• Aucun résultat trouvé

Comment l’expérience contribue-t-elle au développement professionnel ?

Nous avons caractérisé la nature de l’activité enseignante. L’enjeu est maintenant de clarifier notre cadre théorique et méthodologique du point de vue de la formation des enseignants et, comme nous l’avons fait précédemment, de l’interroger au filtre de l’expérience, du langage et du développement professionnel tout en l’articulant avec la problématisation technique. Sans doute est-il nécessaire de rappeler que nous focalisons notre étude sur un aspect précis de l’activité enseignante lié au processus enseigner/apprendre. Notre approche est centrée sur la manière dont les enseignants s’y prennent pour générer une activité d’apprentissage des élèves au regard d’un savoir fonctionnel. A cet égard, nous nous démarquons des formats d’entretien

Ce que nous retenons :

Ce panorama non exhaustif des entretiens professionnels nous a permis de mettre en évidence des conceptions hétérogènes de l’expérience, du langage et du développement professionnel puisque ce sont les axes d’analyse que nous avons choisis. Cette investigation appelle quelques conclusions. Aucun de ces formats ne s’intéresse spécifiquement à l’activité enseignante et à la dimension didactique qui lui est spécifique. Ils sont majoritairement centrés sur la relation sujet/situation de travail dans un but de transformation ou de compréhension. L’expérience joue un rôle essentiel mais les conceptions qu’en mobilisent les différents cadres sont hétérogènes.

122

professionnels évoqués précédemment qui ne prennent pas pleinement en compte l’élève et son activité d’apprentissage au bénéfice d’une attention accrue sur le travail et sur l’activité de l’enseignant en tant que professionnel. Nous nous focalisons sur un aspect précis spécifique de l’activité de l’enseignant, son activité didactique, sans pour autant nier le fait que l’activité de l’enseignant présente d’autres aspects.

Quelle est la place de l’expérience dans la formation professionnelle ?

Nous avons évoqué dans le paragraphe 7.1 les travaux de Fabre (2008) et de Hétier (2008) mettant en évidence deux faces distinctes de l’expérience chez Dewey et plus généralement dans le courant pragmatiste. Une face active, orientée vers le passé devient une ressource pour le futur dans une seconde face passive de l’expérience. Eclairons maintenant la place de la formation dans le passage de la face active à la face passive de l’expérience.

L’analyse de pratique professionnelle semble une voie propice pour assurer ce transfert dans la mesure où, à la suite de Dewey, elle refuse d’opposer la théorie à la pratique et se propose plutôt de s’emparer de l’opacité de l’agir pour y déceler le « penser » et le transformer. Toutefois, et comme le souligne Orange (2006, p.119), de nombreuses formes d’analyses de pratiques coexistent. Il nous faut maintenant préciser et justifier nos options.

Arrêtons-nous sur le terme de pratique. La pratique est liée à l’activité dans la mesure où elle est sous-tendue par des mobiles, des buts et des opérations. Dans cette perspective, elle ne peut se résumer à sa partie visible. Cependant, la pratique intègre des dimensions sociétales. Pour Lebouvier la pratique s’inscrit dans une dynamique « qui articule le sujet (praticien) dans ses dimensions psychologiques, l’objet de la pratique dans une approche épistémique, et ce que font les “autres” de cet objet dans une réalité plus sociale. » (2007, p.43). La pratique enseignante peut alors se penser comme un système articulant le professionnel en tant qu’individu porteur de valeurs et de mobiles pour agir, un objet didactique qui se focalise sur les processus d’enseignement/apprentissage en relation avec un savoir précis et une dimension sociétale incluant les programmes, des enjeux sociétaux qui pèsent sur l’école mais aussi des usages partagés par des communautés. Dans la mesure où la pratique n’est pas directement accessible, son analyse va permettre une schématisation à visée compréhensive, voire transformatrice, à condition d’être outillée. Le système didactique tripolaire constitue à nos yeux un outil pertinent pour accéder à cette schématisation. Il vise la mise à jour des relations qu’établit l’enseignant entre le savoir, l’élève et ses apprentissages et un pôle sociétal qui vit au travers de l’école, de ses missions et des prescriptions institutionnelles mais aussi des usages du savoir dont fait usage la société. La mise en relation de ces trois pôles (savoir, élève, sociétal)

