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Définir ce concept ne va pas de soi. Divers champs le mobilisent et il revêt une certaine complexité que nous allons maintenant interroger.

L’activité est d’abord signifiante pour le sujet lui-même

La psychologie offre des outils de description fondée sur la signification réelle de l’activité pour le sujet. Léontiev théorise l’activité et la subdivise en trois niveaux. L’activité proprement dite est orientée vers des motifs déterminés par des besoins (Leontiev, 1976). Cela a à voir avec le sens personnel que le sujet assigne à son activité. Ce qui caractérise l’activité, c’est que son objet coïncide avec son motif. Ce niveau du concept répond à la question : « pourquoi le sujet agit ? » À un second niveau, l’action ne constitue qu’un des aspects de l’activité. L’action s’insère dans l’activité et est orientée par un but conscient, mais qui ne coïncide pas forcément

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avec le sens personnel que le sujet donne à son action. Le motif s’exprime dans le but, mais ils ne se confondent pas, le but prenant sens au regard du motif. Car ce n’est pas le but qui pousse à agir, c’est bien le motif. Par exemple, l’action de lire un livre sera orientée vers l’appropriation de son contenu par le sujet, mais pourra avoir pour motif, soit la préparation d’un examen, soit le plaisir d’apprendre. L’activité développée par le lecteur ne sera vraisemblablement pas de même nature. Ce niveau du concept répond à la question : « pour quoi le sujet agit ? » A contrario, un motif peut se concrétiser dans des buts différents. Le troisième niveau de l’activité dégagé par le psychologue est celui des opérations orientées par les moyens à mettre en œuvre pour réaliser l’action qui servira in fine le motif. L’opération est le contenu de l’action, mais là encore, l’une ne se superpose pas à l’autre. L’opération est subordonnée aux conditions dans lesquelles le but est assigné. Ce niveau du concept répond à la question : « comment le sujet agit ? » Toutes les opérations ne sont pas de même nature et n’ont pas de matérialité. La suite de notre écrit nous permettra de revenir sur ces opérations et sur leur rôle dans le développement de l’activité.

La formation professionnelle ne peut occulter le sens personnel que l’enseignant donne à son activité. Pour notre travail de recherche, deux points sont à mettre en avant. Le premier concerne la manière dont l’enseignant s’engage dans la formation. Le motif d’agir diffère sans doute s’il s’agit d’un dispositif prescrit par l’institution tel qu’une animation pédagogique ou s’il s’agit d’une participation volontaire à un dispositif collaboratif dont l’objet est perçu comme une difficulté dans la pratique. Par ailleurs, la dimension personnelle du motif d’agir dans le cadre des mises en langage renvoie à la mission que l’enseignant s’assigne lui-même et à la conception de l’école maternelle qu’il mobilise. Favoriser le développement et les possibilités expressives du petit enfant est un mobile bien éloigné de la volonté d’atténuer les différences sociales en donnant à tous, le plus tôt possible, un accès à un savoir culturellement identifié. Par ailleurs, tout en restant autonomes, les composantes de l’activité entretiennent une forme de cohérence où la réalisation reflète d’autres strates de l’activité que la formation professionnelle doit prendre en compte et sur lesquelles elle doit agir.

Astolfi (2008) propose une macrostructure de l’activité qui schématise le propos et que nous partageons.

98 Tableau 3 macrostructure de l'activité selon Astolfi (2008)

Activité

ENERGETIQUE de L’ACTIVITE

RATIONNALITE de L’ACTIVITE

Dimension projective Dimension cognitive Dimension matérielle Fonction d’incitation

Le mobile Le motif Le « POURQUOI »

Fonction d’orientation L’obtention d’un but La représentation du résultat

Le « POUR QUOI »

Fonction de réalisation Les moyens et les

procédures Le mode opératoire Le « COMMENT » Comment se développe l’activité ?

Dans une visée de formation, l’activité se conçoit dans une perspective dynamique. Il nous faut maintenant clarifier les processus qui conduisent à son développement.

Dans notre approche, l’activité ne se réduit pas à l’action. Elle a une part visible et procède de choix concrets que l’enseignant fait dans l’action renvoyant à du savoir enseigner ou/et à des savoirs à enseigner. Toutefois, ce qui fonde ces choix est une part invisible de l’activité. Il s’agit du cahier des charges que s’impose le professionnel, des nécessités orientées par les conceptions que l’enseignant mobilise, et sur des aspects de la situation que le sujet sélectionnera et construira comme des données du problème. Le paragraphe 6.3.2 nous donnera l’occasion de revenir sur ces aspects. Aussi, dans notre approche, l’activité rend compte des options explorées, des renoncements effectués du point de vue didactique.

