs italiens, allemands, espagnols et portugais. Il est vrai que la différence pourrait être moins importante qu'elle n 'y paraît si on prend en compte l'obligation du pro-ducteur de mettre en garde le consommateur contre les risques du produit qu'il connaîl: ainsi, en droit allemand, le producteur échappe à sa respon-sabilité s'il informe les usagers de manière adéquate. Encore faut-il con-naître ces risques et ensuite définir le contenu adéquat de l'information.

Toute information n'élimine pas le défaut; si elle exprime en réalité une volonté de limiter la responsabilité, elle peut même être tenue pour con-traire à l'art. 8 LRFP (cf. infra IIl.A).

Pour conclure ce point, on peut encore ajouter une observation: Même si l'existence du défaut devait parfois se fonder sur une appréciation des comportements du fabricant et se distancer' ainsi d'une responsabilité purement fondée sur le résultat, il faut garder à l'esprit qu'elle ne saurait jamais se mesurer sur le comportement d'un seul individu. La faute

per-sonnelle au sens de l'art. 41 CO n'a sans nul doute aucune place en cette matière. En effet, le producteur ne répond pas de l'acte d'un employé identifiable, mais plutôt d'un manque de diligence mesuré objectivement.

En ce sens, on peut affirmer que la responsabilité civile du producteur est une forme de responsabilité civile d'entreprise, et qu'dIe est objective7' . Il ne faut au demeurant pas s'y tromper: la Directive voulait aller au-delà et retenir une responsabilité fondée sur le mauvais résultat. Il reste à voir ce que la jurisprudence fera de ce postulat; moins fréquemment sollicités, les tribunaux européens s'en montreront peut-être plus respectueux que les tribunaux américains.

III.

Les moyens de défense

du

producteur

Le caractère objectif d'une responsabilité ne dépend pas seulement du fondement qu'on donne à celle-ci, mais également de la place qu'on réser-ve aux moyens libératoires du défendeur.

Les moyens de défense du producteur posent essentiellement deux questions: celle d'abord de savoir si le producteur peut échapper à sa

res-72 Cf. Werro / Palmer.

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ponsabilité quand le produit présente un risque que l'on ne pouvait iden-tifier lors de la mise en circulation (A); celle ensuite de savoir s'il a la possibilité d'invoquer des exceptions à la responsabilité fondées sur le comportement de la victime (B).

Les réponses à donner à ces questions dépendent très largement des buts assignés à la

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produits et relèvent de choix politiques. Con-trairement à la situation qu'on connaît aux Etats-Unis, le besoin de protec-tion des consommateurs par les mécanismes de la responsabilité civile est sans doute moins pressant au sein de l'Union européenne, compte tenu de la qualité des instruments étatiques de prévention des accidents 73 et des assurances-accidents obligatoires.