123

conduit l’enseignant à traiter des problèmes de nature différente et à investir des questions de trois types (Lebouvier, 2007). Dans le cas des mises en langage, les types de questions sont les suivants. Le premier a trait à ce qu’il y a à apprendre, le second renvoie à la manière de guider les apprentissages et le troisième vise le rôle du langage dans le processus d’apprentissage. Nous avons déjà mobilisé précédemment les concepts d’image cognitive et d’image opérative développé par Ochanine. Ces concepts sont repris par Pastré, Mayen et Vergnaud (2006) sous les termes de modèle cognitif et modèle opératif. « Le modèle cognitif désigne la représentation qu’un sujet se fait en termes d’objets, de propriétés et de relations, indépendamment de toute action de transformation portant sur ce domaine. Le modèle opératif désigne la représentation que se fait un sujet d’une situation dans laquelle il est engagé pour la transformer ». (Pastré, Mayen & vergnaud, 2006, p.160). Ce modèle opératif organisé par la finalité de l’action s’avère déformé et révèle des éléments de saillance.

La prise en charge de toutes les relations dans le système didactique prend le statut de modèle cognitif des mises en langage et peut outiller l’analyse de pratique. Cette notion envisage, comme la théorie de l’activité de Léontiev, la part invisible de ce qui fait agir l’enseignant mais en déplaçant l’observation depuis l’individu vers des dimensions plus globales et des conceptions.

Mais, en fonction de la finalité qu’ils attribuent à la mise en langage, les enseignants vont développer dans l’action des modèles opératifs prenant en charge certaines relations de manière saillante et en laissant d’autres s’établir de manière contingente. Nous proposons le schéma suivant du modèle cognitif des mises en langage, inspiré d’un schéma de Lebouvier (2007) mais qui intègre des dimensions langagières.

124 Schéma 6 modèle cognitif d’une mise en Langage, d’après Lebouvier (2007, modifié)

L’analyse de pratique : un mouvement récurrent de la solution au problème Les travaux de Fabre nous apportent des éléments importants sur la problématisation de la pratique enseignante. Ils nous interpellent au double titre de la problématisation et du champ professionnel qu’ils explorent.

Cependant, la singularité de l’approche par la problématisation en formation réside dans la manière d’appréhender la pratique. « Une pratique est la solution à un problème. Son inintelligibilité exige l’élucidation du problème dont elle est la solution » (Fabre, 2006). La problématisation se déploie dans l’analyse de pratique didactique qui va mettre en relation des hypothèses d’action, des scénarii pédagogiques, des données et des conditions soumises à des normes psychologiques, pédagogiques et didactiques.

Fabre (2006), s’appuyant sur les travaux de Canguilhem, nous rappelle que toute activité répond à des normes de différentes nature. Elles peuvent être déontologiques, éthiques, épistémologiques ou autre. Ces normes dessinent un idéal et sont produites collectivement par l’institution, la recherche ou encore la formation des enseignants. Fabre (2006) met en évidence trois sortes de normativités : « une normativité psychologique, orientée vers les valeurs du sujet, une normativité professionnelle centrée sur le rapport de ce sujet aux tâches professionnelles prescrites ou encore une normativité épistémique centrée sur le rapport du sujet au savoir ».

125

Dans le cadre de la problématisation, toutes ces normes vont dessiner les contours de la solution et peser sur le processus d’articulation de données et de nécessités.

Placer l’analyse de pratique dans un cadre didactique, c’est accorder aux productions des élèves un rôle comme trace de leur activité d’apprentissage, rappelle Orange (2006). Par ailleurs, cette analyse vise à modéliser la pratique de l’enseignant en tentant d’accéder aux nécessités qu’il fait consciemment prévaloir pour concevoir et agir dans la classe. Le but est d’examiner des données concrètes qui relèvent du registre empirique, de les articuler avec des conditions qui relèvent du registre épistémique et explorer des possibles.

