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Le langage de l’élève : régulation d’apprentissage, débat d’idées et dyades

Les régulations d’apprentissage ainsi que le débat d’idées prennent en charge la dimension sociale de l’apprentissage et le caractère transmissible du savoir qui se construit. Les interactions entre élèves sont largement valorisées. Nous proposons maintenant de mettre ces notions et les cadres qui les sous-tendent en discussion pour situer notre conception des mises en langage par rapport à elles.

Dans le cas des interactions d’apprentissage, les interactions entre élèves sont importantes dans la mesure où elles déclenchent un processus d’autorégulation. Cette forme de régulation est plus large que la régulation didactique et prend plus en compte les processus d’apprentissage des élèves ainsi que les situations mises en place pour faire apprendre. Savoir enseigné et situations sociales dans lesquelles on l’enseigne sont intimement liés dans l’approche de la cognition située développée par Mottier Lopez (2012). La production langagière est à la fois un moyen d’agir sur autrui et le témoin ou l’agent d’un processus de conceptualisation. Cependant, cette approche prend en compte le processus d’instrumentation lié à l’instrument psychologique langage. Les interventions de l’enseignant et des pairs ont pour ambition de rendre transparents et d’accompagner les processus à mettre en œuvre pour mobiliser des outils ou collaborer, mettre en relation divers éléments ou intégrer une nouvelle connaissance en la mettant en mots dans une perspective de transformation.

Des points de vue centrés sur l’apprenant apparaissent au travers d’autres approches comme celle de la psychologie sociale du développement qui déploie la notion de conflit sociocognitif (Doise et Mugny, 1981, Perret-Clermont et Nicolet, 1988). Rey (2002) montre comment la réflexion pédagogique s’est appropriée cette notion issue de recherches expérimentales, dont celle initiée par l’école de Piaget, pour n’en conserver que des principes opérationnels :

1. « La confrontation des opinions entre élèves, loin d’être une perte de temps, peut être élevée à la dignité de moment de processus d’apprentissage,

2. Les inégalités de niveau entre élèves sont, jusqu’à un certain degré, un facteur d’apprentissage » (Rey, 2002, p.49).

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Il s’agit là d’une véritable dissonance cognitive dans laquelle les dimensions langagières occupent une large place. Des outils méthodologiques sont mobilisés en vue d’étudier avec le plus de précision possible les relations entre langage/pensée/action et savoir. L’approche sémioconstructiviste s’appuie sur le courant de la pragmatique discursive pour analyser les liens et comprendre le fonctionnement couplé du langage, de la pensée et de l’action. Ce courant a vocation à concevoir les interactions langagières et les actions en sports collectifs comme une dynamique empreinte d’intentions et d’effets. Il postule que dire, c’est faire. Pour Kerbrat- Orrechioni (2004, p.27-42) « (...) cette conception “agissante” (ou praxéologique) est aujourd’hui communément admise comme allant de soi par tous ceux qui traitent d’objets de discours, qu’il s’agisse des énoncés envisagés comme “des actes de langage”, voire des “actions” (terme préféré dans la littérature conversationnaliste) ou d’unités plus vastes comme les “activités discursives” ou les événements communicatifs. ». L’approche sémioconstructiviste s’adosse sur une conception similaire de l’action puisque « toute action est un acte inscrit dans un projet d’influence destiné à produire certains effets sur autrui ». (Wallian et Chang, 2007, p. 156). L’action du joueur et la lecture du jeu s’inscrivent dans un jeu d’intentions et d’interprétations par autrui semblable aux actes langagiers. Comme dans une conversation où les rôles peuvent se modifier à chaque instant, le contexte dans un sport collectif évolue à chaque action provoquée par une intention, elle-même déclenchée par une intention prêtée par autrui. Mais, comme dans les actes langagiers, l’interprétation peut être faussée. Le débat d’idées, tel qu’il est présenté par Gréhaigne ou Wallian, est initié par un désaccord initial et suppose « une construction collective de l’action à interpréter et à modifier, dont la concordance est négociée ». (Wallian, Chang, 2007, p.162). Le but est de produire un énoncé cohérent et partagé, une règle d’action, qui a valeur d’institutionnalisation et que sera mise à l’épreuve en actes.

Pour ces auteurs, le langage occupe un double statut. Il permet d’agir sur autrui (dire c’est faire). Mais il permet aussi de mettre à jour ses propres intentions et ses interprétations pour les confronter à d’autres et les renégocier eu égard au contexte pour partager des significations et s’inscrire dans un projet collectif. Il participe de ce point de vue au processus de conceptualisation en engendrant une prise de conscience de leur prestation par les élèves en lien avec des intentions. « Cela engage, interroge, interpelle l’élève dans sa capacité à conceptualiser les actes observés, en d’autres termes à émettre des hypothèses d’actions et à les verbaliser » (Gréhaigne, Deriaz, 2007, p.120). Cette mise à distance vise une interprétation de la situation qui vient d’être vécue et le partage de cette interprétation dans le but de résoudre un problème concret lié au match en cours, dans un contexte social et culturel singulier. Le savoir en jeu est