Nous avons montré dans le paragraphe précédent comment l’activité se structure. Reprenons maintenant les travaux de Léontiev (1984) pour comprendre comment elle se développe. Ces travaux distinguent actions et opérations de par leur origine différente, leur dynamique différente et leur destinée différente. Si les actions émanent du but, les opérations ont à voir avec les conditions ou les moyens de l’action. « L’action naît des rapports d’échanges d’activités alors que toute opération résulte d’une transformation de l’action, procédant de son incorporation dans une autre action et de sa “technicisation” consécutive ». (Léontiev, 1984, p.119). L’exemple que propose Léontiev nous éclaire sur cette relation entre opérations et action. La conduite automobile requiert diverses opérations, dont celle d’embrayer. Chez un

Action

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jeune conducteur, cette opération se formera comme une action orientée vers ce but (embrayer). Chez le même conducteur devenu aguerri, cette action d’embrayer prendra le statut de moyen, d’opération insérée dans l’action plus complexe de changer le régime du moteur.

Les apports de Léontiev sur le développement de l’activité précisent encore un peu notre problématique du point de vue du développement de l’activité. Toutefois, les actions et opérations ne sont pas déconnectées du mobile d’agir.

Notre travail de recherche a pour projet d’aller au-delà de la partie visible de l’activité technique de mise en langage produite par les enseignants pour comprendre ce qui la fonde. Nous cherchons à mettre à jour des parcours d’enseignantes dans un dispositif de formation dédié aux mises en langage en EPS. Dans notre approche, les techniques ne se limitent pas aux actions et aux opérations qui ne constituent pas toute l’activité que déploient les enseignants. La simple observation ne donne pas accès à l’activité. Au-delà de l’utilisation des techniques, il nous faut accéder aux intentions pour reprendre les éléments des travaux de Combarnous développés plus haut.

Nous considérons que se confronter à un dispositif de formation va conduire les enseignants qui y sont engagés à développer leur activité, leurs actions et leur but, les opérations qui permettent la réalisation de ces actions et que la volonté de modifier leur pratique va constituer un mobile intéressant. Distinguons, à la suite de Bronckart (2001) reprenant les travaux de Léontiev (1979), deux niveaux de réalisation de l’agir. « « le niveau collectif des activités orientées par des finalités et des motifs de groupe, et le niveau singulier des actions, en tant que « portions » des activités collectives qui se trouvent être de la responsabilité particulière d’un agent, doté de représentations propres de ses intentions, de ses raisons et de ses capacités » (p.142). Le dispositif de formation peut être un lieu où se développe ces deux niveaux de réalisation de l’agir.

Quelle est la spécificité de l’activité de l’enseignant ?

Précisons encore pour rendre compte au plus près de ses caractéristiques et de la manière dont l’activité de l’enseignant se constitue et comment notre approche didactique la conçoit. L’activité enseignante s’avère particulièrement complexe, car elle est orientée vers l’activité des élèves dans le but de leur faire apprendre des éléments d’un savoir identifié. Il y a de la co- activité (Pastré, 2007).

L’activité de l’enseignant est orientée vers l’activité d’apprentissage des élèves et la transformation de leurs conceptions. Toutefois, cette activité n’est perceptible qu’au travers des traces qu’elle laisse. Ce que vise l’enseignant, le but de son activité, dans le cadre didactique

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dans lequel nous nous inscrivons, c’est une reconfiguration des ressources de l’élève et une transformation, pour s’adapter à une situation qui pose un problème épistémique. L’issue pour l’élève passe par une activité de conceptualisation conjuguée à une modification de son mode d’organisation. L’activité de l’enseignant vise à déclencher et à entretenir cette dynamique. En sports collectifs, les paliers proposés par Lebouvier et Pontais, que nous avons développés dans le paragraphe 3.4 constituent des outils permettant de guider l’activité de l’enseignant. Il ne s’agit pas seulement de prendre ces éléments en compte indépendamment de l’activité d’apprentissage des élèves et du savoir à enseigner, mais de les articuler. Dans notre approche didactique, nous retenons qu’enseigner, c’est essayer de faire apprendre à des élèves singuliers un savoir précis et identifié en ayant un regard constant et attentif sur le processus d’apprentissage. Cette représentation de l’acte d’enseigner conduit le professionnel à questionner les productions des élèves avec un regard particulier pour interpréter des traces de leur activité qu’elle soit motrice, intellectuelle, technique, langagière… C’est en fonction de ces traces qu’il oriente et régule sa propre activité. Ceci constitue un travail et des opérations spécifiques d’analyse au regard de savoirs à enseigner qui s’inscrivent dans des didactiques des disciplines.