Fabre montre que c’est lorsqu’il remonte au problème que le professionnel peut envisager les différents possibles qui s’offrent à lui. Ne rester qu’à la solution le cantonne dans cette seule et unique issue. Mais, le fait que la pratique professionnelle soi une solution à un problème n’apparait pas spontanément. Effectivement, la perception par un praticien que la solution qu’il met en œuvre est un possible parmi d’autres et répond à un problème professionnel n’est ni naturelle, ni aisée. Elle n’est pas un préalable à l’analyse de pratique. Cette perception constitue un des enjeux de l’analyse de pratique dans le cadre de la problématisation.

L’élucidation du problème en jeu dans le cadre de l’analyse de pratique apparaît comme une condition nécessaire pour le passage de la face active de l’expérience à sa face passive. Encore faut-il lui accorder le statut de problème en en mobilisant l’une des figures : l’énigme, l’enquête ou la controverse. C’est autour de cette troisième figure du problème que se noue le dispositif de formation mis en œuvre dans notre projet de recherche. En effet, la controverse que provoque la mise en parallèle de solutions différentes à la gestion d’un même problème professionnel peut conduire à la construction de ce problème en amenant le professionnel à construire des données et des nécessités significatives.

L’analyse de pratique : une activité didactique sur l’activité didactique

Fabre souligne la mise à distance de la pratique par l’analyse. En la situant dans une autre temporalité, elle invite à une distanciation intellectuelle. Cette conception nous rapproche des méthodologies issues de la clinique de l’activité et de l’ergonomie même si, nous le verrons, l’objet de la distanciation diffère. Orange (2006, p.129) avance le fait qu’une analyse de pratique didactique met en jeu et doit mettre au travail des conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement. Le sens de l’analyse de pratique se situe sur ces enjeux et sur des mouvements autour de ces conceptions pour construire des savoirs professionnels raisonnés, explicites et partagés. Ces savoirs professionnels participent de la gestion du système didactique et d’une prise en charge plus ou moins maîtrisée des relations qui unissent les différents éléments du

126

système. L’analyse de pratique joue alors un rôle d’objectivation de la pratique et d’accès aux raisons, aux nécessités qui la fondent. En revanche elle se révèle en rupture avec les méthodologies orientées vers l’explicitation et le procédural.

La psychologie du travail fait valoir la distinction tâche/activité. Ceci nous amène à questionner la finalité des tâches d’enseignement. L’analyse de pratique didactique ne peut évacuer les questions de l’apprentissage des élèves et des savoirs construits. Elles nous apparaissent comme cruciales car constitutives de l’activité enseignante. C’est la raison pour laquelle nous nous engageons dans une forme d’analyse de pratique didactique et portons la focale sur la gestion des problèmes professionnel référés au couple enseigner/apprendre. Cette option nécessite, comme le souligne Orange (2006, p. 123) de prendre en compte les didactiques disciplinaires et leurs spécificités, tout comme l’activité intellectuelle effective développée par les apprenants. Dans le cas des mises en langage que nous étudions, la didactique des sports collectifs est largement sollicitée. Les dimensions langagières sont inféodées à cette didactique et à des savoirs professionnels liés au guidage des apprentissages.

Dans le cadre que nous développons et dans le dispositif que nous mettons en place dans notre projet de recherche, la formation se conçoit dans un va-et-vient entre action et analyse de pratique comme une instance de construction des problèmes professionnels plus que de leur résolution. C’est dans cette dynamique entre action et analyse de pratique dans le cadre d’entretiens problématisants que s’effectue le passage de la face active à la face passive de l’expérience et que l’activité se développe en construisant de nouvelles données et de nouvelles nécessités.

Ce que nous retenons :

Ces paragraphes nous ont permis de clarifier notre conception de la relation expérience/développement professionnel dans une approche par problématisation. L’analyse de pratique est le lieu où cette relation joue à plein et où l’expérience passée va impulser l’expérience à venir en démêlant le réel, en remontant aux raisons, en en faisant valoir d’autres pour explorer de nouveaux possibles. Notre inscription dans une didactique de la formation des enseignants impose de prendre en compte le déjà-là, le fonctionnement usuel, l’expérience des enseignants pour le comprendre et le transformer.

127