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peu théorisé et surtout entièrement dépendant du contexte. L’apport n’est pas exclusivement externe mais la rupture épistémologique qui va conduire à la construction d’un savoir par les élèves n’émane pas uniquement d’une objectivation de leur propre expérience. Cette rupture s’incarne dans le processus d’institutionnalisation sous la forme de « règles d’action ». Toutefois, c’est bien l’autonomisation par le savoir qui est visé, c’est-à-dire la mobilisation autonome du savoir construit pour gérer un problème dont il est la solution dans des situations qui dépassent le cadre scolaire. La mobilisation du conflit sociocognitif proposée par cette approche présente quelques divergences avec l’école genevoise. En nous appuyant sur les travaux de Rey (2007) précédemment cités, nous nous proposons de les mettre évidence. Piaget désigne l’état du sujet en déséquilibre cognitif comme « conflit cognitif ». Rey cite l’exemple d’un enfant qui n’a pas franchi le stade de la conservation des quantités, devant qui on verse le contenu d’un verre large dans un verre étroit. Une contradiction naît entre une quantité unique et un résultat apparemment différent dans le verre. Il semble il y en avoir plus dans le verre étroit que dans le verre large alors que la quantité n’a pas été modifiée. Lorsqu’il sera en mesure de gérer cette contradiction, l’enfant parviendra au stade de la conservation des quantités. Des recherches expérimentales montrent que le processus est accéléré chez cet enfant-là s’il est contredit par des pairs ayant eux-mêmes franchi le stade de la conservation des quantités. Le conflit sociocognitif agit comme accélérateur du conflit cognitif. Il ne bénéficie de fait qu’à un enfant dont l’état de développement est moins avancé. L’enjeu est différent dans la manière dont l’approche sémioconstructiviste mobilise le conflit sociocognitif dans le débat d’idées. Il s’agit alors de provoquer, chez tous les élèves une réinterprétation de la situation dans le but de s’inscrire dans des significations partagées et un projet commun.

Les travaux de Darnis (2010) et leur approche sociocognitive sur les dyades intègrent également largement la notion de conflit sociocognitif dans le contexte des sports collectifs. L’auteure nous rappelle que, dans une perspective didactique, « l’enseignant n’est pas le détenteur du savoir, mais un déclencheur de mise en activité d’apprentissage, un médiateur entre le savoir et l’élève. Il doit créer un environnement didactique susceptible de développer l’apprentissage des élèves ».Darnis et Laffont (2008) étudient comment s’élabore une stratégie en sports collectifs au sein d’échanges entre pairs. Elles mettent sous observation le langage et les interactions entre élèves dans le cadre d’une forme particulière de groupement décidée par le professeur : la dyade. Au sein d’une dyade, des recherches montrent que le sujet se retrouve dans une situation de déséquilibre inconfortable entre la proposition du pair et la sienne qui l’amène et un requestionnement dans le but, soit d’intégrer les deux propositions dans une nouvelle cohérence, soit d’examiner une nouvelle voie. Il y a « résolution cognitive du conflit ». Darnis

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et Laffont montrent que la solution produite à l’issue du conflit est bien souvent plus élaborée que les solutions initialement proposées par les élèves. Il ne s’agit pas d’un processus additif de deux solutions mais bien d’une restructuration rendue incontournable par la confrontation de deux points de vue. Cette restructuration conduit à des progrès individuels.

Darnis et Laffont montrent que les interactions verbales même brèves dans une forme de dyade légèrement dissymétrique favorisent l’accès à un niveau stratégique supérieur en handball et voient se multiplier les interactions de tutelle et de co-construction dans une perspective d’autonomisation du joueur.

Ces approches sociocognitives confirment le lien qui unit le langage des élèves et les apprentissages moteurs qui animent notre travail d’investigation. Elles appuient l’idée que parler permet de mieux jouer en sports collectifs, et ce pour différentes raisons :

 Dans le cas des interactions d’apprentissage, parler permet de transmettre des procédures.

 Dans le cas du débat d’idées, parler permet de construire une solution.  Dans le cas des dyades, parler permet de collaborer  et élaborer des stratégies.

Cependant, aucune de ces trois approches ne s’intéresse à la manière dont le langage permet l’avancée des contenus et à la perception de cette avancée dans les productions langagières. En cela, elles se démarquent de nos préoccupations.

Ce que nous retenons :

Ce rapide panorama nous a permis d’explorer des formes de mobilisation du langage en sports collectifs. Cette investigation appelle quelques conclusions. Le langage des élèves ne fait pas systématiquement l’objet d’une attention particulière et lorsqu’il l’est, c’est surtout dans une dimension pragmatique. Aucune des études citées n’aborde le langage dans une perspective d’évolution couplée à des contenus d’apprentissage en construction. Si le langage est perçu comme vecteur d’apprentissage, il n’apparait jamais comme une fenêtre donnant accès à l’activité d’apprentissage elle-même.

Par ailleurs, les conceptions différentes en jeu dans les différentes approches se traduisent par des choix concrets distincts dans les solutions de mises en langage. La relation temporelle entre le temps de l’action et celui du langage, l’activité de l’enseignant, les formes de regroupement ou encore la mobilisation d’outils langagiers comme support ne sont pas neutres et sont à questionner dans la définition et la délimitation du concept.

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5 Chapitre 5 : les mises en langage

comme objet d’analyse de notre