Orange (2014) montre le lien entre le didactique, divers, mais présentant une unité anthropologique et sociologique, et les didactiques empreintes des origines et de l’histoire des savoirs. « Les didactiques étudient les systèmes (les disciplines) — systèmes dynamiques avec histoire et mémoire — produisant de l’enseignable dans des institutions dédiées. » Cette perspective d’enseignabilité conduit à interroger d’une part les choix des savoirs à enseigner en lien avec les conceptions mobilisées par les acteurs et d’autre part les choix des modalités d’intervention pour transmettre et diffuser ces savoirs.

Etablir la spécificité de l’activité enseignante, dans la perspective didactique qui est la nôtre, contribue à l’avancée de notre problématique puisque cela nous aiguille sur des éléments à prendre en compte pour construire une grille d’analyse pour lire l’activité des enseignants. Poser l’activité enseignante comme une activité didactique selon les critères que nous venons de produire nous invite à porter notre attention sur des points tels que le savoir visé, la prise en compte de l’activité des élèves, les traces de cette activité et l’analyse qui en est faite. Par ailleurs, selon le cadre des sciences du langage que nous avons mobilisé dans une perspective culturelle, comment cette spécificité se traduit-elle dans les discours des enseignants ? Enfin, l’activité enseignante est-elle uniquement didactique ?

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De quoi dispose l’enseignant dans ses modalités d’intervention ?

Nous avons développé le concept de technique dans la partie précédente. De notre point de vue, l’activité enseignante vise des solutions originales à des problèmes concrets en agissant sur le réel. C’est une activité technique. Elle répond aux différentes caractéristiques que nous avons dégagé au cours des paragraphes précédents. Cette activité enseignante mêle de l’usage par le biais des situations qui sont construites et de l’intention notamment au travers des contenus d’enseignement visés par le professeur. L’activité enseignante mobilise également des instruments au travers tout d’abord du langage oral et écrit. D’autres instruments peuvent être cités ici. Les prescriptions officielles occupent ce statut. Les modèles d’intervention issus de la formation jouent eux aussi ce rôle d’instrument dans la pratique enseignante. Prenons en exemple le modèle d’intervention développé à l’ESPE de Saint - Lô qui, à partir des travaux de Le Bas (2005, 2008) sur les problèmes professionnels et sur une modélisation de la formation praticienne, propose des outils aux enseignants. Les manuels, livres du maître, ressources pédagogiques numériques ou non, institutionnelles ou non tiennent eux aussi lieu d’instruments. Par ailleurs, la mise en place de solutions immédiates et concrètes pour enseigner engage la réflexion de l’enseignant dans une forme de rationalité. En ce qui concerne la composante sociale, l’activité de l’enseignant est connectée à des courants de pensée, des résultats de recherche, des projets politiques qui impactent les comportements individuels et sociaux. La formation initiale, continue, les ESPE représentent autant de traces de cette composante sociale. La suite de notre développement nous donnera l’occasion de contextualiser cette dimension technique de l’activité enseignante aux mises en langage pour progresser en EPS.

La confrontation à une tâche problématique génère soit le renoncement, soit la production d’une organisation praxéologique pour accomplir cette tâche. Nous avons montré précédemment le rôle des opérations d’orientation dans le développement de l’activité humaine. Elles sont le terrain de la construction de problèmes et de solutions porteuses de savoirs et de concepts. Les concepts technologiques se légitiment dans leur opérationnalité au contact du réel et de la pratique. La science ne poursuit pas le même but. Selon Bouthier et Durey. (1994), si la science cherche à produire des explications, la technologie associe stratégiquement des connaissances, des processus et des objets pour agir sur le réel.

Loquet (2007, p.49) mobilise la notion de techniques didactiques pour désigner les manières de faire, les différents types de tâches de l’enseignant en direction de l’élève. Les techniques didactiques sont développées dans des tâches d’aide à l’étude et s’apparentent à des régulations destinées aux élèves dans le cadre d’interaction.

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Notre approche des techniques enseignantes diverge dans la mesure où nous les percevons comme une solution concrète et problématisée à un problème professionnel qui englobe les interactions didactiques mais prend également d’autres interventions sur le réel en charge.